Homélie - TO 27 — Abbaye de Tamié

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Homélie - TO 27

Par Frère Raffaële
croix - arcabas
Homélie pour le 27ème dimanche
du temps ordinaire - C
(Luc 17, 5-10)

- Frères et sœurs, je ne puis m'empêcher de commencer cette homélie par un regret. Je trouve que la traduction « serviteurs quelconques », à la fin de l'évangile que nous avons entendu, est tout simplement déplorable. Tout d'abord, elle est infidèle au texte original, parce que le mot grec ne signifie pas « quelconques », mais « inutiles ». Deuxièmement, elle est théologiquement fausse, parce que le mot « quelconque » comporte, en français, une nuance de condescendance hautaine, voire de mépris, comme si Dieu nous regardait de très haut, avec un mélange de suffisance et de commisération. Or, dans le prophète Isaïe, Dieu nous dit exactement le contraire : « Tu comptes beaucoup à mes yeux, tu as du prix et moi, je t'aime. » (43, 4). En revanche, la traduction « inutiles » est, non seulement plus exacte, mais aussi plus riche de sens et plus juste théologiquement. Le mot « inutile » évoque la gratuité. Les fleurs sont inutiles, les couleurs du ciel au couchant sont inutiles, l'art est inutile, la contemplation est inutile... Mais que serait-il notre monde, sans les fleurs, sans les splendeurs du couchant, sans l'art, sans la contemplation ? La mort du Christ en croix, elle aussi, est inutile, si l'on reste sur un plan purement humain : « Serviteur inutile, / les yeux clos désormais, / le Fils de l'homme a terminé son oeuvre ... » chante une très belle hymne pour le Vendredi Saint.

C'est là tout le paradoxe, tout le mystère de Dieu. Dieu n'a pas besoin de notre collaboration pour sauver le monde. Il aurait pu sauver le monde tombé dans le péché par un simple geste de sa toute-puissance souveraine. Et pourtant, il a voulu avoir besoin de nous pour réaliser son plan de salut. Il a voulu avoir besoin du « oui » libre de Marie pour s'incarner. Il à voulu que Jésus, le Verbe devenu homme, accepte la croix par le libre assentiment de sa volonté humaine. Comme le dit avec une grande profondeur S. Thomas d'Aquin, Dieu a estimé que permettre à l'homme de collaborer à son propre salut c'était l'honorer davantage. L'homme doit pouvoir mériter le bonheur éternel, c'est-à-dire en être non seulement le bénéficiaire passif, mais aussi, de quelque manière, l'artisan actif. Il est bien plus digne de Dieu de créer des collaborateurs actifs de sa grâce que des assistés. « C'est là la manière la plus noble d'imiter Dieu, écrit S. Thomas. Aussi Denys dit-il que 'le plus divin de tout est de devenir coopérateur de Dieu'. » (De veritate, qu 9, art 2)

Serviteurs inutiles donc, et pourtant indispensables pour que le Règne de Dieu advienne sur la terre. St Ignace de Loyola affirmait : il faut tout faire comme si tout dépendait de nous, et cependant tout remettre entre les mains de Dieu. C'est pourquoi la prière est nécessaire. «Endehors de moi, vous ne pouvez rien faire », disait le Christ à ses Apôtres (Jn 15, 5). C'est vrai aussi en ce qui concerne la foi. Elle est un don de Dieu, bien sûr. D'où la demande des Apôtres à Jésus au début de cet évangile : « Augmente en nous la foi ». Mais Jésus leur répond que le peu de foi qu'ils ont suffit largement pour que Dieu fasse ses miracles à travers elle : « La foi, si vous en aviez gros comme une graine de moutarde, vous diriez au grand arbre que voici : "Déracine-toi et va te planter dans la mer" ; il vous obéirait. » C'est qu'il n'y a pas de commune mesure entre les plus petites graines qui sont ici-bas, et l'arbre imposant qui germe et se développe à partir d'elles. Telle est la loi du Royaume : il n'y a jamais de commune mesure entre le peu que l'homme vient y semer et la merveille que Dieu réalise à travers lui. La graine de moutarde est minuscule, mais l'arbre qu'elle produit est géant. Notre foi a beau être petite et défaillante ; Dieu accomplit quand même ses miracles à travers elle. Mais Dieu ne fera rien sans ce peu de foi que nous pouvons lui offrir.

Aussi serions-nous biens sots de tirer orgueil de nos oeuvres car, par la foi, nos oeuvres ne sont plus les nôtres, mais celles de Dieu agissant en nous et par nous. Lorsque Dieu couronne nos mérites, il couronne ses propres dons. Oui, nous sommes des serviteurs inutiles. Et pourtant, notre foi permet à Dieu de féconder cette inutilité foncière et de donner du fruit aux arbres naturellement stériles que nous sommes. «Ne t'ai-je pas dit que, si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ? », déclare Jésus à Marthe, éplorée devant le tombeau de son frère Lazare (Jn 11, 40).

Alors, offrons au Seigneur notre foi, si petite et si chétive soit-elle, et nous verrons sa puissance se déployer dans notre faiblesse.