Homélies de Pâques — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

Homélies de Pâques

Par dom Ginepro - Frère Raffaele

Dimanche de Pâques

Veillée

Terre cuite de Fr. A. Gélineau

Le terme « PÂQUE» (en hébreu : pessach), nous le savons, nous renvoit à l’idée d’un voyage pas comme les autres, d’un passage périlleux qui, toutefois, se termine bien. L’image la plus directe et parlante, qui nous vient aussitôt à l’esprit (et la lecture du livre de l’Exode nous l’a rappelée), reste cette traversée à pieds sec au milieu de la mer Rouge par les hébreux, talonnés par les chars et les chevaux de pharaon. Ces derniers en veulent à ceux qui ont ainsi choisi la liberté à la place du dur esclavage.

Mais, nous le savons, tout n’est pas si simple. Le récit biblique nous dit que ce processus complexe de libération qui trouve son sommet dans le passage de la mer, ne se déroule pas en un instant, mais dure 40 ans, le temps de prendre conscience que toute libération n’est pas chose aisée ni escomptée… pour personne. Notre liberté, notre endurance, notre foi y sont engagées.

Pour nous qui sommes chrétiens, la Pâque est aussi - et surtout -  autre chose. Pour nous, il n’y a pas que cette fuite emblématique en vue d’une lointaine  Terre promise; non. Dans le récit évangélique que nous venons d’entendre, voilà, pour nous, lors de la nouvelle Pâque, les trois femmes, courageuses et animées par l’amour, traversent les ténèbres de la nuit, les ténèbres de leur déception, de  l’échec personnel et collectif (y a-t-il un échec plus grand que la mort, que notre mort ?) pour se rendre au tombeau de Jésus. Et elles ont l’étonnante  surprise de le découvrir vide. Quel surprenant passage pour elles ! Quelle découverte formidable et inattendue !

Cette découverte nous intéresse encore plus particulièrement du fait que dans cette Pâque de Jésus, dans ce mouvement de la mort à la vie, nous aussi sommes impliqués de manière très directe. Nous qui sommes là en cette nuit, nous savons à quel point notre destin, notre vie, n’aurait pas de sens sans la résurrection du Christ, qui reste la clé de voute de notre histoire sainte et de notre cheminement vers Dieu. On a pu écrire que la foi ne supprime pas la mort ; mais la rend telle qu’elle soit un accès à plus de vie.

Nous avons parfois entendu dire et quelques penseurs dans l’histoire de l’Église l’ont effectivement énoncé en ce termes : que « Dieu aurait eu besoin de la mort de son Fils pour effacer la faute », c’est-à-dire la désobéissance de l’homme. Pour eux, le Fils de Dieu aurait dû mourir pour payer ainsi cette dette et pour que le péché, notre péché, soit enfin pardonné.

Curieuse caricature qui présente Dieu comme quelqu’un qui serait lui-même prisonnier d’un tel engrenage l’obligeant à recourir à quelque chose d’aberrant : la mort de son Fils.

Bien sûr, nous ne pouvons pas entrer complètement dans le mystère de Dieu, mais le passage de Jésus par la mort doit être vu bien autrement : en Jésus, Dieu choisit d’épouser, pour ainsi dire, notre condition humaine (sauf le péché) en toute son épaisseur, même dans le côté le plus tragique, le plus scabreux, y compris le drame de la mort. Mais, pour la conduire à sa complète réalisation, à son achèvement. Par amour envers nous (peut-on concevoir une autre raison que l’amour pour un choix pareil ?), Jésus traverse même la mort, il l’assume et, en la dépassant, nous conduit à la vie : « Il est ressuscité, il n’est pas ici ».

Depuis toujours, l’Église nous invite à fêter cet évènement et elle le fait avec de beaux symboles : elle a choisi cette nuit de printemps pour nous rappeler que la lumière aura le dessus complet sur les ténèbres, que l’alliance entre le Seigneur et nous, alliance personnelle et ecclésiale, est renouvelée, que le Christ vivant en est le signe ? C’est pour cela que les cloches peuvent retentir à nouveau, le cierge pascal, entouré des fleurs qui l’ovationnent, restera allumé pendant toute la journée de Pâques. Les chants joyeux reviendront dans nos célébrations avec l’alléluia qui se fait à nouveau entendre…

Et notre joie spirituelle, où en est-elle ? Sommes-nous des joyeux messagers de cette victoire ?

Nous pouvons donc, dans cette eucharistie, présenter notre vie, la vie de ceux que nous aimons, de ceux qui souffrent, près de nous ou ailleurs et nous savons bien qu’ils sont nombreux). Car, la Vie, et c’est le Christ qui nous l’indique, a déjà été plus forte que la mort. Voilà le fondement de notre foi, de notre espérance et la source de notre charité.

 

Homélie pour le jour de Pâques

Frères et sœurs, celui ou celle qui aime court. Il court sur les montagnes, il bondit sur les collines, comme le Bien-aimé du Cantique des Cantiques (2, 8). Ainsi court Marie Madeleine, qui « de grand matin, lorsque c’était encore les ténèbres », ne peut plus tenir à la maison, se lève et court au tombeau de Jésus. Elle cherche celui que son cœur aime, dit toujours le Cantique (3, 1). Mais une amère surprise l’attend : la pierre a été enlevée du tombeau. Aussitôt une peur, une angoisse étreignent son cœur. Mille questions, mille soupçons l’assaillent. Alors elle court de nouveau, chez les apôtres, avec cette nouvelle troublante : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé. »

 Du coup, la course devient contagieuse. Car elle met en branle même l’Église officielle. Pierre et Jean, les colonnes de l’Église, se mettent à courir à leur tour. Mais c’est une femme qui a suscité leur course, une annonce d’amour angoissé, faite par celle que la tradition chrétienne a nommée « le treizième apôtre » : Marie Madeleine.

 Et les voilà, Pierre et Jean, courant eux aussi, chacun à son rythme. Jean, le plus jeune, « courut plus vite ». Il arrive le premier, mais n’entre pas. Il attend avec respect Pierre, le chef de la communauté. Et Pierre scelle de son autorité ce qu’il a vu. Cependant, Pierre ne voit que des objets : les linges, posés à plat, ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus. C’est alors que Jean entre à son tour. Il ne voit rien d’autre que ce que Pierre a vu. Mais son regard est différent. Jean comprend tout de suite, avant même les apparitions du Ressuscité. Clairvoyance des yeux qui aiment : ils voient ce que les autres ne voient pas. Dans les objets muets qui s’offrent à son regard – le tombeau vide, les linges, le suaire – Jean sait reconnaître les signes de la résurrection : « Il vit, et il crut ». Ce n’est pas une pieuse illusion de l’amour. C’est que l’Esprit saint a illuminé les yeux de son cœur. L’Esprit lui a donné ce regard de foi, ce regard contemplatif, éclairé par la sainte Écriture, qui sait pénétrer au-delà des apparences jusqu’au foyer lumineux du mystère.

 Comme l’a écrit Saint-Exupéry dans son si beau conte, Le petit prince : « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. » Oui, ce sont les yeux du cœur qui fondent notre foi. A proprement parler, ce n’est pas un voir, mais un entrevoir qui ouvre à la foi. Tout le monde voit. Mais peu savent entrevoir. Entrevoir : voilà le verbe de la foi. Il n’y a pas de preuves, mais seulement des signes, efficaces, fondateurs, sûrs. C’est cela, l’annonce qui fonde notre foi, et que nous avons entendue dans la première lecture, dans les paroles de Pierre au centurion romain : « Celui qu’ils ont supprimé en le suspendant au bois du supplice, Dieu l’a ressuscité le troisième jour…Nous en sommes les témoins que Dieu avait choisis d’avance, nous qui avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts. »

 Frères et sœurs, interrogeons nous aussi Marie Madeleine, comme dans la merveilleuse séquence de Pâques Victimae paschali laudes, qui heureusement a été conservée dans le Missel romain, même si, à Tamié, nous ne la chantons pas, et c’est bien dommage. Je cite : « Dis-nous, Marie, qu’as-tu vu en chemin ? » En chemin, sur ce chemin où, comme dit toujours la séquence, « la vie et la mort se sont affrontées en un duel prodigieux ; le Maître de la vie, qui était mort, maintenant règne, vivant. » Et Marie Madeleine, qui a assisté à ce duel prodigieux, elle qui était aux pieds de la croix, Marie, qui a un cœur qui aime, proclame dans son chant les signes de la victoire : « J’ai vu le sépulcre du Christ vivant, / j’ai vu la gloire du Ressuscité. / J’ai vu les anges ses témoins, / le suaire et les vêtements. » Ce sont les mêmes signes qu’a vus l’apôtre Jean, qui court et arrive le premier, parce que, lui aussi, il aime, et il est le disciple que Jésus aimait. C’est pourquoi il vit et il crut, comme Marie, qui conclut ainsi son poème : « Le Christ, mon espérance, est ressuscité ! Il vous précédera en Galilée. » Et maintenant toute l’Église, chacun de nous, toute la création peut chanter, avec la dernière strophe de la séquence : Scimus Christum surrexisse / a mortuis vere : tu nobis, victor Rex, miserere ! « Nous le savons : le Christ / est vraiment ressuscité des morts. / Et toi, Roi victorieux, prends nous tous en pitié ! » Cette pitié, cette miséricorde implorée par le larron sur la croix, cette miséricorde reçue par le fils prodigue qui revient à la maison, cette miséricorde invoquée silencieusement par la femme adultère devant Jésus qui ne la condamne pas, cette miséricorde qui nous a accompagnés tout au long de ce Carême, maintenant devient victoire et certitude : « Christ est vraiment ressuscité ! ». Amen.