Homélie - TO 28 — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

Homélie - TO 28

Par Frère Didier
croix - arcabas
Homélie pour  le 28ème dimanche
du temps ordinaire - C

( 1 R 5, 14-17 - 2 Tm 2, 8-13 - Lc 17, 11-19)

Guéri de sa lèpre, un Samaritain rend gloire à Dieu 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Jésus, marchant vers Jérusalem, traversait la Samarie et la Galilée.
Comme il entrait dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils s'arrêtèrent à distance
et lui crièrent : « Jésus, maître, prends pitié de nous. »
En les voyant, Jésus leur dit : « Allez vous montrer aux prêtres. »En cours de route, ils furent purifiés.
L'un d'eux, voyant qu'il était guéri, revint sur ses pas, en glorifiant Dieu à pleine voix.
Il se jeta la face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce. Or, c'était un Samaritain.
Alors Jésus demanda : « Est-ce que tous les dix n'ont pas été purifiés ? Et les neuf autres, où sont-ils ?
On ne les a pas vus revenir pour rendre gloire à Dieu ; il n'y a que cet étranger ! »
Jésus lui dit : « Relève-toi et va : ta foi t'a sauvé. »

Homélie

Frères et sœurs, voici le moment de relire ensemble cet évangile,de faire une brève lectio divina comme on dit chez nous.

Et comme autrefois on apprenait à compter avec ses doigts, j’ai envie de faire cette petite lecture spirituelle à l’aide mes doigts. Dix minutes de méditation, dix doigts, ça fait une minute par doigt… On peut essayer.

On va aller du pouce au pouce… On va commencer par la main gauche… que j’appelle la Main du Temps… parce qu’il me semble que la Bonne Nouvelle nous advient en cinq moments, et que nous avons donc à la recevoir selon ces cinq moments… Les deux premiers doigts indiquent deux moments du Passé… Le grand doigt du milieu, c’est le Présent… Quant à l’annulaire et l’auriculaire, ils vont marquer deux moments du Futur.

Mon premier temps, hé bien c’est ce temps historique, d’il y a environ deux mille ans : « Jésus marche vers Jérusalem, il entre dans un village, dix lépreux viennent à sa rencontre… » Ce temps, je l’appelle PRÉFIGURATION, parce que… ce qui se passe là, la Bonne Nouvelle qui se manifeste ici, préfigure d’autres temps où la Bonne Nouvelle va se déployer davantage… Mais déjà ici nous sommes invités à recevoir de bonnes nouvelles : nous pouvons faire confiance à la Parole de Jésus, nous pouvons rencontrer cet homme qui guérit, et qui guérit tout le monde : qu’importe que tu sois juif ou samaritain – et ça me fait penser au frère Luc de Tibhirine, vous savez, qui soignait tout le monde…

Et puis nous découvrons que nous sommes faits pour la louange, pour le bonheur de vivre dans la Reconnaissance : Reconnaissance d’un Amour qui fait de moi un homme debout et un homme qui marche : « Relève-toi et va ! » ….Et tout cela me donne déjà l’idée d’un titre pour ce passage d’évangile : « Merci pour Merci »… en jouant, en français, sur le masculin et le féminin du mot « merci » : mille mercis pour ta Merci, une reconnaissance infinie pour ta Miséricorde infinie !

Mais voici que mon index pointe vers Pâques, vers l’Événement Pascal : la mort et la résurrection de Jésus et l’effusion de l’Esprit… Ce temps, qui est encore du Passé, je l’appelle RÉALISATION, car c’est à ce moment-là que se réalise vraiment le Salut, la Victoire de l’Amour, l’Amour plus fort que le péché et que la mort, et que ce Salut nous est donné,… pas seulement à tel ou tel rencontré en chemin, mais donné à tous !... Je sais maintenant que Celui qui me délivre de la lèpre du péché, c’est Celui qui s’est fait lépreux pour moi sur la croix, Celui qui est mort d’Amour pour moi sur la Croix, Celui qui peut me dire : « Relève-toi ! » parce qu’il s’est relevé d’entre les morts, le Ressuscité que saint Paul annonce dans sa lettre à Timothée proclamée tout à l’heure : « Souviens-toi de Jésus, le Christ, il est ressuscité d’entre les morts : voilà mon Evangile. »… Et vous le savez, ça se chante ça : « Souviens-toi de Jésus-Christ ressuscité… », ça se chante avec émotion dans nos liturgies.

La Liturgie, voilà mon troisième temps, voilà le merveilleux présent… au deux sens du terme : aujourd’hui, … maintenant, au moment présent, …je reçois le merveilleux cadeau de l’Evangile :

Jésus par Amour est passé par ma mort, … ressuscité, il nous ressuscite, …et son Esprit nous comble de tous ses dons !... C’est le temps de L’ACTUALISATION, car en effet, voici que maintenant

le Ressuscité est au milieu de nous… Et nous prenons le temps de le reconnaître, de l’écouter, de le rencontrer, …de lui faire confiance, de nous laisser transfigurer, …et de le célébrer, de jouer notre merci dans la symphonie des mille mercis de la Liturgie !... Et nous accueillons l’Esprit Saint pour qu’il nous consacre membres du Corps du Christ, en une immense Communion, …et qu’il nous envoie écrire l’EÉvangile avec nos vies : « Va ! » dit Jésus, « Va ! » souffle l’Esprit…

Alors commence la vraie Liturgie, la Liturgie du quotidien… C’est le temps de la CONCRÉTISATION où nous allons, tout à l’heure, dans un avenir tout proche, mettre en œuvre cette Compassion, cette Mercie et ce merci, … faisant de chaque instant un temps de tendresse et de bénédiction, et de chaque journée un aujourd’hui de Dieu… Et si, tout à l’heure, nous ne savons pas reconnaître sa Présence de tous les instants, sa Présence en chacun, et manifester sa bonté, son Amour pour tous… - alors que nous venons de chanter : « Notre Père ! » - c’est que nous n’avons rien compris, c’est que nous n’avons pas « mouiller à la Grâce », … alors que des croyants d’autres religions, ou des gens qui ne connaissent pas Dieu, laissent Dieu être Dieu en eux - comme cet étranger de notre Évangile… Le quotidien consacré à l’Amour, tout homme appelé « frère », toute personne reconnue comme sacrée et aimée plus que moi-même, et aussi la foi et la louange plus fortes que toute lèpre, toute angoisse, toute injustice, tout malheur,… n’est-ce pas le message que nous livre le film sur nos frères de Tibhirine, qui fait salle comble en ce moment, et qui nous invite tout simplement à aimer,… à aimer humblement… mais avec quelle ténacité !

Et il faut que cela dure jusqu’à la fin des Temps !... parce que, voyez-vous, mon cinquième temps, c’est le temps de l’ACCOMPLISSEMENT, l’accomplissement dans l’au delà du temps. Alors nous verrons vraiment d’un cœur pur, nous verrons face à face le Visage de la Miséricorde, et nous ne pourrons pas ne pas reconnaître la bonté et la beauté du Dieu de toute merci ! Et nous ne pourrons plus nous arrêter de chanter !... Tous « larrons heureux, en Paradis, s’il plaît à Dieu notre Père », comme l’écrit frère Christian de Chergé en achevant son Testament.


Et maintenant voulez-vous apprendre les secrets de ma main droite ?
Hé bien, c’est la Main de la Reconnaissance… qui nous permet de percevoir, doigt après doigt, au moins cinq facettes de cette grande merveille qu’est la Reconnaissance !

D’abord, méditer un passage d’évangile nous conduit à RECONNAITRE une Présence, et à reconnaître

qui est cet Autre, …QUI EST NOTRE DIEU… Pas celui que nous imaginons, mais Celui qui vient vers nous : cet homme, cet homme qui ne peut qu’aimer - et personne ne saurait aimer plus que Lui ! - , le Très-Haut devenu le Très-Bas, devenu mon frère, mon ami, …et qui me rend libre, heureux et libre, libéré du péché et de la mort, vivant comme Lui le Vivant, …mon Sauveur, « mon Seigneur et mon Dieu ! »

Et presque en même temps, JE RECONNAIS QUI JE SUIS, QUI NOUS SOMMES… Lépreux mais lépreux toujours guéris, pécheurs mais pécheurs toujours pardonnés, hommes et femmes prosternés

en adoration… mais aussitôt relevés, ressuscités avec le Ressuscité - parce que c’est Lui qui nous adore -, …peuple de baptisés, peuple de transfigurés, peuple de prophètes, de prêtres et de rois, …peuple de chanteurs « à la louange de sa Gloire », peuple de messagers de sa Joie !

Et voici qu’avec mon troisième doigt, le majeur, nous passons à la Reconnaissance au sens de GRATITUDE: oui, nous sommes pleins de Reconnaissance pour tout ce que Tu es, pour tout ce que nous sommes, pour tout ce que Tu fais pour nous, « Toi qui nous as faits pour Toi » , et pour cet indicible bonheur de nous aimer les uns les autres avec ton Amour à Toi devenu notre Amour à nous !

Sommes-nous, - nous les moines, mais vous aussi - suffisamment consacrés à la louange, persévérants dans l’action de Grâce ?

Et puis dans « Reconnaissance », il y a NAISSANCE !... Oui, il y a toujours à naître, il y a toujours en nous un enfant à naître : devenir vraiment fils, devenir vraiment frère, …devenir UN « comme mon Père et moi nous sommes UN ! » …C’est un long chemin, …de croissance, de fidélité,… pour aller « jusqu’au bout du quotidien », et devenir peu à peu eucharistie… C’est l’incessant travail de l’Esprit Saint en nous… Et c’est bien cet Evangile de Communion, une Communion à reprendre chaque jour et à intensifier jour après jour, que nos frères de Tibhirine et tant d’autres témoins, ont semé sur notre terre par leur vies données à Dieu et aux hommes.

Enfin, pourrions-nous devenir pleinement reconnaissants, sans diffuser notre joie, sans ALLER FAIRE RECONNAITRE ?... « Va ! » dit Jésus… Et il y en a dans l’Évangile des « Allez ! », des « Allons ! »... Voilà le secret du dernier doigt : allez faire reconnaître, …aller faire reconnaître cet Amour qui nous fait vivre, …en nous laissant propulser en avant par le Souffle de l’Esprit, …tout en sachant que cet Esprit Saint nous précède déjà toujours dans le cœur de l’autre… C’est ce Souffle qui anime les écrits de frère Christophe, le plus jeune des moines massacrés – il avait quarante cinq ans, et demain c’est son anniversaire : soixante ans ! – Écoutez-le s’écrier : « Allons, ...allons dans le vent pour dire : Je t’aime ! »

 Un jour, à Tamié, il avait entendu Jésus lui faire cette demande :
« Allons, ma joie, ne lâche pas ma main… VA ! »

 Et voici sa réponse définitive à cette demande de Jésus,
- il l’a inscrite en français et en arabe, sur un de ses tout derniers dessins, à Tibhirine :

« Allons !   Amour !    ma joie !