Homélie - TO 20 — Abbaye de Tamié

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Homélie - TO 20

Par Frère Patrice
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Homélie pour le 20ème dimanche du temps ordinaire


Évangile de Jésus Christ selon saint Jean (6, 51-58)
Jésus disait à la foule : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c'est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie. »
Les Juifs discutaient entre eux : « Comment cet homme-là peut-il nous donner sa chair à manger ? »
Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l'homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n'aurez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi je demeure en lui. De même que le Père, qui est vivant, m'a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même aussi celui qui me mangera vivra par moi. Tel est le pain qui descend du ciel : il n'est pas comme celui que vos pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »

Homélie
Boileau (un poète du 17° siècle) avait cette sentence « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire nous viennent aisément ». Et bien le texte d’évangile que nous venons de lire a bien du mal à coller à cette sentence, tellement il est dense, difficile à comprendre foncièrement, et encore plus à expliquer. Mais il faut bien nous lancer dans cette entreprise périlleuse, sans tomber dans un langage typiquement religieux qui de ce fait ne peut être compris de tous ; du moins je le crois. Car tout passage d e l’évangile est porteur d’un message qui nous est destiné.
Et on comprend aussi pourquoi tant de gens, après avoir entendu ces paroles, ont cessé de suivre Jésus !
Que faire ?
En fait nous touchons ici au paradoxe de la foi : ces paroles sont humainement incompréhensibles, et portant elles sont destinées à nous faire vivre ! Il nous faut alors faire comme les apôtres : vivre de ces paroles, les laisser nous nourrir et pénétrer, sans prétendre les expliquer totalement.
Le mot qui revient le plus souvent dans ce texte est celui de « vie », avec aussi celui de « manger ». C’est autour de cela que tout se joue.
J’ai lu, à petite dose, un splendide petit livre écrit par une juive hongroise déportée à Auschwitz à l’âge de 16 ans ; et qui n’a osé et pu écrire ces lignes que 55 ans après. Son titre est « quatre petits bouts de pain ». Vous savez que la faim tenaillait tous ces déportés ; et ce thème est en filigrane dans tout le livre ; comme il l’est dans tout l’évangileDeux scènes vont nous permettre de réfléchir.
La première se passe dans le wagon à bestiaux qui les conduit à Auschwitz. Elle regard avec envie un morceau de saucisson qu’une personne mettait dans sa bouche ; laquelle s’en aperçoit et lui en donne une tranche qu’elle partage aussitôt avec sa mère et sa jeune sœur. Elle nous dit « pour la joie d’avoir goûté à ce geste gratuit, cela valait la peine de vivre ». Mais ce « pain là », cette nourriture n’a duré qu’un instant. Et pourtant elle note « pour avoir goûté à ce geste gratuit, cela valait la peine de vivre ». L’eucharistie, le don gratuit entre tous, savons-nous le goûter, pour qu’il nous donne envie de vivre la vie qu’il nous apporte et de la partager avec les autres?
La deuxième scène va plus loin que la première, qui (inconsciemment) l’avait pourtant préparée. Une mourante lui fait signe et, ouvrant sa main qui contenait quatre petits bouts de pain moisis (un vrai trésor dans ce camp) lui dit «Prends, tu es jeune, tu dois vivre pour témoigner de ce qui se passe ici ». Savons-nous témoigner de ce qi se passe au fond de notre cœur quand nous recevons l’eucharistie ; ce tout petit morceau de pain qui contient le Tout-Puissant ?
A chacune de ces scènes revient le mot « vivre » ; et dans notre passage d’évangile il revient 9 fois. Presque autant que le verbe « manger »qui revient 8 fois.
Alors comment expliquer ces paroles de Jésus…que même son entourage ne comprenait pas, c’est le moins qu’on puisse dire ? Je m’engage dans un chemin périlleux où seule la foi nous permet d’avancer.
La vie au jour le jour est tout à la fois dure mais belle ; et le pain que nous mangeons nous permet de tenir physiquement la route et d’en profiter. Mais la vie a un sens profond, elle a une direction, mais surtout elle a une source d’où tout découle. Comme le dit encore Magada HOLLANDER-LAFON « quand nous trouvons la Source, elle donne sens à notre vie ». Et pour nous chrétiens la Source se trouve dans l’eucharistie. Tout comme le pain est nécessaire à la vie, Jésus veut nous dire que l’eucharistie est nécessaire pour notre vie intérieure. Et tout comme nous mangeons chaque jour pour prendre les forces, nous pouvons (et devons ?) puiser chaque jour nos forces spirituelles dans l’eucharistie. Manger c’est assimiler ce don et en vivre. Comment ? Là je ne peux vraiment pas vous donner la réponse ; car à nouveau je vous le dis c’est un pur acte de foi. L’eucharistie nous met sur le chemin de la vie éternelle ; elle nous met sur un chemin où les réalités quotidiennes prennent un tout autre sens. Car en un certain sens, je dirais que ce n’est pas notre corps qui mange, mais bien plutôt notre cœur. Elle nous met sur un chemin de la rencontre : la rencontre entre Dieu et nous, au fond de notre cœur et de notre être, la rencontre où nous sommes seuls en tête à tête, et où comme le dit St Augustin « ce n’est pas nous qui mangeons Dieu, c’est lui qui nous mange ». Comment ? Encore une fois je ne peux pas vous le dire ; mais je vous renvoie au très beau verset du psaume 33 « goûtez et voyez comme est bon le Seigneur ». Cela nous pose la question « qu’est-ce que je fais lorsque je reçois le corps et le sang du Christ ? » ; quel accueil je lui réserve sur le moment et après ?

Oui la vie intime, la vie spirituelle a besoin d’être nourrie pour pouvoir rendre plus vivante la relation entre Dieu et nous. Or c’est cette vie intérieure qui nous façonne, qui nous donne un visage, qui nous donne d’être ou de ne pas être relation avec nous-mêmes et avec les autres. Bref c’est elle qui peut donner un sens à notre vie.


Magda HOLLANDER-LAFON : « Quatre petits bouts de pain », Albin Michel 2012