Homélie - TO 4 — Abbaye de Tamié

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Homélie - TO 4

Par Frère Raffaële
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Homélie pour le 4ème dimanche
du temps ordinaire - A

So 2,3 - 3, 13 - 1 Co 1, 26-31 - Mt 5, 1-12

Heureux ! déclare le Christ.

Qui sont les sots qui ont dit - et qui disent toujours - que le christianisme est une religion triste, chagrine, étouffante ? Je me demande s’ils ont jamais lu l’Évangile ! Reconnaissons cependant, à leur décharge, qu’ils ont peut-être été induits en erreur par certains chrétiens qui affichent toujours une figure d’enterrement. Ainsi le philosophe Nietzsche pouvait dire, à la fin du XIX° siècle : « Je n’aime pas les chrétiens, parce qu’ils n’ont pas l’air de gens sauvés ! » Quoi qu’il en soit, notre Seigneur est ici on ne peut plus formel : « Heureux ! » proclame-t-il ; pas seulement ici, d’ailleurs, mais en bien d’autres endroits de l’Évangile. Oui, le christianisme est la religion du bonheur. Mais de quel bonheur s’agit-il ? Voilà la question.

Il faut bien reconnaître que le bonheur proclamé par Jésus est aux antipodes du bonheur que le monde fait miroiter devant nos yeux. Quelle est la différence fondamentale entre le bonheur énoncé par Jésus et celui prôné par le monde et par ses puissants médias ? La différence consiste surtout en ceci, me semble-t-il : le bonheur proposé par Jésus concerne l’être : Heureux êtes-vous, dit Jésus ; tandis que le bonheur du monde concerne l’avoir et le paraître. Rien d’étonnant à cela, car lorsque l’homme n’a plus une vie intérieure profonde ni aucune consistance spirituelle, que lui reste-t-il d’autres, sinon de chercher son bonheur dans l’avoir, l’accumulation des biens matériels et dans le paraître, l’ostentation de soi-même et de ce qu’il possède ? Piètre bonheur, qui trouve ses raisons, non en lui-même, mais dans les choses et dans les regards éberlués des gens qui les admirent bouche-bée.

Face à ce bonheur extérieur et illusoire, le Christ nous invite à retrouver le chemin de notre coeur, de notre être profond. « Heureux les pauvres de cœur ! Heureux les cœurs purs ! » Avouons cependant que le bonheur des Béatitudes de Jésus a un caractère paradoxal et même choquant, à première vue.

Prenons-en une seulement peut-être la plus paradoxale de toutes pour illustrer de façon frappante ce que je viens de dire : « Heureux ceux qui pleurent ! » Mais de quel drôle de bonheur s’agit-il ? Or il me semble que dans les Béatitudes le mot « Heureux ! » comporte deux dimensions, il vise à la fois le présent et l’avenir, bien que de façons différentes dans chaque Béatitude. En ce qui concerne la Béatitude de ceux qui pleurent, l’aspect présent consiste dans le fait qu’une proximité particulière de Dieu et de son Royaume est annoncée à cette catégorie de personnes. Dieu est particulièrement proche dans l’espace de la souffrance et de l’affliction. Là où un être humain souffre et se lamente, le cœur de Dieu est ému et touché d’une manière particulière. « Dieu prête l’oreille à la clameur des malheureux » dit le livre de l’Exode (Ex 3, 7). Cette présence de l’aide divine, incluse dans le mot ‘Heureux’ contient aussi un futur : la présence encore cachée de Dieu sera un jour manifeste. C’est ainsi que cette Béatitude nous annonce : « N’ayez pas peur dans les tribulations, Dieu maintenant est à votre côté et il sera votre grande consolation ! »

Frères et soeurs, je crois que nous lisons spontanément les Béatitudes et tout le Sermon sur la montagne qui les suit comme une sorte de charte de la morale chrétienne. Du coup celle-ci nous apparaît comme impraticable, déconnectée de la réalité, du fait de ses exigences héroïques. En revanche, tout change si nous lisons le Sermon sur la montagne à la lumière de la vie de Jésus, comme faisaient les Pères de l’Église. C’est Jésus qui est le vrai sujet de ce Sermon. C’est lui qui est le vrai pauvre de cœur, le doux, le miséricordieux, le persécuté pour la justice. Toutes les paroles du Sermon sur la montagne prennent chair et sang dans la vie du Christ. Voilà la clef qui nous ouvre le sens profond du Sermon : ce n’est pas un code de comportement, mais un appel à suivre Jésus Christ.

Par nos propres forces, par notre propre sagesse, nous ne pouvons pas pratiquer une morale si exigeante. Nous ne le pouvons pas, et pourtant nous pouvons suivre Jésus, nous attacher à lui, devenir siens. Si nous lui appartenons, comme les membres de son corps, alors son Esprit aussi nous est donné, et nous pouvons produire les fruits de l’Esprit que saint Paul énumère dans la lettre aux Galates : « Amour, patience, bonté, bienveillance, douceur » (Ga 5, 23). Ce qui nous paraissait impossible, trop ardu pour nous, devient possible dans la communion avec Jésus, dans l’amitié avec lui, dans la confiance en lui. En communion avec Jésus, cette parole exigeante devient une possibilité aussi pour notre vie.

Frères et soeurs, je termine par un petit conseil. Je crois qu’en général on ne trouve pas les huit Béatitudes toutes réunies de la même façon dans une même personne. En revanche, chacun de nous peut découvrir en lui-même une affinité particulière avec l’une ou l’autre d’entre elles. Alors, qu’il la choisisse comme sa Béatitude à lui, comme une parole que Jésus lui a tout spécialement adressée et qu’il s’efforce de la mettre en pratique. Ce n’est déjà pas si mal !