La joie pascale comme fruit de l'espérance — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

La joie pascale comme fruit de l'espérance

Par dom Victor, abbé

 

 Par dom Victor, abbé

            Dimanche dernier, je disais que la foi de Pâques supposait d’avoir fait l’expérience, d’une façon ou d’une autre, de la miséricorde et du pardon de Dieu. C’est cette expérience de la miséricorde et du pardon qui nourrit aussi notre espérance. L’espérance naît là où il n’y a aucun espoir humain de s’en sortir. L’Apocalypse apparaît parfois comme le livre des cataclysmes alors qu’il est précisément le livre de l’espérance pascale. Christ est vainqueur et nous entraîne dans sa victoire.

            L'expérience de la miséricorde infinie de Dieu que Paul a vécue lors de sa conversion lui a fait perdre toutes ses assurances. Il sait désormais en qui il met sa confiance, son espérance, au point de pouvoir se glorifier de ses faiblesses car c’est dans sa faiblesse qu’il expérimente la puissance de Dieu. Et par là, son coeur s’est ouvert à la compassion. Lui, le persécuteur des chrétiens, ne respirant toujours que menaces et meurtres (Ac 9, 1) écrira à ses chers Thessaloniciens : « Nous avons été au milieu de vous pleins de douceur, comme une mère réchauffe sur son sein les enfants qu’elle nourrit. Nous avions pour vous une telle affection que nous étions prêts à vous donner non seulement l’Évangile de Dieu mais même notre propre vie tant vous nous étiez devenus chers » (1 Th 2, 7-8). Essayons de voir au ralenti comment peut se faire en nous ce changement.

1.- Voir sa misère, sa pauvreté : avoir le courage de la regarder

            Regardons tout d’abord les disciples de Jésus qui attendent le don de l’Esprit. Ils ont suivi Jésus, ont cru en lui, ont promis de lui rester fidèles jusqu’à la mort et voilà qu’ils se sont comportés comme des lâches : ils l’ont abandonné lors de son arrestation, un d’entre eux l’a même renié trois fois. Ils n’ont toutefois pas désespéré, et depuis que Jésus leur est apparu, ils osent espérer contre toute espérance. Ils attendent, comme personne n’a jamais encore attendu, ce qui n’est possible qu’à Dieu...Vous allez recevoir une puissance, celle du Saint Esprit qui viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. (Ac 1, 8) Qui n’a pas fait cette expérience de sa propre faiblesse après avoir suivi le Seigneur avec enthousiasme ? Vient un moment où la foi faiblit. On s’arrête, on décroche de la prière, on vit sans joie profonde. Le doute même nous guette : me serais-je trompé ? Dieu m’aurait-il trompé ? C’est le temps de l’épreuve.

            Acceptons de voir notre faiblesse, sachons reconnaître notre péché, mais écoutons, une fois de plus, le vibrant appel de st Bernard : « il n’est point d’âme damnée et désespérée jusqu’à ce point, qu’elle ne puisse reconnaître en elle-même, non seulement d’où elle peut respirer dans l’espérance du pardon et de la miséricorde, mais encore d’où elle ose aspirer aux Noces célestes du Verbe, sans peur de faire alliance avec Dieu, sans crainte de porter le joug suave de l’amour avec le roi des Anges[1]

            Le Père Michel Rondet, dans son livre Écouter les mots de Dieu, analyse bien ce temps d’épreuve : « La miséricorde de Dieu nous attend là. Si nous savons accueillir humblement la révélation de notre infidélité, la tendresse de Dieu nous ouvre d’autres horizons plus beaux que nos rêves. Nous ne serons jamais le saint ou le juste, le bon chrétien, le bon prêtre, le bon religieux que nous avions rêvé d’être, mais nous pouvons devenir ce pauvre qui n’a plus à offrir à Dieu que ses mains vides. Alors tout devient possible... Si douloureuse et éprouvante que soit la prise de conscience de nos limites, elle nous appelle à autre chose qu’à une morne résignation, vite accompagnée d’un sourd ressentiment contre ce Dieu qui, après nous avoir fait désirer l’impossible, nous aurait abandonnés au milieu du gué.

            Or Dieu ne nous a pas abandonnés. Il est plus présent que jamais à notre épreuve, espérant pouvoir enfin se révéler à nous comme celui qui est la béatitude des pauvres. Il ne dépend que de nous de l’accueillir en recevant notre pauvreté comme une grâce. Le voile enfin se déchire qui nous cachait Dieu, et sa sainteté peut emplir nos mains vides.

            Tous les saints ont connu, d’une manière ou d’une autre cette étape... Ils ont accepté leur pauvreté et y ont découvert un nouveau visage de Dieu, en accueillant ce que le père Voillaume a nommé un second appel. Appel à découvrir la tendresse et la gratuité de l’amour de Dieu pour les pécheurs que nous sommes. Appel à accueillir la puissance de l’Esprit qui triomphe dans notre faiblesse...

            Découvrir ses limites et son péché peut être une épreuve ; dans le pardon de Dieu, pour nous comme pour Pierre, c’est une grâce sans prix. Il est possible alors de dépasser et sa justice et son péché, d’atteindre à cette absence de retour sur soi qu’est l’esprit d’enfance, l’esprit du Royaume. Thérèse de Lisieux en fut pour nous l’exemple ; et l’Esprit s’est plu à manifester en elle la force qui transfigure notre faiblesse[2]

 

2.- Accepter notre pauvreté comme une grâce pascale

            J’ai déjà eu l’occasion de vous citer sainte Julienne de Norwich, mystique anglaise du 14e s. Il est bon de relire à la lumière de Pâques son sain optimisme :

            Notre bien-aimé Seigneur me répondit tout doucement, d’un regard très aimant : « Le péché d’Adam fut le plus grand mal qui jamais ait été commis... Puisque j’ai changé en bien le mal le plus grand, c’est ma volonté que vous sachiez que je changerai en bien tout ce qui est un mal moindre.[3] » « Le péché est inéluctable, mais tout finira bien, tout finira bien, toute chose, quelle qu’elle soit, finira bien.[4] »

            Notre bon Seigneur répondit à toutes mes questions et à tous mes doutes. Il me réconforta par ces paroles : « Je puis tout tourner en bien. Je sais tout tourner en bien. Je vais tout tourner en bien. Je veux tout tourner en bien. Et tu le verras toi-même : toutes choses tourneront en bien. » Je jugeai donc impossible que tout pût finir bien... La seule lumière que je reçus de Notre Seigneur fut cette phrase : « Ce qui t’est impossible ne me l’est pas. Ma parole s’accomplira en tout. Je tournerai tout en bien.[5]»

 

             « Dieu me le révèle. Le péché ne sera pas une honte mais une gloire pour l’homme. A chaque péché correspond une peine ; de même en vérité, à chaque péché correspond une béatitude d’amour.»...Dieu me présenta à l’esprit David et d’autres personnages de l’A.T... .Dans le N.T., Madeleine, d’abord, Pierre et Paul, Thomas...avec leurs péchés qui ne sont plus sujets de honte mais de gloire... Le but de tout cela est de nous rendre heureux et joyeux dans l’amour.[6]  La raison de son optimisme est bien cette expérience pascale que firent Madeleine, Pierre, Paul, Thomas et que chacun de nous est invité à faire.

            À condition évidemment d’utiliser les trois remèdes que sont : la contrition, la compassion, la vraie soif de Dieu. On peut voir dans la contrition la reconnaissance de son péché, dans la compassion pour les autres l’acceptation de sa propre faiblesse, enfin dans la soif de Dieu l’offrande à Dieu de cette faiblesse. La contrition nous purifie, la compassion nous prépare, la vraie soif de Dieu nous rend dignes.  

3.- Offrir notre pauvreté dans l’action de grâce et communier ainsi à la joie de Dieu

Reconnaître sa propre faiblesse ne suffit pas. Ce n’est que le premier pas vers l’humilité. Il nous faut l’accepter pour devenir doux et miséricordieux. Nous sommes enfin invités à offrir à Dieu notre faiblesse, notre misère, avec des sentiments d’action de grâce, comme Marie dans son Magnificat. Mais, pour cela, nous avons besoin de nous appuyer sur la fidélité de Dieu, cette fidélité qui s’étend d’âge en âge. Dans ses rapports avec son Peuple, Dieu se présente comme un ‘Dieu fidèle’ (Dt 32, 4). Cette fidélité est une qualification de son amour. Il se définit lui-même comme « Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, riche en grâce (hèsèd) et en fidélité (‘èmèt) » (Ex 34, 6).

Quand Dieu a donné son amour, il ne peut pas le reprendre, sinon il ne serait plus Dieu. Dieu est immuable en lui-même comme en ses dons. Le Deutéronome évoque souvent cette fidélité de Dieu en rappelant l’Alliance faite avec Israël : « Tu sauras que Yhwh ton Dieu est le vrai Dieu, le Dieu fidèle qui garde son alliance et son amour pour mille générations à ceux qui l’aiment et gardent ses commandements » (Dt 7, 9). L’Eucharistie nous rappelle chaque jour cette alliance et cette fidélité de Dieu malgré toutes nos infidélités. « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance nouvelle et éternelle, répandu pour vous et pour la multitude en rémission des péchés. Faites ceci en mémoire de moi. »

« Souviens-toi Israël » répète sans cesse l’auteur du Deutéronome. Souviens-toi des promesses de Dieu et tu connaîtras sa fidélité.  « Yhwh ton Dieu est un Dieu miséricordieux qui ne t’abandonnera ni ne te détruira et qui n’oubliera pas l’alliance qu’il a conclue par serment avec tes pères » (Dt 4, 31). Assurance que l’on retrouve exprimée dans les deux cantiques évangéliques de Marie et de Zacharie : «... Ainsi se souvient-il de son alliance sainte, du serment qu’il a juré à Abraham notre père, de nous accorder que, sans crainte, nous le servions en justice et sainteté sous son regard tout au long de nos jours» (Lc 1, 72-73).

C’est cette fidélité de Dieu qui fonde notre espérance. Jésus est l’aboutissement de la fidélité de Dieu : « Toutes les promesses de Dieu ont en effet leur oui en lui ; aussi bien est-ce par lui que nous disons notre Amen à la gloire de Dieu » (2 Co 1, 20). Jésus est apparu « plein de grâce et de vérité » ou  « plein d’amour et de fidélité » (Jn 1, 14). « Et si nous sommes infidèles, lui demeure fidèle, car il ne peut se renier lui-même » (2 Tim 2, 13). Dans la Gloire, le Christ demeure le ‘témoin fidèle’ (Ap 1, 5 ; 3, 14). Son nom est ‘Fidèle et Vrai’ (Ap 19, 11)

            Notre espérance est précisément notre correspondance à cette fidélité de Dieu. Lespérance, dit très heureusement Urs von Balthasar, est une participation à la joie de Dieu. L’espérance « est comme la lumière renvoyée vers l’homme par la joie de Dieu devant la réussite de l’épreuve qu’il lui a fait subir[7].» L’épreuve, que ce soit la souffrance, la maladie, l’échec... nous dépossède de ce qui faisait notre assurance. Elle nous fait vivre une expérience de vraie pauvreté. Cette pauvreté toutefois, lorsqu’elle est pleinement acceptée et offerte nous ouvre l’accès à la vraie joie. Soyons des témoins d’espérance, de miséricorde et de joie en mettant notre misère dans le coeur de Dieu comme le bon larron, Jacques Fesch, dans sa prison et tant d’autres...

            Oui, soyons des témoins de la joie de Dieu, de cette joie qui n’est pas simple optimisme mais qui est joie de la Résurrection, joie de celui qui, comme les disciples d’Emmaüs, a rencontré le Christ sur son chemin. Joie de l’espérance, joie de la miséricorde et du pardon reçu et donné... Maintenant je vais à toi, Père, et cependant je continue en ce monde à dire ces choses pour qu’ils aient en eux ma joie dans sa plénitude. (Jn 17, 13)

 Tamié, 13 avril 2008
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[1] Bernard de Clairvaux, Sermon 83 sur le Cantique des cantiques, n. 1, Sources Chrétiennes 511, p. 341-343.
[2] Michel Rondet, Ecouter les mots de Dieu. Les chemins de l’aventure spirituelle, Bayard 2001, p. 193-195.
[3] Julienne de Norwich, Le livre des révélations, Cerf 1992, p.110.
[4] Ibid., p. 105-106.
[5] Ibid., p.118
[6] Ibid., p. 130
[7] Hans Urs von Balthasar, Quand Dieu rencontre l’homme, Communio n° 8, 1976, p. 12