Homélie TO 30 — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

Homélie TO 30

Par Frère Raffaele
arcabas - tamié
Homélie pour le 30ème dimanche
du temps ordinaire


Guérison d'un aveugle à Jéricho (Mc 10, 46-52)
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
Tandis que Jésus sortait de Jéricho avec ses disciples et une foule nombreuse, un mendiant aveugle, Bartimée, le fils de Timée, était assis au bord de la route.
Apprenant que c'était Jésus de Nazareth, il se mit à crier : « Jésus, fils de David, aie pitié de moi ! »
Beaucoup de gens l'interpellaient vivement pour le faire taire, mais il criait de plus belle : « Fils de David, aie pitié de moi ! » Jésus s'arrête et dit : « Appelez-le. » On appelle donc l'aveugle, et on lui dit : « Confiance, lève-toi ; il t'appelle. » L'aveugle jeta son manteau, bondit et courut vers Jésus.
Jésus lui dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? - Rabbouni, que je voie. » Et Jésus lui dit : « Va, ta foi t'a sauvé. » Aussitôt l'homme se mit à voir, et il suivait Jésus sur la route. 

© AELF

Homélie

- «Un mendiant aveugle était assis au bord de la route... » C'était il y a 2000 ans et c'est encore aujourd'hui. D'une part, il y a la foule qui va et vient, et d'autre part, il y a « un mendiant assis au bord de la route », seul...Deux mondes sur le même lieu, mais qui ne se rejoignent pas souvent. A Jéricho, Bartimée est encore plus coupé des autres, puisqu'il est aveugle. Il est l'image de tous les marginalisés de la société, ceux près desquels on passe sans les voir, sans vouloir les regarder ou même que l'on fait taire. Mais, finalement, Bartimée est notre image à tous, l'image de l'humanité aveugle et incapable d'aller vers Dieu, le but de la vie. Oui, nous sommes tous des Bartimée.
Étrange aveugle, pourtant. Au fil du récit, il se révèle étonnamment clairvoyant. Les gens, dans cet évangile, parlent de « Jésus de Nazareth ». Bartimée, l'aveugle, voit en lui le Messie promis, l'envoyé de Dieu, et il n'hésite pas à le crier tout haut : « Jésus, fils de David, aie pitié de moi ! » C'est qu'il ne voit pas Jésus avec les yeux de son corps, ses pauvres yeux éteints depuis toujours, mais avec les yeux illuminés du coeur, les yeux de la foi. « On ne voit bien qu'avec le coeur. L'essentiel est invisible pour les yeux », a écrit Saint-Exupéry, dans son Petit Prince.
Le chemin de l'aveugle qui rencontre Jésus sur sa route est le parcours de la foi. Le recouvrement de la vue n'est pas seulement pour lui une guérison physique : il est aussi, et surtout, le signe d'une guérison intérieure ; dans ce contexte, vue et foi sont synonymes. Le chemin accompli par l'aveugle est le voyage au-dedans de lui-même, à la découverte de soi et dé Dieu qui habite en nous. C'est le voyage de la vie spirituelle si bien retracé par saint Augustin dans un magnifique passage de ses Confessions :
« Tard je t'ai aimée, ô Beauté si ancienne et si nouvelle, tard je t'ai aimée ! Oui, car tu étais au-dedans de moi, et j'étais, moi, en dehors de moi-même ! Et c'est au dehors que je te cherchais ; je me ruais, dans ma laideur, sur la grâce de tes créatures. Tu étais avec moi et je n'étais pas avec toi, retenu loin de toi par ces créatures qui ne seraient point, si elles n'étaient pas en toi. Tu m'as appelé, et ton cri a forcé ma surdité ; tu as brillé, et ton éclat a chassé ma cécité. » (X, XXVII, 38).

L'aveugle de Jéricho est le modèle de ce voyage. Il est en train de mendier au bord de la route. Besogneux et en loques. Assis, parce qu'incapable de bouger, ne voyant pas le chemin du voyage. Au passage de Jésus il crie sa prière et sa foi : « Jésus, fils de David, aie pitié de moi ! » Cri désespéré, profession de foi, annonce d'espoir, reconnaissance de la miséricorde de Dieu dans la personne de Jésus, ce nom qui signifie : « le Seigneur sauve. » Conscient de sa propre misère, il s'adresse à Jésus en invoquant le salut. A l'appel de Jésus il bondit, debout, et recouvre cette dignité humaine qui réside dans la station debout, et ce dynamisme qui consiste à marcher vers le Christ. Parvenu près de lui, il exprime son désir. Il sait ce dont il a besoin et le demande avec audace et foi : «Rabbouni, que je voie. » Son voyage commence à ce moment-là : « Aussitôt l'homme se mit à voir, et il suivait Jésus sur la route. » Cependant, l'évangile pose une condition : lorsque Jésus l'appelle, l'aveugle jette son manteau. C'est sa seule sécurité humaine, mais pour aller à Jésus il doit s'en défaire. Il obtient la vue, il recouvre sa pleine stature d'homme, mais il doit se défaire de ce qui est humainement rassurant et qui risque de l'encombrer dans sa marche.
Le voyage de la foi est enthousiasmant mais exigeant. Pourtant, il n'est pas au-dessus de nos forces. A ce voyage les faibles aussi sont invités, nous disait le prophète Jérémie dans la première lecture : « Il y a même parmi eux l'aveugle et le boiteux, la femme enceinte et la jeune accouchée. » C'est un pèlerinage vers l'espérance : « Ils étaient partis dans les larmes, dans les consolations je les ramène. » Car ce voyage est placé sous le signe de la miséricorde de Dieu : « Je suis un père pour Israël, Éphraïm est mon fils aîné. - Parole du Seigneur. » Amen.