Homélie - Christ-Roi — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

Homélie - Christ-Roi

Par dom Victor
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Homélie pour la fête
du Christ Roi de l'univers

2 Sm 5, 1-3 - Col 1, 12-20 - Luc 23, 35-45
Je suis Roi

Introduction
"Quand verrons-nous ta gloire transformée l'univers?" Question audacieuse adressée à Dieu, comme un cri, une prière. Elle exprime le désir profond de notre coeur de changer le monde, de le voir se transformer : jamais plus la guerre, jamais plus l'injustice, jamais plus la domination de l'argent... Mais allons-nous attendre que Dieu opère cette transformation sans nous ?
La décoration florale de l'autel n'est pas un bouquet, mais plutôt une offrande des fruits de la terre en cette fin d'année liturgique; Ainsi devrait être notre vie, une vie qui porte du fruit grâce à l'amour de Dieu qui nous fait vivre. Pour transformer l'univers, Seigneur, transforme notre coeur !

Homélie

C'est aujourd'hui le dernier dimanche de l'année liturgique. Cette fête du Christ Roi en est le couronnement. Elle nous invite à regarder quel sera le couronnement de notre vie. Peut-on affirmer que ce sera le Christ et son Royaume ? Dimanche prochain, l'Avent tournera nos regards vers Noël comme vers un éternel commencement. L'événement de l'incarnation, en effet, ne cesse d'être nouveau, inouï, source d'une joie éternelle : Dieu s'est fait l'un de nous. Ce projet divin de devenir l'un de nous précède la Création et lui donne son sens, son but. La fête du Christ Roi, précisément, tourne nos regards vers le Christ alpha et oméga ou si vous préférez les lettres de notre alphabet, le Christ A et Z, commencement et fin. Au commencement était le Verbe... Tout fut par lui et rien de ce qui fut ne fut sans lui... Et le Verbe s'est fait chair... et cette histoire, notre histoire, commencée avec la création va vers son terme qui est le retour glorieux du Christ, Roi de l'univers. Viens, Seigneur, Jésus !

Puisque notre communauté célèbre aujourd'hui trois anniversaires de vie monastique : les 60 ans de profession monastique de P. Claude, les 60 ans de début de noviciat de P. François de Sales et les 50 ans de ma profession, aussi j'ai choisi d'accompagner notre méditation sur le Christ Roi d'un regard sur la Règle de S. Benoît. Dès le Prologue, il nous est dit que pour militer sous ce Roi qu'est le Christ, pour entrer dans son Royaume, il nous faut prendre les nobles armes de l'obéissance. Et dans ce but Benoît nous propose une vie de communauté sous une règle et un abbé.

Mais tout d'abord, comment Jésus est-il roi ? Durant sa vie publique il a toujours refusé d'être acclamé reconnu roi... La royauté fut pour lui une des tentations au désert et souvent cette tentation s'est présentée à lui : après la multiplication des pains, par exemple... Or, quand le temps de sa Passion est imminent, Jésus provoque une entrée messianique triomphale dans sa Ville. Roi humble, monté sur un âne... roi de douceur et d'humilité. C'est uniquement durant sa Passion qu'il accepte d'être reconnu comme roi ! Nous sommes là devant un des grands paradoxes de l'Amour ! Jésus accepte d'être reconnu comme roi dans la dérision de son humiliation. Homme de douleur, bafoué, torturé, humilié. Es-tu Roi, lui demande Pilate ? Tu l'as dit, je le suis ! En l'envoyant à la mort, Pilate fait inscrire sur le gibet Jésus de Nazareth, Roi des Juifs. Ce roi trône nu sur un gibet entre deux criminels. Il est mis au rang des pécheurs. Sa puissance est la faiblesse de l'Amour, l'impuissance même de son humilité. Sans aucun dolorisme, sachons voir, comme le disciple bien-aimé, toute la profondeur de son amour dans son coeur ouvert par la lance. Ayant aimé les siens, il les aima jusqu'au bout, jusqu'à l'extrême ! Aussi Dieu l'a-t-il exalté ! La résurrection nous crie que l'Amour a vaincu la mort et le péché de l'humanité, mon propre péché.

Si saint Benoît propose au moine une vie d'humilité et d'obéissance c'est pour le conduire à l'amour et parce qu'une telle vie est déjà signe et expression de l'amour. L'obéissance n'est-elle pas un chemin de relation aux autres dans la douceur, la soumission, la miséricorde ? Benoît appelle la vie monastique une école du service du Seigneur. Les cisterciens, en voulant revenir à une observance plus proche de l'esprit de Benoît en ont fait une école de l'amour, schola caritatis. Leur spiritualité, nourrie d'une méditation de l'Écriture et en particulier du Cantique des cantiques, nous parle d'amour fraternel, d'amitié spirituelle, d'amour des pauvres, des hôtes, des malades, d'un amour pour tout homme. En marchant à leur suite, nous préparons déjà ce royaume de justice et de paix, de réconciliation et de pardon, annoncé par Jésus. N'est-ce pas pour cela que saint Benoît a été proclamé patron de l'Europe ?

Car en quoi consiste ce Royaume auquel le Christ nous donne accès sinon en l'Amour ? Croyons en la puissance de cet Amour qu'il nous donne quand il nous remet son Esprit. Notre monde de violence a tant besoin d'amour vrai. Que de souffrances et de drames prendraient un sens si chacun se savait aimé ! Les saints nous montrent comment cette utopie de l'Évangile peut devenir une réalité : Bernard de Clairvaux, Vincent de Paul, Don Bosco, Mère Teresa et tant d'autres. Imitons-les, modestement, là où nous sommes : en famille, au travail, dans nos relations quotidiennes et tout d'abord dans la liturgie que nous célébrons. Sortons-nous de nos liturgies avec un plus grand amour pour les autres ? Faites ceci en mémoire de moi ! Oui, aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés... Seul l'amour est signe du Royaume et de la présence du Seigneur. Chaque fois que l'Église s'est écartée de ce chemin, elle a dû être réformée. Si elle veut évangéliser le monde, lui annoncer la Bonne nouvelle d'un Dieu qui aime le monde, l'Église doit aimer les hommes, aimer leur culture, aimer la modernité, aimer les jeunes... Seul celui qui aime peut annoncer Dieu. Soyons comme Marie portant la Bonne Nouvelle à sa cousine âgée.

Dès le Prologue de sa Règle Benoît nous avertit : A mesure qu'on avance ou progresse dans la vie religieuse et dans la foi, le coeur se dilate, on court, rempli d'une douceur d'amour... Aussi, persévérant jusqu'à la mort au sein du monastère, participons par la patience aux souffrances du Christ pour mériter d'avoir place en son Royaume. Qui oserait prétendre être déjà parvenu à ce Royaume, même après 50 ou 60 ans de vie monastique ? Nous essayons seulement de demeurer sur ce chemin et d'y revenir sans cesse après nous en être écartés. Nous sommes loin du but et nous ne l'atteindrons jamais par nous-mêmes : c'est un don de Dieu. Dieu seul est Amour. Son Esprit nous façonne jour après jour à son image et si notre vie ici-bas se prolonge, c'est parce que l'image est loin d'être achevée, loin d'être ressemblante ! En entrant au monastère, nous avons demandé la miséricorde du Seigneur et celle des frères ; nous la sollicitons encore chaque jour. Avec le bandit en croix disons avec foi : Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton Règne !