Rencontrer Jésus au jardin des Écritures — Abbaye de Tamié

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Rencontrer Jésus au jardin des Écritures

Par dom Victor, abbé
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Rencontrer Jésus dans le jardin des Écritures

 Par dom Victor, abbé

Rencontrer Jésus Ressuscité

La foi de Pâques est une rencontre de Jésus vivant. Lorsque Jésus dit à Thomas : Bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru, (Jn 20, 29) il affirme que croire c’est le rencontrer aussi réellement que Thomas en cet instant. Cette rencontre de foi se nourrit de l’Écriture revisitée. Dans le tombeau vide, Jean vit et il crut. Et il précise : ils n’avaient pas encore compris l’Écriture selon laquelle Jésus devait se relever d’entre les morts. (Jn 20, 8-9) La foi en la résurrection lui fait comprendre l’Écriture et c’est le souvenir de l’Écriture qui nous fait accéder à la foi. Luc rappelle avec insistance dans son chapitre 24 les trois lieux privilégiés de rencontre du Ressuscité que sont l’Écriture, la communauté et l’Eucharistie.

L’Évangile nous montre comment chaque rencontre avec Jésus donne à la Parole de Dieu sa pleine signification. Quand le scribe interroge Jésus pour savoir qui est son prochain, Jésus ouvre une perspective inattendue, celle de se faire le prochain de tout homme ; il lui donne même comme exemple à imiter un non-juif. La rencontre avec la Samaritaine ouvre des perspectives nouvelles sur le culte ; là encore c’est à une non-juive que Jésus parle du culte en esprit et vérité. A un maître en Israël, Nicodème, Jésus évoque la nouvelle naissance dans l’Esprit pour connaître le Royaume de Dieu. Au Temple, face à une femme surprise en adultère, Jésus oriente vers le pardon la Loi sur la lapidation... Plus tard, Paul, qui a rencontré le Christ, demandera à Philémon de considérer son esclave comme un frère... C’est ce dépassement de la Loi déjà à l’oeuvre dans l’A.T. qu’a voulu nous montrer Olivier Artus. Ce dépassement, nous disait-il, a été provoqué par le rappel de la rencontre d’Israël avec son Dieu ou plutôt de Dieu qui a visité son peuple et l’a libéré de l’esclavage.

             De cette rencontre, d’ailleurs Olivier Artus fait une clef d’interprétation de l’Écriture dans son petit livre Les lois du Pentateuque[1]. Reprenant le travail d’un exégète espagnol, Olegario Gonzalez de Cardedal, il écrit : La catégorie de ‘rencontre’ rend compte de l’ensemble des péricopes néotestamentaires qui expriment la manière dont Dieu, en Jésus Christ, vient au-devant de l’homme... En confessant qu’en Christ ils ont rencontré Dieu, les chrétiens affirment en même temps que Dieu n’est pas l’objet d’une expérience humaine directe... D’autre part, les modalités selon lesquelles, en Jésus Christ, Dieu se donne à rencontrer à l’homme, sont inséparables d’une praxis qui découle de cette rencontre : de la même manière que, sur la Croix, le Christ se révèle comme ‘être pour l’autre’, le chrétien qui, dans la foi, effectue la rencontre du Dieu de Jésus-Christ reçoit comme règle de vie et d’action cet ‘être pour l’autre’ qui ne peut être confessé sans être vécu[2].

Après avoir écrit cela, O. Artus rappelle : C’est bien la rencontre de Yahvé qui conduit à cette proposition d’une pratique sociale dont la mise en oeuvre pourrait remettre en question l’organisation antérieure de la société... L’émergence historique d’un culte exclusif dédié à Yahvé a pour conséquence l’émergence d’une organisation sociale originelle fondée sur la fraternité, organisation dont la mise en oeuvre se heurte à des résistances dont la prédication jérémienne se fait l’écho. (Cf. Jr 22, 1-19)

             Cette rencontre, nous sommes tous invités à la faire dans le jardin des Écritures.

Dans le jardin des Écritures

                « Lorsque je lis les Écritures, c’est Dieu qui se promène avec moi dans le Paradis » écrivait s. Ambroise. (ep. 49) Arrêtons-nous un peu dans ce Jardin des Écritures si nous voulons y rencontrer le Christ ressuscité. « Vous donc qui vous promenez dans les jardins des Écritures, gardez-vous de les traverser d’un vol rapide et inactif ; mais scrutez chaque chose, comme les abeilles diligentes recueillent le miel des fleurs, recueillez l’esprit dans les mots. ‘Car mon esprit est plus doux que le miel, et mon héritage est meilleur que le miel et le rayon de miel’ (Sir 24,27) Quand vous expérimenterez la saveur de la manne cachée, cette parole de David jaillira de vos lèvres : ‘que tes paroles sont douces à mon palais, plus douces à ma bouche que le miel et le rayon de miel’ » « A mon avis, celui qui entre dans le jardin du Seigneur devient lui-même un jardin à qui l’Époux dira : ‘Tu es un jardin fermé, ma soeur, mon épouse...’[3]»

La parole est toujours première : « Quiconque s’est mis à l’écoute du Père et à son école vient à moi » (Jn 6, 45). Et, comme Marie, par cette écoute de la Parole, nous entrons véritablement dans le Mystère. Par sa Parole, Dieu appelle chacun par son nom : c’est la vocation. Pensez à la vocation d’Abraham, de Moïse, de Gédéon... Entendre cet appel, l’identifier, c’est ce qui me fait découvrir le sens, c’est-à-dire l’orientation mais aussi la signification de ma vie dans le plan de Dieu ! « Tu me prends par ma main droite, tu me conduis selon tes desseins et tu m’introduiras dans ta gloire » (Ps 72, 24).

« Écoute, ô mon fils, la Parole. » L’homme est essentiellement auditeur d’une Parole, c’est là toute sa grandeur : il est créé pour devenir partenaire d’un dialogue avec Dieu. Cette Parole, écoutée, accueillie, gardée dans le coeur nous introduit dans le Mystère de la vie divine, le Mystère d’un Amour qui se donne, qui se livre... C’est cela la rencontre ! Chaque livre de la Bible nous parle de cet amour fou de Dieu pour l’humanité, pour chacun et chacune. Cette Parole doit peu à peu prendre chair en ma vie, je dois devenir porteur de la parole. « Qui écoute ma parole et la garde, celui-là est ma mère.. » (Mc 3,35). S’émerveiller ainsi de Dieu qui nous parle, trouver sa joie dans ses jugements et ses préceptes, introduit le croyant dans une prière toute filiale et confiante, une prière décentrée de soi.

Dans la lettre Apostolique ‘Orientale lumen’, publiée le 2 mai 1995, Jean Paul II écrit : « Le point de départ du moine est la Parole de Dieu... Lorsqu’une personne est touchée par cette Parole, alors naît l’obéissance, c’est-à-dire l’écoute qui change la vie... Chaque jour, le moine se nourrit du pain de la parole. Privé de ce pain, il est comme mort et il n’a plus rien à communiquer à ses frères, car la Parole, c’est le Christ, auquel le moine est appelé à se conformer » n.10.

La Bible ne s’ouvre d’elle-même qu’à celui qui accepte de vivre dans son intimité. « Lorsque nous ouvrons la Bible comme un livre, elle demeure silencieuse ; en tant que puissance spirituelle, elle parle.[4]» Aussi est-il requis pour entendre sa voix, pour entrer dans son mystère d’être soi-même pauvre, humble, dépouillé de soi-même. « Car Dieu résiste aux orgueilleux mais donne sa grâce aux humbles » (Jacq. 4,6) Il s’agit d’une lecture gratuite, paisible, mais qui exige un effort de réflexion, de méditation et qui débouche dans la prière et sur la mise en pratique de la Parole de Dieu. Celui qui s’adonnerait à l’étude de la Loi pour en retirer quelque avantage personnel, quelque renommée, la gloire d’un certain savoir, est sévèrement condamné : c’est un trafiquant de la Parole de Dieu, il la profane et s’attire les pires châtiments divins. « Par contre celui qui s’adonne à l’étude de la Thora dans le plus pur désintéressement vaut à lui seul le monde entier, dit Rabbi Méir. L’Écriture le nomme le Bien Aimé, il est aimé de Dieu et des hommes. Cette fréquentation de la Parole le fait croître en modestie et en révérence à l’égard de Dieu, elle le purifie, l’éloigne du vice et le fait progresser en mérite ; il devient de ce fait un homme juste, fervent, droit et fidèle.[5]»

« En créant l’homme à son image, Dieu a doté l’homme d’une langue, d’yeux et d’oreilles et il leur donna un coeur pour penser. Et il mit sa lumière dans leur coeur pour leur montrer la grandeur de ses oeuvres. » (Sir 17,6-8). S. Paul ajoutera en 2 Cor 4,6 : « En effet, le Dieu qui a dit ‘que des ténèbres resplendisse la lumière’ est Celui qui a resplendi dans nos coeurs pour faire briller la connaissance de la gloire de Dieu qui est sur la face du Christ. » Cette phrase de s. Paul est insondable : dans cette rencontre avec sa Parole, Dieu imprime en notre coeur l’icône du Christ transfiguré... Mais, « ce trésor, poursuit l’Apôtre, nous le portons dans des vases d’argile.»

Cette rencontre change notre regard sur la Loi et sur le Pauvre

Accueillir la Parole dans notre coeur nous introduit dans le Coeur de Dieu, nous fait découvrir « la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur... nous faire connaître l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance et ainsi entrer dans toute la plénitude de Dieu » (Ep 3,18-19). C’est ce que s. Paul appelle « avoir l’intelligence du mystère du Christ » (Ep 3,4) S. Grégoire le Grand nous exhorte ainsi : « Apprends à connaître le coeur de Dieu dans les paroles de Dieu » (Ep 4, 31) Car, « ce n’est pas l’homme qui s’empare de la Bible, mais c’est la Bible qui s’empare de lui » (Karl Barth).

Comme le rappelait O. Artus, en parlant d’une lecture canonique de l’Écriture, c’est dans l’ensemble de l’Écriture qu’il faut situer chaque passage. Ainsi, l’Ancien Testament sera toujours éclairé par le Nouveau et réciproquement. O. Artus nous donnait l’exemple du serpent d’airain relu par s. Jean, celui Sinaï et du rocher interprété par s. Paul...Faire de tels rapprochements, c’est habiter le texte de l’intérieur, c’est y faire sa demeure.

Cette promenade dans le jardin des Écritures peut se poursuivre d’ailleurs au cours du travail : « Quelle consolation pour toi si Jésus vient se joindre à toi comme compagnon de route et si la joie merveilleuse de sa conversation t’enlève la fatigue du travail tandis qu’il t’ouvre l’esprit pour que tu comprennes ces textes de l’Écriture que tu lisais sans en avoir l’intelligence quand tu étais assis à la maison.[6]»

Guigues, dans sa Lettre aux cloîtriers, emprunte un langage eucharistique pour nous parler de cette rencontre de Jésus dans les Écritures : « Seigneur, quand vous me rompez le pain de la Sainte Écriture, vous m’êtes connu par cette fraction du pain ; plus je vous connais, plus je désire vous connaître, non plus seulement dans l’écorce de la lettre, mais dans la connaissance savourée de l’expérience. Et je ne demande pas ce don à cause de mes mérites mais en raison de votre miséricorde...Donnez-moi donc, Seigneur, les arrhes de l’héritage futur, une goutte au moins de la pluie céleste pour me rafraîchir dans ma soif, car je brûle d’amour.[7] » (c.VI)

            Je reviens à O. Artus : La catégorie de rencontre qui met en relation confession de foi en Dieu et pratiques sociales en faveur des pauvres qui en découlent, apparaît également pertinente dans le cadre d’une interprétation contemporaine du texte biblique. Dans la mesure où il appartient à chaque époque de déterminer les modalités selon lesquelles la question de la place des plus pauvres dans la société doit être posée et résolue, la catégorie de rencontre renvoie le lecteur à sa propre responsabilité dans la société à laquelle il appartient, et à l’inventivité dont il doit faire preuve pour répondre au défi permanent de la pauvreté[8].

L’Église doit donc faire ce travail de réinterprétation à partir de la rencontre de Dieu en Jésus mort et ressuscité. A chacun de nous revient une part de cet effort de lecture et de compréhension de la Parole. Le critère d’authenticité sera toujours une lecture de la Loi pleine d’humilité et de douceur, une lecture qui soit miséricordieuse pour les pécheurs et attentive à ceux qui souffrent... une lecture selon le coeur de Dieu ! La lecture que fait Jésus de la loi du talion, celle sur le sabbat ou son interprétation de la loi de Moïse sur le divorce demeurent pour tous des exemples à suivre ; ils nous préservent de tout légalisme comme de tout fondamentalisme.

Tamié 20 avril 2008



[1] Olivier Artus, Les lois du Pentateuque, Points de repère pour une lecture exégétique et théologique, Lectio divina 2005, Cerf, Paris 2005, pp. 187-194.
[2] Ces propos me rappellent le livre du Père E. Schillebeeckx, au début de Concile, Le Christ, sacrement de la rencontre de Dieu
[3] Bx Guerric, d’Igny, Sermon sur la psalmodie, n. 2 et 3, Sources Chrétiennes 202, p. 521 et 523.
[4] Abraham Heschel, Dieu en quête de l’homme, Philosophie du Judaïsme, Seuil 1968, p.267-268
[5] Pirkè Avoth 6,1
[6] Guerric d’Igny, 3e Sermon pour la Résurrection, n.4, Sources Chrétiennes 202, Cerf 1973, p.255.
[7] Guigues II, ‘Lettre sur la vie contemplative (ou échelle des moines)’ Sources Chrétiennes 163 (1970)
[8] Op.cité, p.192