Maître Eckhart — Abbaye de Tamié

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Maître Eckhart

Extraits choisis par JM Gueullette op

Maître Eckhart

Extraits choisis par JM Gueullette op

  

Si l'homme se relève complètement du péché et s'en détourne entièrement, alors le Dieu fidèle fait comme si l'homme n'était jamais tombé dans le péché, pas un seul instant il ne songe à lui faire expier tous ses péchés ; égaleraient-ils en nombre ceux de toute l'humanité, jamais Dieu ne lui en tiendrait rigueur, jamais il ne cesserait de se montrer avec cet homme aussi intime qu'il l'a jamais été avec une créature. Pourvu qu'à cette heure il le trouve dans de bonnes dispositions, il ne fait plus attention à ce que cet homme fut dans le passé. Dieu est le Dieu du présent. Tel il te trouve, tel il te reçoit, tel il te prend ; non pas tel que tu fus, mais tel que tu es en ce moment. (Entretiens spirituels, XII)

Beaucoup de gens estiment qu'ils doivent accomplir de grandes œuvres extérieures: jeûner, marcher pieds nus, etc., faire ce qu'on appelle pénitence. Mais la véritable pénitence, la meilleure de toutes, par laquelle on s'amende puissamment et au plus haut point, c'est que l'homme se détourne radicalement et totalement de tout ce qui n'est pas complètement Dieu ni de nature divine en lui-même et dans toutes les créatures, et, dans un amour inébranlable, fasse un retour total et parfait vers Dieu, de façon que sa ferveur et son désir soient grands. (Entretiens spirituels XVI)

Il ne suffit pas, en vérité, que notre esprit soit détaché de tout ponctuellement, au moment où nous voulons nous soumettre à Dieu; il faut, au contraire, avoir un détachement longuement exercé, qui existait antérieurement déjà et qui continuera d'exister par la suite; alors on peut recevoir de grands dons de Dieu et recevoir Dieu dans ces dons. (Entretiens spirituels XXI)

Tant que tu opères tes oeuvres pour le royaume des cieux, pour Dieu ou ta béatitude éternelle, donc à proprement parler, du dehors, tu n'es vraiment pas droitement. On pourra bien te supporter, mais le meilleur n'est pas là. Car vraiment, si tu te figures que par l'intériorité, le recueillement, la douceur ou un ajout extraordinaire, tu recevras d'avantage de Dieu qu'au coin du feu ou dans l'étable, c'est exactement comme si tu prenais Dieu, lui enveloppais la tête dans un manteau et le reléguais sous un banc. Car qui cherche Dieu sous un mode saisit le mode mais laisse Dieu qui est caché sous le mode. Au contraire, celui qui cherche Dieu sans aucun mode, celui-là Le saisit, tel qu'il est en lui-même, et tel un homme vit avec le Fils et il est la vie même. (Sermon 5b)

Il est des gens qui veulent contempler Dieu de ces yeux mêmes dont ils regardent une vache, et ils veulent aimer Dieu de la façon même dont ils aiment une vache. Tu aimes une vache à cause du lait et du fromage et de ton propre avantage. Ainsi se comportent toutes les personnes qui aiment Dieu pour de la richesse extérieure ou de la consolation intérieure. Mais ils n'aiment pas Dieu correctement, ils aiment seulement leur propre avantage. (Sermon 16b)

Le plus élevé et le plus extrême à quoi l'homme puisse renoncer, c'est de renoncer à Dieu pour Dieu ; or saint Paul renonçait à Dieu pour Dieu ; il renonçait à tout ce qu'il pouvait prendre de Dieu, il renonçait à tout ce que Dieu pouvait lui donner et à tout ce qu'il pouvait recevoir de Dieu. Lorsqu'il y renonça, il renonça à Dieu pour Dieu et Dieu lui resta, tel qu'il est présent à lui-même, non pas reçu ou acquis, mais dans l'être pur que Dieu est en lui-même. Il ne donna jamais rien à Dieu, il ne reçut jamais rien de Dieu, c'est un Un et une union pure. [...] Si tu t'aimes toi-même, tu aimes tous les hommes comme toi-même. Tant qu'il y a un seul homme que tu aimes moins que toi-même, tu ne t'es jamais vraiment aimé toi-même. Car tu ne t'aimes pas vraiment toi-même si tu n'aimes pas tous les hommes comme toi-même, tous les hommes en un seul homme, en cet homme qui est Dieu et homme. Celui-là seul qui s'aime lui-même et qui aime tous les hommes comme lui-même, celui-là est vraiment droit. (Sermon 12)

La bonne volonté n'a pas moins de force pour le bien que la mauvaise volonté n'en a pour le mal. Sache ceci : ne ferais-je jamais rien de mal, mais eussé-je la volonté de faire le mal, j'aurais commis le péché, tout comme si j'avais accompli l'acte lui-même. Je pourrais, par la seule force d'une volonté absolument mauvaise, commettre un péché aussi grave que si j'avais tué le monde entier, sans avoir fait pour cela oeuvre de mes dix doigts. Pourquoi la même puissance ne résiderait-elle donc pas dans une volonté bonne ? Oui, elle s'y trouve, et même à un degré infiniment supérieur ! (Entretiens spirituels X)

Et maintenant, je dis : «humanité» et «homme» sont choses différentes. L'humanité en soi est si noble ! Dans ce qu'elle a de plus haut l'humanité est égale aux anges et parente de la déité ! La plus grande union que le Christ ait eue avec son Père, je suis capable de l'acquérir moi aussi, pourvu que je puisse enlever ce qui est ceci ou cela et me saisir en tant qu'humanité. Tout ce que Dieu a jamais donné à son Fils unique, Il me l'a donné tout aussi pleinement qu'à lui, ni plus ni moins ; il m'a même donné davantage : dans le Christ Il a donné à mon humanité plus qu'au Christ même ; car au Christ Il n'a pas donné. Il m'a donné à moi et pas à lui, car à lui, il n'a rien donné : de toute éternité, il avait déjà tout dans le Père. Si je te frappe, je frappe d'abord un Burkhardt ou un Henri ; ce n'est qu'ensuite que je frappe l'homme. C'est ce que Dieu n'a pas fait. Il a commencé par assumer l'humanité. Qui est homme ? Celui qui tient son propre nom de Jésus : c'est le sens des paroles de Notre Seigneur dans l'Évangile : « Celui qui touchera l'un de ceux-ci me touchera moi-même. » (Sermon 25)

Si un homme avait un ami qui pour lui souffrait peines et épreuves, pour sûr il serait fort équitable qu'il fût auprès de lui et le consolât par sa présence même et par la consolation qu'il pourrait lui prodiguer. C'est pourquoi dans le psautier, Notre Seigneur dit d'un homme bon qu'il est avec lui dans la souffrance. [...] Je dis que la compassion de l'ami atténue naturellement la souffrance. Si donc peut me consoler la souffrance d'un homme qu'il endure avec moi, bien plus doit me consoler la compassion de Dieu. Devrais-je et voudrais-je souffrir avec un homme que j'aime et qui m'aime, je dois alors de bon gré et en toute équité souffrir avec Dieu qui souffre avec moi et souffre pour moi à cause de l'amour qu'il a pour moi. (Livre de la consolation, II)

Et si Dieu est avec moi dans la souffrance, que puis-je vouloir d'autre ? (Livre de la consolation, II)

Dieu éprouve tant de joie dans cette égalité qu'il répand complètement sa nature et son être dans cette égalité en lui-même. Il en éprouve de la joie de la même manière que celui qui fait courir un cheval de bataille dans une campagne verte totalement plate et unie : la nature du cheval serait de se dépenser totalement avec toute sa force en bondissant dans la campagne. Ce serait pour lui une joie et ce serait sa nature. De même, c'est pour Dieu une joie et une satisfaction quand il trouve l'égalité. C'est pour lui une joie de répandre pleinement sa nature et son être dans l'égalité parce qu'il est l'égalité même. (Sermon 12)

Ne vous effrayez pas, car la joie de Dieu est proche de vous, et elle est en vous. Il n'est aucun de vous, si fruste, de compréhension si faible et si éloigné d'elle qu'il ne puisse trouver cette joie en lui, en vérité, telle qu'elle est, avec joie et compréhension, avant que vous sortiez aujourd'hui de cette église et même que j'aie fini de prêcher : il peut la trouver en lui et la vivre et la posséder, aussi véritablement que Dieu est Dieu et que je suis un être humain. (Sermon 66)


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