Homélie - TO 17 — Abbaye de Tamié

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Homélie - TO 17

Par Frère Patrice
cadran solaire de midi
17ème dimanche du temps ordinaire - B


1ère lecture : Multiplication des pains par Élisée (2R 4, 42-44)
Lecture du second livre des Rois
Il y avait alors une famine dans le pays. Sur la récolte nouvelle, quelqu'un offrit à Élisée, l'homme de Dieu, vingt pains d'orge et du grain frais dans un sac. Élisée dit alors : « Donne-le à tous ces gens pour qu'ils mangent. » Son serviteur répondit : « Comment donner cela à cent personnes ? » Élisée reprit : « Donne-le à tous ces gens pour qu'ils mangent, car ainsi parle le Seigneur : On mangera, et il en restera. » Alors, il les servit, ils mangèrent, et il en resta, selon la parole du Seigneur.

Psaume : 144, 10-11, 15-16, 17-18
R/ Tu ouvres la main : nous voici rassasiés
Que tes œuvres, Seigneur, te rendent grâce
et que tes fidèles te bénissent !
Ils diront la gloire de ton règne,
ils parleront de tes exploits.

Les yeux sur toi, tous, ils espèrent :
tu leur donnes la nourriture au temps voulu ;
tu ouvres ta main :
tu rassasies avec bonté tout ce qui vit.

Le Seigneur est juste en toutes ses voies,
fidèle en tout ce qu'il fait.
Il est proche de ceux qui l'invoquent,
de tous ceux qui l'invoquent en vérité.

2ème lecture : Un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême (Ep 4, 1-6)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Éphésiens
Frères, moi qui suis en prison à cause du Seigneur, je vous encourage à suivre fidèlement l'appel que vous avez reçu de Dieu : ayez beaucoup d'humilité, de douceur et de patience, supportez-vous les uns les autres avec amour ; ayez à cœur de garder l'unité dans l'Esprit par le lien de la paix. Comme votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance, de même il n'y a qu'un seul Corps et un seul Esprit. Il n'y a qu'un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui règne au-dessus de tous, par tous, et en tous.

EÉvangile : La multiplication des pains (Jn 6, 1-15)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Un grand prophète s'est levé parmi nous : Dieu a visité son peuple. Alléluia. (Lc 7, 16)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Jésus été passé de l'autre côté du lac de Tibériade (appelé aussi mer de Galilée).
Une grande foule le suivait, parce qu'elle avait vu les signes qu'il accomplissait en guérissant les malades.
Jésus gagna la montagne, et là, il s'assit avec ses disciples. C'était un peu avant la Pâque, qui est la grande fête des Juifs.
Jésus leva les yeux et vit qu'une foule nombreuse venait à lui. Il dit à Philippe : « Où pourrions-nous acheter du pain pour qu'ils aient à manger ? »
Il disait cela pour le mettre à l'épreuve, car lui-même savait bien ce qu'il allait faire.
Philippe lui répondit : « Le salaire de deux cents journées ne suffirait pas pour que chacun ait un petit morceau de pain. »
Un de ses disciples, André, le frère de Simon-Pierre, lui dit :
« Il y a là un jeune garçon qui a cinq pains d'orge et deux poissons, mais qu'est-ce que cela pour tant de monde ! »
Jésus dit : « Faites-les asseoir. » Il y avait beaucoup d'herbe à cet endroit. Ils s'assirent donc, au nombre d'environ cinq mille hommes.
Alors Jésus prit les pains, et, après avoir rendu grâce, les leur distribua ; il leur donna aussi du poisson, autant qu'ils en voulaient.
Quand ils eurent mangé à leur faim, il dit à ses disciples : « Ramassez les morceaux qui restent, pour que rien ne soit perdu. »
Ils les ramassèrent, et ils remplirent douze paniers avec les morceaux qui restaient des cinq pains d'orge après le repas.

À la vue du signe que Jésus avait accompli, les gens disaient : « C'est vraiment lui le grand Prophète, celui qui vient dans le monde. »
Mais Jésus savait qu'ils étaient sur le point de venir le prendre de force et faire de lui leur roi ; alors de nouveau il se retira, tout seul, dans la montagne.

Homélie
Aujourd’hui Jésus va se montrer tout à la fois seul tout donné à son Père« il se retira seul dans la montagne », tout à la fois tout donné à ses disciples « il s’assit avec ses disciples », et tout donné à la foule nombreuse qui le suit partout où il se déplace.
Ce n’est pas fréquent de voir ainsi dans le même passage ces trois aspects de Jésus : il veut vraiment comme le dit si bien St Paul « se faire tout à tous ».
On a beaucoup commenté cet évangile ; certains insistant sur le fait que la foule avait vraiment faim ; d’autres disant qu’elle ne demandait rien de ce type. Cela ne nous intéresse pas du tout. L’essentiel est là : une foule nombreuse à qui Jésus va parler et donner de quoi manger. St Jean aborde ce long chapitre sur le pain de vie ; nous y trouvons la préfiguration de l’Eucharistie que nous envisagerons sous trois angles de vue.
Le premier point qui me paraît essentiel c’est que Jésus veut donner à son geste un sens communautaire. Le rendez-vous que Jésus nous donne est un rendez-vous communautaire. La grande assemblée que nous formons ce matin en est d’ailleurs le signe ! Et un rendez-vous ouvert à tous. Jésus accueille et nourrit tous ceux qui sont venus à lui : il leur multiplie le pain et il le propose à tous…et personne ne nous dit qu’on a refusé ce pain ou ces poissons. C’est vraiment le souhait de Jésus : que le plus grand nombre des hommes puissent avoir accès à l’eucharistie c'est-à-dire à la vie de Dieu; comme il souhaite que tous trouvent leur place dans l’Eglise. L’eucharistie doit dilater notre cœur à la dimension du monde : on ne peut la saisir pour nous seuls…de même qu’à la fin de ce passage Jésus s’enfuira car les gens voulaient le garder pour eux : non Jésus est là pour tous. Pour tous : Jésus ne demande aucune condition à tous ceux qui sont venus et auxquels il partage le pain : s’ils sont venus c’est qu’ils se sentent appelés ; et cela quel que soit leur « état d’âme » : grands pêcheurs, curieux, entrainés par des amis, ou au contraire hommes et femmes attirés par la personne de Jésus et par son enseignement. Nous pouvons facilement nous reconnaître dans l’un ou l’autre de ces profils
Il y a un très beau et très vieux texte qu’on appelle la « Didaché », écrit au 1er siècle et qui résume bien cela :
« De même que ce pain rompu était dispersé sur les collines
et que, rassemblé, il est devenu un (seul tout),
qu'ainsi soit rassemblée ton Eglise des extrémités de la terre dans Ton Royaume.
Car à Toi sont la gloire et la puissance
par Jésus-Christ pour les siècles. "
L’eucharistie est ce qui nous rassemble, et quand un prêtre la célèbre seul, il le fait toujours pour la multitude.
Mais, et c’est le second point, vous remarquerez que toute cette « histoire » n’est pas comme un film muet ! Même si parfois les films muets peuvent obtenir la palme d’or. Non elle se déroule avec des paroles. Deux types de paroles.
Tout d’abord un enseignement. Dans le passage précédent Jésus avait longuement parlé avec les Juifs ; il leur avait enseigné ce qui l’unit à son Père. La foule l’avait d’ailleurs suivi non seulement en raison des miracles qu’il accomplissait, mais aussi en raison de son enseignement. Les lectures de la messe sont cet enseignement qui nous aide à rentrer dans le mystère qui va se vivre.
Mais à côté de l’enseignement, il y a le dialogue : Jésus ne fait jamais rien sans dialoguer avec ceux qui l’entourent. Jésus parle avec ses disciples comme dans le passage précédent notre évangile il avait longuement parlé avec les juifs. Et puis il prononce une bénédiction.
Cela me rappelle ce très beau passage des disciples d’Emmaüs. Jésus privilégie la parole avec ses disciples qu’il rejoint sur la route : il leur parle longuement avant de rompre le pain. L’importance de la relation personnelle avec Jésus de chacun des disciples, et donc de chacun de nous, pour mieux saisir ce qui se passe au moment de l’eucharistie. Qu’est-ce que je suis venu chercher ici ce matin en montant à Tamié ? L’importance aussi du dialogue avec eux avant de multiplier le pain. C’est là tout le dialogue qu’il entretient avec Philippe et André : non pas pour les mettre à l’épreuve, mais plutôt pour leur faire prendre part et conscience à la multiplication qu’il va opérer sous leurs yeux. Il n’y a pas d’opposition entre la parole et le « miracle » ; mais bien au contraire une compénétration. Nous sommes tout à la fois acteurs et participants.
Il devrait en être de même de la prédication…si tant est que le prédicateur est à la hauteur ! Un mystique du 15° siècle comparait le prédicateur à un boulanger qui produit avec un même froment diverses sortes de pain adaptés aux divers états de vie ; et qu’il distribue ainsi une alimentation spirituelle qui prépare à recevoir le vrai Pain de vie. Mais encore faut-il que son pain soit bon !
Enfin pour multiplier le pain, Jésus ne part pas de zéro. Il a besoin comme le diraient les banquiers lorsqu’ils font un prêt bancaire, d’un apport personnel ! Mais Dieu soit loué, il y a aussi ce nouveau type de crédit : le crédit coopératif destiné à aider ceux qui n’ont vraiment rien du tout. Ici c’est un jeune garçon qui a 5 pains et 2 poissons. St Jean insiste sur ce fait : il répétera 5 fois le mot pain et 2 fois le mot poisson dans ce passage, peut-être pour en souligner le nombre dérisoire par rapport au besoin réel. Dans la première lecture que nous avons entendue (2 Rois), le prophète Elie va demander à une veuve qui s’apprête à mourir de faim de lui donner le peu qu’elle a « une poignée de farine et un peu d’huile », à partir de quoi il fera un miracle: huile et farine ne manquèrent jamais. Dieu nous demande de donner notre indigence, Dieu nous demande de donner le peu que nous avons ; à partir de quoi il peut le multiplier. Dieu ne peut rien faire devant un homme comblé et qui estime n’avoir besoin de rien. Toute cette foule qui était là était totalement détachée ; elle ne s’était même pas souciée d’apporter de quoi manger ; elle n’attendait rien de spécial sur ce plan là. Alors Jésus peut la combler. Dieu veut donner et donner gratuitement ; et à ce moment là il comble les hommes. « A celui qui a soif je donnerai de la source de l’eau de la vie gratuitement » (Apocalypse 21 :6). Et c’est peut-être pour cela que dans notre passage de St Jean il est dit que c’est Jésus lui-même qui distribue le pain et les poissons, au contraire des autres évangélistes où ce sont les disciples qui font la distribution. Dieu veut marquer par là qu’il privilégie le pauvre, celui qui n’a rien, et pour qui il va opérer un miracle. Dieu donne, mais savons-nous lui dire notre faim, notre manque et notre désir ?