Homélie - Corps et sang du Christ — Abbaye de Tamié

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Abbaye de Tamié
Navigation

Homélie - Corps et sang du Christ

Par Frère Raffaële
logo tamié

Homélie pour la fête-Dieu
Le Corps et le Sang du Christ


Cette fête n'est pas comme les autres, ce n'est pas la fête de la grandeur de Dieu, c'est la Fête-Dieu, fête de la petitesse de Dieu, la fête de la grandeur de l'homme.
Aujourd'hui, Dieu est tombé à rien : une miette dans la bouche, une goutte de sang roulant dans le sang de l'homme. Mais l'homme est aujourd'hui - cette immense créature remplie d'une faim et d'une soif qui n'ont trouvé aucun aliment dans les fruits et dans les sources de son pays - cette bouche qui aura éternellement besoin de boire et de manger dans le ciel, hors de son espace, hors de sa mesure, tant que le Dieu imprudent qui l'a créé telle - trop grande - n'a plus d'autre ressource, aujourd'hui, que de se jeter Lui-même en pâture à cette faim sans bornes". (Marie Noël, in : Notes intimes)
Célébrons dans la joie et l'action de grâce ce don de Lui-même, en cette fête du Corps livré et du Sang versé de Notre Seigneur Jésus Christ.


Homélie

       "Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour !" Cette demande du Notre Père que nous répétons si souvent exprime un besoin fondamental de notre vie : le besoin de nourriture, dont le pain est le symbole, "le pain qui fortifie de coeur de l'homme" comme dit le psaume 103. Sans ce pain quotidien, don de Dieu, fruit de la terre et du travail des hommes - et aussi des femmes bien sûr ! - notre corps dépérit, s'épuise et meurt.
       Pourtant, la première lecture tirée du Deutéronome nous disait : "L'homme ne vit pas seulement de pain." Car notre corps, même s'il est bien nourri, fût-ce avec du bon pain biologique, devra mourir un jour. Mais il y a en chacun de nous une autre vie, une vie divine, immortelle, une vie que les théologiens appellent la vie de la grâce, une vie qui a été ensemencée en nous par le baptême et qui se développe par la foi, l'espérance et la charité. Cette vie-là,  nous ne l'avons pas reçue de nos parents selon la chair, mais de l'Esprit Saint. C'est par cette vie que nous devenons, que nous somme vraiment enfants de Dieu.
       Or, cette vie divine de foi, d'espérance et de charité que le baptême a semée en nous, demande à grandir. Elle aussi a besoin d'être alimentée, sinon elle s'étiole et meurt. Vous connaissez les moyens qui nourrissent en nous cette vie divine : la prière, la Parole de Dieu, les sacrements, et surtout l'Eucharistie, le Corps livré et le Sang versé du Christ ; voilà ce qui nourrit en nous la vie divine. Oui, l'Eucharistie, le don inestimable de Dieu au monde, le pain vivant descendu du ciel pour rassasier notre faim et notre soif de vie et d'immortalité. Pain qui nous accompagne et nous réconforte dans notre pèlerinage terrestre, comme la manne accompagnait et nourrissait les Hébreux dans leur marche à travers le désert vers la Terre promise; Corps du Christ toujours offert, pour nous soutenir dans les épreuves et les tentations d'ici-bas. Mais aussi pain céleste, prémices et avant-goût de la vie éternelle ; "sacrement d'immortalité", l'appelait saint Clément d'Alexandrie, faisant écho à la parole de Jésus que nous avons entendue : "Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement". Promesse de résurrection même pour notre corps :"Comment pouvez-vous affirmer que notre corps ne ressuscitera pas, s'écriait au IIème siècle saint Irénée de Lyon, notre corps qui a été nourri par le Corps et le Sang du Christ ?".
Pain vivant et vivifiant, pain de l'Amour, pétri de toute la souffrance du Christ moulu sur le bois de la Croix : corps livré et sang versé pour nous et pour la multitude en rémission des péchés. Dans toutes les religions, et encore dans l'Ancien Testament, Dieu demandait des sacrifices, des holocaustes, des oblations : le sacrifice consistait dans la destruction de quelque chose en l'honneur du divin. Dans notre religion, à nous, chrétiens, il se produit un renversement inouï : Dieu ne nous demande plus de lui offrir quelques chose en la détruisant, mais c'est lui-même qui se détruit, qui s'anéantit, comme dit saint Paul, qui se consume pour se donner en nourriture. Notre participation à la vie divine se réalise par ce geste de manger : le geste qui entretient la vie. " Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c'est ma chair donnée pour que le monde ait la vie".
       Un des plus grands parmi nos Pères cisterciens, les moines qui furent à l'origine de notre Ordre au XIIème siècle, Guillaume de St-Thierry, a écrit des pages admirables sur l'Eucharistie, le "Sacrement de l'autel". Je vous en offre un petit échantillon qui, à mon sens, constitue un des plus beaux commentaires jamais écrits sur cette parole de Jésus : "Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi je demeure en lui". Guillaume compare l'eucharistie à un baiser, un baiser d'amour. Dans ses Oraisons méditatives, il évoque l'échange des souffles qui a lieu, comme dans le baiser humain, lorsque nous mangeons et buvons le Corps et le Sang du Seigneur. L'Eucharistie constitue comme un baiser du Christ qui nous insuffle son merveilleux Esprit. Le Christ alors dilate la bouche de nos âmes : "Alors, Seigneur, écrit Guillaume, l'âme qui te désire, goûtant et voyant ta douceur dans le sacrement grand et incompréhensible, devient ce qu'elle mange, os de tes os et chair de ta chair, ainsi l'Esprit Saint ici-bas opère en nous par grâce ce qui dans le Père et Toi, son Fils, est de tout éternité par nature ; ainsi, de même que vous, vous êtes un, de même nous aussi, en vous, nous sommes un." Le sacrement de l'autel est ce don de l'amour du Sauveur qui nous fait participer à l'éternel échange d'amour du Père et du Fils, dans l'unique Esprit qui les unit.
       Frères et soeurs, approchons-nous de la table que l'amour du Père a préparée pour nous et pour tous les hommes. Table pascale où le Christ se fait nourriture offerte à tous pour la vie éternelle, sacrement de l'humilité de Dieu qui se cache sous les apparences les plus ordinaires et les plus quotidiennes de notre existence humaine, le pain, le vin, pour en faire le moyen de notre divinisation : Mysterium fidei, il est grand le mystère de la foi !