Homélie TO 25 — Abbaye de Tamié

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Abbaye de Tamié

Homélie TO 25

Par Frère Raffaele
croix - arcabas
25ème dimanche du temps ordinaire

1ère lecture : « Mes pensées ne sont pas vos pensées » (Is 55, 6-9)
Lecture du livre d'Isaïe
Cherchez le Seigneur tant qu'il se laisse trouver. Invoquez-le tant qu'il est proche. Que le méchant abandonne son chemin, et l'homme pervers, ses pensées ! Qu'il revienne vers le Seigneur qui aura pitié de lui, vers notre Dieu qui est riche en pardon. Car mes pensées ne sont pas vos pensées, et mes chemins ne sont pas vos chemins, déclare le Seigneur. Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus des vôtres, et mes pensées, au-dessus de vos pensées.

Psaume : 144, 2-3, 8-9, 17-18
R/ Proche est le Seigneur de ceux qui l'invoquent.

Chaque jour je te bénirai,
je louerai ton nom toujours et à jamais.
Il est grand, le Seigneur, hautement loué ;
à sa grandeur, il n'est pas de limite.

Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d'amour ;
la bonté du Seigneur est pour tous,
sa tendresse, pour toutes ses œuvres.

Le Seigneur est juste en toutes ses voies,
fidèle en tout ce qu'il fait.
Il est proche de ceux qui l'invoquent,
de tous ceux qui l'invoquent en vérité.

2ème lecture : « Pour moi, vivre c'est le Christ » (Ph 1, 20c-24.27a)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Philippiens
Frères, soit que je vive, soit que je meure, la grandeur du Christ sera manifestée dans mon corps. En effet, pour moi, vivre c'est le Christ, et mourir est un avantage. Mais si, en vivant en ce monde, j'arrive à faire un travail utile, je ne sais plus comment choisir. Je me sens pris entre les deux : je voudrais bien partir pour être avec le Christ, car c'est bien cela le meilleur ; mais, à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire. Quant à vous, menez une vie digne de l'Évangile du Christ.

La générosité de Dieu dépasse notre justice (Mt 20, 1-16)
Acclamation :
Alléluia. Alléluia. La bonté du Seigneur est pour tous, sa tendresse, pour toutes ses œuvres : tous acclameront sa justice. Alléluia. (cf. Ps 144, 7-9)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
Jésus disait cette parabole :   le Royaume des cieux est comparable au maître d'un domaine qui sortit au petit jour afin d'embaucher des ouvriers pour sa vigne. Il se mit d'accord avec eux sur un salaire d'une pièce d'argent pour la journée, et il les envoya à sa vigne. Sorti vers neuf heures, il en vit d'autres qui étaient là, sur la place, sans travail. Il leur dit : 'Allez, vous aussi, à ma vigne, et je vous donnerai ce qui est juste.' Ils y allèrent. Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures, et fit de même. Vers cinq heures, il sortit encore, en trouva d'autres qui étaient là et leur dit : 'Pourquoi êtes-vous restés là, toute la journée, sans rien faire ?' Ils lui répondirent : 'Parce que personne ne nous a embauchés.' Il leur dit : 'Allez, vous aussi, à ma vigne.'
Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : 'Appelle les ouvriers et distribue le salaire, en commençant par les derniers pour finir par les premiers.' Ceux qui n'avaient commencé qu'à cinq heures s'avancèrent et reçurent chacun une pièce d'argent. Quand vint le tour des premiers, ils pensaient recevoir davantage, mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d'argent. En la recevant, ils récriminaient contre le maître du domaine : 'Ces derniers venus n'ont fait qu'une heure, et tu les traites comme nous, qui avons enduré le poids du jour et de la chaleur !' Mais le maître répondit à l'un d'entre eux : 'Mon ami, je ne te fais aucun tort. N'as-tu pas été d'accord avec moi pour une pièce d'argent ? Prends ce qui te revient, et va-t'en. Je veux donner à ce dernier autant qu'à toi : n'ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mon bien ? Vas-tu regarder avec un œil mauvais parce que moi, je suis bon ?'
Ainsi les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers.
»

© AELF - Paris 1980

 Homélie

 - Frères et soeurs, si Dieu était un mathématicien, il n'y aurait aucun problème. Mais malheureusement - ou plutôt, heureusement ! - il ne l'est pas. S'il était un mathématicien, nous pourrions savoir quelle est sa façon de raisonner : à une action correspond une réaction, autrement dit, en l'espèce, à une bonne action, une récompense. Car, lorsque Dieu est réduit à nos mesures humaines, enfermé dans les schémas de notre logique, il n'est là que pour distribuer des prix ou des châtiments. C'est ainsi que l'on instaure avec lui un rapport de donnant-donnant, où les bonnes oeuvres représentent le travail accompli, et le paradis, le salaire.

En lisant cet évangile que la liturgie nous propose, ne soyons pas pressés d'arriver à la fin, où il est question de rétribution. Autrement, nous risquerons de conclure, un peu trop vite : « Dieu fait ce qu'il veut, il récompense comme il veut et qui il veut. » Mais cela serait de l'arbitraire pur et simple. La parabole d'aujourd'hui met en cause non seulement l'image que nous nous pouvons faire de Dieu, mais aussi, par voie de conséquence, le type de relation que nous pouvons instaurer avec lui. Le rapport avec Dieu relève-t-il de l'échange ou de l'amour ? En théorie, la réponse est tellement évidente qu'il est même inutile de poser la question. Mais le problème est de savoir si, dans les faits, notre vie confirme la théorie ou bien lui donne un démenti.

Au fil du texte de la parabole, on remarque des particularités assez surprenantes. Tout d'abord, le patron se met personnellement en quête des ouvriers. Il ne se sert pas d'intermédiaires, ni de recruteurs. Il ne craint pas de s'impliquer lui-même et, qui plus est, il sort encore pour chercher des ouvriers quand il ne reste plus qu'une heure avant la fin du travail. Bizarre. En fait, ce patron est un très mauvais patron ; il n'a pour but ni l'efficacité ni le rendement. De plus, le critère qu'il adopte pour payer le salaire de ses ouvriers est tout à fait antisyndical ; mais ce n'est pas non plus un critère patronal, car, à ce régime, le patron risque fort d'aller tout droit à la banqueroute.

Or, la parabole est construite de telle façon que le lecteur s'identifie spontanément aux ouvriers embauchés au petit jour ; du coup, il se sent partie lésée. Le critère salarial enfreint le principe de la justice distributive. Pourtant, ce critère n'est pas injuste. Tout d'abord, parce que de toute façon le patron paie ce qui avait été convenu d'avance ; mais surtout, parce que la logique qui inspire le patron n'est pas celle de l'échange, mais celle de la magnanimité, de la miséricorde, de la gratuité du don. Au surplus, frères et soeurs, réfléchissons-y un peu : quels mérites proportionnés à la récompense pouvons-nous faire valoir vis-à-vis de Dieu ? Prétendre une rétribution selon les mérites, c'est l'attitude propre à ceux qui se croient justes. Mais ceux qui se croient justes ne ressentent pas le besoin d'être sauvés. Leur Dieu à eux n'est qu'un grand distributeur. Le dieu des justes est en réalité leur serviteur, non leur Dieu. Leur rapport avec lui n'est point un rapport de gratuité, ni d'amour.

Frères et soeurs, ce que cette parabole nous révèle, c'est que, pour nous faire une idée adéquate de Dieu, nous ne devons pas partir de l'homme et multiplier par mille, ou dix-mille, ou un million, ou un milliard... La distance entre Dieu et l'homme est un abîme et ne peut pas être réduite à nos mesures humaines. Le prophète Isaïe nous le disait, dans la première lecture : « Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus des vôtres, et mes pensées, au dessus-de vos pensées, déclare le Seigneur. » L'action du Père est comparable au soleil qui illumine toujours, sans aucune diminution de lui-même et avec une générosité, une magnificence qui est égale pour tous. Pour être éclairé et réchauffé, il suffit de s'exposer entièrement à ses rayons. L'image vaut ce qu'elle vaut, elle est bien imparfaite, mais cela est inévitable lorsqu'on parle de Dieu.

Frères et soeurs, en guise de conclusion, j'offre à votre méditation la remarque d'un poète, Paul Claudel, assez déroutante à première vue, mais qui me paraît très profonde : « Votre miséricorde, Seigneur, est comme un artiste de génie qui se moque de toutes les règles. » (Un poète regarde la Croix)