Reliques de st Pierre de Tarentaise - 1 — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

Reliques de st Pierre de Tarentaise - 1

La jambe gauche et le crâne

Les reliques de saint Pierre
    Fondateur et premier abbé de Tamié
    Archevêque de Tarentaise (1120-1174)

Extraits de plusieurs ouvrages

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Histoire des Trappistes du Val Sainte-Marie
[Jérôme Verniolle] – 3ème édition, Bruxelles, 1841, p. 158-166

Les Trappistes du Val-Sainte-Marie ont passé par des épreuves telles que souvent ils eussent désespéré de l'existence même de leur communauté, s'ils n'a­vaient compté sur le secours des puissants protecteurs qu'ils ont dans le ciel. Celui surtout qui leur a tou­jours inspiré la plus grande confiance est saint Pierre de Tarentaise dont ils possèdent les précieuses reli­ques. Dans leurs pèlerinages ils les ont toujours transportées avec eux et toujours ils ont ressenti les effets de sa protection. Ce grand saint avait eu pendant sa vie une prédilection spéciale pour le diocèse de Besançon, où ses discours et la sainteté de sa vie excitèrent merveilleusement les justes à la ferveur, les pécheurs les plus endurcis à une sincère pénitence, et l'Église de Jésus-Christ triompha de la fureur des méchants. Dieu a voulu que le diocèse, auquel il avait rendu un service si signalé, possédât ses dépouilles mortelles et les honorât d'un culte solennel. Ces reli­ques n'ont cessé d'être un gage certain de la protection du Ciel pour ce pays qui s'est toujours distingué par sa piété et dont le clergé a constamment marché sur les traces des hommes éminents en sainteté que le souverain pasteur lui a envoyés.


Statue ancienne en bois doré représentant saint Pierre de Tarentaise - Tamié

Un précis de la vie de saint Pierre fera voir com­bien il a été utile à l'Église et combien les Trappistes doivent s'estimer heureux d'être les dépositaires de ses précieuses reliques. Pierre naquit dans le diocèse de Vienne de parents fort pieux qui lui firent sucer la vertu avec le lait. Il se montra si docile à leurs leçons et à leurs exemples qu'il voulut, fort jeune encore, se retirer dans un monastère voisin appelé Bonnevaux. Il y fut admis et y vécut avec tant de sainteté qu'il fut chargé de la conduite d'un nouveau couvent fondé à Ternies et en devint abbé. L'archevêque de Tarentaise étant mort, il n'y eut qu'une voix pour signaler l'abbé de Tamié comme le plus digne d'occuper le siège vacant, mais il refusa cette dignité : le Chapitre géné­ral de l'Ordre de Cîteaux et plus encore les instances de saint Bernard l'obligèrent de se soumettre au suf­frage universel et il fut sacré archevêque. Que de tra­vaux il eut à supporter dans cette nouvelle charge! Le diocèse était tombé dans un état pitoyable par la négligence du dernier archevêque qui n'avait pas eu pour ses ouailles un soin convenable. Pierre entreprit une réforme générale; son zèle, sa charité, ses lu­mières et sa sagesse en vinrent à bout; la ferveur et la sainteté des fidèles ainsi que du clergé répondirent à celles du pasteur, et le diocèse de Tarentaise devint comme le modèle des autres diocèses de la chrétienté. Cependant Pierre craignant la vaine gloire et regrettant sa chère solitude, prit la fuite secrètement, et s'en alla dans un monastère de l'ordre de Cîteaux en Allemagne, où il vécut quelque temps ignoré. Les brebis désolées le cherchèrent partout sans pouvoir le trouver, mais Dieu fit alors un miracle pour le faire découvrir. On alla le chercher et on le ramena en triomphe au milieu de son troupeau. Dieu lui accorda le don des miracles : ce don joint à la sainteté de sa vie et à ses grandes austérités, lui fit opérer plus de guérisons spirituelles encore que de corporelles. Le pape, jugeant qu'un si grand saint était propre à l'ai-der dans le gouvernement de l'Église, le chargea de plusieurs missions auprès des princes chrétiens; il s'en acquitta avec prudence et succès, et répandit partout où il passa la bonne odeur de Jésus-Christ. Le diocèse de Besançon, qu'il était obligé de traverser souvent, fut un de ceux où il opéra le plus de bien. Le monastère de Bellevaux reçut souvent sa visite. Il se plaisait à y passer quelque temps au milieu des frères pour s'édifier avec eux et se renouveler dans l'amour de la retraite et du silence. C'est aussi à Bel­levaux qu'il mourut en revenant d'un voyage entrepris pour le bien de l'Église.

Le don des miracles qu'il avait eu pendant sa vie, ne l'abandonna pas après sa mort. Son tombeau était sans cesse assiégé de personnes malades ou éprouvées par d'autres afflictions, et toutes s'en retournaient guéries ou consolées. Dès lors commença le pèlerinage, fameux dans toute la Franche-Comté, au tombeau de saint Pierre , qui dura jusqu'au commencement de la révolution. Quelque envie qu'eussent les méchants de détruire le corps de saint Pierre, ils ne purent en venir à bout. Après avoir démoli l'autel où reposaient ses précieuses reliques, ils les emportèrent à Vesoul, afin de les brûler; mais le peuple se porta en foule à l'endroit où on les avait déposées, et fit entendre des plaintes et des cris d'indignation contre les profana­teurs que la crainte saisit et qui n'osèrent pousser leur impiété plus loin. Le corps de saint Pierre fut enfermé dans une armoire de la préfecture et y demeura jus-qu'à la fin de la révolution. Le curé de Vesoul, ac­compagné de pieux fidèles, alla prendre ce précieux dépôt et le plaça dans son église où ces reliques res­tèrent jusqu'en 1818. Dom Eugène, qui rétablit Bel­levaux, les réclama, et l'archevêque de Besançon voulut qu'elles fussent rendues à leur première de-meure. Cependant M. le curé de Vesoul obtint la per-mission d'en garder une partie. Le souverain pontife accorda, à cette occasion, de grandes indulgences aux religieux de Bellevaux, ainsi qu'aux fidèles qui venaient dans ce monastère vénérer le saint. Depuis lors le concours fut immense à la solennité de sa fête qui se célèbre le 10 mai avec beaucoup d'éclat.



Le reliquaire en bois doré fabriqué par les moines de La Grâce-Dieu,
contenant la jambe gauche, une mitre et un ciboire.
Gravure de P. Fulgence Blériot, moine de Tamié (Avant 1884)

Le culte du saint ne devait pas longtemps avoir son principal siège à Bellevaux, car Dieu qui est admira­ble dans ses saints, permit qu'il fut transporté ailleurs. Un habitant du diocèse de St-Claude fit un voyage à Bellevaux et emporta une parcelle du précieux corps que Dom Eugène lui avait donnée. De retour chez lui , il la céda au curé de sa paroisse qui la plaça dans son église. Les paroissiens, instruits qu'ils possédaient cette parcelle, conçurent pour saint Pierre une dévo­tion toute particulière qui se communiqua rapidement aux paroisses voisines. En 1835, ce bon curé écrivit au supérieur des Trappistes du Val-Sainte-Marie, que le grand concours des fidèles dans son église, pour honorer saint Pierre, l'avait engagé à faire sculpter une magnifique statue qui le représentait parfaitement, et il le priait de vouloir lui envoyer une parcelle plus considérable du saint corps, pour la placer dans la statue qui devait lui servir de reliquaire.

Le cardinal de Rohan voulut faire la cérémonie de l'installation des Trappistes aux pieds de la relique de saint Pierre : il fut profondément ému lorsqu'il considéra la jambe qui avait été donnée à Dom Eugène et qui paraissait encore vivante; elle lui rappelait toutes les courses apostoliques de ce grand archevêque. Il l'invoqua avec une foi vive et une grande confiance pour lui-même et pour son diocèse, ainsi que pour les religieux qu'il avait fait venir de l'abbaye du Gard afin de garder le saint tombeau et faire refleurir l'état monastique en Franche-Comté. Le discours qu'il pro­nonça lors de cette cérémonie se ressentit de l'émotion profonde que son coeur avait éprouvée. Il ne rappela qu'avec douleur ce qu'avait été Bellevaux autrefois, lorsque ce beau pays était couvert de pèlerins qui venaient recueillir les grâces que saint Pierre leur faisait obtenir, et de religieux qui exerçaient à leur égard avec une charité infatigable tous les devoirs de l'hospitalité.

Les Trappistes emportèrent avec eux la relique de saint Pierre en Suisse. Mgr de Roten, évêque de Sion, vint avec son clergé lui rendre ses hommages à Gé­ronde et appliqua son sceau sur la châsse qui la con-tenait : dans cette même circonstance, il conféra les ordres à deux religieux qui eurent aussi plus tard le bonheur de recevoir la prêtrise des mains du même évêque. Lorsque les Trappistes furent rentrés dans le diocèse de Besançon, le corps de saint Pierre, revenu avec eux, devint de nouveau l'objet de la sollicitude et de la vénération de Mgr l'archevêque. Dans la visite qu'il fit au Val-Sainte-Marie en 1837, il se rendit tout d'abord auprès de la relique, s'y prosterna et lui ren­dit ses hommages. Peu après il obtint que Mgr Rey, évêque d'Annecy, vînt donner la retraite ecclésiastique à son clergé. Ce digne prélat, très-connu en France où il est fort vénéré pour le bien qu'il y a fait avant d'être nommé évêque d'Annecy, sut, par l'onction qui accompagnait sa parole et par la sainteté que respirait toute sa personne, gagner la confiance de son nom­breux auditoire. Chacun fut plus touché et plus con-vaincu de l'importance de ses devoirs et de la néces­sité de les bien remplir. Chacun ne pouvait se lasser de l'admirer et de reconnaître que ses discours avaient fait sur les prêtres des impressions qui ne s'effaceraient jamais. Mgr Mathieu, archevêque de Besançon , voulant témoigner sa reconnaissance au digne évêque d'An­necy, demanda au prieur du Val-Sainte-Marie une relique de saint Pierre de Tarentaise. Le prieur ouvrit la châsse assisté de deux religieux, détacha une par-celle et dressa le procès-verbal qui fut envoyé avec la relique à Mgr Mathieu. Placé par Sa Grandeur dans un reliquaire, elle fut envoyée à Mgr d'Annecy qui la reçut avec le plus grand respect. Le vénérable arche­vêque de Besançon ne pouvait mieux témoigner sa reconnaissance qu'en confiant un dépôt aussi précieux à Mgr. d'Annecy, l'un des plus grands prélats de son temps et digne en tout de saint Pierre de Tarentaise, l'ornement et la gloire du clergé de Savoie.

Les Trappistes de Besançon ont encore dans leur trésor la mitre et le ciboire de saint Pierre, ainsi qu'une partie de la couverture de son lit. Ces précieux objets sont, ainsi que le corps du saint, très bien con­servés. On est surpris de voir qu'après plus de sept cents ans tout soit encore aussi intact. La cuisse, la jambe et le pied se tiennent et ont la même attitude que les membres d'une personne couchée. On voit les doigts, les chairs, les nerfs, qui ne diffèrent de ceux d'un corps vivant que parce qu'ils sont desséchés, et l'on s'étonnera davantage encore si l'on pense aux mauvais traitements qu'ils subirent pendant la révolu­tion et aux divers voyages qu'ils ont faits depuis. Le saint ciboire est de cuivre et doré en dedans. La mitre n'est pas faite avec moins de simplicité. Si ces objets n'avaient d'autre valeur que la richesse de la matière et la beauté du travail, ils ne mériteraient pas qu'on les regardât; mais la sainteté de celui qui s'en est servi les a rendus chers et vénérables. La communauté sent sa ferveur se renouveler toutes les fois qu'elle voit ce ciboire sur l'autel, et elle croit recevoir la sainte Com­munion de la main même de saint Pierre. On est tenté de se demander pourquoi il ne se servit pas de plus riche ni de mieux fait; mais, religieux de l'ordre de Cîteaux qui fait profession d'une rigoureuse pau­vreté et qui, dans les objets sacrés surtout, aime une grande simplicité, saint Pierre, quoiqu'élevé à la di­gnité d'archevêque, ne voulut pas se départir de l'es-prit de son premier état, et il crut toujours qu'il re­hausserait assez l'épiscopat, pourvu qu'il fût un saint archevêque. L'auteur de sa vie écrite par ordre du pape, une des plus authentiques qui existent, remar­que que saint Pierre observa dans son épiscopat la même pauvreté, la même mortification que lorsqu'il n'était que simple religieux, qu'il voulut même en ce point aller plus loin; en sorte qu'autant il était au-dessus de ses frères par la dignité dont il était revêtu, autant il les surpassait par ses pénitences et ses aus­térités.

Les Trappistes du Val-Sainte-Marie se disposent à placer le corps du saint dans le bâtiment où se trouve le quartier des hôtes. Ils y ont construit une chapelle dans laquelle on pourra entendre la messe et véné­rer saint Pierre. Cette chapelle déjà fort avancée deviendra bientôt la demeure des restes mortels de saint Pierre.


Le Val Sainte-Marie - À gauche l'église en construction
Au fond l'hôtellerie, à droite l'exploitation agricole transformée en monastère.
Gravure vers 1843

Il reste aussi aux Trappistes du Val-Sainte-Marie un objet précieux de l'ancienne et célèbre abbaye de Sept-Fons : c'est une crosse en bois dont se servaient les abbés de ce monastère depuis la réforme. Dans l'Ordre de Cîteaux les prélats ne portaient point de mitre, et cet usage fut respecté tant que l'ordre se préserva du relâchement. Plus tard, les prélats régu­liers se mirent sur le pied des évêques quant à la beauté et à la magnificence des ornements pontificaux. Les réformateurs de la Trappe et de Sept-Fons en revinrent à la simplicité primitive et leurs successeurs l'ont maintenue.

 

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Histoire de l’Abbaye de la Grâce-Dieu
Abbé Richard, Besançon, 1857, p. 200-202

Le soin le plus empressé de dom Eugène fut de recouvrer pour son monastère les reliques de saint Pierre de Tarentaise. Après la mort de ce saint prélat, arrivée à Bellevaux en 1174, ses diocésains de Tarentaise et les religieux de Tamié (Savoie) lui avaient disputé la possession de ses dépouilles mortelles. Le souverain pontife en ordonna le partage; il adjugea le chef et la partie supérieure du saint à l'église métropolitaine de Moûtiers, le bras gauche à l'abbaye de Tamié, le bras droit à Cîteaux, et tout le reste du corps au couvent de Bellevaux. Nous ne savons ce qu'est devenue la relique de Cîteaux, celles de Moûtiers et de Tamié ont disparu pendant la révolution de 1793.

Les reliques de Bellevaux, qui étaient les plus considérables, ont été conservées d'une manière qui tient du prodige. Lorsque la révolution contraignit les cisterciens de Bellevaux à abandonner leur cloître, les habitants de Cirey témoignèrent le désir de recueillir dans leur église les reliques du saint prélat, vénérées depuis tant de siècles à Bellevaux, situé dans la circonscription territoriale de cette paroisse. La translation des restes du saint archevêque s’y fit le 7 juillet 1791, au milieu d'un pieux empressement des populations, qui, malgré l'esprit d'irréligion de cette époque, continuèrent à les visiter à Cirey. Mais bientôt elles devaient être l'objet d'une odieuse profanation. Un administrateur du district de Vesoul vint avec quelques impies arracher de l'église de Cirey ce précieux dépôt et emmena à Vesoul les reliques et la châsse. A la nouvelle de leur arrivée, le peuple se porta en foule pour les voir et témoigna sa confiance au saint pontife par de pieux larcins. Les impies déconcertés n'osèrent les détruire. Pour faire cesser l'élan de la piété des fidèles, ils firent courir le bruit qu'elles avaient été enlevées et enfouies. Mais ils se bornèrent à les reléguer au fond d'une armoire du bureau du district. Elles y restèrent jusqu'à la suppression de cette administration. Alors deux ecclésiastiques les placèrent dans une chapelle de l'église paroissiale de Vesoul; elles furent l'objet de la vénération la plus empressée du peuple de la ville et des campagnes. Les habitants de Cirey obtinrent la restitution de quelques parcelles des reliques du saint, qui furent placées et scellées dans le tombeau de l'autel de saint Pierre, construit avec le marbre du mausolée qui était autrefois derrière le maître-autel de l'abbaye et qui avait été transféré dans leur église.

l'autel des reliques de saint pierre de tarentaise à la grâce-dieu
L'autel de saint Pierre de Tarentaise avec le reliquaire
Abbaye des moines de La Grâce-Dieu - 1849-1909

Aussitôt que les nouveaux religieux de Bellevaux apprirent la nomination de Mgr Cortois de Pressigny à l'archevêché de Besançon, ils lui adressèrent une supplique pour obtenir qu'une partie notable des reliques de saint Pierre déposées à Vesoul leur fût rendue. M. Durand, vicaire capitulaire du diocèse de Besançon, autorisa, le 9 juillet 1819, le P. Huvelin à retirer de l'église de Vesoul, avec le consentement du curé et des membres de la fabrique, les reliques de saint Pierre et de les exposer dans l'église de Bellevaux à la vénération des fidèles. Dès le lendemain il députe à M. Bideaux, curé de Vesoul, le frère Hippolyte Minet pour lui faire part des ordres de M. le vicaire général. M. le curé, de l'avis du conseil de fabrique de son église, remit à ce religieux, le 19 juillet, la cuisse, la jambe et le pied gauche du saint unis ensemble et couverts de la peau sans corruption, mais seulement desséchés par l'effet du temps. Ces reliques furent déposées dans une petite chapelle bâtie à l'entrée du monastère. La fête anniversaire de cette translation fut fixée au 20 juillet, et le pape Léon XII, par son bref du 27 mars 1827, accorda à ceux qui visiteraient ces reliques une indulgence plénière à gagner un jour de chaque mois, que l'Ordinaire diocésain fixa au premier dimanche. Le concours des peuples au pied des restes de saint Pierre de Tarentaise recommença aussitôt. Les religieux, manquant d'église, approprièrent un corridor étroit au rez-de-chaussée de leur monastère, y placèrent un autel et quelques stalles : c'est là qu'ils chantaient l'office divin et lébraient la messe.


 
les moines à la grâce-dieu - 1845-1909
Moines de La Grâce-Dieu

les moines à la grâces-dieu tamié
Les moines achetèrent La Grâce-Dieu en 1845 et la quittèrent en 1909

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Histoire de l’Abbaye de Tamié, Garin (Joseph), Paris Chambéry 1927, p.56-60

Selon la remarque de l'abbé Geoffroy, c'est dans l'oc­tave de la Sainte-Croix que Notre-Seigneur a voulu exalter au ciel celui qui avait été ici-bas son fidèle disciple.

Comme les nombreux miracles opérés sur son tombeau venaient s'ajouter aux merveilles qui avaient illustré sa vie, le Chapitre général de Cîteaux adressa, au pape Alexandre III (1159-81) une lettre, par laquelle il faisait ressortir que « La Majesté divine a magnifié Pierre, naguère arche­vêque de Tarentaise; et a fait connaître sa gloire au monde, par de nombreux miracles pendant sa vie et après sa mort, particulièrement à Bellevaux où son corps repose. Aussi, sur la prière de l'abbé de Bellevaux et d'autres abbés qui ont été témoins de ces miracles, le Chapitre général de-mande au pape d'inscrire l'archevêque défunt au catalogue des saints.

Le roi de France Louis VII, à la requête des abbés de l'Ordre, fait une démarche dans le même but, auprès d'Alexandre III. L'abbé de Morimond adresse la même prière, alléguant une guérison miraculeuse dont il a été favorisé, grâce à la tunique de l'archevêque Pierre.

Sur ces entrefaites, Alexandre III mourut et c'est à son successeur, Luce III, que l'on dut envoyer les abbés de Bel­levaux et d'Hautecombe pour poursuivre l'affaire de la canonisation.

Le nouveau pontife leur fit bon accueil, mais ordonna que l'on mit par écrit les actes et les paroles authentiques de l'archevêque, afin que l'Église de Dieu par leur récit certain et hors de conteste, après un examen sérieux, puisse, en temps opportun, en toute prudence et sécurité, concéder ce qui est demandé.

Au reçu de la réponse de Rome, l'abbé de Clairvaux charge l'abbé d'Hautecombe, Geoffroy d'Auxerre, ancien secrétaire de saint Bernard, d'écrire l'ouvrage réclamé par le pape. Il lui indique le travail déjà fait par un abbé défunt qui, ayant vécu longtemps avec l'archevêque, avait confié à sa mémoire, puis écrit ce qu'il avait vu et entendu. Les frères de Bellevaux avaient aussi noté les choses merveilleuses qui s'étaient passées après sa mort.

L'abbé d'Hautecombe, après avoir fait ressortir son indignité pour remplir une telle mission, déclare cependant qu'il obéira car pendant de longues années il a connu Pierre de Tarentaise. Au reste il soumet par avance son tra­vail à l'examen et à la correction de ses supérieurs.

Ce fut cette vie, dont le texte nous a été conservé par les Bollandistes, au Tome II du mois de mai, qui fut en­voyée à Rome. Le pape Luce mourut avant de la recevoir, et les règnes trop rapides des papes Urbain III, Grégoire VIII, Clément III ne permirent pas à l'affaire d'aboutir.

L'abbé de Cîteaux et le Chapitre général de l'Ordre, le prieur de l'Église de. Tarentaise et l'évêque d'Aoste, du­rent donc renouveler auprès du Pape Célestin 111 (1191-1197) leur demande de canonisation.

Le six des ides de mai 1191, le pape enfin publia la bulle de canonisation et approuva le livre contenant le récit de la vie du saint et de ses miracles. Sa fête fut fixée au troisième jour des ides de septembre, jour où son corps avait été pieusement sorti du tombeau (1).

Ce corps fut précieusement conservé à l'abbaye de Bellevaux à qui la bulle du pape Alexandre III l'avait adjugé tout entier. Plus tard certaines reliques furent distraites, mais le chef resta à Bellevaux. On donna une relique notable à la cathédrale de Moutiers; le bras gauche, à l'abbaye de Tamié; le bras droit, à celle de Cîteaux (2) ». C'est en réalité le bras droit qui fut donné à Tamié et le gauche à Cîteaux, comme le prouve le document suivant.
        À la visite pastorale du 29 mai 1633 à Tamié, on fit voir à l'archevêque Benoît Théophile de Chevron Villette, " la main droite avec chair et os de saint Pierre, mais sans pouce. Ce pouce aurait été enlevé avec l'anneau pastoral. par les Luthériens au temps de l'invasion de Genève". (sans doute des Bernois en 1536). Cette main était dans un reliquaire d'argent donné par l'abbé en fonction, François, Nicolas de Riddes.

Ensuite on présenta au prélat visiteur « l'amict, l'étole, le manipule, la mitre, le baculum quotidianum dans lequel sont deux os de saint Pierre. L'aube et le cordon du dit saint Pierre (3) » (Procès verbal de la visite).

Un inventaire, dressé du 24 au 28 mars 1711 par le frère Allard, sacristain de Tamié, nous apprend que toutes ces reliques sont encore à Tamié à cette date. lI y ajoute même une chasuble de taffetas à l'antique et deux tunicelles que mentionne le procès-verbal de 1633, mais sans les attribuer à saint Pierre (4).

Toutes ces reliques furent dispersées par la Révolution. Le baculum quotidianum, retrouvé par dom Mouthon, en décembre 1818, fut porté par lui à l'abbaye de la Novalaise (janvier 1819) (5).

Ce bâton abbatial est depuis revenu dans le trésor de la cathédrale de Moutiers. Il a fait l'objet de plusieurs études archéologiques (6).


Tau du bâton pastoral de saint Pierre de Tarentaise
(Trésor de la cathédrale de Moûtiers)

Quand, en 1791, les moines de Bellevaux durent se dis­perser et prendre le chemin de l'exil; pour obéir aux lois révolutionnaires, les reliques de saint Pierre qu'ils possé­daient furent transportées à l'église paroissiale de Cirey sur le territoire de laquelle Bellevaux était construit. Au moment du pillage des objets précieux des églises, le reliquaire et son précieux contenu furent pris à l'église de Cirey et portés à Vesoul chef-lieu du district. Deux prêtres sauvèrent cepen­dant les saintes reliques et les déposèrent à l'église de Vesoul. Quand la tourmente passée, dom Huvelin vint avec quel­ques moines s'établir à Bellevaux, il demanda et obtint la restitution des reliques. Le curé de Vesoul les rendit, en majeure partie, le 19 juillet 1819. La Révolution de 1830 obligea les moines de Bellevaux à s'exiler de nouveau. Ils emportèrent cette fois avec eux les précieuses reliques et les rapportèrent à leur retour en 1834, quand ils vinrent s'établir, non plus à Bellevaux, mais au Val Sainte-Marie, paroisse de Malans.

Trois ans après, Mgr Mathieu, archevêque de Besançon, pour remercier Mgr Rey qui était venu en 1837 prêcher la retraite ecclésiastique dans son diocèse, demanda au prieur du Val Sainte-Marie une relique de saint Pierre qui fut envoyée à l'évêque d'Annecy avec son authentique (7).

Vers cette époque, les religieux du Val Sainte-Marie pu­rent encore retrouver une mitre, le ciboire et la couverture de lit ou une partie du manteau de saint Pierre. Afin de réunir le tout avec "la cuisse, la jambe et le pied gauche unis ensemble et couverts de peau sans corruption" qu'ils possédaient déjà, un frère fit une châsse nouvelle d'un tra­vail exquis, dans laquelle on transféra les reliques le 21 mars 1841. Le curé de Malans profita de la circonstance pour obtenir, en faveur de son église, une parcelle notable des dites reliques. A cette même date, le chanoine Chevray, du diocèse de Tarentaise, qui écrivait alors une Vie de saint Pierre obtint aussi une parcelle assez considérable, puisqu'il en put donner à son tour à la cathédrale de Moûtiers et au couvent de Tamié.

Quand les fils de saint Bernard revinrent à Tamié, remplacer les frères de Belley, ils reçurent la relique donnée par le chanoine Chevray et eurent en outre le bonheur de voir l'un d'entre eux rapporter à l'abbaye le chef de saint Pierre, retrouvé par hasard dans une famille franc-comtoise. Une châsse de bois sculpté reçut en conséquence le chef de saint Pierre et deux pièces de sa couverture.

En venant s'établir à Tamié en 1909, les religieux de la Grâce-Dieu, héritiers du Val Sainte-Marie, apportèrent ce qu'ils avaient encore des reliques de Bellevaux et les réunirent à celles que possédait déjà l'abbaye de Tamié.


Châsse de saint Pierre de Tarentaise sur de l'autel de l'église de Tamié
L'aménagement date de dom Alexis Presse à Tamié de 1924 à 1935

Le pieux visiteur peut donc vénérer dans l'église du monastère toutes ces reliques de saint Pierre II de Taren­taise, qui demeure la gloire la plus pure de l'abbaye.

Jusqu'en 1925, une première châsse contenait le chef de saint Pierre et deux fragments de sa couverture; une autre, plus grande, renfermait une mitre, un peigne liturgique, un ciboire, une couverture et la jambe gauche du saint.

Pour vénérer ces reliques et fêter le saint, plusieurs dates furent successivement choisies. Par bulle de 1196, le pape Célestin III transféra la célébration de la fête du saint du 14 septembre au 8 mai, jour de sa mort. Les pères de Bellevaux célébrèrent depuis lors deux fêtes le 8 mai et le 14 septembre.

 
Une ordination à Tamié devant l'autel et les reliques de saint Pierre de Tarentaise.

Saint François de Sales honorait notre saint d'un culte spécial, le déclarait un de ses protecteurs dans le ciel et l'inscrivait au martyrologe pour le 8 mai, dans le rituel à l'usage du diocèse de Genève (8).

Sous Mgr Biord, dans le propre de l'Office du même diocèse, la fête est marquée au 13 mai. Mgr de Sales la mit au 13 septembre, en 1818, puis les évêques de Tarentaise et Mgr Billiet lui assignèrent le 14 mai (9).

Quelle que soit d'ailleurs la date de la fête, l'office demeure le même et les leçons résument la vie du saint écrite par Geoffroy d'Auxerre, abbé d'Hautecombe.

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(1) Chevray, p. 277-292. — C. Blanchard : Histoire d'Haute­combe, p. 107-109.

(2) Chevray, p. 207-210. Besson, p. 202. Burnier, p. 41.

(3) Arch. Dép. G I, p. 93.

(4) Revue savoisienne 1865, p. 54.

(5) Mouthon : Triomphe de la Miséricorde., p. 84.

(6) Borrel : Monuments anciens de Tarentaise, p. 253 et planche 90. — Mgr Barbier de Montault : Notes archéologiques sur Moûtiers et la Tarentaise, p. 34-41.

(7) Histoire des trappistes du Val Sainte-Marie, in-8°, Namur, 1841, p. 127. — Abbé Richard : Histoire de l'Abbaye de la Grâce-Dieu, in-8°, Besançon, p. 200-230. — Chanoine Chevray -Histoire de Saint Pierre, p. 213-215.

(8) Chevray, p. 204.

(9) Officia propria, Annecy, 1777, p. 192. — Mgr Billiet : Officia proprio, p. 198, Chambéry, 1858. — Mgr Rochaix : Offi­cia proprio, Chambéry, 1830, p. 112.

(10) Sur Saint Pierre, voir les vies écrites par dom Pierre Le Nain, Besançon, 1685, réimprimée à Vesoul en 1825, à Baume-les-Dames, chez Simon, 1835 ; par M. Besson, supérieur du collège Saint-François-Xavier à Besançon, 186o ; par le chanoine Chevray, Baume, 1841 ; par Brutley, curé de Cirey-les-Belle­vaux, Besançon, 1874. (Toutes ces vies ont pour base celle de Geoffroy d'Hautecombe).

 

Histoire de Tamié par Garin, p. 357-360

Dom Théodore Pitoulet prieur de Tamié eut la joie de voir revenir à Tamié le chef de saint Pierre, premier abbé de ce monastère. Cette précieuse relique avait été retrouvée, à Vitreux dans le Jura, par le Père Grégoire qui quêtait dans ce pays, vers le 14 avril 1869. Le 15 août 1870un jugement portant réquisition canonique, avait été rendu et le 20 octobre 1871, le chef de saint Pierre arrivait à Tamié. Le 30 avril 1872 un bref de Pie IX accordait des indulgences à perpétuité à Tamié à raison de ce chef et le 10 mai suivant, le vicaire général de Chambéry venait reconnaître à Tamié la précieuse relique et la déposer dans une châsse en bois, de forme gothi­que, oeuvre d'un religieux. L'on célébra une fête splendide, présidée par l'évêque de Tarentaise, et à laquelle assista, avec crosse et mitre, l'abbé de la Grâce-Dieu, dom Malachie, ancien prieur de Tamié.

reliques de saint pierre à tamié
Dom Alexis Presse rassembla les reliques de saint Pierre de Tarentaise
Jambe gauche, chef, mitre, ciboire, peigne, ceinture, couverture.

C'est aussi sous le priorat de dom Théodore que l'on fit, à N.-D. de Tamié, le grand pèlerinage dont les rares témoins encore vivants gardent un souvenir inoubliable. Il eut lieu le 29 juillet 1873. Les âmes meurtries par les récentes défaites se tournaient volontiers vers Dieu, pour trouver dans la religion consolation et espérance. L'évêque de Tarentaise d'alors, Mgr Charles François Turinaz, avait proposé à ses diocésains plusieurs pèlerinages en l'honneur de la Sainte Vierge, à Tamié, à N.-D. de la Vie, à Saint Martin; à N.-D. des Châteaux, dans la vallée de Beaufort.

Le Cercle catholique d'Albertville, sous l'inspiration de M. l'archiprêtre Lépine, avait pris l'initiative et s'était chargé de l'organisation du pèlerinage de Tamié. Malgré l'orage épouvantable qui, la veille du jour fixé, avait fondu sur la vallée, les pèlerins ne se découragèrent pas. A 3 h 1/2  du matin, l'église d'Albertville avait peine à contenir tous ceux qui étaient accourus des environs et de la vallée de Beaufort. Une heure plus tard, 1200 pèlerins, la croix rouge et l'insigne du Sacré-Coeur sur la poitrine, se mettent en marche au chant des cantiques et des psaumes. La récitation du chapelet alternait avec les chants. A Plancherine, rendez-vous des riverains de l'Isère, les rues sont tapissées de verdure, les cloches sonnent à toute volée et les « boîtes » font retentir les échos de la montagne. Sur la route, de loin en loin, se dressent des oratoires en l'honneur du Sacré-Coeur et de la Vierge Immaculée. On arrive enfin aux granges des Pères, où la procession se forme régulièrement. Pendant ce temps, un immense cortège analogue monte aussi de Faverges conduit par le curé de cette paroisse, saint vieillard qui marche péniblement en s'appuyant sur un bâton, mais qui, pour cette belle manifestation, veut oublier son âge et ses infirmités. La jonction des deux pieuses colonnes se fait aux granges des Pères. Mgr Turinaz est là, - sur un tertre de gazon, contemplant ce merveilleux spectacle de foi courageuse. Pendant deux heures, les pèlerins défilent devant le prélat qui les bénit et la procession, passant par l'église du monastère pour vénérer les reliques de Saint-Pierre, son premier abbé, va se ranger en bon ordre dans l'immense verger, où s'élevait jadis la vieille abbaye. Sur l'emplacement de l'ancien autel où célébrait Saint-Pierre, on a dressé un autel, orné de feuillage, que surmonte la statue du Sacré-Coeur. Tout autour prennent place plus de 15o ecclésiastiques, les délégations des Pères Capucins et des Pères de Hautecombe et la foule, qu'un témoin estime atteindre le chiffre de sept mille personnes.

L'évêque de Tarentaise, célèbre la Sainte Messe pontificalement, assisté par les Pères Trappistes. À l'Évangile, le Père Joseph, capucin, prononce le panégyrique de Saint-Pierre de Tarentaise et dit les leçons qui découlent de sa vie, puis, c'est le chant du Credo, énergique et puissant, que répètent les montagnes voisines.

Quand cette émouvante cérémonie est achevée, les pèlerins déjeunent sur l'herbe. Ce beau spectacle rappelle la scène évangélique de la multiplication des pains. Le miracle est d'ailleurs évoqué par les bons moines qui, pendant près d'une heure, distribuent généreusement le pain à la porte du monastère. Les pauvres sont accourus nombreux à cette fête de la charité autant que de la foi. Cependant les reliques de Saint-Pierre sont exposées sur l'autel de la prairie et chacun peut à son aise les contempler et les vénérer. A deux heures le Saint-Sacrement est aussi apporté et, près de Jésus-Hostie, l'évêque de Tarentaise développe, dans un magnifique discours, la parole de l'apôtre Saint-Pierre, sur le Thabor: « Bonum est nos hic esse ». Il nous fait bon être ici. Et quand l'auditoire immense, dont l'évêque avait, par sa chaude parole, ranimé la foi et l'espérance, eut reçu la bénédiction du Dieu de l'Eucharistie, ce fut une dernière visite à l'église du monastère. Là, sous les voûtes sonores, le chant du Salve Regina, par les moines, sembla reporter les pèlerins à six siècles en arrière, aux pieds de la Mère de Miséricorde, au milieu des choeurs de Cîteaux.

La fête achevée, c'est à regret que, le soir venu, l'on quitta ces lieux sanctifiés par la prière, où s'était trop vite passée, cette inoubliable journée. Par groupes, la foule s'écoula lentement, chantant joyeusement le cantique «  Je suis chrétien ». Et, dans le silence, la solitude et la prière, les moines reprirent leur vie accoutumée.

Extrait de : Les grands Pèlerinages de Tarentaise en 1873, in-16, Annecy, 1873.

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Histoire des moines de Tamié et de quelques autres
Martin [Bruno-Jean], St Étienne, 1982, p. 139

Grâce à Dom Alexis Presse, le nouvel abbé de Tamié, le monastère retrouvait son rayonnement. On le vit bien à l'automne 1932. Cette année-là marquait le huitième centenaire de l'abbaye. Des fêtes exceptionnelles, réparties sur trois jours, furent organisées. Tout un monde de grands personnages et d'amis fidèles fut invité. Les cérémonies se déroulèrent en plein air sur l'emplacement du premier monastère où plusieurs processions fort pittoresques portèrent et rapportèrent les reliques insignes du fondateur, saint Pierre de Tarentaise. De sa plume alerte, Dom Alexis en retraça les phases et publia un album-souvenir abondamment illustré.