Augustin commente 1 Jn S4 — Abbaye de Tamié

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Abbaye de Tamié
Navigation

Augustin commente 1 Jn S4

Par saint Augustin

Commentaire de saint Augustin
sur la 1ère lettre de saint Jean
Sermon 4
Sermons : 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 - 7 - 8 - 9 - 10

Depuis les paroles : « Elle est la vérité et non le mensonge », jusqu’à ces autres : « Et le Fils de Dieu est venu dans le monde pour détruire les oeuvres du Démon ». (1 Jn 2, 27-29 ; 3, 4-8)

La foi, source de la justice

Nous n'avons ni vu ni touché Notre-Seigneur ; mais ceux qui l'ont touché de leurs mains et vu de leurs yeux nous ont dit ce qu'il est, et, l'onction de l'Esprit-Saint aidant, nous avons cru ; et notre foi nous inspirant l'espérance des biens éternels, nous nous efforçons d'accomplir le bien, et, par là, nous devenons enfants de Dieu, parfaits comme Jésus Christ le juste est parfait, tandis que les méchants restent enfants du démon.

1. Vous vous en souvenez, mes frères, le sermon précédent s'est terminée à cette pensée, que vous n'avez besoin d'être instruits par personne, car l'onction divine vous enseigne tout. Voici donc, et je suis sûr que vous ne l'avez pas oublié, voici comment nous avons développé devant vous cette pensée : Nous nous adressons à vous extérieurement ; nos paroles frappent vos oreilles et en cela, nous ressemblons à des ouvriers qui donnent à un arbre la culture extérieure, mais qui ne peuvent ni lui donner l'accroissement, ni faire venir aucun fruit ; c'est en vain que se font entendre à vous nos discours si Celui qui vous a créés, rachetés et appelés, qui habite en vos âmes par la foi et par son Esprit, ne vous parle intérieurement. La preuve de ceci ? Beaucoup entendent ce qu'on leur dit mais tous n'en sont pas touchés ; il n'y a, pour s'y rendre, que ceux à qui Dieu parle intérieurement. Pour entendre sa voix, il nous faut lui laisser une place dans notre coeur ; et pour lui donner une place dans notre coeur, il n'en faut pas donner au démon. Car le diable veut établir sa demeure dans le coeur de l'homme pour lui dire intérieurement tout ce qui peut l'entraîner au mal. Mais que dit le Seigneur Jésus? « Le Prince de ce monde a été mis dehors (Jn 12, 31) ». De quel endroit a-t-il été chassé? Du ciel ? De la terre? De l'univers ? Non, mais du coeur des fidèles. Chassons de notre âme l'usurpateur ; que le Rédempteur y habite ; ce Rédempteur n'est autre que celui qui nous a créés. Au dehors, le démon nous attaque, mais il ne peut triompher de Celui à qui nous appartenons ; il nous attaque en nous suggérant toutes sortes de tentations, mais à ces épreuves résiste victorieusement celui qui entend au dedans de lui-même la voix de Dieu et les enseignements de cette onction dont nous vous avons parlé.
2. « Et, dit l'Apôtre, elle est la vérité », cette onction ; en d'autres termes, cet esprit de Dieu qui instruit les hommes, ne peut mentir. « Et non le mensonge : demeurez dans ce qu'elle vous a enseigné. Et maintenant, mes petits enfants, demeurez en lui, afin que lorsqu'il viendra à paraître, nous soyons pleins de confiance et qu'il ne nous confonde pas au jour de son avènement ». Remarquez-le, mes frères, nous croyons en Jésus que nous ne voyons pas : il nous a été annoncé par des hommes qui l'ont vu, qui l'ont touché de leurs mains, qui ont entendu les paroles tombées de ses lèvres, qui, enfin, ont reçu de lui la mission de les faire accepter à leurs semblables, mission qu'ils n'auraient jamais eu la hardiesse d'accomplir de leur chef. Où ont-ils été envoyés ? Vous l'avez appris par la lecture de l'Évangile : « Allez dans tout l'univers prêcher l'Évangile à toutes les créatures (Mc 16, 15) ». Les Apôtres ont donc été envoyés partout, des miracles et des prodiges sont venus confirmer leurs paroles et disposer les coeurs à les croire, car ils disaient ce qu'ils avaient vu. Nous croyons donc en Jésus que nous n'avons pas vu et nous attendons son second avènement. Quiconque l'attend dans le sentiment de la foi, se réjouira au moment de sa venue ; mais pour ceux qui ne croient pas en lui, ils seront accablés de confusion lorsqu'apparaîtra ce qu'ils ne voient pas aujourd'hui ; et leur confusion ne durera pas qu'un jour, elle ne passera pas, comme passe d'habitude la confusion de ceux qu'on surprend en délit et à qui on reproche leur faute. Elle les forcera à se rendre, tout honteux, à la gauche pour entendre cet arrêt : « Allez au feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges (Mt 25, 31) ». Demeurons donc dans ses paroles afin qu'il ne nous confonde pas au jour de son avènement. Car il dit dans l'Évangile à ceux qui avaient cru en lui : « Si vous demeurez dans ma parole, vous serez vraiment mes disciples ». Et comme s'ils disaient : Quel profit en retirerons-nous? il ajouta: « Et vous connaîtrez la vérité et la vérité vous affranchira (Jn 8, 31, 32) ». Aujourd'hui, notre salut n'est qu'en espérance, il n'est pas encore réalisé, car nous ne sommes pas encore entrés en possession de ce qu'il nous a promis, nous l'attendons dans l'avenir. Mais celui qui nous a donné sa parole est fidèle à ses promesses, il ne te trompera pas, seulement il ne faut pas perdre courage, attends donc avec confiance l'exécution de ses engagements. En effet, la vérité ne sait pas être trompeuse. Pour toi, ne sois pas menteur, parlant d'une manière et agissant de l'autre. Aie toujours la foi et Dieu n'oubliera pas ses promesses. Si tu perds la foi, c'est toi qui te trompes, ce n'est pas celui qui t'a engagé sa parole.
3. « Si vous savez qu'il est juste, sachez que tout homme qui vit de la justice, est né de lui ». Aujourd'hui, notre justice vient de la foi. La justice parfaite ne se trouve que dans les anges et si on les compare à Dieu, à peine se trouve-t-elle en eux. Si néanmoins les âmes et les esprits que Dieu a créés peuvent être doués de quelque justice, elle se voit dans les anges saints, justes, bons, que nulle chute n'a séparés de Dieu, qu'aucun sentiment d'orgueil n'entraîne dans l'abîme, mais qui continuent toujours à contempler le Verbe éternel et trouvent leur bonheur uniquement en celui qui les a créés. En eux se rencontre la justice parfaite, en nous elle puise son principe dans la foi par l'opération de l'Esprit. Lorsqu'on lisait le psaume, vous avez entendu ces paroles : « Commencez à louer Dieu par la confession (Ps 146, 7) ». « Commencez », dit le Psalmiste, la source de notre justice c'est l'aveu de nos fautes. Tu as commencé à ne pas défendre ton péché : tu as, par là même, commencé à devenir juste, ta justice arrivera à sa perfection quand tu ne ressentiras plus aucun attrait à commettre l'iniquité, quand la mort sera absorbée pour faire place à la victoire (Gn 3, 6), quand la concupiscence ne viendra plus te délecter, quand il n'y aura plus en toi de lutte contre la chair et le sang, quand tu remporteras la couronne de la gloire et que tu triompheras de l'ennemi, alors tu seras en possession de la justice parfaite. Maintenant, nous luttons encore, puisque nous luttons, nous sommes dans l'arène, nous portons des coups, on nous en porte, reste à savoir qui sera vainqueur. Celui-là remportera la victoire, qui pour frapper, attend sa force, non de lui-même, mais de la toute-puissance de Dieu. Le diable seul lutte avec nous ; pour nous, si nous sommes avec Dieu, nous triomphons du diable mais si tu es seul pour lutter avec lui, il te vaincra. C'est un ennemi exercé, que de palmes il a remportées ! Voyez où il nous a jetés, pour nous faire naître sujets à la mort, il a fait sortir du paradis nos premiers parents eux-mêmes. Que faire donc, puisqu'il est si habile à combattre? Invoquer l'assistance du Tout-Puissant contre cet esprit malin. Puisse habiter en toi Celui qu'on ne peut vaincre et tu triompheras en toute sécurité de celui qui triomphe d'habitude. Mais de qui triomphe-t-il ? De ceux en qui Dieu n'habite pas. Car, sachez-le, mes frères, dans le paradis où il avait été placé, Adam a méprisé les ordres de Dieu ; il a relevé la tête comme s'il voulait ne dépendre que de lui-même et ne pas se soumettre à la volonté de l'Eternel ; aussi a-t-il été privé de ses espérances immortelles, de sa bienheureuse destinée. Un homme, déjà exercé au combat, mais condamné à la mort par sa naissance, étendu sur un fumier, en proie à la pourriture et aux vers, a triomphé du diable, celui-ci a vaincu Adam, mais Adam l'a vaincu en la personne de Job, car Job était du nombre de ses descendants, vaincu au paradis, notre premier père a donc été vainqueur sur le fumier. Au paradis, il avait prêté l'oreille aux sollicitations pressantes d'une femme que le démon avait déjà séduite, sur le fumier, il dit à Ève : « Tu as parlé comme une femme insensée (Job 2, 10) ». Là, il prêta l'oreille, ici il fit une réponse: au séjour de la joie, il écouta ; au comble de l'épreuve, il remporta la victoire. Aussi, mes frères, voyez ce qui suit dans cette Épître ; elle nous y recommande vivement de triompher du démon, mais avec des forces qui ne soient pas les nôtres. « Si vous savez qu'il est juste, sachez que tout homme qui vit selon la justice est né de lui» de Dieu, du Christ. En disant : « Est né de lui», il nous donne un encouragement. Dès lors que nous sommes nés de lui, nous sommes donc parfaits.
4. Écoutez ceci : « Voilà quel amour le Père a eu pour nous, puisque nous sommes appelés enfants de Dieu et que nous le sommes en effet ». A ceux qui portent un nom sans être effectivement ce qu'il signifie, de quelle utilité peut être ce nom si la réalité ne s'y trouve pas? Combien de gens s'appellent médecins qui n'ont pas appris l'art de guérir ! Combien s'appellent gardiens, qui dorment toute la nuit ? Ainsi, beaucoup portent le nom de chrétiens qui sont loin de l'être en réalité, car ils ne sont ce que désigne leur nom, ni dans leur conduite, ni dans leurs moeurs, ni en fait de foi, d'espérance et de charité. Mais que venez-vous d'entendre, mes frères? « Voilà quel amour le Père a eu pour nous puisque nous sommes appelés enfants de Dieu et que nous le sommes en effet. C'est pourquoi le monde ne nous connaît pas parce qu'il ne connaît pas Dieu et qu'il ne nous connaît pas nous-mêmes ». Le monde entier est tout à la fois chrétien et impie, car par tout le monde il y a des impies et des gens de religion, mais ceux-ci ne sont pas connus de ceux-là. Comment pensons-nous que les méchants ne connaissent pas les bons? C'est qu'ils insultent ceux qui mènent une conduite vertueuse. Faites-y attention et remarquez qu'il y en a peut-être parmi vous. Si parmi vous il en est pour vivre chrétiennement, qui méprisent les choses de ce monde, qui ne veuillent ni aller au spectacle, ni s'enivrer pour ainsi dire solennellement, ni ce qui est plus grave encore, profaner les saints jours par un libertinage appuyé d'exemples venus de haut, s'il en est pour ne pas vouloir agir ainsi, comme ils seront insultés par tous ceux qui se rendent coupables de toutes ces prévarications ! Si de tels hommes étaient connus, les insulterait-on ? Pourquoi ne sont-ils pas connus ? C'est que le monde ne les connaît pas. Qui est le monde? Ceux qui l'habitent, comme les habitants d'une maison portent le nom de maison. Je vous ai souvent expliqué ceci et pour ne pas vous ennuyer, je ne veux pas y revenir. Comme vous attachez à ce nom de monde un sens défavorable, ne l'appliquez qu'à ceux qui l'aiment, il était juste de leur donner le nom de monde, puisqu'ainsi s'appelle ce qu'ils habitent et toutes leurs affections les y tiennent fixés. Le monde ne nous a pas connus, parce qu'il n'a pas connu Dieu. Notre Seigneur Jésus Christ lui-même s'y est montré, c'était Dieu incarné et caché sous les dehors de l'infirmité humaine. Pourquoi ne l'a-t-on pas connu? Parce qu'il blâmait tous les vices des hommes. Comme ils aimaient les plaisirs que procure le péché, ils méconnaissaient Dieu ; comme ils écoutaient volontiers les suggestions de la fièvre, ils insultaient leur médecin.
5. Qu'en est-il de nous? Déjà nous sommes nés de lui, mais parce que nous avons l'espérance : « Mes bien-aimés, dit l'Apôtre, nous sommes maintenant les enfants de Dieu ». Déjà maintenant? Si nous sommes déjà les enfants de Dieu, qu'attendons-nous donc? « Mais ce que nous serons un jour n'apparaît pas encore ». Serons-nous autre chose que les enfants de Dieu ? Écoutez ce qui suit : « Nous savons que, quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu'il est». Que votre charité comprenne, il s'agit d'une merveilleuse chose: « Nous savons que, quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu'il est ». Remarquez bien déjà ce que veut dire ce mot : «est», vous en savez la signification. Ce qu'on appelle « est » (non seulement on l'appelle ainsi, mais il est réellement tel) n'est sujet à aucun changement ; il demeure toujours, ne connaît aucune vicissitude, ne se corrompt en aucune de ses parties ; il ne s'améliore en rien, parce qu'il est parfait ; il ne se détériore pas, car il est éternel. Qu'est-ce donc que cela ? « Au commencement était le Verbe et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu (Jn 1, 1) ». Qu'est-ce encore que cela? « Lui qui, ayant la nature de Dieu, n'a pas cru que ce fût pour lui une usurpation de s'égaler à Dieu (Ph 2, 6) ». Les méchants ne peuvent voir le Christ sous cet aspect, c'est-à-dire comme ayant la nature de Dieu, comme Verbe de Dieu, comme Fils unique du Père, comme égal au Père, mais en tant qu'il est le Verbe fait chair, les méchants eux-mêmes pourront le voir, car c'est en cette qualité qu'il viendra juger, comme il est déjà venu ainsi pour être jugé. Homme par l'apparence, mais Dieu en réalité ; car « maudit l'homme qui se confie dans l'homme (Jr 17, 5) ». Il est venu comme homme pour être jugé ; il viendra comme homme pour exercer le jugement. Et si on ne le voyait pas alors, pourquoi ce passage de l'Écriture : « Ils verront quel est Celui qu'ils ont percé (Jn 19, 37) ? » C'est des impies qu'il est dit qu'ils verront et qu'ils seront confus. Comment les méchants pourraient-ils ne pas le voir quand il placera les uns à sa droite et les autres à sa gauche? A ceux qui se trouveront à la droite, il dira : « Venez, bénis de mon Père, entrez en possession de son royaume ». Et à ceux qui se trouveront à la gauche, il dira: « Allez au feu éternel (Mt 25, 31) ». Ils le verront, mais dans sa forme d'esclave, comme Dieu, ils ne le verront pas. Pourquoi? Parce qu'ils sont méchants et que le Sauveur lui-même a dit : «Bienheureux ceux qui ont le coeur pur car ils verront Dieu (Mt 5, 8) ». Nous aurons donc, mes frères, le privilège de contempler quelque chose, de voir ce que l'oeil de l'homme n'a pas vu, ce que son oreille n'a jamais entendu, ce que son cœur n'a jamais compris (1 Co 2, 9). Nous aurons une vision, nous contemplerons une beauté qui surpasse toutes les beautés de la terre, la beauté de l'or et de l'argent, la beauté des forêts et des campagnes, la beauté de la mer et des airs, la beauté du soleil et de la lune, la beauté des étoiles et celle des esprits angéliques, une beauté supérieure à toutes les autres, car toutes les autres lui empruntent leur éclat et leurs charmes.
6. Que serons-nous donc quand nous contemplerons cette admirable beauté? Que nous est-il promis? « Nous lui serons semblables parce que nous le verrons tel qu'il est». L'Apôtre a parlé comme il a pu, c'est à notre cœur d'imaginer le reste. Qu'est-ce que Jean lui-même a dit pour nous donner une idée de Celui qui est? Que pouvons-nous dire à notre tour à des hommes si éloignés d'égaler ses mérites? Revenons donc à l'onction divine, revenons à cette onction qui nous instruit intérieurement de ce que notre langue ne saurait exprimer et puisque maintenant vous ne pouvez voir, sachez du moins désirer de le faire. La vie tout entière d'un bon chrétien n'est qu'un saint désir continuel. Sans doute, ce que tu désires tu ne le vois pas ; désire-le néanmoins et par là tu te rendras capable d'être entièrement satisfait lorsque viendra le moment de le voir. Lorsque tu veux remplir un contenant quelconque et que tu sais grandes les dimensions de l'objet qu'on te donnera, tu élargis le sac ou l'outre ou tout autre contenant ; tu connais la grosseur de l'objet qui doit y entrer, tu vois que le contenant est petit, aussi l'élargis-tu pour le rendre plus apte à recevoir son contenu ; ainsi Dieu en différant de se donner à toi, dilate tes désirs, en les dilatant il élargit ton esprit, en l'élargissant il te rend plus capable de le posséder. Désirons donc, mes frères, puisque nous devons être rassasiés. Voyez comme Paul dilate son coeur, afin d'être à même d'y recevoir ce que Dieu doit lui donner. Voici ses paroles : « Non que j'aie déjà reçu ou que je sois arrivé à la perfection, mes frères, je ne pense pas avoir déjà saisi le prix ». Que faites-vous donc en cette vie si vous n'avez pas encore saisi le prix ? « Mais tout ce que je sais, c'est qu'oubliant ce « qui est derrière moi, et que m'étendant vers ce qui est devant moi, je souhaite ardemment saisir la palme à laquelle Dieu m’appelle du haut des cieux (Ph 3,13) ». A l'entendre, il s'est étendu, il a fait tous ses efforts de volonté possible pour saisir le prix. Il se sentait trop petit pour prendre ce que l'oeil de l'homme n'a pas vu, ce que son oreille n'a pas entendu, ce que son coeur n'a jamais compris. Notre vie d'ici-bas consiste donc à donner à notre âme les élans de continuels désirs. Autant nous sommes travaillés par le désir du ciel, autant notre cœur se débarrasse des désirs terrestres et se détache du monde. Nous avons déjà dit parfois : Vide ce que tu dois remplir. Vide le mal qui se trouve en ton coeur, puisque le bien doit le remplir. Par exemple, Dieu veut te remplir de miel, si tu es plein de vinaigre, où le mettras-tu ? Il faut d'abord débarrasser le vase de ce qu'il contient, puis le purifier et pour cela, se remuer, se fatiguer s'il le faut, ainsi deviendra-t-il propre au nouvel usage. Que nous prononcions des malédictions, que nous parlions d'or, que nous parlions de vin, quoi que nous disions de ce qu'on ne peut dire, quoi que nous voulions dire, nous en revenons toujours à prononcer le nom de Dieu, et parce que nous prononçons le nom de Dieu, que disons-nous? Ce mot désigne-t-im tout ce que nous attendons? Tout ce que nous avons pu nommer est au-dessous de Dieu ; étendons-nous vers lui, afin que, quand il viendra, il nous rassasie. « Nous lui serons  en effet semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est ».
7. « Et qui a cette espérance en lui ». Vous le voyez, d'après Jean nous ne sommes qu'à l'état d'espérance. Comme l'apôtre Paul est bien d'accord avec son collègue ! « Nous ne sommes sauvés qu'en espérance, or l'espérance qui verrait, ne serait plus de l'espérance, car comment espérer ce qu'on voit déjà? Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l'attendons par la patience (Rm 8, 24, 25)». La patience elle-même excite les désirs. Sois inébranlable, car Dieu est immuable. Continue à marcher, tu atteindras le but, le but vers lequel tu diriges tes pas ne changera pas de place. Voyez « Et quiconque a cette espérance se purifie comme Dieu lui-même est pur ». Remarquez-le Jean ne nous ôte pas notre libre-arbitre, puisqu'il dit: « Il se purifie ». Qui est-ce qui nous purifie, si ce n'est Dieu ? Mais Dieu ne te purifie pas malgré toi. Donc, par cela même que tu joins ta volonté à celle de Dieu, tu te purifies toi-même. Tu te purifies par un effet, non de ton pouvoir, mais de la puissance de celui qui est venu pour habiter en toi. Néanmoins, comme il y a ici un effet de ta propre volonté, tu as une part dans l'oeuvre de ta sanctification. Et cette part consiste pour toi à dire comme le Psalmiste : « Secoure-moi, ne m'abandonne pas (Ps 26 9) ». Dès lors que tu dis: « Secoure-moi », c'est que tu agis, car si tu ne fais rien, comment peut-il venir à ton secours.
8. « Quiconque se rend coupable de péché, et commet l'iniquité ». Que personne ne dise: Autre chose est le péché, autre chose l'iniquité. Que personne ne dise: Je suis un pécheur, mais je ne suis pas un homme inique: « Car tout homme qui se rend coupable de péché et commet l'iniquité ». « Le péché est l'iniquité ». Que dire de nos péchés et de nos iniquités ? Écoute les paroles de l'Apôtre : « Vous savez que Dieu s'est rendu visible pour se charger de nos péchés, et le péché n'est pas en lui ». Celui en qui le péché ne se trouve pas est venu se charger de nos péchés. Si le péché se trouvait en lui, au lieu de se charger de celui des autres, il devrait être déchargé de ses propres fautes. « Quiconque demeure en lui ne pèche pas ». Autant on demeure en lui, autant on est éloigné du péché. « Et quiconque pèche, ne l'a pas vu et ne le connaît pas ». Voici une grande difficulté: « Quiconque pèche, ne l'a pas vu et ne le connaît pas ». En cela, rien d'étonnant. Nous ne l'avons pas vu, mais nous le verrons ; nous ne le connaissons pas, mais nous le connaîtrons, nous croyons en celui que nous ne connaissons pas. Peut-être le connaissons-nous par la foi, tandis que nous ne le connaissons pas de vue? Mais nous l'avons vu et nous le connaissons de croyance, car si la foi ne nous le fait pas voir, comment peut-on dire que nous sommes éclairés? Il y a une illumination qui vient de la foi et une autre qui vient de la vue réelle. Maintenant, pendant le cours de notre pèlerinage, c'est la foi qui dirige notre marche et non la claire vue de Dieu (2 Co 5, 7). Notre justice a donc pour principe la foi, mais non pas la réelle vue de l'éternel. Elle sera parfaite, lorsque nous contemplerons Dieu à découvert. Pour le moment, n'abandonnons pas cette justice, qui est le résultat de la foi ; « car le juste vit de la foi (Rm 1, 17) », suivant cette parole de l'Apôtre: « Quiconque demeure en lui ne pèche pas ». En effet, « tout homme qui pèche ne l'a pas vu et ne le connaît pas ». Celui-là ne croit pas qui commet le péché, mais s'il croit, il ne pèche pas, autant, du moins, que cela dépend de sa foi.
9. « Mes petits enfants, que personne ne vous séduise. Celui qui fait les oeuvres de la justice est juste, comme Jésus Christ est juste ». De ce qu'on nous a dit que « nous sommes justes comme Jésus Christ est juste », avons-nous le droit de penser que nous sommes égaux à Dieu ? Vous devez connaître le sens du mot « comme », car l'Apôtre a déjà dit précédemment: « Il se rend pur comme Jésus Christ lui-même est pur ». Notre pureté, notre justice serait-elle donc égale et pareille à la pureté, à la justice de Dieu? Qui oserait parler ainsi ? « Comme » ne veut pas toujours établir une égalité parfaite. Je suppose qu'après avoir vu cette immense basilique, un architecte veuille en faire une plus petite, proportion gardée néanmoins dans les dimensions et que, par exemple, celle-ci ayant une longueur double de sa largeur, il fasse la sienne du double plus longue que large, il semble avoir construit une église comme celle-ci. Mais la plus grande a, je suppose encore, cent coudées, tandis que la plus petite en a seulement trente : la seconde est comme la première et cependant elle ne lui est pas égale. Vous le voyez donc, on n'emploie pas toujours le mot ‘comme’ dans le sens de la parité et de l'égalité. Remarquez, par exemple, quelle différence il y a entre la figure d'un homme et son image reproduite dans un miroir, dans l'image, dans le corps, même figure ; mais l'image n'est qu'une imitation, le corps est une réalité. Que disons-nous ? Là comme ici on aperçoit des yeux, si l'on voit ici des oreilles, on en voit aussi là. Très différentes sont les choses, mais le mot ‘comme’ est employé dans le sens de similitude. Nous avons donc une ressemblance avec Dieu, mais elle n'est pas la même que la ressemblance du Fils avec le Père dont il est l'égal, si pourtant, dans la faible proportion de notre nature, nous n'étions pas comme lui, on ne pourrait, sous aucun rapport, nous dire semblables à lui. II nous rend donc purs comme lui-même est pur, mais il l'est éternellement et nous, nous le sommes sous l'empire de la foi. Nous sommes justes comme lui-même est juste, mais s'il l'est, c'est dans l'immuable perpétuité de son être, tandis que nous le sommes en croyant en Celui que nous ne voyons pas afin de le contempler un jour. Et lorsque notre justice sera parvenue au comble de la perfection, quand nous serons les égaux des anges, notre justice ne sera pas encore égale à celle de Dieu. Combien donc est-elle maintenant loin de l'égaler, puisqu'alors même on ne pourra établir entre elles de parité?
10. « Celui qui commet le péché est enfant du démon, parce que le démon pécha dès le commencement. Il est enfant du démon». Jean veut dire, vous le savez : il imite le démon. En effet, le démon n'a ni fait, ni engendré, ni créé personne ; mais quiconque l'imite, reçoit en quelque sorte la vie de lui, il devient son fils, non parce qu'il naît réellement de lui, mais parce qu'il l'imite. Comment es-tu fils d'Abraham? Est-ce qu'Abraham t'a engendré? De la même manière que les Juifs, fils d'Abraham, mais non héritiers de sa foi, sont devenus les enfants du démon. Ils étaient ses descendants selon la chair, mais ils n'ont pas imité sa foi. Si les enfants d'Abraham ont été déshérités pour ne pas avoir imité leur père, par une raison tout opposée, tu deviendras son fils, quoiqu'il ne t'ait pas engendré et ainsi tu mériteras ce beau titre, parce que tu marcheras sur ses traces. Si au contraire, tu imites le diable qui, par orgueil et impiété, s'est déclaré contre Dieu, tu deviendras son fils, non qu'il t'ait créé ou mis au monde, mais parce que tu suivras son exemple.
11. «Le Fils de Dieu est venu dans le monde». Voilà donc, mes frères, que tous les pécheurs, en tant que pécheurs, sont devenus enfants du diable. C'est Dieu qui a créé Adam, mais du moment que celui-ci a cédé aux suggestions du démon, il en est devenu le fils et tous ceux qu'il a mis au monde, il les a engendrés pareils à lui. En naissant, nous avons apporté avec nous la concupiscence, et avant de contracter nous-mêmes des dettes personnelles, nous sortons de cette source empoisonnée. En effet, si nous venons au monde exempts de toute faute, pourquoi se hâter de porter au baptême les petits enfants afin de les dégager des chaînes du démon ? En nous donc, remarquez-le, mes frères, en nous deux naissances, l'une en Adam, l'autre dans le Christ. Ce sont deux hommes, mais l'un d'eux est un homme-homme, l'autre un homme-Dieu ; l'homme-homme nous fait pécheurs, l'Homme-Dieu nous rend justes. Par notre naissance en Adam, nous avons été précipités dans la mort, par notre naissance dans le Christ, nous avons été élevés à la vie, la première des deux nous entraîne dans le péché, la seconde nous en délivre. Car le Christ-Homme est venu pour détruire les péchés des hommes : « Le Fils de Dieu est venu dans le monde pour détruire les oeuvres du démon ».
12. Pour ne pas fatiguer votre charité, je recommande ce qui reste à son attention ; car la difficulté dont la solution nous occupe, roule sur ce que nous nous disons pécheurs. Si, en effet, quelqu'un se dit sans péché, il est un menteur. Nous trouvons dans cette même épître de Jean : «Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes ». Vous devez vous souvenir de ce passage déjà cité : « Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes et la vérité ne se « trouve pas en nous (1 Jn 1, 8) ». Plus loin, tu lis encore ces passages : « Quiconque est né de Dieu, ne commet pas de péché. Celui qui commet le péché, ne l'a pas vu et ne le connaît pas. Celui qui fait l'iniquité, est enfant du diable ». Le péché ne vient pas de Dieu. L'Apôtre nous fournit à nouveau un sujet de crainte. D'une part, comment sommes-nous enfants de Dieu et de l'autre, comment avouons-nous que nous sommes pécheurs ? Dirons-nous que nous ne sommes pas nés de Dieu ? Alors, quel effet ces sacrements produisent-ils dans les petits enfants? Qu'a dit Jean ? « Celui qui est né de Dieu ne pèche pas ». Le même a dit encore : « Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes et la vérité ne se trouve pas en nous ». Question importante et difficile à traiter ! J'aurais voulu appeler toute l'attention de votre charité sur la solution à donner à cette difficulté. Demain, nous traiterons ce sujet au nom du Seigneur et selon qu'il nous inspirera.