Description de la vie au Val-des-Choux — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

Description de la vie au Val-des-Choux

Par Frère Théotime - 1790

Description de la vie de Sept-Fons
et du Val-Saint-Lieu, ci-devant Val-des-Choux

[P. Théothime]

 Archives de l'Abbaye de Sept-Fons
Publié avec autorisation
L'orthographe a été conservée
[numéros] renvoient aux nos de page de l'original

L’abbaie de Sept-Fons, du Diocèse d’Autun, est la seule abbaie d’hommes située dans le Bourbonnais. Elle a toujours été regardée comme une Abbaïe Royale, quoi que ses fondateurs aient été divers seigneurs qui se réunirent pour cet objet. Elle avoit à peine 4000 £ de rentes, et avoit été donnée en commande à M. Eustache de Beaufort, Ecuÿer, et ne rendoit pas au déhors une excellente odeur. Tous ses batimens consistoient en quatre ou cinq chambres ; les Religieux seulement l’habitoient, et s’occupoient de la chasse, et d’autres exercices encore moins compatibles avec la sainteté de leur état. Leur abbé qui demeuroit je crois à pairs, prenoit leurs revenus et partageoit leur mondanité, lors que par les conseils d’un vertueux frère qui gémissoit de sa conduite, il entreprit une retraite dans un séminaire. Il s’y occupa sans doute des années éternelles et du néant des choses d’ici bas, puis qu’il en sortit avec le dessein de réformer son abbaïe et de se réformer lui même. Il se renferma dans un monastère de l’ordre de Cîteaux, après avoir obtenu du Roi que son abbaïe devint régulière, et cessât d’être donnée en commande : bienfait que les Rois lui ont confirmé depuis sa réforme. Il fit son noviciat, et après un an d’épreuves, il fut admis à la profession. Il partit ensuite pour la Trappe, pour conférer avec M. De Rancé sur les moyens d’exécuter leur commun projet ; car celui-ci méditoit en même tems la réforme de la Trappe. M. de Rancé dont l’abbaïe étoit en assés bon état par rapport aux batimens, engagea M. De Beaufort à lui envoyer ses novices faire leur année d’épreuves à la Trappe, pour être ensuite renvoyés à Sept-Fons que M. de Beaufort vouloit rebâtir pendant ce temps. Ses projets à cet égard étoient grands, et le local répondoit à ses vûes. L’abbaïe de Sept-Fons, monte des bords de la Loire à une vaste hauteur, où maintenant par les soins des abbés réformés, sept routes plantées d’arbres, aboutissent en forme de patte d’oie. L’enclos à près de cinq quarts de lieue de circuit, et est arrosé de superbes canaux. L’abbaïe est à six lieues de Moulins, et à une lieue et demie des eaux de Bourbon. On ne sait pas trop d’où lui vient le nom de Sept-Fons, car on n’y a jamais, depuis la réforme, découvert que trois fontaines. Quoi qu’il en soit, les moyens du réformateur répondoient si peu à ses vûes, qu’un archevêque qui le protégeoit, étant venu le voir, comme l’abbé [2] lui montroit son plan, et faisoit sortir comme de la terre, ici le cloître, là le lavoir, plus loin la forge, dans cet endroit une drapperie, dans cet autre le four, &c. on vint le chercher un moment. L’archevêque qui n’osoit pas lui demander s’il avoit une mine d’où il put tirer de quoi fournir à ces immenses batimens, dit à quel qu’un de sa suite en riant : « Voyés comme les carottes creusent la cervelle de ce bon abbé ! » Quelques années après il revint à l’abbaïe, et voyant une grande partie des projets de l’abbé réalisés, il s’écria : « Digitus Dei est hic ». Il y étoit véritablement puis que sous Dom Dorothée, VI° abbé depuis la réforme, l’abbaïe jouissoit d’environ 40 000 £ de rentes, et étoit une des plus belles abbaïes dans son genre. De bons et gros murs entourent entièrement l’enclos. De grosses tours placées en différents angles, neuf ou dix clochers, &c. la font prendre de loin pour une ville, et en effet, sans en sortir on y trouve presque tout ce qui est nécessaire à la vie. Douze grandes cours séparent ses divers corps de batimens, où tous les différens métiers sont placés sans confusion. On peut juger qu’il n’y a rien d’épargné par ce seul échantillon ; ce qu’on appelle maison nécessaire, est un bâtiment uniquement destiné à cet usage, à deux étages, et où sont 60 ou 72 cabinets sous les quels l’eau coule sans cesse. On admira aussi avec raison la vigne qui produit trois à quatre cent pièces de vin, les greniers, caves et écuries qui sont de toute beauté. Le lavoir est un superbe bassin couvert par un cul de lampe soutenu par des colonnes, et sous le quel tous les Religieux peuvent travailler à couvert. Un jet d’eau en renouvelle l’eau au besoin. Tout y est cependant dans les règles de la plus stricte simplicité. Il n’y a que le portail de l’Eglise qui soit en pierres de taille, le reste est en brique, ou en marbre brut.
Les successeurs du Réformateur ont à l’envi partagé leurs soins entre le spirituel et le temporel, et D. Dorothée, par une administration de trente-un an, a mis à tout la dernière main. Mais, hélas ! Cette maison, semblable au soleil qui avance toujours vers son midi, a peine parvenüe à son dernier degré de splendeur, n’a pas même eu comme lui son déclin. Il y avoit encore, lors de la révolution de 1788 environ soixante novices. Les Religieux, avant la formation de la colonie, alloient pour le nombre jus qu’à 150, qui avoient toutes les peines du monde de subsister, lors qu’en 1759 ou 1790, M. l’abbé Dufan, grand vicaire de M. De Montmorin, évêque de Langres, se retira à Sept-Fons, et y prit l’habit de novice. Dès que M. De Montmorin le sut, il accourut a Sept-Fons, pour en retirer son grand vicaire. Tout ce qu’il vit dans ce monastère le charma. Il avoit un Grand-Prieuré, chef d’ordre, situé dans le Diocèse [3] de Langres, et dont il n’y avoit plus que les revenus de bon. Cet ordre à quatre lieues de Chatillon sur Seine, appelé Val-des-Choux, fondé richement par les Ducs de Bourgogne pour des Religieux très austère, mi-cisterciens, mi-chartreux, avoit été réformé plusieurs fois sans succès. Il ne restoit pas même alors dans le chef-lieu un Prêtre pour y dire la messe. M. De Montmorin conçut le projet de remettre ce Prieuré entre les mains de l’abbé de Sept-Fons, avec les autres Prieurés qui en dépendoient, sous la seule condition d’y entretenir une communauté suffisante pour y mener absolument la même vie qu’à Sept-Fons. Le P: Abbé vit le local, et le trouva charmant, et propre à un dessein qu’il méditoit. Surchargé d’ailleurs du grand nombre de Religieux de son abbaïe qu’il ne pouvoit entretenir, il accepta l’offre de M. l’évêque de Langres. D: Chenevet qui étoit alors Prieur-claustral du Val des Choux, se retira à Dijon, où M. l’abbé lui a fait jus qu’à sa mort une pension de 900 £.
Or, voici le dessin qu’avoit D: Dorothée, abbé de Sept-Fons. Il n’avoit pas crû devoir géner plusieurs de ses Religieux qui croyoient en faire assés ; mais il avoit toujours envie qu’ils en fissent davantage, et ne laissassent rien en arriére de la règle de S. Benoît. Il envoia au Val des Choux les plus fervens qui consentirent à ajouter à leur genre de vie ce qui manquoit à l’observation entière de la règle. Les Sept-fonistes furent jaloux que la fille surpassat la mère, et ajoutant à leur vie ce qui ÿ manquoit pour la rendre une parfaite image de celle des premiers enfans de S. Benoît, ils comblèrent les vœux de leur abbé. Le Val des Choux étoit donc en tout un second Sept-Fons, qui croyoit n’avoir rien à envier à la mère-maison, si ce n’est la présence de leur commun Père. Il étoit composé d’une cinquantaine de Religieux, y compris les frères qui faisoient, comme à Sept-Fons, le plus grand nombre. Le P: Abbé y alloit tous les sept à huit mois passer cinq à six semaines. En son absence il la gouvernoit par un Prieur et autres officiers, comme Sept-Fons. Tous les emplois étoient à sa nomination, et n’avoient point de terme limité, mais dans quelqu’emploi que ce fut, un Religieux, au bout de trois ans, ne pouvoit être continué, sans être rentré au moins trois mois dans la classe commune. Outre cela, chaque Religieux, et le P: Abbé en donnoit lui même l’exemple, faisoit tous les ans une retraite de dix jours, qui consistoit à quitter ses fonctions, et à suivre en tout la marche des simples Religieux. Il y avoit ordinairement trois supérieurs, le Prieur, le sous-Prieur et un Président. Le P: Abbé nommoit trois confesseurs qu’on appeloit confesseurs du chapitre, parce que c’étoit là qu’ils confessoient, lui seul ayant le droit de le faire à l’Eglise. Les Religieux choisissoient à leur gré, mais ne pouvoient plus ensuite changer sans l’en [4] prévenir. Pour lui, il se prêtoit seulement aux desirs de ceux qui vouloient s’adresser à lui, et c’etoit le plus grand nombre. La pénitence la plus dure pour les Religieux étoit quand il refusoit d’en confesser quel qu’un. Les Frères se confessoient à leur Père-maître, et les novices des deux états au leur.
Tous les jours à une heure déterminée le P: Abbé donnoit ce qu’on appeloit ses audiances. Chacun alloit librement chés lui, et attendoit dans une chambre commune son tour pour passer dans son cabinet. Dans les autres momens où l’on eut voulu lui parler, on alloit sonner à sa porte, et s’il n’y étoit pas, on trouvoit une tablette où etoient tous les noms ; on tiroit le sien de son rang, et à son retour, à la vûe de cette transposition, il envoyoit chercher le Religieux.
Deux fois par an il tenoit des communications. Il donnoit alors à toute sa maison, jus qu’aux domestiques, une, deux heures, ou plus. Il déposoit alors l’air de supérieur, faisoit asséoir, et ce n’étoit que dans ce cas, et chacun lui exposoit ses besoins, ses tentations, &c, ce qu’il appercevoit de répréhensible dans la maison. Ces communications duroient quatre ou cinq jours, plus ou moins. Il en faisoit un relévé, et sans nommer personne, il tenoit un ou deux chapitres où il remontoit l’horloge du gouvernement, n’épargnant personne pas même le Prieur. Les communications faisoient un grand bien ordinairement, parce qu’on lui parloit très librement, et qu’il écoutoit tout, même contre lui.
Tous les huit jours il y avoit un diminutif de ces communications appellée assemblée spirituelle. Elle étoit composée de sept personnes, les supérieurs d’abord, et s’il falloit, ensuite des anciens Prêtres. Le P: Abbé y faisoit part de ses vûes, proposoit ses réglemens à l’éxamen, traitoit des emplois, et autres matiéres spirituelles. On y étoit assis, et alors on y conféroit librement, comme entr’égaux. Pour les affaires temporelles, elles étoient discutées dans une assemblée particulière, appellée du temporel, à la quelle, après le Prieur, assistoient les officiers pour cette partie. Tout s’y passoit rélativement comme dans l’autre, et elle se tenoit aussi tous les huit jours.
L’hospitalité étoit une œuvre d’obligation fondée sur la règle de S. Benoît. On l’éxerçoit sans distinction, et on y voyoit assés souvent des vingt à trente personnes par jour. Ceux qui fatigués d’un long voyage, et hors d’état de se procurer des secours, demandoient un repos un peu plus long, étoient mis pour sept à huit jours à l’Hôpital. Cet Hôpital étoit composé à Sept-Fons de quatorze lits, et de quatre au Val S. Lieu. Il étoit destiné pour les pauvres malades des environs qu’on y soignoit, et à qui on procuroit tous les secours possibles pour le spirituel et le temporel. On servoit en tout temps au réfectoire trois portions de surérogation ; elles étoient destinées d’abord pour ceux qui sortant de l’hôpital, étoient encore convalescens, et ensuite pour de pauvres familles qu’on changeoit tous les huit ou quinze jours. On donnoit une livre de pain à chaque pauvre qui [5] se présentoit à la porte, et quoique dans des déserts, on y venoit de deux lieües, et en 1789, on compta au Val S. Lieu jus qu’à cent quatre vingt quinze pauvres en un jour. Sept-Fons avoit aussi des places fondées dans des hôpitaux publics pour les femmes. Enfin, on envoyoit des farines ou de l’argent dans les campagnes selon le besoin, et de l’avis des curés.
Les domestiques et malades avoient un Religieux et deux frères chargés d’eux. Ils avoient tous les jours la prière commune, deux messes, et les dimanches et fêtes une grand’messe avec le Prône, le Chappelet, le Catéchisme, Vespres et le Salve chantés comme dans l’intérieur. Les malades avoient tous les jours une instruction, et tous, ainsi que les domestiques, devoient approcher tous les mois des sacremens.
Pour ce qui regarde l’intérieur, il y avoit comme deux communautés. Les frères avoient un chœur, réfectoir, Dortoir, chapitre, habit, &c. En particulier ils avoient deux supérieurs : le cellerier pour le temporel, et leur Père-maître pour le spirituel. Ils se réunissoient aux Religieux le soir pour le Salve et lors qu’il y avoit instruction au chapitre ; ils venoient aussi s’accuser au chapitre des Religieux tous les quinze jours. Le peu de communication faisoit qu’il n’étoit pas étonnant qu’un Profès Religieux de dix ans ne connût pas encore les frères. Leur habit de travail et celui de dessus seulement étoit différent de l’habillement des Religieux ; c’étoit cependant la même étoffe, mais brune, et à ces choses près, ils étoient absolument traités en tout comme les Religieux. Le vestiaire de ceux ci consistoit en une tunique et une cuculle.
Tout, jus qu’aux bas, étoit de la même étoffe. Chaque Religieux avoit deux cuculles, quatre tuniques, deux paires de bas et trois mouchoirs d’un pied et demi en quarré, de grosse toile grise. Une natte sur des planches, deux couvertures et un traversin de paille longue, sans table ni chaise, achevoit le mobilier d’une chambre de sept à huit pieds en quarré.
On avait ordinairement sept heures à dormir de suite en hiver, et coupées par la méridienne en été. Les frères avoient à cause de leurs travaux leurs sept heures de suite. Les dimanches et fêtes ou perdoit deux heures de sommeil, et en Carême une demie heure tous les jours. La règle de S. Benoît est établie sur les heures solaires qui conséquemment sont plus longues en été. Le lever et le coucher varioient donc suivant le soleil, cela alloit en hiver depuis six heures jus qu’à sept pour le coucher, et conséquemment depuis une heure jus qu’à deux pour le lever. En été on se couchoit à huit heures, et on se levoit à deux, ce qui joint à une heure de méridienne, formoit les 7 heures. [6] Les dimanches et fêtes on se levoit à minuit, et jamais on ne se recouchoit après l’office.
Pour le lever, le sacriste alloit éveiller un peu avant l’heure le P: Abbé et le Prieur qui, se tenant sous la cloche, la mettoient en branle, le P: Abbé commençant au coup de l’horloge. Chaque Religieux entrant saluoit le Saint Sacrement, et ensuite baisoit sa main en saluant le sonneur, et lui prenoit la cloche, et ainsi de tous les autres, pendant deux miserere.
Voici à peu près quel étoit le cours des éxercices journaliers d’été. Le premier office duroit deux heures trois quarts. On alloit ensuite faire les cellules, ce qui duroit un quart d’heure et demi. On revenoit au chœur, pour Primes et l’office de la Ste Vierge, c’est à dire Matines, Laudes et Primes. Tous les autres petits offices se disoient après chaque office canonial. Chaque petite heure ainsi doublée duroit un quart d’heure et demi, excepté Tierces des fêtes qui duroient près de trois quarts d’heure. Après l’office de Primes qui duroit une heure, on alloit au chapitre dire les prières d’après Primes, et s’accuser de ses fautes, ce qui duroit une demie-heure. On sonnoit ensuite le travail, il étoit alors environ six heures et demie. Le travail finissoit par le premier coup de Tierces à huit heures un quart. On préparoit les autels, et à l’avant quart des trois quarts, on entroit au chœur pour Tierces et la Grand’mese, ce qui duroit avec les messes privées environ deux heures ; car toutes les messes se disoient ensemble. A la Préface de la Grand’messe, chaque Prêtre suivi de son serviteur sortoit du chœur. On vaquoit ensuite à la lecture pendant trois quarts d’heure, ce qui étoit le premier tems libre qu’on eut depuis deux heures du matin. A onze heures un quart on chantoit Sextes, ensuite on alloit se laver les mains, de là au réfectoire, et ensuite prendre la méridienne. À une heure et demie Nones et le travail qui duroit jus qu’à quatre heures. À quatre heures un quart Vespres qui duroient cinq quarts d’heures, et la seconde réfection, après la quelle on avoit une demie heure d’intervalle jus qu’à Complies qui duroient une heure. Après le Salve le Père abbé donnoit à tout le monde de l’eau bénite, et l’on montoit au dortoir ; il étoit alors sept heures trois quarts. Un quart d’heure après on sonnoit la retraite, et le sacriste faisoit la visite des cellules, pour voir si tout le monde étoit couché. Se coucher avant ou après la cloche eut été une faute dont il eut fallu s’accuser le lendemain au chapitre. On voit par là : 1° que le Privilège du P: Abbé étoit d’entrer au chœur le premier et d’en sortir le dernier ; 2° qu’en été, le tems non occupé au chœur ou au travail n’étoit que d’environ une heure et demie par jour.
[7] Les dimanches et fêtes on entroit au chœur à minuit. Le premier office finissoit à quatre heures. L’office de Primes étoit suivi de la messe dite de Primes, et c’étoit à l’office de cette messe que se disoient les messes privées, après lesquelles on alloit au chapitre. Les Supérieurs faisoient chacun à leur tous aux fêtes solennelles une instruction familière au chapitre, où les deux communautés assistoient. Ces instructions se lisoient pour l’ordinaire ; on entroit en matière sans texte, et on animoit simplement sa voix, mais sans gestes et assis. Tous ces éxercices duroient près de trois heures. À huit heures un quart on sonnoit l’eau benite, on disoit Tierces, puis la Grand’messe, ce qui duroit deux heures un quart. Le reste suivoit comme les jours ouvriers, si ce n’est que comme on n’avoit donné que quatre heures au sommeil, la méridienne étoit de deux heures ; ainsi on ne perdoit ces jours là qu’une heure de sommeil, au lieu qu’on en perdoit deux en hiver, où la méridienne n’avoit pas lieu. À deux heures et demie Nones et une lecture de trois quarts d’heure qu’on alloit faire dans le jardin : c’est ce qu’on appelloit la conférence. À quatre heures Vespres qui duroient une heure et demie ; le reste comme les autres jours.
On disoit tous les jours de férie, ou de fête semidoubles et au dessous, un troisième office, celui des morts qui consistoit dans les Vespres, un Nocturne et les Laudes, ce qui allongeoit alors l’office d’une demie heure ; on le remplaçoit les autres jours par l’oraison. Ce réglement s’observoit depuis Pasques jus qu’à la Pentecôte. Depuis ce tems jus qu’au 13 septembre, on jeunoit les mercredis et les vendredis. Ainsi après Sextes on montoit au Dortoir, et après la méridienne au travail qui finissoit à deux heures et demie qu’on chantoit Nones, on alloit au réfectoire à trois heeures, et on y retournoit avant Complies, prendre ce qu’on appelloit le biberés : c’étoit un verre de vin sans manger. S. Benoît exempta de ces jeunes en deux cas : les travaux et la grande chaleur. Pour le second, je ne l’ai vû en usage qu’une fois en quatorze ans ; mais le premier arrivoit fréquemment, parce qu’on étoit alors occupé aux travaux.
L’office alloit à peu près comme dans un chapitre bien réglé. Tout devoit être fini vers les cinq heures trois quarts. On alloit au premier travail jus qu’à huit heures un quart ; on alloit ensuite au réfectoire prendre cinq onces de pain et un demi septier de vin ; on chantoit Tierces, et on retournait au travail jus qu’à onze heures un quart, après Nones on retournoit au travail du soir qui duroit un peu plus de trois heures.
Dans les foins et moissons, on disoit une messe basse pendant l’office de la Ste Vierge, et on alloit ensuite au travail ; l’hebdomadier restant avec les infirmes pour chanter la [8] messe, ce qui donnoit huit heures et demie ou neuf heures de travail. On chantoit les offices dans les lieux des travaux, envoyant cependant à l’Eglise deux Religieux pour y chanter l’office ; et on avoit au mixte ou déjeuner, dix onces de pains, et un peu plus de vin que dans les autres travaux. Il n’étoit jamais permis dans les travaux de d’essuÿer le visage.
Depuis le 13 7bre on ne prenoit plus de méridienne, et on ne faisoit plus qu’un repas à l’heure de Nones, c'est à dire, vers les deux heures. On prenoit ensuite le biberès, comme aux jours d’été. Le travail ne commençoit qu’après la messe. C'est à dire vers les neuf heures : on l’interrompoit pour chanter Sextes, et on y retournoit jus qu’à une heure et demie.
Dans le Carême le travail finissoit à deux heures un quart. On chantoit Nones et Vespres. On alloit au réfectoire à quatre heures un quart et on ne prenoit point de biberès. Tous les vendredis de Carême on étoit au pain et à l’eau : la mesure du pain ces jours là étoit de trente onces, et dans les autres tems de vingt.
La nourriture consitoit en deux portions cuites et une crûe ; dans l’été on réservoit la dernières pour la seconde réfection. Il n’entroit dans les portions que de l’eau et du sel, exceptés les dimanches, fêtes et jours de grands travaux, où l’on y mettoit du beurre ou du lait, hors de l’Avant et du Carême.
Dans l’Avant et le Carême on étoit privé du troisième plat, ou dessert, trois fois par semaine, ainsi que dans les jeunes d’Église.
La règle interdit toute nourriture qui n’est pas censée croître dans le païs, à moins qu’elle n’eut rien couté ; ainsi l’huile d’olive étoit prohibée. Certains mets, quoique maigres étoient interdit , à raison de leur délicatesse, le poisson, les œufs, les asperges, les melons, les cernaux, &c.
On mettoit à la porte du réfectoire un panier de morceaux du pain des pauvres, pour ceux qui n’avoient pas assés du pain régulier, ou fixé par la régle.
La mesure du vin étoit environ d’une demie bouteille par jour, et près d’une bouteille dans les grands travaux.
On ne pouvoit rien prendre hors des repas ; mais dans l’été, avant le second travail, on alloit tous boire un verre d’eau panée, et dans les grands travaux, un second après le travail et avant Vespres.
Chaque Religieux devoit aller tous les jours à sa commodité, au cimetière, prier quelque tems, et méditer sur une fosse qui y étoit toujours ouverte ; c’est délà qu’est venüe la coutume qu’on croit dans le siècle qu’ont les Religieux de nos maisons, de creuser leurs fosses tous les jours.
Les pénitences etoient pour les fautes contre la charité, de baiser les pieds au frère lézé, ou à la communauté mal-édifiée ; cela se faisoit au réfectoire ; contre l’office, d’être prosterné plus ou moins longtems : contre l’humilité, d’être prosterné à la porte du réfectoire quand la communauté entroie ; pour s’être excusé au chapitre, ce qui étoit avec la rupture du [9] silence, les fautes les plus graves, la discipline.
Il n’y avoit rien de si défendu, après la rupture du silence, que le toucher. Un Religieux qui en auroit touché un autre, pouvant faire autrement, par exemple, pour l’avertir, &c. ne pouvoit pas communier sans s’en être accusé aux pieds du P: Abbé. Il en étoit de même de celui qui avoit été touché.
On prenoit en commun, mais chacun dans sa cellule, la discipline, à moins qu’on ne fut dans les grands travaux ou à l’infirmerie, tous les vendredis ; deux fois dans l’Avant, et trois fois en Carême chaque semaine, en récitant le Pseaume miserere. Il n’étoit point permis de faire aucune mortification sans la permission du P: Abbé qui l’accordoit rarement.
On ne pouvoit sortir du cloître, de l’Eglise, &c, sans venir en demander par signe la permission au supérieur, ou au plus ancien, avec le signe de l’endroit où l’on vouloit aller.
Chaque Religieux devoit apprendre les signes les plus ordinaires. On ne pourvoit sortir du chœur plus de deux à la fois pour des besoins, ni en certaines parties de l’office, comme le Te Deum, Magnificat, &c.
Celui qui venoit tard à l’office restoit deboût au degré de l’autel, jus qu’à ce que le supérieur lui envoya faire signe d’aller à sa place ; celui qui manquoit trois fois le Benedicite, étoit à la 3° fois privé de vin. Celui qui tachoit la nappe, laissoit tomber quelque chose au réfectoire, ou n’avoit pas averti quand ses voisins manquoient de quelque chose, alloit se prosterner devant la table principale, jus qu’au signal du supérieur, ou ne pouvoit jamais demander pour soi au réfectoire que du pain et de l’eau.
Celui qui laissoit tomber son stalle au chœur, se trompoit lourdement en chantant, ou causoit quel qu’autre trouble, alloit se prosterner tout de suite au degré, pendant un miserere.
Celui qui faisoit du bruit en fermant une porte, se mettoit à genou, et disait un Ave Maria.
Dans tous les endroits réguliers, exceptés le cloître et le Dortoir, on prenoit en entrant de l’eau benite, et on disoit un Ave Maria à genoux.
Chaque Religieux, et même le Prieur servoit les frères à table une semaine, et leur lavoit à tous les pieds le samedi avec son successeur ; il lavoit ausis la vaisselle des réfectoires.
Chaque Religieux lisoit aussi pendant une semaine à table. Ces deux Religieux prenoient leur repas après les autres ; mais ils avoient une heure avant le mixte. Voyés ce que c’est à l’art. : des Travaux. On n’en prenoit pas les jours de jeunes d’Église.
Tous les mercredis et vendredis on étoit obligé de dire au chapitre ce qu’on avoit apperçu de contraire au bon ordre, et jamais il n’étoit permis à un accusé d’y rien dire, ni témoigner pour sa justification.
Un Religieux qui faisoit par mégarde, ou autrement, quel que chose capable de molester un de ses frères, se mettoit à l’instant à ses genoux, les articles des mains à terre, jus qu’à ce que l’autre le relevat.
[10] Un Supérieur reprenant un Religieux, celui ci se prosternoit entièrement à terre, jus qu’à ce que le Supérieur le fit relever.
On ne parloit jamais dans les lieux réguliers, mais au besoin on se retiroit dans des endroits contigus, appellés auditoires.
Il y avoit deux personnes à qui l’on pouvoit parler, le P: Abbé et le Prieur, ou le Prieur et le Sous-Prieur en l’absence du P: Abbé. Les moines du chœur ne parloient qu’a leurs Pères maître et Sous-maïtre, et au P: Abbé ; et le Prieur ne pouvoit pas plus leur parler qu’un autre Religieux, si ce n’est devant leur Pere-maître. Les frères parloient au P: Abbé, Célérier et à leur Père-maître ; mais au Célérier seulement pour le temporel. Le Prieur ne parloit absolument qu’aux Religieux.
Il étoit absolument défendu aux Religieux de faire aucuns signes aux frères et aux novices, et réciproquement.
On ne s’appuÿoit point du tout au chœur, et il n’étoit jamais permis de s’y couvrir. Quand on ne pouvoit, à cause de quel qu’infirmité s’assujettir aux postures du chœur, on demandoit permission d’aller au rétro-chœur, ou chœur des infirmes.
Un Religieux à qui il survenoit une infirmité, comme la fièvre, en avertissoit le Supérieur, et alloit à l’infirmerie demander de la tisanne, et ensuite se coucher ; mais pour ce premier accès l’infirmier ne pouvoit pas lui tâter le pouls ; un second accès survenant, il faisoit comme au premier ; mais après l’accès on l’envoyoit à la visite. Cette visite se faisoit tous les matins à l’infirmerie, en présence d’un Supérieur. Le malade expliquoit ce qu’il souffroit ; l’infirmier le questionnoit, mais ne disoit rien autre chose devant lui. Il pouvoit aller au rétro-chœur, et être dispensé du travail de la nuit et du travail du jardin. Au troisième accès on le soignoit ou purgeoit. Il étoit alors hors du chœur tout à fait pendant trois jours, pouvoit se mettre sur sa couche pendant les travaux, et avoir à ses repas du pain blanc et des œufs. Au quatrième accès il entroit à l’infirmerie, et devoit dès lors n’avoir plus aucune communication avec le reste de la maison, ensorte qu’à cet égard l’infirmerie étoit plus pénible que la vie commune. On s’attachoit à la rendre onéreuse, afin qu’on ne fut pas tenté de chercher à y rester longtems. Les infirmes couchoient sur une paillasse, et leur traversin étoit de bâles de blé. On leur donnoit le matin une petite souppe, a dîné une souppe grasse et un morceau de bouilli, et le soir alternativement une souppe et des œufs, ou une souppe et des racines ou herbes. Ils travailloient comme les Religieux, mais à des travaux plus doux ; ils se levoient a la même heure, et après avoir dit leur office en particulier, ils se recouchoient jus qu’à cinq heures qui étoit toujours l’heure la plus tardive de ce qu’on appeloit le second réveil. La fièvre cessant après le quatrième accès, on restoit quinze jours ou trois semaines à l’infirmerie, et si elle revenoit, on restoit le même tems après la cessation de la fièvre.
[11] Dans les grands travaux, les infirmes y assistoient deux heures le matin, et autant le soir.
Un infirme approchant de sa fin alloit a l’Eglise porté dans un fauteuil. La communauté s’assembloit ; on mettoit le malade sur une chaise de bois au milieu du chœur, et on lui donnoit l’extrême-onction et le saint viatique, l’infirmier et le médecin l’aidant à aller communier au coin de l’autel. On le remenoit ensuite à l’infirmerie, et sa fin approchant tout à fait, on assembloit de nouveau la communauté qui se rendoit à l’infirmerie. On étendoit sur le pavé de la cendre bénite, en forme de croix, on mettoit dessus une natte pareille à celle sur la quelle les Religieux couchoient en santé, et on y étendoit le moribond. Il est à remarquer que jamais les malades ne quittoient les habits réguliers. On se mettoit à genoux autour de lui, et le P: Abbé faisoit la recommandation de l’ame. On disoit ensuite les sept Pseaumes, et si le frère ne mourroit pas, on s’en alloit, sinon le P: Abbé, qui retournant son étole et prenant sa crosse, procédoit à l’absoute. Les quatre Profès plus près avant et après le deffunt, l’emportoient pour le laver, et le revétir de ses habits de voyage ; ils le rapportoient ensuite dans une voiture bannale et découverts, et on le conduisoit en procession à l’Eglise. Pendant le lavement on avoit commencé le Pseautier, on le continuoit alors, quatre Religieux le récitant à deux chœurs, et se relevant de demie-heure en demi heure, excepté la nuit, où il n’y avoit que deux bandes, de deux chacune. Les quatre Religieux qui avoient lavé le défunt, le portoient de l’infirmerie à l’élglise, et de l’Eglise au Cimetière. Ils avoient dû achever de creuser la fosse qui n’étoit continuellement ouverte qu’au tiers ; ils l’y déposient, le couvroint du capuce, lui mettoient les mains en croix sur la poitrine, et combleint la fosse. On revenoit à l’Eglise en récitant les sept Pseaumes. Les Prêtres disoient trois messes pour chaque mort des deux maisons ; les non-Prêtres un Pseautier, et les Convers cent cinquante miserere. On faisoit tous les ans un grand anniversaire et une absoute suivie d’un Tricenaire pour tous les Religieux, parens de l’ordre ; et les Prêtres disoient pour eux vingt messes, les autres dix Pseautiers, et les Convers quinze cents miserere. On avait toute l’année pour remplir ce devoir.
Les Religieux Prêtres disoient tous les jours la Ste Messe, et les non-prêtres communioient tous les dimanches et fêtes. Après avoir communié le sacriste donnoit à chaque communiant, dans une couppe, une gorgée de vin blanc, en lui essuyant la bouche ; cela s’appeloit prendre la purification.
[12] Le plus ancien des communians alloit recevoir la paix du Sous-diacre, et tous se la donnoient ensuite mutuellement, avec les inclinations profondes devant et après, le donneur disant : « Pax tecum » et appuyant ses mains sur les épaules de son frère, qui les lui soutenoit de ses deux mains sous les coudes, et lui répondoit : « Et cum spiritu tuo » et en disant cela ils s’embrassoient sur la joue gauche ; ils disoient ensuite deux à deux le confiteor, alternativement, l’autre répondant misereatur.
Le St Sacrement n’étoit jamais exposé, et on ne donnoit jamais la bénédiction que pendant l’octave.
Il n’y avoit que cinq Processions qui se faisoient seulement dans le cloître, la Purification, le Dimanche des Rameaux, l’ascension, la fête-Dieu et son octave, et l’assomption. On en faisoit une sixième tous les vendredis de Carême, en récitant sans chant les sept Psaumes qu’on revenoit achever à l’Eglise, tous les Religieux prosternés entièrement en forme de crois.
Le mercredi des Cendres on assistoit à la cérémonie et à la messe pieds nuds. Le vendredi Saint on étoit pieds nuds depuis quatre heures du matin jus qu’à près d’une heure. Outre le service de ce jour, on récitoit en chantant et à deux chœurs tout le Pseautier partagé en deux séances.
Tout commerce de lettre étoit interdit, hors le cas d’absolüe nécessité.
Les Religieux demandoient leurs besoins par de petits billets, mais jamais on ne demandoit rien de neuf. On se contentoit de dire : nos souliers &c. sont déchirés. On portoit le billet au P: Abbé qui l’endossoit, et le remettoit ensuite au Religieux chargé du vestiaire.
On demandoit de même les livres qu’on vouloit lire, par des billets ; mais on ne pouvoit avoir qu’un livre à la fois, avec un autre de vie de Saints.
D’après la règle de S. Benoît la vie de ses enfans devoit être une oraison perpétuelle. Ainsi il étoit expressément ordonné par sa règle de faire les méditations communes très courtes : « In conventu tamen omnino brevietur oratio... Elles n’alloient que d’un quart d’heure à un quart d’heure et demi. Cette dernière mesure n’étant même que pour les dimanches et fêtes.
On ne prenoit point de tabac, et l’usage de cette poudre étoit pour ceux qui ne pouvoient pas s’en passer un cas d’exclusion indispensable. Il en étoit de même pour quel qu’un qui n’auroit pas pû supporter une espèce de nourriture, si cette nourriture eut été d’un usage fréquent. Ainsi ceux qui ne mangeoient point de fromage étaient très rarement admis.
Dans l’hiver on se chauffoit à un chauffoir commun, deboût et découvert. On ne pouvoit se chauffer plus d’une fois par intervalle, et plus d’un quart d’heure de suite ; on ne faisoit point de feu le vendredi saint.
Chaque Religieux en charge avoit un éxemplaire du réglement qui le concernoit, et comme le résumé de tous les emplois étoit au commun, chacun pouvoit clamer en [13] chapitre, c'est a dire, y annoncer les divers manquemens des employés. On lisoit tous les ans au réfectoire les réglemens du monastère.
Tous les Religieux appelloient le R: Père Abbé : Mon Révérend Père ; le Prieur, None Prieur ; leurs anciens, None tel ; et leurs jeunes mon frère tel. Cependant un ancien non-Prêtre appeloit un jeune Prêtre, none, par respect. Les Frères entr’eux s’appelloient tous, frères, et en parlant des Religieux, tous none. Les Religieux en parlant des frères, disoient toujours, le Convers tel.
On faisoit les tonsures et la barbe à Noël, le Dimanche de la Quinquagésime, à Pasques, à la Pentecôte, à la Magdeleine, à l’Assomption et à la Toussaint. Le Religieux chargé des tonsures mettoit dans l’arrière-cloître une tablette où tous les noms des cinq à six Religieux raseurs ; étoient par rang d’ancienneté tous les Religieux, et on ne pouvoit être rasé que par celui de sa colonne. Il étoit défendu de lui rien témoigner au cas qu’on en eut été coupé, ou mal rasé ; dans le premier cas cependant le coupeur se mettoit après la cérémonie à genoux devant celui qu’il avoit coupé.
Il y avoit deux Religieux chargés de recevoir les étrangers ; on les nommoit hospitaliers et sous-hospitalier. Le second ne se méloit de rien, il n’alloit à l’hospice que quand l’hospitalier lui en faisoit signe, ou le faisoit sonner.
Un étranger arrivant au monastère, le Portier se mettoit à genoux devant lui, lui demandoit ce qu’il désiroit, et le conduisoit ensuite sans parler à l’hospice, le remettant entre les mains du Portier intérieur. Celui ci le conduisoit dans une des salles rélatives à sa qualité, et lui montroit un imprimé où etoient les cérémonies de la réception. Il sonnoit ensuite la cloche de l’hospice, et deux Religieux nommés à leur tour tous les samedis en chapitre, alloient en silence à la salle où, se mettant à genoux devant l’hôte, ils lui faisoient signe de les suivre. Ils le conduisoient à l’Eglise, lui donnoient de l’eau bénite, le faisoient mettre sur un Prie-Dieu, et se mettoient eux mêmes à genoux, ou se prosternoient entièrement si c’étoit un jour de férie, pendant un Pater. Ils le reconduisoient ensuite à la salle, se mettoient encore à genoux devant lui, l’ancien disant : « Benedicite &c. » Le jeune répondant : « Dominus ». S’étant relevé, ils embrassoient l’hôte, et le faisoient asseoir, l’ancien lisoit douze ou quinze versets de l’Ecriture Ste en latin, ou en françois. Se levant ensuite, ils saluoient l’étranger, et sortoient. L’hospitalier avoit soin d’être prêt à entrer aussitôt, il recevoit alors l’hôte, et lui procuroit ce qu’il étoit venu chercher au monastère. On lavoit les pieds aux Religieux déchaussés.
À diner, il lui donnoit à laver, bénissoit la nourriture, lui lisoit une ou deux pages de l’imitation, et l’entretenoit ensuite, à moins que l’office ne dût alors se dire.
[14] Si l’étranger restoit quel que temps à la maison, il le faisoit assister aux offices principaux, et il lui remettoit un ou deux livres pour s’occuper.
La Cérémonie de la réception des hôtes n’avoit lieu que la première fois qu’ils venoient au monastère, à moins qu’un long tems ne se fut écoulé depuis leur première visite. Dans le cas contraire, on sonnait d’abord l’hospitalier qui conduisoit l’étranger à l’Eglise, mais on les y conduisoit toujours à leur départ.
Un Postulant arrivant, l’hospitalier le premier jour le regardoit comme un hôte. Dès le lendemain il avoit la nourriture de la communauté, et le sur lendemain lui faisant faire et signer un inventaire de ce qui ne lui étoit pas nécessaire, il l’introduisoit au noviciat, et le présentoit au Père-maître, à qui il pouvoit alors parler devant lui ; il envoyoit ensuite son paquet et son inventaire au célérier.
Le Postulant, ou novice, venant à sortir, l’hospitalier lui faisoit vérifier son inventaire, et lui remettant ses effets, il en tiroit un reçu signé.
On n’exigeoit point de dot, mais les novices qui vouloient ou qui étoient en état d’avoir des habits neufs, les payoient. On en donnoit de vieux aux autres.
Les novices employoient principalement leurs intervalles libres à l’étude des Pseaumes ; on leur donnoit même un certain tems sur les travaux pour cette étude, car il falloit savoir le Pseautier avant la profession.
On recevoit les novices jus qu’à trois fois. Passé cela, on ne les recevoit plus, selon la régle de S. Benoît.
Les frères etoient assujettis à une année de probation, comme Postulans, avant que de commencer l’année de noviciat, et pendant cette première année ils portoient l’habit séculier, pendant la seconde, celui de novice. Cette seconde année étoit de rigeur ; mais le P: Abbé pouvoit abréger l’année de postulance.
Les Religieux étoient reçus à tout âge depuis celui de vingt ans, pourvû cependant qu’ils fussent encore en état de suivre le régime commun ; les frères convers n’étoient reçus que jus qu’à quarante ans.
Le silence de la nuit étoit inviolable, même pour le P: Abbé, il commençoit à l’Angelus du soir, et duroit jus qu’après Primes du lendemain.
Il n’étoit jamais permis de s’appuyer le dos contre un siège, à l’Eglise, ni nulle part, pas même à l’infirmerie ; et [15] lorsqu’on étoit assis, on ne pouvoit d’étendre plus de six pouces sur le siège qu’on occupoit.
La simplicité qui étoit le distinctif de l’ordre de Cîteaux dans son age d’or, paroissoit jus ques dans le Service divin. On donnoit au lieu saint le nom d’oratoire, et non celui d’Eglise ; par le même principe la sacristie se nommoit simplement vestiaire. Des murailles nües, mais propres, faisoient tout l’ornement du lieu saint. Les calices, ciboires et la boëte des saintes huiles composoient toute l’argenterie, avec un petit ostensoir pour exposer le S. Sacrement, ce qui se faisoit jamais que pendant l’octave. Les dorures étoient interdites sur l’autel et dans les ornemens qui étoient de camelot. Un seul tableau et un crucifix ornoient l’autel. Deux bras soutenoient de deux cotés deux cierges de cire jaune, seule en usage, et on doubloit ce nombre aux fêtes. L’usage des Dais, chappes, dalmatiques, &c. étoit inconnu, et chaque ornement devoit être d’une seule couleur, sans aucune broderie.
Le R: Père Abbé ne portoit jamais de croix dans la maison, ni à l’autel, et lors qu’il officioit, il n’avoit de distinction qu’une crosse de bois, sans mitre. Il n’étoit distingué de ses frères que par sa ferveur, sa régularité et ses vertus. Hors de la maison, il portoit, comme tous les autres abbés, une croix d’or.
Le ton des offices devant être invariable, étoit determiné par un tuyau qu’on faisoit aller aux offices un peu longs à chaque intonation, et jus qu’à ce que le choeur eut bien pris le ton. C’étoit pour l’office de la nuit le Sol dièze, pour ceux du jour le La naturel. On alloit jus qu’au Si selon les solennités. Le ton du Salve étoit le Si dièze.
Les pauses étoient aussi déterminées dans les médiantes de la Psalmodie ; celles des jours simples duroient l’espace des paroles : Ave Maria, et ainsi en augmentant jus qu’aux jours solennels qu’elles duroient l’espace d’un Ave Maria jus qu’à ces mots : Sancta Maria mater Dei, &c.

 

Écrit par P. Théotime
Planchant de Vilçay
Né à Metz le 31 mars 1758
Novice à Sept-Fons, à 18 ans, le 29 septembre 1775
Profès à Sept-Fons le 28 avril 1779
Il est au Val-des-Choux en 1790