Sermon sur les béatitudes — Abbaye de Tamié

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Sermon sur les béatitudes

De saint Bernard, S1 Toussaint
arcabas - tamié
Fête de la Toussaint

Les Béatitudes (Mt 5, 1-12a)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
Quand Jésus vit la foule qui le suivait, il gravit la montagne. Il s'assit, et ses disciples s'approchèrent. Alors, ouvrant la bouche, il se mit à les instruire. Il disait :
« Heureux les pauvres de cœur :
   le Royaume des cieux est à eux !

Heureux les doux :
   ils obtiendront la terre promise !

Heureux ceux qui pleurent :
   ils seront consolés !

Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice :
   ils seront rassasiés !

Heureux les miséricordieux :
   ils obtiendront miséricorde !

Heureux les cœurs purs :
   ils verront Dieu !

Heureux les artisans de paix :
   ils seront appelés fils de Dieu !

Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice :
   le Royaume des cieux est à eux !

Heureux serez-vous si l'on vous insulte,
   si l'on vous persécute
   et si l'on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi.
Réjouissez-vous, soyez dans l'allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux ! »

© AELF - Paris 1980

 Sermon de saint Bernard
pour la fête de la Toussaint

sur les Béatitudes


1. La fête de tous les saints que nous faisons aujourd'hui mérite d'être célébrée avec toute sorte de dévotion. En effet, si la fête de saint Pierre, de saint Étienne, ou de tout autre saint nous paraît grande et l'est en effet, combien plus grande doit être pour nous celle que nous faisons aujourd'hui, puisque au lieu d'être la fête d'un seul saint, elle est la fête de tous les saints ? Vous n'ignorez pas, Mes frères, que les gens du monde célèbrent leurs fêtes par des festins mondains et que plus la solennité est grande plus aussi ils font bonne chère. Eh quoi donc? ne faut-il pas aussi que ceux qui se sont convertis dans leur coeur recherchent les délices du coeur; les gens spirituels ne doivent-ils pas aussi rechercher des joies spirituelles? Aussi, mes frères, notre festin est-il préparé, tout est-il cuit et le temps de nous mettre à table est-il arrivé. Il est juste que nous commencions par les festins de l'âme puisque, sans l'ombre d'un doute, elle l'emporte sur le reste de notre être et qu'elle est sans comparaison la meilleure partie de nous-mêmes. D'ailleurs, il est de toute évidence que la fête des saints se rapporte bien plus à l'âme qu'au corps. Or, les âmes doivent prendre beaucoup plus de part aux choses qui se rapportent à l'âme, attendu qu'il y a entre ces choses et elles un plus grand rapport. Voilà pourquoi aussi les saints compatissent beaucoup plus aux âmes, désirent davantage les biens des âmes et se complaisent plus dans leur réfection, ils ont, comme nous, été passibles, comme nous ils ont eu à déplorer les peines de notre voyage et de notre misérable exil, et à éprouver le poids accablant de ce corps, le tumulte du siècle, et les tentations de l'ennemi. On ne saurait donc révoquer en doute que cette solennité ne leur soit beaucoup plus agréable parce qu'il y est pourvu au festin des âmes, que celle que les mondains célèbrent en donnant plus de soins à la chair dans les désirs de la volupté.

2. Mais où trouverons-nous le pain des âmes dans cette terre déserte, dans ce séjour d'horreur, dans cette solitude? Où procurer le pain spirituel, sous le soleil où ne se trouve que travail, douleur et affliction d'esprit ? Mais je sais quelqu'un qui a dit : « Demandez et vous recevrez » (Mt 7, 7) et ailleurs : « Si donc vous autres, tout méchants que vous êtes, vous savez néanmoins donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison, votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il le bon esprit à ceux qui le lui demandent » (Lc 11, 13) ? Je n'ignore pas avec quelles instances vous avez, pendant toute la nuit et toute cette journée, demandé au ciel de vous donner le pain vivant qui fortifie non le corps, mais le coeur de l'homme. Car je n'oserais vous donner le nom de convives; nous ne sommes que des mendiants qui vivons de la prébende de Dieu, oui, des mendiants étendus à la porte d'un roi excessivement riche, des pauvres couverts d'ulcères et désirant se nourrir, que dis-je, se soutenir au moins en mangeant les miettes qui tombent de la table de leur maître dont ils font aujourd'hui la fête, qui nagent en ce moment au sein des délices et qui reçoivent une mesure bonne et foulée, une mesure qui déborde. Nous espérons bien qu'il se trouvera quelqu'un pour nous distribuer ces miettes, car il y a un chaos immense, une distance infinie entre la libéralité, la bonté de Dieu et la cruauté du mauvais riche. Aussi notre Père nous a-t-il donné notre pain aujourd'hui; d'ailleurs il faut bien que le Père des miséricordes se montre le Père des misérables, il nous a donné 1e pain du ciel et nous a envoyé des vivres en abondance : je serai votre fidèle maître d'hôtel, puisse mon âme servir utilement à vous les préparer.

3. Mon coeur s'est échauffé pendant toute la nuit au-dedans de moi pour vous préparer les mets que je dois vous servir et pendant que je méditais ces choses, un feu s'est embrasé dans mon âme (Ps 38, 4), sans doute celui que le Seigneur est venu apporter sur la terre et qu'il n'a d'autre désir que de voir prendre comme un incendie. Pour une nourriture spirituelle il faut nécessairement une cuisine spirituelle et un feu spirituel. Il ne me reste plus qu'à vous servir ce que j'ai préparé; pour vous ne voyez que le Seigneur qui vous traite, non le serviteur qui vous distribué ce qu'il vous donne. Cas pour moi, en ce qui me concerne, je ne suis pas autre chose que votre compagnon de service qui s'unit à vous pour mendier pour lui en même temps que pour vous, comme le Seigneur le sait, le pain du ciel; mais c'est votre Père lui-même, c'est lui qui vous repaît d'oeuvres et de paroles et même de la chair de son propre Fils qui est une vraie nourriture. Quant aux oeuvres, je lis : «Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père » (Jn 4, 34) pour ce qui est des paroles, je lis également : « L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Dt 8, 3). Nous avons donc à nous nourrir aujourd'hui de ses oeuvres et de ses paroles ; ensuite nous recevrons, s'il nous en fait la grâce, le sacrement sans tache de son corps sur la très sainte table de son autel.

4. Nous lisons dans l'Évangile, que « Jésus, en apercevant une grande foule, monta sur une montagne » (Mt 5, 1). Les populations quittaient, en effet; les villes et les bourgades pour aller entendre les prédications du Seigneur qui sauvait les âmes des uns, guérissait les corps des autres et se les attachait tous par les liens du coeur, autant que par le bonheur qu'ils avaient à le voir. Car, sa voix était douce et sa figure agréable, s'il faut en croire celui qui lui dit : « Tu surpasses en beauté les enfants des hommes et une grâce admirable est répandue sur tes lèvres » (Ps 44, 8). Tel est celui que nous suivons et à qui nous nous sommes attachés. Il est tout désirable et non seulement les populations, mais les saints anges eux-mêmes brûlent de le considérer. Que pourrais-je donc vous offrir de plus doux ? Il est les délices des anges. « Goûtez donc et voyez combien le Seigneur est doux ». Rien de ce qu'on peut désirer sur la terre ne saurait entrer en comparaison de cette douceur, de cette saveur, de cette sagesse qui est vraiment tirée des endroits les plus cachés. Et quoi ! Faut-il s'étonner de trouver l'éclat dans le soleil, la beauté dans la fleur, le goût dans le pain et la fécondité dans la terre? Mais toutes ces qualités-là sont autant de dons de Dieu, on ne saurait douter, quelque part qu'il en ait donnée aux créatures, qu'il ne s'en soit réservé une plus grande encore.

5. Il ne faut pas croire que ce soit sans raison qu'il soit monté sur une montagne, d'autant plus que cela avait été prédit bien longtemps d'avance par un prophète qui avait dit : « montez sur une montagne, vous qui annoncez la bonne nouvelle à Sion; élevez la voix avec force, vous qui évangélisez Jérusalem » (Is 40, 9). Dans cette ascension sur la montagne, je vous propose de voir, à moins que vous n'ayez trouvé quelque chose de mieux, ce que saint Luc nous rappelle au commencement du livre des Actes des apôtres, quand il nous dit. « J'ai parlé dans mon premier livre, ô Théophile, de tout ce que Jésus a fait et enseigné » (Ac 1, 1). Évidemment il n'a pas agi à la façon des Pharisiens qui liaient de lourds fardeaux qu'on ne pouvait porter, efforçaient les autres à les prendre sur leurs épaules, tandis que pour eux, ils n'y voulaient pas même toucher du bout du doigt (Mt 23, 4). Est-ce que ce n'est pas là un pain délicieux pour l'âme, un pain qui fortifie le coeur de l'homme ? Je te suis avec confiance, Seigneur, et je m'avance en toute sécurité dans la voie de tes commandements, parce que je sais que tu m'y as précédé. Oui, je cours en toute sûreté dans la voie de tes commandements, depuis que je sais que tu es parti des extrémités du Ciel pour parcourir ta carrière et que tu es allé jusqu'à l'autre extrémité (Ps 18, 7) en suivant la même voie. Je ne saurais, mes frères, vous mâcher ainsi chaque mot en détail, mais montrez-vous des animaux purs et qui sachent ruminer, afin d'accomplir cette parole : « Il y a toujours un trésor précieux dans la bouche du sage » (Pr 21, 20). La brièveté du temps et l'abondance des matières, me forceront peut-être à borner mes paroles, et à passer un peu rapidement.

6. « Jésus, voyant la foule, monta sur une montagne. » Il la voyait d'un regard de commisération car elle était comme un troupeau de brebis errantes qui n'ont pas de pasteur. Que veut-il nous apprendre lorsque, avant d'enseigner, il monte sur une montagne, sinon qu'il faut que les prédicateurs de la parole de Dieu tendent en haut par les désirs de leur âme et par la sainteté de leur vie, et gravissent la montagne des vertus? « Lorsqu'il se fut assis, ses disciples s'approchèrent de lui » (Mt 5, 1). Lorsqu'il se fut assis, dit l'Évangéliste, autrement qui est-ce qui aurait pu s'approcher d'un pareil géant, s'il fût demeuré debout ? Mais il s'est baissé avec sa bonté extrême, il est descendu jusqu'à s'asseoir, en sorte qu'il pût dire à son Père : « Tu m'as connu lorsque j'étais assis, et tu me connus aussi quand je me fus levé » (Ps 138, 1). Il s'est assis, en effet, pour permettre aux publicains même et aux pécheurs, à Marie Madeleine et au Larron sur sa croix, de s'approcher de sa personne à laquelle ne sauraient s'élever les anges eux-mêmes, si elle demeurait debout. « Et lorsqu'il se fut assis ses disciples s'approchèrent de lui » beaucoup plus par un mouvement du cœur et par l'imitation de ses vertus que par le déplacement des pieds. C'est bien que l'Évangéliste nous dise que ce n'est pas la troupe des premiers venus, ni une partie du peuple, mais ses disciples qui se sont approchés de lui. Il arrive par là que de même que l'Ancien Testament, au rapport des Livres saints, a été donné sur le mont Sinaï, où Moïse seul était monté, tandis que le peuple attendait au pied (Ex 24, 14), ainsi aujourd'hui les montagnes reçoivent la paix pour le peuple et les collines, la justice; ce que les apôtres devront un jour prêcher à la lumière et annoncer sur les toits leur est dit dans une sorte de ténèbres, dans -le secret, et dans le tuyau de l'oreille. Après cela le récit de l'Évangéliste se poursuit ainsi :

7. « Et, ouvrant la bouche, il les instruisait. » Aujourd'hui il ouvre sa propre bouche, comme il avait autrefois ouvert celle des prophètes. C'est pour cela que le Psalmiste a dit quelque part : « Seigneur tu m'ouvriras la bouche et mes lèvres annonceront tes louanges » (Ps 117). Après avoir parlé autrefois en diverses occasions et en diverses marnières dans les prophètes (He 1, 1), il parle enfin lui-même à son tour, comme s'il avait dit : Je vous parlais autrefois, aujourd'hui me voici devant vos yeux. Heureux ceux qui ont entendu parler la Sagesse même incarnée, qui ont recueilli des lèvres mêmes du Verbe de Dieu les paroles qui en découlaient. Mais ce qu'ils ont entendu nous a été conservé et nous pouvons l'entendre à notre tour, quoique ce ne soit plus de ses lèvres. « Ouvrant donc la bouche, il les instruisait en disant : Bienheureux les pauvres d'esprit » (Mt 5, 2). Oui, on peut bien dire qu'il a ouvert sa bouche où se trouvent cachés des trésors de sagesse et de science et sa doctrine est bien celle de Celui qui a dit dans l'Apocalypse, « Je m'en vais faire toutes choses nouvelles » (Ap 22, 5) et qui auparavant avait dit par un prophète, « Je vais ouvrir ma bouche et je vous révélerai des choses cachées depuis le commencement du monde » (Ps 77, 2). Qu'y a-t-il de plus caché, en effet, que le bonheur de la pauvreté? Et pourtant c'est la vérité même qui nous en parle, la vérité qui ne peut ni tromper ni induire en erreur, c'est elle qui nous apprend que « les pauvres d'esprit sont bienheureux » (Mt 5, 3). Et vous insensés enfants d'Adam, vous recherchez encore les richesses, vous désirez toujours les richesses, quand le bonheur de la pauvreté a été annoncé, prêché par un Dieu au monde et cru des hommes! Que les païens les recherchent, ils vivront sans Dieu; qu'un juif soupire après elle, il n'a reçu que des promesses qui ont rapport à la terre; mais de quel front, disons mieux, avec quelle conscience un Chrétien recherchera-t-il les richesses, après que le Christ lui-même a proclamé que les pauvres sont bienheureux ? Jusques à quand, enfants étrangers, jusques à quand votre bouche continuera-t-elle à ne parler que de vanité et à proclamer heureux les hommes qui possèdent ces choses, ces biens visibles, les biens de la vie présente, quand le Fils de Dieu a ouvert la bouche pour nous faire entendre la vérité, pour dire heureux les pauvres, malheur aux riches ?

8. Mais remarquez bien qu'il ne parle pas des pauvres en général, des hommes du peuple qui ne sont pauvres que par le fait d'une misérable nécessité, non d'un acte louable de leur volonté. Je sais bien que leur misère et leur affligeante détresse, peut leur être utile auprès de la miséricordieuse bonté de Dieu, mais je sais aussi que le Seigneur n'a point parlé d'eux en cet endroit; il n'a parlé que de ceux qui peuvent dire avec le Prophète : « Mon sacrifice sera volontaire3 (Ps 53, 8). Il ne faut pas non plus conclure de là que toute espèce de pauvreté volontaire soit ici l'objet des louanges de Dieu. En effet, il y eut des philosophes qui quittèrent tout, nous dit-on, afin, étant libres de tout souci des choses de ce monde, de pouvoir s'adonner plus librement à l'étude de la vanité; ils ne voulaient point être riches des biens de la terre afin de l'être d'avantage des choses qu'ils goûtaient plus. C'est pour les exclure qu'il est dit « les pauvres d'esprit » c'est-à-dire pauvres par le fait d'une volonté toute spirituelle. « Bienheureux donc les pauvres d'esprit » c'est-à-dire ceux qui le sont par suite d'une intention, d'un désir spirituel, uniquement pour plaire à Dieu et pour faire leur salut : « car le royaume des cieux est à eux ». Or qui est-ce qui parle ainsi, qui déclare les pauvres bienheureux et les enrichit de la sorte? Est-ce parce qu'il dit est vrai? Oui, n'en doutez pas car celui qui promet qu'il en sera ainsi, est capable de tenir à ses promesses. Si l'ennemi murmure, il lui répondra : Ne m'est-il pas permis de faire ce que je veux ? Et votre oeil est-il mauvais parce que je suis bon ? » Mt 20, 15) Si tu as été justement humilié pour avoir voulu t'élever contre moi, ne faut-il pas élever ceux qui s'humilient pour moi? En effet, mes frères, si ce misérable ennemi a été précipité du ciel, pour avoir aspiré à la grandeur, convoité l'élévation et présumé de monter plus haut qu'il n'était, n'est-il pas logique que ceux qui sont descendus à l'humble rang des pauvres volontaires, soient heureux et « possèdent le royaume des cieux » qu'il a perdu ? Remarquez aussi avec quel à propos la Sagesse même a commencé par indiquer le remède au premier péché. C'est comme s'il avait, dit en termes plus clairs : Vous voulez obtenir le ciel que l'ange a perdu par son orgueil, l'ange qui a été confondu dans sa propre force et au sein de ses innombrables richesses ? Embrassez l'humble pauvreté et il est à vous. Mais continuons.

9. « Bienheureux ceux qui sont doux. » Bien, très bien. Voilà en effet, comment il convenait de louer la douceur après avoir fait l'éloge de la pauvreté, attendu que la première tentation qui éprouve ordinairement ceux qui ont tout quitté c'est celle qui résulte des souffrances du corps et des afflictions auxquelles la chair n'est point encore habituée. A quoi bon la pauvreté, si, ce qu'à Dieu ne plaise, celui qui s'est fait pauvre, tombe dans le murmure, devient impatient, ne peut plus supporter le joug de la discipline? Il est très bien aussi, qu'après la promesse du royaume des cieux, ils en reçoivent un autre de moindre importance, comme une sorte de gage, afin que, selon ce mot de l'Écriture, « nous ayons en même temps la promesse de la vie présente et celle de la vie future » (1 Tm 4, 8) et que, par ce que nous voyons en cette vie, nous concevions une ferme espérance des biens de l'autre. « Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu'ils posséderont la terre. » Or, par cette terre je comprends notre corps, attendu que si l'âme veut le posséder, si elle veut régner sur ses membres, il faut qu'elle soit elle-même pleine de douceur et soumise à son supérieur, car elle trouvera son inférieur tel qu'elle se sera montrée elle-même envers son supérieur. La créature, en effet, prend les armes pour venger l'injure de son Créateur. Ainsi toute âme qui trouve sa chair révoltée contre elle, doit reconnaître qu'elle est elle-même moins soumise qu'elle ne doit aux puissances supérieures. Qu'elle s'adoucisse donc et qu'elle s'humilie sous les mains puissantes du Très-Haut, qu'elle se soumette à Dieu, ainsi qu'aux prélats qui lui commandent de sa part et aussitôt elle trouvera un corps obéissant et soumis aussi. En effet, c'est la Vérité même qui nous le dit : « Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu'ils posséderont la terre’. Or, voyez si ce second remède n'est pas celui que réclame notre seconde blessure. En effet, après la chute de l'ange, Ève est la première créature qui pèche ; agitée par l'inquiétude de l'esprit, elle rejette en même temps le joug si doux et le fardeau bien léger de la défense du Seigneur, parce qu'elle ne veut pas attendre qu'elle mérite de recevoir la perfection de son bonheur de la main de Dieu qui lui avait déjà donné tout le reste et préfère la cueillir elle-même, sur le conseil du serpent. Voilà pourquoi elle perdit le paradis, la terre des délices, voilà pourquoi elle ressentit dans son corps même une loi de révolte. Mais peut-être, à ces mots du Seigneur, soupirez-vous déjà après la mansuétude et vous plaignez-vous de la sauvagerie de votre propre crieur, de ses mouvements qui le font ressembler à une bête féroce, de son humeur farouche et indomptée. Remarquez donc ce qui suit.

10. « Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés ». Il faut user du fouet pour dompter le cheval; ce qui triomphe d'une âme qui n'est pas douce, c'est la contrition de l'esprit et les larmes continuelles. Aussi, dans toutes vos actions, rappelez-vous vos fins dernières, ayez sans cesse sous les yeux du coeur l'horreur de la mort, les séparations terribles du jugement dernier, les flammes redoutables de l'enfer. Songez aux misères de votre pèlerinage, repassez dans l'amertume de votre âme le souvenir de vos années ; songez aux périls de la vie de l'homme et pensez à votre propre fragilité. Si vous vous nourrissez constamment de ces pensées, je vous assure que vous ressentirez peu tous les maux du dehors, vous serez absorbés tout entiers par les peines intérieures. Mais le Seigneur ne souffrira pas mes frères, que vous soyez sans consolation aucune, car il est le père des miséricordes et le Dieu de toute consolation. Les promesses de la Vérité. « Heureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés » s'accompliront en entier pour vous. D'ailleurs, je trouve dans Salomon une pensée qui se rapporte à merveille à celle-là : « Mieux vaut, dit-il, aller à une maison de deuil, que dans une maison de festin ». (Qo 7, 3). Tu serais bienheureuse, toi aussi, ô Ève, si après ta faute, tu avais cherché la consolation des larmes; si ton coeur s'était tourné vers le regret tu aurais promptement obtenu ton pardon. Mais voilà que tu as recherché une bien misérable consolation en entraînant ton mari dans ta chute ; tu as ainsi empoisonné toute ta race, en lui inoculant un poison terrible, un vice affreux, tel enfin, que de nos jours encore, on se console de son malheur par le malheur des autres. Ô Ève, quelle malheureuse consolation est la tienne et combien malheureuse aussi est la consolation de ceux qui t'imitent ! Mais « bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés. » Mais en quoi consiste cette consolation, sinon dans la grâce de la dévotion qui prend sa source dans l'espérance du pardon, qu'est-elle autre chose que l'infinie douceur du bien, le goût de la sagesse, si petit qu'il soit, dont le Seigneur, en attendant, commence dans sa bonté, par rafraîchir l'âme affligée ! Mais ce goût même, qu'est-ce, sinon quelque chose qui éveille nos désirs et excite notre amour, selon ce qui est dit : « Ceux qui me mangent, auront faim encore et ceux qui me boivent voudront encore boire » (Ec 24, 29) ? Aussi le Seigneur continue-t-il aussitôt :

11. « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu'ils seront rassasiés » (Mt 5, 6). Que celui donc qui a faim ait une faim plus grande que celui qui brûle de désir, soit consumé par des désirs encore plus ardents, car plus vos désirs seront grands, plus vous devez recevoir : que dis-je, ce n'est pas l'imperfection et la mesure de vos désirs qui seront la règle, attendu que vous ne pouvez désirer avec perfection que dans l'état de perfection; or, on ne peut être dans cet état de perfection tant qu'on ne le désire pas d'une manière parfaite; mais vous recevrez une bonne mesure, une mesure foulée, pressée et débordante. « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu'ils seront rassasiés. » Le palais de notre coeur est trop faible encore et notre âme trop languissante pour ne pas trouver la justice dure et insipide : mais quand on y a goûté, on sait ce qu'il en est et combien sont heureux ceux qui en sont affamés, attendu « qu'ils seront rassasiés ». Ô satiété vraiment heureuse et glorieuse ! Ô saint festin ! Ô agapes désirables ! Là il n'y a plus ni anxiété ni dégoût, parce que la satiété est complète, cependant le désir est toujours immense. « Bienheureux ceux qui out faim et, soif de la justice, parce qu'ils seront rassasiés. » Je crois que ces paroles sont dirigées contre Adam, qui peut-être bien a eu une partie de la justice, puisqu'il compatit à sa femme; mais s'il eût eu véritablement faim de la justice, il se serait mis en peine de rendre ce qu'il devait, non-seulement à sa femme, mais aussi et surtout à son Créateur. S'il devait compatir à sa femme, il devait la discipliner, puisqu'elle était son inférieure, car l'homme est le chef de la femme (Ep 5, 13). Or il devait à Dieu obéissance et soumission. Mais que penser, mes frères, en voyant que de tous ceux qui jugent si sévèrement ce qu'il a fait, il y en a tant qui ont la folie de l'imiter? Il yen a tant qui s'indignent contre lui, parce qu'il a écouté la voix de sa femme plutôt que celle de Dieu et qui eux-mêmes écoutent aussi leur Ève, je veux dire leur propre chair, de préférence à Dieu! Mes frères, si en ce moment nous voyions Adam placé, par les pensées qui s'élèvent dans son coeur, entre les prières de sa femme et le commandement de son Créateur, ne crierions-nous pas ; Prends garde, malheureux, fais attention, ne cède point ; ta femme a été séduite, ne te range pas de son côté ? Pourquoi donc, toutes les fois que nous sommes exposés à une tentation pareille ne nous disons-nous pas aussi la même chose avec la même conviction? « Car, bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu'ils seront rassasiés. » Mais qu'est-ce que toute notre justice par rapport à Dieu? N'est-ce pas, pour me servir de l'expression même du Prophète, comme un linge souillé d'un sang impur? Bien plus, si on va au fond des choses, toute notre justice sera trouvée injuste et moins que cela encore. Que sera-ce donc de nos péchés si notre justice ne peut guère répondre pour elle-même? Aussi, devons-nous nous écrier avec le Prophète : « Seigneur, n'entres pas en jugement avec ton serviteur » (Ps 142, 2) et recourir en toute humilité à la miséricorde, qui seule peut sauver nos âmes, et méditer sérieusement les paroles suivantes :

12. « Bienheureux les miséricordieux, parce qu'ils obtiendront miséricorde. » Or, remarquez comment Zachée embrasse l'une et l'autre à la fois, quand il dit : « Seigneur, je vais donner la moitié de mon bien aux pauvres et si j'ai fait du tort à quelqu'un, je lui rendrai quatre fois autant » (Lc 19, 8). Voyez-vous quelle faim il a de la justice celui-là, quand non content de rendre ce qu'il doit à la rigueur, il le restitue au quadruple. Il se montre également d'une grande miséricorde quand il donne aux pauvres la moitié de son bien. Toutefois je ne puis passer sous silence ce qui me vient à la pensée ; il faut que ma bouche dise les louanges du Seigneur, oui les louanges du Seigneur, non les vôtres; car ce n'est point à vous, mais à son nom que je rapporte la gloire. Certainement Zachée, dont l'Évangile fait l'éloge, a donné la moitié de ses biens aux pauvres; mais moi, je vois ici bien des Zachée qui ne se sont rien réservé de tout ce qu'ils possédaient. Qui m'écrira l'histoire évangélique de tous ces Zachée, ou plutôt de tous ces Pierre qui peuvent dire aussi avec toute confiance au Seigneur : « Nous avons tout quitté et nous sommes mis à ta suite » (Mt 19, 27) Mais elle est écrite déjà dans l'Évangile éternel et scellée dans le livre de vie. « Bienheureux les miséricordieux parce qu'ils obtiendront miséricorde. » Mais maintenant, mes frères, ce que je dis va droit à la cruauté d'Adam qui semblait d'abord n'avoir faibli que par amour pour sa femme. Nous savons en effet, Adam, que cette femme est l'os de tes os, la chair de ta chair et que c'est par amour pour elle que tu as péché. Eh bien, voyons donc jusqu'à quel point tu l'aimais. Voilà le Seigneur qui vient armé d'un glaive de feu pour punir ta prévarication, mets-toi entre ses coups et elle et dis-lui : Seigneur, ma femme était bien faible, elle s'est laissé séduire; c'est moi qui ai péché, sa faute est la mienne, que ta vengeance ne retombe que sur moi. Mais bien loin de tenir ce langage : « La femme que tu m'as donnée, dit-il, m'a présenté du fruit de cet arbre et j'en ai mangé » (Gn 3, 12). Ô perversité ! Tu ne veux pas être puni pour elle et tu n'as pas refusé de partager sa faute ! Ô douleur, comme tu as tout confondu dans ta malheureuse miséricorde, quand tu aurais dû te montrer sévère et comme tu te montres pernicieusement cruel quand tu aurais dû faire preuve de miséricorde? En effet, tu n'aurais dû, à aucun titre, pécher pour lui plaire et tu devrais, au contraire, satisfaire pour elle de bon coeur. Car, mes frères, telle est la règle et la justice, c'est de ne jamais faire mal pour personne, la miséricorde consiste à se charger volontiers du péché d'autrui. «Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice parce qu'ils seront rassasiés. Bienheureux les miséricordieux, parce qu'ils obtiendront miséricorde. » Voyons la suite.

13. « Bienheureux les coeurs purs, parce qu'ils verront Dieu. » Oui, heureux et bienheureux sont-ils, puisqu'ils verront celui que les anges brûlent de considérer, celui dont la vision seule est toute la vie éternelle. Mon cœur t’a dit : Ma face a cherché la tienne, Seigneur, je rechercherai ta face. En effet, qu'y a-t-il pour moi au ciel et que désiré-je sur la terre? Ma chair et mon cœur sont tombés en défaillance dans mon désir de t’avoir, ô mon Dieu, toi qui es le Dieu de mon coeur et mon partage pour toute l'éternité (Ps 72, 24, 25). Quand donc me combleras-tu de joie par la vue de ton visage (Ps 15, 11) ? Malheur à moi à cause de l'impureté de mon coeur, c'est elle qui s'oppose à ce que je sois digne, dès à présent, d'être admis à cette bienheureuse vision. Quel soin, mes frères, quelle ardeur ne faut-il pas apporter à purifier l'oeil dont nous devons voir notre Dieu? Or, je sens que cet œil est obscurci chez moi par trois sortes de souillures, par la concupiscence de la chair, par la concupiscence de la gloire temporelle et par la conscience de nos fautes passées; mon âme est, en effet, agitée par deux sortes de désirs que je ne puis éteindre ni par la raison, ni par mes propres forces, tant que je demeure dans ce siècle mauvais et que je suis retenu par les liens de ce corps de mort. Toutefois contre ces souillures, j'ai recours à la prière ; voilà pourquoi, de même que les yeux du serviteur sont attachés sur les mains de leurs maîtres, ainsi mes yeux sont fixés sur le Seigneur notre Dieu, en attendant qu'il ait pitié de nous (Ps 122, 3) parce que seul il est pur et que seul il peut rendre pur celui qui est conçu d'un germe impur (Job 14, 4). De même contre la conscience du péché nous avons le remède de la confession, car la confession lave toutes les souillures ; ce qui purifie l'oeil de toutes les souillures c'est donc la prière et la confession. Or « Bienheureux les coeurs purs, parce qu'ils verront Dieu. » Ils le verront à la fin du monde, face à face, ils le verront dès maintenant même, mais seulement comme en énigme et dans un miroir, car ils ne le connaissent qu'en partie, mais alors ils le connaîtront parfaitement. Tout homme, dans la conscience de qui le péché vit encore enfermé, pèche par excès d'espérance et se figure que ses péchés déplaisent moins à Dieu qu'ils ne lui déplaisent, en effet ou bien il pèche par défaut d'espérance en pensant que Dieu est sans miséricorde. Dans les deux cas il mérite également que Dieu lui dise : « Tu as crié, ô homme d'iniquité, que je te ressemblerais » (Ps 49, 22) car ni dans l’un ni dans l'autre cas cet homme ne voit Dieu, son iniquité se trompe elle-même en se forgeant une idole à la place de ce qu'il ne saurait être. « Bienheureux les coeurs purs, parce qu'ils verront Dieu. » Par conséquent, malheureux Ève et Adam qui ont cherché une excuse à leur péché dans des paroles de malice. En fuyant le remède de la confession, ils demeurent le coeur souillé et ils se trouvent rejetés de la vue de Dieu. Poursuivons.

14. « Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés les enfants de Dieu. » Il est bien juste qu'ils soient appelés les enfants de Dieu, puisqu'ils auront accompli l’oeuvre de son Fils. En effet c'est par Lui que nous sommes réconciliés avec Dieu, c'est lui qui a pacifié dans son sang tout ce qu'il y a dans les cieux et sur la terre, lui le médiateur entre Dieu et l'homme; l'homme Jésus Christ. Remarquez en effet, comment par ces trois béatitudes, l'âme se trouve réconciliée avec elle-même, par les deux suivantes avec le prochain, par la sixième avec Dieu et comment par la septième il réconcilie aussi les autres entre eux, se trouvant lui-même reçu dans la grâce du Seigneur et placé au sein de la félicité bienheureuse. En effet, la pauvreté, la douceur et les larmes reproduisent dans l'âme une sorte de ressemblance et d'image de l'éternité qui embrasse tous les temps, car en même temps que la pauvreté s'assure l'avenir, la douceur possède le présent et les larmes de la pénitence récupèrent le passé, selon ce qui est écrit : « Je repasserai devant toi, Seigneur, toutes les années de ma vie dans l'amertume de mon âme » (Is 38, 15). De leur côté, la justice et la miséricorde nous rapprochent du prochain, puisque, tandis que la première nous empêche de faire au prochain ce que nous ne voudrions pas qu'on nous fît à nous-mêmes, la miséricorde, au contraire, nous porte à lui faire ce que nous désirerions qu'il nous fît. Alors, réconciliés avec nous-mêmes, réconciliés avec Dieu, il ne nous reste plus qu'à nous réconcilier aussi avec Dieu avec une pleine confiance, par la pureté du coeur. Mais bienheureux ceux qui, dans un sentiment de reconnaissance de se voir réconciliés, se montrent pieusement inquiets pour les autres et travaillent de tout leur pouvoir à les réconcilier entre eux et avec Dieu. De quelles louanges ne trouvez-vous pas dignes, en effet et avec quelle affection ne devez-vous pas accueillir celui de vos frères qui, non content de vivre sans querelle au milieu de ses frères, veille sans cesse sur lui pour qu'il n'y ait rien en lui d'exerçant pour les autres; qui supporte avec la plus grande patience tout ce qu'il a de pénible dans les autres, fait siens les scandales de chacun et s'écrie avec l'Apôtre : « Qui est scandalisé sans que je brûle, qui est faible sans que je partage sa faiblesse » (2 Co 11, 28) ? Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés les enfants de Dieu. » (Mt 5, 9). Dieu n'est pas un Dieu de dissensions, mais un Dieu de paix, aussi est-il juste de donner le nom de ses enfants à ceux qui sont les enfants de la paix.

15. La huitième béatitude est la prérogative des martyrs; mais le martyre et la force de le souffrir ne semblent plus être de ce temps. De nos jours, on honore davantage la justice, du moins en apparence, mais il en est bien peu qui souffrent la persécution pour elle, si tant est qu'il y en ait, mais s'il s'en trouve, je les déclare bienheureux, parce que le royaume dé Dieu est à eux et personne ne pourra les y poursuivre. Si les tribulations se multiplient, que notre joie grandisse à proportion, ne regardons pas aux maux qui se voient mais à la récompense qui est invisible; ce qui ne se voit pas est pour l'éternité. Vous serez bienheureux, continue le Sauveur, lorsque les hommes vous chargeront d'injures, vous persécuteront et à cause de moi, diront foute sorte de mal contre vous. Réjouissez-vous alors et tressaillez d'allégresse, parce qu'une grande récompense vous est réservée dans le ciel » (Mt 5, 11 et 12) bien plus abondante que ne l'aura été votre travail sur la terre. Mais d'où vient que c'est la même promesse qui est faite aux pauvres et aux martyrs? Ne serait-ce point parce que la pauvreté volontaire est une sorte de martyre ? Le Prophète a dit : « Heureux celui qui n'a pas couru après l'or et qui n'a pas mis son espérance dans l'argent et dans les trésors. Quel est-il celui-là et nous le louerons ? Car il a fait des merveilles durant sa vie » (Ec 31, 8, 9) Que se peut-il voir de plus merveilleux, en effet, ou quel martyre plus grand que de se condamner à la faim en face d'une table bien servie, au froid, quand on a des vêtements aussi nombreux que riches et précieux, de souffrir la pauvreté au sein des richesses que le monde lui-même nous offre, que le malin fait briller à nos yeux et que notre appétit naturel convoite ? Est-ce que celui qui aura combattu ainsi et rejeté les promesses du monde, qui se sera ri des tentations de l'ennemi et ce qui est plus glorieux encore, qui aura triomphé de lui-même et crucifié sa propre concupiscence avec ses ardeurs, n'a pas bien mérité une couronne? Après tout, si le royaume des cieux est promis également aux pauvres et aux martyrs, c'est que la pauvreté achète ce que le martyre souffert pour Jésus Christ obtient sans délai.

 Traduction Charpentier - 1865
Les oeuvres complètes de saint Bernard se trouvent sur :
http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/bernard/index.htm