Homélie - 7ème TO — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

Homélie - 7ème TO

Par Frère Patrice

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Homélie pour le 7ème dimanche
du temps ordinaire - C

Luc, 6, 27-38
Tu aimeras ton ennemi !

Jésus disait : Je suis venu allumer un feu sur la terre !
Il y feu et feu.
Il y a le feu qui dévore et laisse tout en désolation
Il y a le feu qui purifie, comme on brûle toutes les herbes qui envahissent le terrain, ou comme un feu pour purifier le métal.
C’est celui-là que nous allons trouver dans l’évangile de ce jour.
Car c’est bien un feu qui est contenu dans toutes ces paroles que nous venons d’entendre !

Oui Jésus va oser dire un certain nombre de choses dures à entendre au risque de nous brûler. Il ne se comporte pas comme un révolutionnaire comme on a souvent voulu le faire entendre.
Non mais il ose dire car c’est ce qui lui tient à cœur. Et ces paroles n’ont pas du tout pour but de placer l’homme sous une loi rigide (un peu comme pour faire la morale) mais pour appeler les hommes à trouver la vraie liberté.
Certains voudraient prendre tout ce texte comme un test semblable à ceux que l’on trouve souvent dans les revues. Si vous avez répondu oui à 3 questions vous êtes l’homme idéal. Si vous avez répondu non à la dernière question, il faudrait vous faire soigner, etc…
Mais ce serait galvauder le texte. Il faut être sérieux.
Le point central est contenu dans cette phrase : »Aimez vos ennemis ». Et vous allez voir que cela va très loin, mais pas du tout dans le sens où vous pouvez le penser.

Je ne savais pas trop comment prendre ce thème, et puis une discussion avec quelqu’un m’a rappelé un livre merveilleux que nous avons lu au réfectoire.
C’est le récit d’une jeune femme suisse de 20 ans qui était entrée dans la résistance durant la guerre de 40 et qui s’est fait prendre par les allemands. Elle est conduite dans une villa prés d’Hendaye et là elle est soumise à des interrogatoires pilotés dans l’ombre par un jeune médecin de 26 ans prénommé Léo. Sa mission est d’obtenir des renseignements et des aveux en faisant craquer nerveusement les suspects, leur infliger des souffrances toujours plus grandes, sans aller jusqu’à le tuer. Elle n’en mourra pas, mais restera gravement handicapée tout le reste de sa vie, et ne pourra plus donner libre cours à sa grande passion qui était le piano où elle excellait. Profondément chrétienne, et imprégnée de l’évangile, elle ne cessait de conforter ses compagnons d’infortune, mais surtout elle avait constamment en tête ces versets de l’évangile que nous venons d’entendre.
Et depuis la fin de la guerre, nous dit-elle, j’étais habitée par le besoin de pardonner à celui qui avait détruit une grande partie de moi-même. A celui qui m’avait conduit au seuil de la mort je voulais montrer le chemin de la vie.
Et l’impensable se produit. 40 ans après elle reçoit un jour un coup de téléphone de ce médecin qui voulait lui rendre visite. Il lui dit d’emblé qu’il veut la voir car il sait qu’il n’en a plus que pour 6 mois et qu’il a peur de mourir. Elle accepte de le recevoir. Et avant de lui parler de sa vie à venir, elle l’invite à regarder sa vie passée : «  comment avez-vous pu devenir un criminel de guerre ? ». Et au fil de la conversation Léo lui dit : «  croyez-vous qu’il y a de la place pour des gens comme moi au paradis ? Et elle lui répond : « il y a de la place pour tous ceux qui acceptent d’accueillir la miséricorde de Dieu ». Et à nouveau l’impensable, mais aussi le plus désiré, se produit : Léo se lève et demande pardon à Maïté, et lui pose la question : comment puis-je réparer le mal commis.
La réponse est immédiate et sans détour : « la seule réponse au mal, c’est l’amour ».
Cette seule phrase illumine alors toute la suite de l’évangile que nous avons lu.

 Arrêtons-nous là.

Qu’est-ce qui a bien pu motiver ce pardon ? Sans aucun doute, je fournirai deux réponses :

·        Tout d’abord la fréquentation assidue par Maïté de la Bible. Elle en retiendra cette expression souvent répétée par Dieu qui se définit comme Dieu de tendresse et de pitié, Dieu de tendresse et de miséricorde. Un Dieu qui ne cesse d’aimer ! C’est la lente et fréquente méditation de cette expression qui a fait germer en Maïté le désir de compassion. : être à côté de celui qui souffre. Car au plus fort du paradoxe, le bourreau est parfois celui qui souffre le plus, et en tout cas celui qui a le plus besoin de nos prières.

·        Mais aussi et peut-être surtout en second lieu, le contemplation de la Croix. Bien souvent on veut s’en sortir soi-même, on pense qu’on n’a pas besoin d’un autre de l’Autre. On oublie trop souvent de regarder sur la Croix celui qui s’est laissé traiter injustement et silencieusement, torturer et injurier. Celui-là même qui sur la croix a ouvert le paradis au bon larron qui l’implorait. La croix, signe pour nous des renoncements, parfois très grands, que nous devons accepter dans la nuit où nous nous trouvons. Et que nous acceptons, car il y a au-delà de tout cela cette immense espérance. Celle-là même qui faisait vivre et survivre Maïté qui en parlait à ses compagnons de torture.

Le lien très fort qui unissait Maïté à Dieu se résume en cette belle expression qu’elle a utilisée : « Alors que je ne pouvais plus faire courir mes mains sur le clavier, j’ai compris que le pardon était une partition à quatre mains que l’on jouait avec le Seigneur ».

Reprenons maintenant la réponse de Maïté à la question de Léo : « Comment puis-je réparer le mal commis ? » - «  La seule réponse au mal, c’est l’amour ».

Il y a un préambule qu’on oublie souvent mais que la Bible ne cesse de nous répéter : «  Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Tout commence par là. Bernanos a cette phrase merveilleuse : «  Il est plus facile qu’on ne croît de se haïr… La grâce des grâces est de s’aimer humblement soi-même comme n’importe lequel des membres souffrants du Christ ». Cet amour de nous-mêmes nous le tenons de ce que le Christ ne cesse de nous manifester à chacun de nous son amour et son pardon : "Tu es mon fils/ma fille bien aimé". C’est cet amour qui fait de nous des hommes libres, capables de nous donner entièrement.

Aimez vos ennemis : cette courte phrase revient deux fois dans ce texte, preuve de son importance primordiale. Un peu comme si Jésus voulait nous dire : « Si vous êtes arrivés à ce niveau d’amour comme réponse au mal qui vous entoure, alors combien plus vous pourrez répandre et distribuer cet amour autour de vous en bénissant ceux qui nous maudissent, en faisant le bien à ceux qui nous font le mal, en priant pour ceux qui nous maltraitent, en donnant une mesure débordante. Car dans toutes ces situations c’est un peu comme si vous aviez en face de vous un ennemi potentiel en la personne de celui qui vous maudit, vous calomnie, et vous lui marquez votre amour en ne lui rendant pas la pareille… »

Et en cela vous serez différents des païens ou des pécheurs, en ce sens que vous associez votre démarche à celle du Christ que vous avez rencontré dans l’amour qu’il vous a porté, car lui, vous a pardonné le premier.

Conclure ? - C’est bien difficile !

J’aurais envie de vous renvoyer au merveilleux testament de l’abbé Pierre (mais attention c’est de la dynamite entre les mains que vous tiendrez !).
De lui je retiendrai une simple phrase.
« Comment résister au mal ? Pour moi, tout au long du chemin de ma vie le soutien a été et demeure l’Adoration, la prière sous toutes ses formes. Pour lutter contre le mal, l’Adoration est le remède absolu ».