Homélie - Ascension — Abbaye de Tamié

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Homélie - Ascension

Par dom Victor
croix - arcabas
Ascension du Seigneur

Homélie

         Pâques, Ascension et Pentecôte ne font qu’un. C’est la pleine réalisation du projet unique de Dieu qui, en créant le monde voulait faire partager aux hommes la plénitude de son amour. Créé libre, l’homme peut accueillir ce projet ou le refuser car jamais l’amour ne s’impose. Si certains comme Marie et tous les justes l’ont accueilli dans la foi, beaucoup l’ont refusé et ce refus est allé jusqu’à mettre à mort Jésus. Mais l’amour infini de Dieu se montre plus fort que nos refus et il s’offre toujours à nous. En ressuscitant Jésus, Dieu nous donne définitivement accès à sa Vie. Vivant pour toujours, Jésus demeure mystérieusement présent à notre monde. Par le don de son Esprit, il fait de nous son Corps. Nous vivons de son Esprit et en lui nous devenons fils bien-aimés du Père. Oui, ce mystère est grand. Chaque Eucharistie nous le rappelle et nous le fait vivre dans sa totalité.  

         Je voudrais ce matin, à partir de la Parole de Dieu que nous avons entendue, contempler ce mystère de l’Ascension de Jésus sous deux aspects : celui de sa Présence dans notre vie et celui de l’Espérance qui en découle. Toutes les apparitions de Jésus après la résurrection confirment cette présence à la fois réelle et tout autre, qui ne se laisse saisir que dans la foi. Saint Luc nous dit avec insistance : c’est à eux qu’il s’est montré vivant après sa Passion ; il leur a donné bien des preuves jusqu’au jour où il fut enlevé au ciel après avoir, dans l’Esprit Saint, donné ses instructions à ceux qu’il avait choisis. Et l’évangile selon s. Matthieu que je viens de proclamer se termine sur ces paroles réconfortantes : Et moi je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde.

         Mystère de présence, l’Ascension est aussi un mystère d’espérance. Les textes liturgiques de cette fête le rappellent sans cesse, ainsi la prière d’entrée : Dieu, notre Père, l’Ascension de ton Fils est déjà notre victoire, nous sommes les membres de son corps, il nous a précédés dans la gloire auprès de toi, et c’est là que nous vivons en espérance. Le chrétien est un homme porté par cette espérance qui donne sens à notre vie. En quoi consiste cette espérance ? Elle est cette certitude et ce désir de vivre avec le Christ pour toujours. Même dans la souffrance et l’épreuve de l’abandon qu’a connu Jésus crucifié quand il criait avec le psalmiste : mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Ce cri  exprimait à la fois un désespoir et une confiance infinie : mon Dieu ! Il nous révèle la présence mystérieuse et cachée de Dieu son Père qui le soutient comme il soutient notre espérance dans les moments les plus tragiques. 

         Vivre une telle espérance ne signifie pas demeurer inactifs, les yeux tournés vers le ciel. Comme les disciples, nous sommes renvoyés à notre Galilée pour vivre cette présence du Christ dans nos activités et transmettre aux autres cette lumière de l’espérance qui seule peut orienter l’histoire des hommes vers son vrai but. Quand nous voyons les possibilités inouïes de la science aujourd’hui en bioéthique, en informatique, en nanotechnologie, il y a de quoi s’émerveiller mais il y a aussi de quoi trembler. L’homme d’aujourd’hui n’est-il pas en train de vouloir construire une nouvelle tour de Babel pour atteindre le ciel et en déloger Dieu ? On peut désormais se passer de Dieu, affirment certains scientifiques. Aussi, ce récit de la tour de Babel me paraît très parlant aujourd’hui encore. L’auteur biblique n’a pas craint pas de reprendre là un mythe babylonien. Un mythe n’a pas pour but de décrire un évènement. Il cherche plutôt à traduire de façon poétique une intuition profonde qui rejoint en nous des questions fondamentales telles que : d’où vient l’homme, pourquoi la mort, pourquoi l’amour entre l’homme et la femme, pourquoi l’homme cherche-t-il à se surpasser afin d’égaler Dieu et se passer de Dieu ? Le récit de Babel retraduit d’une autre façon le récit du péché des origines. Et ces deux récits touchent aux racines mêmes du péché, ils laissent entrevoir qu’aller dans ce sens du refus de Dieu ne peut que se retourner contre l’homme et détruire l’unité du genre humain. Dieu avait béni Adam et Êve, le péché met en doute cette bénédiction qui leur apparait comme une dépendance. Au chapitre 10 de la Genèse, Dieu renouvelle sa bénédiction pour Noé et ses fils et, à partir d’eux, se fait la répartition des hommes sur la terre, chacun selon sa langue et sa nation, comme un fruit de cette bénédiction. Or, le chapitre 11 nous expose cette tentation d’orgueil collectif pour construire une ville avec une tour qui touche le ciel. La fin du récit nous dit que les hommes cessèrent de se comprendre et se dispersèrent. Mais, sitôt après, Dieu appelle Abraham, à Ur en Babylonie, et lui promet une bénédiction qui, à partir de lui, s’étendra à toutes les familles de la terre. A Pentecôte la diversité des langues et des cultures redevient le fruit de la bénédiction divine grâce au don de l’Esprit. Nous nous trouvons aujourd’hui devant un choix de civilisation : ou bien nous acceptons de mettre le progrès de notre humanité sous la bénédiction du Christ qui s’élève au ciel en bénissant ses disciples et développer ainsi notre terre dans l’attente de son retour ou bien nous mettons le progrès humain sous le joug du péché de toute puissance qui conduit à la destruction de l’homme et de l’unité entre les hommes. Saint Paul s’adressant aux chrétiens d’EÉphèse leur disait, c’était la seconde lecture : Dieu a établi le Christ au-dessus de toutes les puissances et de tous les êtres qui nous dominent, quel que soit leur nom, aussi bien dans le monde présent que dans le monde à venir. Il lui a tout soumis et, le plaçant plus haut que tout, il a fait de lui la tête de l’Eglise qui est son corps, et l’Eglise est l’accomplissement total du Christ, lui que Dieu comble de toute sa plénitude. Acceptons-nous ce langage, ce sens voulu par Dieu pour l’histoire humaine ? Voulons-nous conduire notre humanité vers son accomplissement total dans le Christ ou allons-nous entraîner toute la création avec nous dans le péché de suffisance et de toute-puissance qui conduit à la destruction et à la mort ? Par l’écoute de la Parole de Dieu et par les sacrements, déjà se construit cette humanité totale du Christ, dans laquelle tous les hommes sont appelés à devenir des fils pour le Père dans la communion de l’Esprit-Saint. Telle est l’espérance que nous donne le Christ et dans son Ascension il nous entraîne avec lui vers le Père. L’eucharistie évoque pour nous le repas pris avec les disciples d’Emmaüs. Quand Jésus se fut mis à table avec eux, il prit le pain, prononça la bénédiction, le rompit et le leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent, puis il leur devint invisible. Au jour de l’Ascension, après la bénédiction, Jésus leur devint également invisible mais leur cœur demeurait brûlant d’avoir compris les Écritures. Vivons nous aussi de cette présence cachée du Christ dans sa Parole et ses sacrements et nous deviendrons pour le monde des témoins d’espérance.