Homélie - 3ème Pâques — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

Homélie - 3ème Pâques

Par Frère Antoine
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Homélie pour le 3ème dimanche de Pâques

Emmaüs




Le récit d’Emmaüs illustre la phrase de Jésus : «  Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des temps » (Matt 28,20). Autrement dit, la Résurrection n’annule pas l’Incarnation. Caractéristique de Luc : la présence  invisible du Seigneur peut se manifester dans la banalité du quotidien, Luc insiste moins sur la vision d’un personnage que sur le cheminement qui conduit à la reconnaissance du Ressuscité.

1) Jésus vient quand ses disciples parlent de lui. Une anecdote me revient en mémoire en disant cela. Curé de paroisse, je rencontre, dans la rue, un notable du pays qui se classait parmi les croyants non pratiquants, mais il envoyait ses enfants au catéchisme. Il me dit sa surprise d’entendre sa fille, 10 ans, et parler du « Seigneur »et se référer à lui, le faisant ainsi entrer dans une maison où on n’en parlait jamais. Il trouvait cela émouvant et réalisait que « le Seigneur » tenait une vraie place dans la vie de sa fille. Saint Paul disait déjà : « comment croire sans d’abord l’entendre ? Et comment entendre sans prédicateur… » (Rom 10,14). On ne peut parler de Jésus qu’à partir de ce qu’on sait de lui, c'est-à-dire à partir des Écritures.

Saint Jérôme dit la même chose d’une autre manière : « ignorer les Écritures, c’est ignorer le Christ ». Et pourtant, il y a une amnésie de l’Écriture, Jésus en parle dans sa première parabole, celle du semeur. Je suis d’une génération qui a connu l’interdiction d’avoir une Bible. Au collège nous allions tous les jours à la messe mais les lectures étaient faites à voix basse et en latin. Il a fallu attendre Vatican II pour que  l’Écriture soit remise en valeur dans la célébration de tous les sacrements et d’abord à la messe. En ce moment, nous lisons au réfectoire un livre de Mgr Marini «  Cérémoniaire des papes » qui fait remarquer que, dans les grandes basiliques romaines comme Saint Pierre, Saint Jean de Latran et les autres il n’y a pas d’ambon prévu dans l’architecture de ces lieux. Cet oubli de la parole se vérifie encore, par exemple, à l’occasion du sacrement de pénitence, le sacrement le plus vite expédié que je connaisse dans la plupart des cas. Il est très, très rare de voir un pénitent faire référence à l’Écriture pour découvrir ses péchés. C’est pourtant bien différent que de s’accuser à partir d’une Loi universelle !

2) La fraction du pain. Emmaüs se situe à la jointure des repas terrestres de Jésus tels que St Luc nous les raconte (il emploie 53 fois les mots « manger » ou « boire ») et les repas eucharistiques des premières communautés chrétiennes. Jésus est souvent attablé avec toutes sortes de gens et se fait critiquer. Au fil des pages, ces repas prennent sens : ils signifient la vocation de Jésus à être non seulement l’ami des hommes mais leur hôte et même leur nourriture. Mais pas n’importe quelle nourriture. On peut même faire le lien avec les autres repas bibliques (par ex. quand Abraham reçut, sans le savoir, des anges) et même, ce que fait St Augustin, le lien avec le premier « repas » de la Bible, avec Adam et Eve dont « les yeux s’ouvrirent » après avoir mangé. Avec Emmaüs s’achève la caricature d’un Dieu jaloux et susceptible, maintenant commence la convivialité proposée à tous les hommes qui reconnaissent le Seigneur en partageant le pain, (celui de l’eucharistie implique un autre partage pour que le rite ne soit pas vain et mensonger). Toute la Révélation, depuis Moïse, les prophètes, la Pâque de Jésus, toute cette histoire résumée sur la route, aboutit à du pain partagé qui dit ce que la Parole ne peut faire. La Parole ne se voit pas, elle s’entend, elle est pour les oreilles et le cœur. Le pain doit être partagé par un geste qui se voit et exprime concrètement ce que la parole explicite. Tout sacrement a besoin et de la parole et des gestes. « La  révélation se fait par des gestes (ou des événements, cités en premier) et des paroles » (Dei Verbum § 2).Ainsi, Jésus s’offre-t-il pour être le pain de la vie divine. Le Père ouvre les yeux des disciples pour qu’ils reconnaissent Jésus dans ce pain partagé. En même temps il disparaît, ce qui est logique : en effet vouloir être le pain de vie implique qu’il choisisse l’apparence du pain. Il y va du sérieux de son engagement. Il a choisit cette apparence mais la parole doit le faire savoir : ce pain est le pain de la vie éternelle .Il n’est pas fait pour être regardé (ce n’est pas interdit !) mais pour être mangé afin qu’il transforme notre vie en vie donnée, unie à celle de Jésus.

Nous savons où se trouve Jérusalem, Bethléem, Nazareth, Capharnaüm, mais nous ne savons pas où est Emmaüs. Il y a bien Amwaüs mais ce pays ne correspond pas aux 60 stades de l’évangile. Emmaüs c’est partout où les disciples reconnaissent Jésus qui marche avec eux. Ce peut être ici, maintenant.