Homélie pour la Toussaint — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

Homélie pour la Toussaint

Par dom Ginepro abbé
Homélie pour la fête de tous les saints

Les Saints du calendrier sont très nombreux, mais, en dehors du calendrier, nous le savons, il y en a, heureusement, bien davantage : ils sont, avant tout, présents dans le cœur de Dieu. Et ce sont bien Tous les Saints que nous fêtons aujourd’hui.

Quant à nous, je me demande : quelle idée avons-nous de la sainteté, nous, hommes et femmes, chrétiens du 21ème siècle ? Difficile de répondre en peu de mots, sans risquer de tomber dans des clichés fantaisistes ou bien un peu vieillots et abstraits, des stéréotypes fades et faciles qui peuvent contribuer à nous éloigner encore plus des Saints ; loin, en tout cas, de notre vie réelle. Peut-être, quand nous pensons aux Saints, imaginons-nous des personnages vécus autrefois (je ne sais pas où), des héros qui ont donné, oui, leur sang, mais sans réfléchir à ce que cela veut dire effectivement. Nous pensons à des grandes figures, à des individus peu ordinaires qui auraient fait, dit-on, des miracles… Bref, des personnes situées dans un autre univers, trop éloigné de nous pour être vraiment… crédibles. Tout comme une certaine idée de Dieu, qui le confine dans un ailleurs tellement lointain et inaccessible… Comment pourrions-nous le sentir proche de nous ?

Et voici ce que Jésus, le Dieu proche, le Dieu-avec-nous, nous dit des saints : il nous parle des pauvres de cœur, de ceux qui pleurent, des doux, des affamés et des assoiffés de la justice, des cœurs purs… Voilà, pour lui, les Saints ; des personnes bien réelles. Bref, il démonte notre imaginaire et nous introduit dans un tout autre univers. Il nous invite ainsi à changer notre regard. Ce sont ceux-là, pour lui, les Saints à honorer, à imiter. Il nous invite ainsi à considérer un monde fait de gens plus ordinaires, des gens que nous côtoyons dans notre quotidien. Dans cette perspective, le cadre change beaucoup. Pour lui, les bienheureux du Royaume sont d’abord à nos côtés, ils sont proches de nous et ils sont là, dans notre vie réelle et bien concrète. Ils nous sont proches dans nos choix, nos démarches et nos échecs… et nos misères, aussi. Ce sont, des gens comme nous.

Bien sûr, les saints classiques restent, mais, du coup, ils deviennent, eux aussi, beaucoup moins distants, tout en gardant leurs caractéristiques propres. D’abord, eux aussi sont passés par la mort. Sur ce point, nous devons être bien conscients que nous vivons dans un monde qui fait tous son possible pour éviter de considérer la mort, notre mort, comme un passage obligé ; au contraire, ce monde s’affaire à la nier ; aujourd’hui on invente toute sorte de fables (souvent pathétiques) pour essayer de nous convaincre à l’ignorer, à nous distraire, n’importe où ailleurs, pour nous décentrer de nous mêmes.

En d’autres mots, pour fuir nos responsabilités par le bruit et les distractions de toute sorte. Les Saints que nous honorons et que l’Eglise nous indique sont passés par bien d’épreuves avec l’armure de la foi et de l’espérance.

Il faut faire attention : parfois, même la religion semble se faire complice de ce détournement.

C’est Maurice Bellet, prêtre philosophe et théologien, qui écrit dans son minuscule traité acide de spiritualité (je le cite) :

« la piété a si bien recouvert de confiture les paroles de Jésus, qu’on ne sait plus à quel point elles sont salées. La théologie a si bien mouliné la pensée de Jésus, qu’on a perdu le goût si fort du paradoxe ».

Méfions nous des idéalisations faciles et, si nous honorons les saints, n’oublions pas de les considérer dans leur globalité, car c’est avec eux que nous sommes appelés, d’après la première lettre de st. Jean, à voir Dieu tel qu’il est. Ce n’est pas rien ! Mettons donc en lui notre seule espérance.

Avec les Saints, nous aussi nous sommes appelés à guetter la lumière du Ressuscité pour pouvoir partager ensuite cette lumière autour de nous. Voilà, je crois, une bonne manière pour célébrer les Saints.