Homélie TO 28 — Abbaye de Tamié

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Homélie TO 28

Par Frère Raffaele
croix d’anne teissé

28ème dimanche du temps ordinaire

1ère lecture : « À côté de la sagesse, j’ai tenu pour rien la richesse » (Sg 7, 7-11)
Lecture du livre de la Sagesse
J’ai prié et le discernement m’a été donné.
J’ai supplié, et l’esprit de la Sagesse est venu en moi.
 Je l’ai préférée aux trônes et aux sceptres ;
à côté d’elle, j’ai tenu pour rien la richesse ;
 je ne l’ai pas comparée à la pierre la plus précieuse ;
tout l’or du monde auprès d’elle n’est qu’un peu de sable,
et, en face d’elle, l’argent sera regardé comme de la boue.
 Plus que la santé et la beauté, je l’ai aimée ;
je l’ai choisie de préférence à la lumière,
parce que sa clarté ne s’éteint pas.
 Tous les biens me sont venus avec elle
et, par ses mains, une richesse incalculable.


Psaume : Ps 89 (90)

R/ Rassasie-nous de ton amour, Seigneur : nous serons dans la joie.

Apprends-nous la vraie mesure de nos jours :
que nos cœurs pénètrent la sagesse.
Reviens, Seigneur, pourquoi tarder ?
Ravise-toi par égard pour tes serviteurs.

Rassasie-nous de ton amour au matin,
que nous passions nos jours dans la joie et les chants.
Rends-nous en joies tes jours de châtiment
et les années où nous connaissions le malheur.

Fais connaître ton œuvre à tes serviteurs
 et ta splendeur à leurs fils.
Que vienne sur nous la douceur du Seigneur notre Dieu !
Consolide pour nous l’ouvrage de nos mains ;
oui, consolide l’ouvrage de nos mains.

2ème lecture : « La parole de Dieu juge des intentions et des pensées du cœur » (He 4, 12-13)
Lecture de la lettre aux Hébreux
Frères, Soeurs - Elle est vivante, la parole de Dieu,
énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants ;
elle va jusqu’au point de partage de l’âme et de l’esprit,
des jointures et des moelles ;
elle juge des intentions et des pensées du cœur.
 Pas une créature n’échappe à ses yeux,
tout est nu devant elle, soumis à son regard ;
nous aurons à lui rendre des comptes.


« Vends ce que tu as et suis-moi » (Mc 10, 17-30) Alléluia. Alléluia. Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux ! Alléluia.
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, Jésus se mettait en route quand un homme accourut et, tombant à ses genoux, lui demanda : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? » Jésus lui dit : « Pourquoi dire que je suis bon ? Personne n’est bon, sinon Dieu seul. Tu connais les commandements : Ne commets pas de meurtre, ne commets pas d’adultère, ne commets pas de vol, ne porte pas de faux témoignage, ne fais de tort à personne, honore ton père et ta mère. » L’homme répondit : « Maître, tout cela, je l’ai observé depuis ma jeunesse. » Jésus posa son regard sur lui, et il l’aima. Il lui dit : « Une seule chose te manque : va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi. » Mais lui, à ces mots, devint sombre et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens.

 Alors Jésus regarda autour de lui et dit à ses disciples : « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ! » Les disciples étaient stupéfaits de ces paroles. Jésus reprenant la parole leur dit: « Mes enfants, comme il est difficile d’entrer dans le royaume de Dieu ! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » De plus en plus déconcertés, les disciples se demandaient entre eux : « Mais alors, qui peut être sauvé ? » Jésus les regarde et dit: « Pour les hommes, c’est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu. »

 Pierre se mit à dire à Jésus : « Voici que nous avons tout quitté pour te suivre. » Jésus déclara : « Amen, je vous le dis : nul n’aura quitté, à cause de moi et de l’Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle. »

© AELF - Paris 2013

 

Homélie

- Frères et soeurs, nous venons d'entendre le récit d'une rencontre. Une rencontre pleine de promesses, qui ne demandent qu'à se réaliser. Un homme se précipite au-devant de Jésus et tombe à ses genoux. De toute évidence, il est séduit par lui. Ses premières paroles l'attestent : « Bon Maître ! », s'exclame-t-il. Il reconnaît en Jésus quelqu'un qui parle avec autorité, à la différence des scribes et des docteurs de la loi (Mc 1, 22.27) ; quelqu'un à qui on peut faire confiance, ouvrir son coeur, dévoiler ses désirs, ses aspirations les plus profondes, et recevoir de lui une parole de vie. Voilà enfin un homme qui ne s'adresse pas à Jésus pour lui demander une guérison, un miracle, un bien matériel et périssable. Très souvent, nos prières de demande ne dépassent pas ce niveau-là ; elles concernent la satisfaction de nos besoins immédiats. La question de cet homme est beaucoup plus fondamentale, plus essentielle ; elle n'exprime pas un besoin, mais un désir, le désir le plus profond que Dieu a mis dans le coeur humain : le désir du bonheur, d'une vie pleine, sur laquelle la mort n'aura plus aucun pouvoir. « Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? »

Oui, voilà la vraie, la seule question qui compte réellement. Cependant, cette question, telle qu'elle est formulée ici, dans les termes employés par cet homme, ne sonne pas tout à fait juste, me semble-t-il. Pourquoi ? Parce que, comme dit la vieille sagesse paysanne, elle met la charrue avant les boeufs. Elle mise sur le faire : « Que dois-je faire ? » Ainsi, la vie éternelle est réduite à une sorte de récompense, de salaire pour un travail accompli ; elle n'est plus située dans le cadre d'une relation personnelle avec Dieu.

Dans sa réponse, Jésus, avec une admirable pédagogie, réoriente le dialogue vers son but véritable. Tout d'abord, il précise que Dieu seul est bon. Le Père, source de tout bien, a donné aux hommes la Loi, c'est-à-dire, non des prescriptions juridiques, mais des commandements de bonté qui enseignent l'art de bien vivre, de mener une vie belle et bonne. Jésus les énumère. Remarquons comment il choisit, parmi eux, ceux qui expriment et qui construisent la relation juste de l'homme avec les autres : « Ne commets pas de meurtre, ne commets pas d'adultère, ne commets pas de vol, ne porte pas de faux témoignage, ne fais de tort à personne. » Non des préceptes, mais des indications qui permettent d'avoir une relation harmonieuse, droite, avec le prochain et avec la création.

L'homme déclare qu'il a observé ces commandements depuis sa jeunesse. Alors Jésus comprend qu'il peut aller plus loin. Soudain, d'une façon saisissante, l'évangéliste Marc change de langage. Dans une phrase extraordinaire, si courte et cependant si dense, il juxtapose deux verbes grecs, sµ(3X yuç rlyâitr!acv, qu'on a paraphrasés ainsi dans la traduction : « Jésus posa son regard sur lui et il l'aima. » Jésus adresse à cet homme un regard plein d'admiration, et même d'affection, de tendresse. On n'est plus, ici, dans le registre du faire, mais dans celui de la relation ; non dans le registre des commandements, si bons soient-ils, mais dans celui du regard, un regard d'amour qui cherche une réponse d'amour. Jésus voit en cet homme le candidat idéal pour son cercle de disciples, il cherche à le gagner pour faire de lui un ouvrier du Royaume et un apôtre. Aussi s'enhardit-il à lui proposer quelque chose de plus. Il ne l'exige pas, il le propose seulement : « Si tu veux. » Tel est le langage de l'amour. Et ce qu'il propose s'achève par ces mots : « Viens, suis-moi. »

Moment grave, décisif. Tant de choses auraient pu naître de ce regard d'amour posé sur un homme qui cherchait avec droiture et ferveur l'orientation à donner à sa vie. Pourquoi n'accueille-t-il pas l'appel de Jésus ? Probablement parce qu'il n'a pas perçu le regard d'amour de celui-ci. Sa richesse s'est interposée entre lui et Jésus, elle a fait écran, elle a brouillé sa vue. Ou peut-être oui, l'homme, a été touché, transpercé par le regard d'amour de Jésus, mais il n'a pas osé franchir le pas, faire ce saut que Pierre et les autres disciples ont accompli, et il s'est éloigné tout triste. Il n'a pas voulu prendre le bon chemin pour satisfaire ce désir de plénitude qui était à l'origine de sa question. Il a préféré la sécurité matérielle, palpable, de ses richesses à la confiance en Jésus qui lui promettait le centuple. Quel dommage !

Amour donné, mais resté sans réponse. Non un commandement, non un précepte, mais une relation, offerte et ratée. D'où la parole désabusée de Jésus : « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d'entrer dans le royaume de Dieu ! » Non une condamnation, mais la constatation d'un risque inhérent à la possession des biens matériels : ceux-ci peuvent occuper entièrement le coeur et prendre la place de Dieu. Pourtant, je ne veux pas vous laisser sur ce constat d'échec. J'aime croire que ce riche, à l'avenir, reviendra sur sa décision, qui l'a plongé dans la tristesse, et cherchera une nouvelle occasion. Que de fois les hommes ratent le train du bonheur, mais ensuite Dieu se représente pour un nouveau rendez-vous en offrant une nouvelle chance !

Amen