St Augustin - Sermon 78 Carême — Abbaye de Tamié

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St Augustin - Sermon 78 Carême

Saint Augustin
croix - arcabas
2ème dimanche de carême - A



Sermon 78 de saint Augustin

1. Il nous faut contempler, mes bien-aimés, et expliquer le spectacle saint que le Seigneur présenta sur la sainte montagne. Voici le commencement de la lecture qui vient de nous être faite. « Six jours après avoir prononcé ces paroles, il prit avec lui trois disciples, Pierre, Jean et Jacques et alla sur la montagne. » Ces disciples étaient ceux dont il avait dit : « Il y en a ici quelques-uns qui ne goûteront point la mort qu'ils n'aient vu le Fils de l'homme dans son royaume. (Mt 16, 28). » Qu'est-ce que ce royaume ? Question assez importante, car l'occupation de cette montagne n'était pas la prise de possession de ce royaume. Qu'est-ce en effet qu'une montagne pour qui possède le ciel ? Non seulement les Écritures nous enseignent cette différence, mais nous la voyons en quelque sorte des yeux de notre coeur. Or Jésus appelle son royaume ce que souvent il nomme le royaume des cieux. Mais le royaume des cieux est le royaume des saints, car il est dit : « Les cieux racontent la gloire de Dieu » et aussitôt après : « Il n'y a point de langues ni d'idiomes qui n'entendent leurs voix » les voix de ces mêmes cieux. « L'éclat s'en est répandu sur toute la terre et leurs paroles ont retenti jusqu'aux extrémités de l’univers (Ps. 18, 4,5). » N'est-ce donc pas des Apôtres et de tous les prédicateurs fidèles de la parole de Dieu qu'il est fait ici mention ? Ces mêmes cieux régneront avec le Créateur du ciel et voici ce qui s'est fait pour le démontrer.

2. Le Seigneur Jésus en personne devint resplendissant comme le soleil, ses vêtements blancs comme la neige et avec lui s'entretenaient Moïse et Élie. Jésus en personne parut resplendissant comme le soleil, marquant ainsi qu'il était la lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde (Jean 1, 9). Ce qu'est ce soleil pour les yeux de la chair, Jésus l'est pour les yeux du coeur; l'un est pour les âmes ce que l'autre est pour les corps. Ses vêtements représentent ici son Église; car ils tombent s'ils ne sont portés et maintenus. Paul était dans ces vêtements comme l'extrémité de la frange; aussi dit-il. « Je suis le moindre des Apôtres (1 Co 15, 9) »Or la frange est ce qu'il y a de moindre et d'extrême dans le vêtement. Aussi, comme cette femme qui souffrait d'une perte de sang fut guérie en touchant la frange de la robe du Seigneur (Luc 7, 44); ainsi l'Église des gentils se convertit à la prédication de Paul. Qu'y a-t-il d'étonnant que l'Église soit figurée par de blancs vêtements, puisque nous entendons le prophète Isaïe s'écrier: « Vos péchés fussent-ils rouges comme l'écarlate, je vous blanchirai comme la neige (Isaïe 1, 18) ? » Que peuvent Moïse et Élie, la loi et les prophètes, s'ils ne communiquent avec le Seigneur ? Qui lira la loi? Qui lira les prophètes, s'ils ne rendent témoignage au Fils de Dieu ? C'est ce que l'Apôtre exprime en peu de mots. « La loi, dit-il, fait seulement connaître le péché, tandis qu'aujourd’hui, sans la loi, la justice de Dieu a été manifestée : » voilà le soleil; « annoncée par la loi et les prophètes » voilà l'aurore.

3. Pierre est témoin de ce spectacle et goûtant les choses humaines à la manière des hommes : « Seigneur, dit-il, il nous est bon d'être ici ! » Il s'ennuyait de vivre au milieu de la foule, il avait trouvé la solitude sur une montagne où le Christ servait d'aliment à son âme. Pourquoi en descendre afin de courir aux travaux et aux douleurs, puisqu'il se sentait envers Dieu un saint amour et conséquemment des moeurs saintes ? Il cherchait son propre bien ; aussi ajouta-t-il. « Si tu veux, dressons ici trois tentes : une pour toi, une pour Moïse et une autre pour Élie. » Le Seigneur ne répondit rien à cette demande et toutefois il y fut répondu. En effet, comme il parlait encore, une nuée lumineuse descendit et les couvrit de son ombre. Pierre demandait trois tentes et la réponse du ciel témoigna que nous n'en avons qu'une, celle que le sens humain voulait partager. Le Christ est la parole de Dieu, la Parole de Dieu dans la loi, la Parole de Dieu dans les prophètes. Pourquoi, Pierre, chercher à la diviser ? Cherche plutôt à t'unir à elle. Tu demandes trois tentes comprends qu'il n'y en a qu'une.

4. Pendant que la nuée les couvrait et formait comme une seule tente au-dessus d'eux, une voix sortit de son sein et fit entendre ces paroles « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. » Là se trouvaient Moïse et Élie. La voix ne dit pas : Ceux-ci sont mes fils bien-aimés. Autre chose est d'être le Fils unique et autre chose, des enfants adoptifs. Celui qui se trouve aujourd'hui signalé est Celui dont se glorifient la loi et les prophètes : « Voici, est-il dit, mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis mes douces complaisances. Écoutez-le; » car c'est lui que vous avez entendu dans les prophètes, lui aussi que vous avez entendu dans la loi et où ne l'avez-vous pas entendu ? Ils tombèrent à ces mots la face contre terre. Voilà donc dans l'Église le royaume de Dieu. Là en effet nous apparaissent le Seigneur, la loi et les prophètes : le Seigneur dans la personne du Seigneur même, la loi dans la personne de Moïse et les prophètes dans celle d'Élie. Ces deux derniers figurent ici comme serviteurs et comme ministres, comme des vaisseaux que remplissait une source divine, car si Moïse et les prophètes parlaient et écrivaient, c'est qu'ils recevaient du Seigneur ce qu'ils répandaient dans autrui.

5. Le Seigneur ensuite étendit la main et releva ses disciples prosternés. « Ils ne virent plus alors que Jésus resté seul. » Que signifie cette circonstance? Vous avez entendu, pendant la lecture de l'Apôtre, que « nous voyons maintenant à travers un miroir, en énigme, mais que nous verrons alors face à face, et que les langues cesseront lorsque nous posséderons l'objet même de notre espoir et de notre foi » (1 Co 13, 12, 8, 9). Les Apôtres en tombant symbolisent donc notre mort, car il a été dit à la chair : « Tu es terre et tu retourneras en terre (Gn 3, 19) » et notre résurrection quand le Seigneur les relève. Mais après la résurrection, à quoi bon la loi ? à quoi bon les, prophètes ? Aussi ne voit-on plus ni Élie ni Moïse. Il ne reste que Celui dont il est écrit : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était Dieu (Jean 1, 1). » Il ne reste plus que Dieu, pour être tout en tous (1 Co 15, 28). Là sera Moïse, mais non plus la loi. Nous y verrons aussi Élie, mais non plus comme prophète. Car la loi et les prophètes devaient seulement rendre témoignage au Christ, annoncer qu'il devrait souffrir, ressusciter d'entre les morts le troisième jour et entrer ainsi dans sa gloire (Luc 24, 47) dans cette gloire où se voit l'accomplissement de cette promesse adressée à ceux qui l'aiment : « Celui qui m'aime, dit-il, sera aimé de mon Père et moi aussi je l'aimerai. » Et comme si on lui eût demandé : Que lui donnerez-vous en témoignage de ton amour ? « Et je me montrerai à lui, » (Jean 14, 21) poursuit-il. Quelle faveur ! Quelle magnifique promesse ! Dieu te réserve pour récompense, non pas quelque don particulier, mais lui-même. Comment, ô avare, ne pas te contenter des promesses du Christ ? Tu te crois riche, mais qu'as-tu si tu n'as pas Dieu, et si ce pauvre l'a, que ne possède-t-il point ?

6. Descends, Pierre, tu voulais te reposer sur la montagne, descends, annonce la parole, insiste à temps, à contretemps, reprends, exhorte, menace, en toute patience et doctrine (2 Tm 4, 2); travaille, sue, souffre des supplices afin de parvenir par la candeur et la beauté des bonnes oeuvres accomplies avec charité, à posséder ce que figurent les blancs vêtements du Seigneur. L'Apôtre ne vient-il pas de nous dire, à la gloire de la charité : « Elle ne cherche point son propre intérêt (1 Co 13, 6) ? » Il s'exprime ailleurs autrement et il est fort dangereux de ne pas le comprendre. Expliquant donc les devoirs de la charité aux membres fidèles du Christ : « Que personne, dit-il, ne cherche son bien propre, mais le bien d'autrui. » Or en entendant ces mots, l'avare prépare ses artifices; il veut dans les affaires, pour rechercher le bien d'autrui, tromper le prochain, et ne pas chercher son bien propre, mais celui des étrangers. Arrête, ô avarice, justice, montre-toi : écoutons et comprenons. C'est la charité qu'il a été dit : « Que personne ne cherche son bien propre, mais le bien d'autrui. » Toi donc, ô avare, si tu résistes à ce conseil, si tu veux y trouver l'autorisation de convoiter le bien d'autrui, sacrifie d'abord le tien. Mais je te connais, tu veux à la fois et ton bien et le bien étranger. Tu emploies l'artifice pour t'approprier ce qui n'est pas à toi. Souffre donc que le vol te dépouille de ce qui t'appartient. Tu ne veux pas chercher ton bien, mais tu prends le bien d'autrui. Cette conduite est inique. Écoute, ô avare, prête l'oreille. Ces mots: « Que personne ne cherche son bien propre, mais le bien d'autrui, » te sont expliqués ailleurs plus clairement par le même Apôtre. Il dit de lui-même : « Pour moi je cherche, non pas ce qui m'est avantageux, mais ce qui l'est au grand nombre, afin de les sauver (1 Co 10, 24, 33). » C'est ce que ne comprenait pas encore Pierre, lorsqu'il désirait rester avec le Christ sur la montagne. Le Christ, ô Pierre, te réservait ce bonheur après la mort. Pour le moment il te dit : Descends travailler sur la terre, servir sur la terre, et sur la terre être livré aux mépris et à la croix. La Vie même n'y est-elle pas descendue pour subir la mort, le Pain, pour endurer la faim, la Voie, pour se fatiguer dans la marche, la Fontaine éternelle pour souffrir la soif ? Et tu refuses le travail ? Ne cherche pas ton intérêt propre. Aies la charité, annonce la vérité, ainsi tu parviendras à l'inaltérable paix de l'éternité.