Homélie Fête-Dieu — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

Homélie Fête-Dieu

Par Frère Patrice

 

 

 Le Saint Sacrement - Solennité du Seigneur

Lectures de la messe

Première lecture (Dt 8, 2-3.14b-16a)

Moïse disait au peuple d’Israël : « Souviens-toi de la longue marche que tu as faite pendant quarante années dans le désert ; le Seigneur ton Dieu te l’a imposée pour te faire passer par la pauvreté ; il voulait t’éprouver et savoir ce que tu as dans le cœur : allais-tu garder ses commandements, oui ou non ? Il t’a fait passer par la pauvreté, il t’a fait sentir la faim, et il t’a donné à manger la manne – cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue – pour que tu saches que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur. N’oublie pas le Seigneur ton Dieu qui t’a fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage. C’est lui qui t’a fait traverser ce désert, vaste et terrifiant, pays des serpents brûlants et des scorpions, pays de la sécheresse et de la soif. C’est lui qui, pour toi, a fait jaillir l’eau de la roche la plus dure. C’est lui qui, dans le désert, t’a donné la manne – cette nourriture inconnue de tes pères. »

Psaume 147

R/ Glorifie le Seigneur, Jérusalem !

Glorifie le Seigneur, Jérusalem !
Célèbre ton Dieu, ô Sion !
Il a consolidé les barres de tes portes,
dans tes murs il a béni tes enfants.

Il fait régner la paix à tes frontières,
et d’un pain de froment te rassasie.
Il envoie sa parole sur la terre :
rapide, son verbe la parcourt.

Il révèle sa parole à Jacob,
ses volontés et ses lois à Israël.
Pas un peuple qu’il ait ainsi traité ;
nul autre n’a connu ses volontés.

Deuxième lecture (1 Co 10, 16-17)

Frères, Soeurs, la coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas communion au corps du Christ ? Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain.

Évangile (Jn 6, 51-58)

En ce temps-là, Jésus disait aux foules des Juifs : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. » Les Juifs se querellaient entre eux : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui. De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi. Tel est le pain qui est descendu du ciel : il n’est pas comme celui que les pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »

 

Séquence (Lauda Sion)

Sion, célèbre ton Sauveur,
chante ton chef et ton pasteur
 par des hymnes et des chants.

Tant que tu peux, tu dois oser,
car il dépasse tes louanges,
 tu ne peux trop le louer.

Le Pain vivant, le Pain de vie,
il est aujourd’hui proposé
 comme objet de tes louanges.

Au repas sacré de la Cène,
il est bien vrai qu’il fut donné
 au groupe des douze frères.

Louons-le à voix pleine et forte,
que soit joyeuse et rayonnante
 l’allégresse de nos cœurs !

C’est en effet la journée solennelle
où nous fêtons de ce banquet divin
 la première institution.

À ce banquet du nouveau Roi,
la Pâque de la Loi nouvelle
 met fin à la Pâque ancienne.

L’ordre ancien le cède au nouveau,
la réalité chasse l’ombre,
 et la lumière, la nuit.

Ce que fit le Christ à la Cène,
il ordonna qu’en sa mémoire
 nous le fassions après lui.

Instruits par son précepte saint,
nous consacrons le pain, le vin,
 en victime de salut.

C’est un dogme pour les chrétiens
que le pain se change en son corps,
 que le vin devient son sang.

Ce qu’on ne peut comprendre et voir,
notre foi ose l’affirmer,
 hors des lois de la nature.

L’une et l’autre de ces espèces,
qui ne sont que de purs signes,
 voilent un réel divin.

Sa chair nourrit, son sang abreuve,
mais le Christ tout entier demeure
 sous chacune des espèces.

On le reçoit sans le briser,
le rompre ni le diviser ;
 il est reçu tout entier.

Qu’un seul ou mille communient,
il se donne à l’un comme aux autres,
 il nourrit sans disparaître.

Bons et mauvais le consomment,
mais pour un sort bien différent,
 pour la vie ou pour la mort.

Mort des pécheurs, vie pour les justes ;
vois : ils prennent pareillement ;
 quel résultat différent !

Si l’on divise les espèces,
n’hésite pas, mais souviens-toi
qu’il est présent dans un fragment
 aussi bien que dans le tout.

Le signe seul est partagé,
le Christ n’est en rien divisé,
ni sa taille ni son état
 n’ont en rien diminué.

Le voici, le pain des anges,
il est le pain de l’homme en route,
le vrai pain des enfants de Dieu,
 qu’on ne peut jeter aux chiens.

D’avance il fut annoncé
par Isaac en sacrifice,
par l’agneau pascal immolé,
 par la manne de nos pères.

Ô bon Pasteur, notre vrai pain,
ô Jésus, aie pitié de nous,
nourris-nous et protège-nous,
fais-nous voir les biens éternels
 dans la terre des vivants.

Toi qui sais tout et qui peux tout,
toi qui sur terre nous nourris,
conduis-nous au banquet du ciel
et donne-nous ton héritage,
 en compagnie de tes saints.
Amen.

© AELF - Paris 2013

Homélie

Parfois nous chantons cette très belle hymne « Mendiant du jour je te prends dans mes mains, comme on prend dans ses mains la lampe pour la nuit », et tout à l’heure un bon nombre d’entre nous recevrons dans leurs mains le Corps du Xist. Quel mystère ! Mais notez bien qu’il avait déjà reçu une première approche quand est né un enfant  dans une mangeoire : il préfigurait par là déjà qu’il voulait se donner en nourriture au monde !

L’Infiniment Grand qui se fait pour nous l‘Infiniment Petit et qui  accepte de se tenir vulnérable entre nos mains, au risque de se voir écrasé, détruit, réduit à rien Nous ne nous rendons pas compte du trésor que nous tenons entre nos mains et qui se livre totalement à nous et qui désire tant être contemplé !

Cela me rappelle un sermon de Noël d’un auteur du 17° siècle contemplant l’Enfant Jésus dans une crèche, emmailloté et totalement dépendant de son entourage. Dieu s’offre à nous, sans défense aucune.

Alors, dans quel état d’esprit accueillons-nous ce matin ce cadeau ?

Je crois qu’il faut revenir au jour de l’institution de l’Eucharistie, le Jeudi Saint, et au passage de l’évangile qui l’évoque.

Jean, l’évangéliste mais aussi le grand ami de Jésus, est à côté de lui, penché sur son cœur. Et Jésus lui parle cœur à cœur. Pour illustrer cette incroyable proximité des cœurs entre Jésus et Jean un grand mystique dit que l’homme doit être un « ad-verbe », le cœur de l’homme se tenant à côté du cœur du Verbe de Dieu.

Mais cela va plus loin ! Jésus a commencé à s’unir à nous en prenant la condition humaine, et il continue en donnant à chacun de nous ce qu’il a pris pour l’amour de tous, à savoir son corps. Jésus nous donne un droit réel sur son corps. C’est l’instant, en recevant ce corps donné, où l’on devient alors la chair de l’autre, la fusion des corps favorisant  l’intimité des cœurs, des personnes.

Mais que se passe-t-il alors quand nous recevons e corps du Christ ? Un mystère que beaucoup ont tenté de comprendre, de percer. Saint-Augustin et bien d’autres (comme Tauler) ont cette expression admirable :

« J’ai découvert que j’étais loin de toi dans la région de la dissemblance, comme si j’entendais ta voix me dire            des hauteurs : « « je suis l’aliment des grands; grandis et tu me mangeras, et tu ne me changeras pas en toi comme l’aliment de ta chair, mais c’est toi qui sera changé en moi » ».

Certains ont voulu aller beaucoup plus loin et voir dans cette intimité qui se forme alors dans le cœur de l’homme, l’image d’un véritable mariage mystique. Peut-être n‘avez-vous jamais lu ce très beau mais très mystérieux livre du Cantique des cantiques où l’on voit l’Epouse (notre âme) partir à la recherche de l’Epoux (Le Christ) et désireuse de s’unir à lui.

Une chose importante est révélée dans ce passage de St Augustin : il mentionne la Parole de Dieu «  j’entendais ta voix me dire depuis les hauteurs ». Et bien c’est un point que le Concile Vatican 2 a souligné avec vigueur, en parlant de la table de la parole de Dieu et la table du corps du Christ. « Les deux parties qui constituent en quelque sorte la messe, c’est-à-dire  la liturgie de la parole et la liturgie eucharistique, sont si étroitement unies entre elles, qu’elles constituent un seul acte de culte ». Si j’osais simplifier, je dirais que tout ce qui est dit de la parole de Dieu est comme une voix secrète qui parle intérieurement au cœur de l’homme, là même où l’eucharistie rejoint elle aussi le cœur de l’homme pour y faire entendre sa voix secrète. Cela rejoint un e très belle pensée de Pascal : « Qu’il y a loin de la connaissance de Dieu à l’aimer. C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c’est que la foi. Dieu sensible au cœur et non à la raison ».

Alors, entrons dans ce grand mystère en ouvrant tout grand notre cœur au Seigneur.