Homélie - Toussaint — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

Homélie - Toussaint

Par dom Victor

Homélie pour la solennité de la Toussaint 2006



Introduction

Cet amour aux cent visages, c'est nous aujourd'hui et bien plus que cent puisque l'apocalypse nous parle de 144.000, 12 fois 12 fois 1000 ou mieux encore que ce chiffre symbolique, une foule immense que nul ne peut dénombrer de toutes nations, races, peuples et langues. Oui, unis à tous les saints du ciel nous faisons une seule assemblée où chacun est un reflet de l'amour infini du Père. Au début de cette célébration ouvrons nos coeurs à ce don de Dieu qui nous appelle à être fils dans son Fils unique.

Homélie

Voyez comme il est grand l'amour dont Dieu nous a comblés : il a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu – et nous le sommes, nous disait st Jean. A la fin de cette célébration nous prierons ainsi : Dieu qui seul es saint, toi que nous admirons et adorons, nous implorons ta grâce : quand tu nous auras sanctifiés dans la plénitude de ton amour, fais-nous passer de cette table, où tu nous as reçus en pèlerins, au banquet préparé dans ta maison. C'est cet amour de Dieu que nous célébrons en fêtant les saints. Ils vivent de la plénitude de cet amour de Dieu qui fait de chacun de nous des fils dans le Fils unique, Jésus.

Être fils, se savoir fils c'est pouvoir dire `Père', c'est reconnaître Dieu non seulement comme Créateur, Dieu invisible et Tout-puissant, mais c'est l'appeler Père et, comme le fit Jésus, trouver toute notre joie, notre fierté, notre raison de vivre dans cette appellation de Père. Si Dieu est Père pour moi, je lui dois tout et principalement la Vie, non la vie mortelle que je tiens d'un père et d'une mère de la terre mais sa Vie, la Vie même de Dieu, une Vie qui ne finit pas, une Vie qui s'est manifestée plus forte que la mort en Jésus mort et ressuscité.

Ce que nous serons ne paraît pas encore clairement. Nous le savons : lorsque le Fils de Dieu paraîtra, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu'il est. Et tout homme qui fonde sur lui une telle espérance se rend pur comme lui-même est pur, nous dit encore st Jean. Dans la Préface se trouvent ces mots : nous qui marchons par le chemin de la foi, nous hâtons le pas, joyeux de savoir dans la lumière ces enfants de notre Église.

La fête d'aujourd'hui est une fête d'espérance qui repose sur la foi ou confiance en cet amour de Dieu Père. Et pour qui est fils dans le Fils unique, le Salut est assuré. C'est cette foi, cette espérance qui nous rend purs, nous purifie. Le regard fixé vers cette gloire qui nous est promise, notre désir nous fait y tendre de tout notre être et nous libère de tout attachement égoïste, fait grandir en nous une attitude de don. Savoir à quoi on est appelé, y croire et en vivre, nous fait devenir de plus en plus fils. Et de savoir, grâce à l'Église, que tant d'hommes et de femmes dont on connaît les noms, que l'on a peut-être rencontrés de leur vivant, sont déjà dans cette gloire renforce notre espérance. Nous fêtons aujourd'hui, nous dit la liturgie, notre mère, la Jérusalem d'en haut.

 

Pour que cette joie ne soit pas simple émotion passagère, il est bon de la puiser dans cette page incomparable d'Évangile que nous venons d'entendre. Il n'y est question que de joie d'un bout à l'autre : Heureux... heureux... mais de quelle joie s'agit-il ?

Quand, Frères et Soeurs, vous sentez-vous pleinement heureux, d'un bonheur qui apaise l'âme et donne le goût de vivre ? Est-ce le jour où vous constatez que votre compte bancaire est bien alimenté ? Ne serait-ce pas plutôt lorsque, face à l'immensité de la mer, devant un paysage de montagne ou en regardant le ciel étoilé, vous goûtez la joie simple de vivre. Sans rien posséder, vous vous sentez riches de toute cette beauté, de cette immensité. L'univers entier semble vous appartenir, n'exister que pour vous. Vous goûtez, sans le savoir, une présence mystérieuse, infinie... vous vivez alors cette béatitude : Heureux les pauvres !

Ou bien ressentez-vous de la joie lorsque vous êtes parvenus à imposer votre point de vue, à dominer les autres par la force ou la ruse ? Notre coeur ne se réjouit-il pas plutôt lorsque nous avons cédé pour faire plaisir à l'autre, que nous avons renoncé à nous-mêmes pour la joie de l'autre ? Heureux les doux !

Quelle paix dans le coeur lorsque vous avez réagi avec courage devant une injustice : Heureux ceux qui ont faim et soif de justice !

Quel beau jour que celui où vous avez réussi à réconcilier les membres de votre famille, à créer un climat de paix au travail et autour de vous ! Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils, fils de Dieu !

Mais peut-on être heureux lorsqu'on est persécuté, lorsqu'on dit toute sorte de mal contre nous ? Comment comprendre un tel discours ? Et pourtant... Nous savons tous que les moments de vrai bonheur sont ceux où l'on s'est senti aimé et reconnu, le jour où nous avons rencontré un amour qui nous fait vivre, qui nous libère. Une telle expérience nous sort de notre égoïsme. Forts de cet amour rencontré et accepté nous sommes comme poussés au don de nous-mêmes, au désir d'aimer à notre tour, de faire partager à d'autres un peu de ce bonheur et de cette joie qui nous habite. Là réside le vrai bonheur d'une vie. Or, ne pas répondre à l'injure ou à la violence par de la haine, de la vengeance, n'est-ce pas la façon ultime de permettre à l'autre de découvrir qu'il est aimé ? Ami, c'est par un baiser que tu livres le Fils de l'homme ?...Si j'ai mal parlé montre-moi ce qui est mal, sinon, pourquoi me frappes-tu ? Oui, heureux ceux qui sont persécutés pour la justice !

Nous pouvons alors entendre et comprendre ces phrases de Jésus qui paraissent des paradoxes, de l'utopie et qui pourtant font vivre tant d'hommes et de femmes depuis 2000 ans. Ces phrases qu'on appelle à juste titre la Charte du vrai bonheur. Elles demeurent avec le Magnificat et le Notre Père les paroles d'hommes les plus extraordinaires, celles qui continuent d'illuminer notre humanité et qui lui révèlent sa vraie grandeur.

Tous ces hommes, ces femmes, ces enfants aussi, que nous fêtons aujourd'hui, ont vécu jusque dans leur chair cette charte du Royaume. Ils ont vécu la pauvreté, la douceur, la miséricorde, la soif de justice, ils sont demeurés jusque dans leur mort des artisans de paix, des témoins du pardon et de l'amour gratuit, de l'amour des ennemis. Ils sont bienheureux parce qu'ils sont pour nous et notre monde des reflets de Dieu. Dieu, personne ne l'a jamais vu mais, comme Jésus, ces témoins nous l'ont révélé, nous l'ont manifesté, lui ont donné visage humain. Forts de la grâce de Dieu qui soutient notre foi, notre espérance et notre amour, faisons de même ! Là est le secret du vrai bonheur !