Homélies de Pâques — Abbaye de Tamié

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Homélies de Pâques

Par dom Victor
logo tamié    Homélie pour la veillée pascale
Homélie pour le jour de Pâques
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Par dom Victor, abbé de Tamié
8 avril 2007


       Notre civilisation de la technique et des sciences exactes a de la peine à lire des signes. Qui de nous se fie encore à la couleur du ciel ou à la forme des nuages pour savoir le temps qu’il fera demain. Il est tellement plus sûr de consulter la météo sur internet. Or, dans le domaine de la foi, comme dans l’amour, nous ne sommes plus dans le registre du mesurable mais dans celui bien plus profond de la liberté humaine que seuls des signes peuvent inviter à l’adhésion, à la confiance et au don de soi.

       L’évangile que nous venons d’entendre (Luc 24, 1-12) nous présente des signes mais nulle preuve de la résurrection de Jésus : la pierre roulée, le tombeau vide, deux personnages mystérieux qui rappellent aux femmes les paroles de Jésus... Les femmes partent bouleversées et vont annoncer aux disciples ce qu’elles ont constaté. On ne les croit pas. Pierre court au tombeau : il n’y trouve lui aussi que le linceul et il en reste étonné. Le quatrième évangile dit que Jean a accompagné Pierre et est entré lui aussi au tombeau : il vit et il crut. Le même signe opère différemment pour l’un et pour l’autre. Une preuve s’impose, un signe se propose et parle au cœur autant qu’à l’esprit ; il suscite une réponse tout à fait personnelle et libre : on peut refuser de le voir, en être étonné, douter ou croire…

       Cette liturgie nous a proposé beaucoup de signes qui tous nous orientent dans la même direction : reconnaître l’amour de Dieu. Chacun demeure libre de les interpréter différemment. Toutefois le cumul de ces signes, leur cohérence, le poids des témoignages au long de l’histoire et la célébration liturgique dans laquelle ils prennent place leur donnent une force de conviction peu ordinaire. Je me contenterai de rappeler les 7 registres de signes qui viennent de nous être proposés au cours de cette veillée :

1°- La nature que la Bible nous invite à regarder comme signe de l’amour créateur : le jour et la nuit, le ciel et la terre, les montagnes et les rivières, l’alternance des saisons, la mer et tous les être vivants, l’homme enfin, image de Dieu par sa liberté et plus encore dans sa relation d’amour : Homme et femme il les créa, à l’image de Dieu il les créa… (cf. 1re lecture dans Genèse 1,1 à 2,2)

2°- Malheureusement survient le péché et toute relation en est blessée : ce sont les meurtres, la violence, les guerres et toute forme d’oppression. Or Dieu veut que l’homme soit libre. Il se choisit un peuple et le guide vers la liberté : c’est l’Exode. Tout chemin vers plus de liberté est signe pascal. (cf. lecture  Exode 14,15-15,1)

3°- Dans le couple aussi l’amour est fragile et peut être blessé par des trahisons, des infidélités, des abandons. S’il se tourne vers son modèle, l’amour divin, il retrouve  sa noblesse et redevient signe que Dieu est amour. (cf. lecture en Isaïe 54,5-14)

4°- Pour guérir les blessures du cœur humain, il n’y a que le pardon. Seul le pardon de Dieu peut les guérir totalement mais tout pardon humain est signe de cette dimension de l’amour divin : sa miséricorde infinie. (cf. lecture en Isaïe 55, 1-11)

5°- J’ai évoqué déjà les signes de la résurrection au matin de Pâques. (cf. Luc 24, 1-12)

6°- Les sacrements sont pour nous des signes très forts de  cette Histoire du Salut qui aboutit à la personne de Jésus : Dieu parmi nous, Dieu Sauveur. C’est pourquoi le Baptême et l’Eucharistie sont au cœur de cette célébration. (cf. lecture d’Ézéchiel 36, 16-28 et Romains 6, 3-11)

7°- Enfin, dernier signe et non le moindre, notre assemblée de croyants, portion d’église, nous qui vivons cette liturgie. L’Église est signe pour le monde et chaque communauté de croyants est signe là où elle vit.

       Frères et Sœurs, "nous sommes ressuscités avec le Christ et notre vie est cachée avec lui en Dieu". Que notre vie devienne signe à son tour de ces réalités d’en-haut. Elle le sera par notre charité, notre joie, notre paix, nos pardons reçus et donnés. Oui, Christ est ressuscité et nous vivons de sa vie.


Homélie pour le jour de Pâques

 

       Il vit et il crut. (Jean 20, 8) Quand Jean rapporte cet évènement dans son Évangile on estime que 40 ou 50 années se sont écoulées déjà. C’est dire toute l’importance qu’a eu ce moment  dans la vie du disciple. Et pourtant qu’a-t-il vu ? Un simple signe : le tombeau vide et les linges qui avaient enveloppé le corps laissés intacts à leur place. Le corps a disparu. Il vit et il crut.

       Nous aussi, nous voyons des signes, je le rappelais au cours de la Vigile pascale. Mais notre foi en la résurrection du Christ est-elle au cœur de notre vie de chrétien ? Que signifie pour moi être ressuscité avec le Christ ? Nous sommes invités à réfléchir à ces questions aujourd’hui. Cette célébration nous les pose. Qu’allons-nous répondre ?

       Nous serons déjà en voie de répondre si nous prenons conscience que notre vie vient de Dieu et nous conduit à Dieu, si, comme Jésus, nous pouvons dire : Je vais au Père. Ma vie est un don reçu de Dieu, elle ne peut m’être enlevée ni même s’arrêter au moment de la mort ; elle ne peut que durer toujours car Dieu ne reprend aucun de ses dons. J’ai à me situer face à ce don : ou je le reconnais et je l’accueille avec gratitude, ou je refuse de reconnaître d’où il vient et où il me conduit.

       Personne n’a eu à accepter la vie lorsqu’il a été appelé à l’existence, mais au fur et à mesure que nous avons pris conscience de nous-mêmes, nous nous sommes bien rendus compte que cette vie qui nous appartenait, nous n’en étions pas les maîtres absolus. Je tiens ma vie d’un Autre, c’est une évidence. Mais quel sens a ma vie ? C’est à moi qu’il revient de lui donner ce sens, de lui trouver une signification et de lui faire porter du fruit pour moi et pour les autres.

       Oui, quel sens donner à ma vie ? Telle est la question que se posent tous les jeunes, mais que l’on doit se poser tout au long de l’existence et jusqu’à l’approche de la mort. Quel sens puis-je encore donner à ma vie aujourd’hui ? Ce sens, la lumière de Pâques nous permet de le trouver.

       Jésus a vécu comme nous, il est mort dramatiquement, il y a 2000 ans, mais il est ressuscité le 3e jour. Quelle signification cela peut-il avoir pour moi, aujourd’hui ? Cette mort, survenue sous Ponce Pilate, fut une mort absurde, scandaleuse, révoltante…Et cependant, elle est lourde de sens et donne sens à l’humanité entière : Ceci est mon corps livré pour vous… ceci est mon sang versé pour vous et pour la multitude, le sang d’une alliance nouvelle et éternelle. (1 Co 11, 24-26) Pourquoi ma vie ne prendrait-elle pas sens en cette vie donnée pour tous ?

       Voyez les disciples d’Emmaüs : découragés, ils refusent d’entendre parler de résurrection. Mais quand leur cœur s’est ouvert à la foi, ils reviennent sur leurs pas et retournent se joindre à la communauté des disciples dont ils s’étaient éloignés. Ils témoignent du sens que vient de prendre leur vie. Leur cœur est devenu tout brûlant au rappel des paroles de l’Écriture. Leurs yeux, empêchés de reconnaitre la présence de Jésus, s’ouvrent devant le geste eucharistique du pain rompu et partagé. Ils ont soudain pris conscience d’une présence mystérieuse et bien réelle à leurs côtés jusque dans leurs doutes, dans leurs questionnements. Et cette présence transforme leur découragement en espérance et en chemin de vie. Le mystère de Pâques a opéré en eux un décentrement d’eux-mêmes en ouvrant leur existence à la communion et au partage. Ne serait-ce pas cela le sens de toute vie humaine : une sortie de soi, un don désintéressé de soi dans le partage et un désir immense de réciprocité et de communion ?

       Oui, frères et sœurs, notre vie ne prend sens que lorsqu’elle s’ouvre à Dieu et aux autres. Si ma vie est un don reçu, c’est pour qu’elle devienne à son tour don pour les autres, don de soi dans l’amour. Pâques me donne la certitude que tout ce qui m’enferme en moi-même me conduit à une mort certaine, sous forme de désespoir, de perte du goût de vivre... Tout ce qui m’ouvre aux autres donne naissance à une vie nouvelle, chemin d’espérance, source de communion et de joie. Tels sont les thèmes qui reviennent sans cesse dans les récits des apparitions de Jésus ressuscité : joie, espérance, liberté, confiance, rencontre, repas partagé, célébration, prière, parole libérée, force du témoignage…

       Comme le disait récemment le pape Benoît XVI : «…Il s’agit d’un changement intérieur de l’existence. Cela exige que je ne sois plus enfermé dans mon moi, considérant mon propre épanouissement comme ma principale raison de vivre. Cela exige que je me donne librement à un Autre – et le pape écrit le mot Autre avec une majuscule - pour la vérité, pour l’amour, pour Dieu qui, en Jésus Christ me précède et m’indique le chemin. Il s’agit de la décision fondamentale de ne plus considérer l’utilité et le gain, la carrière et le succès comme but ultime de ma vie, mais de reconnaître en revanche la vérité et l’amour comme critères authentiques. Il s’agit du choix entre vivre uniquement pour moi-même ou me donner… » Et il concluait en réaffirmant que « la vérité et l’amour ne sont pas des valeurs abstraites ; en Jésus Christ elles sont devenues personne. En Le suivant, j’entre au service de la vérité et de l’amour. En me perdant je me retrouve. »

       Qu’ajouter à cela sinon de vous inviter à percevoir autour de vous le témoignage de ceux et celles qui vivent cette foi en Jésus ressuscité et qui font de leur vie, avec générosité et avec joie, un don d’eux-mêmes.

       Oui, Christ est ressuscité et nous sommes ressuscités en Lui. Laissons cette vie nouvelle envahir et transformer nos existences pour en faire un pain rompu et partagé, un vin qui apaise toute soif et communique la joie. Il vit et il crutNous aussi nous voyons et nous croyons !