7ème dimanche de Pâques — Abbaye de Tamié

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Abbaye de Tamié

7ème dimanche de Pâques

Sermon de saint Bernard
croix - arcabas
7ème dimanche de Pâques

 


 Sermon 3 de saint Bernard pour l'Ascension

Le Seigneur s'est montré lui-même si manifestement aux apôtres que, dès lors, ce n'est plus par les créatures visibles que nous avons pu comprendre ce qu'il y a d'invisible en Dieu (Rm 1, 20), mais c'est en contemplant face à face celui qui a fait toutes choses. Comme les disciples étaient des hommes charnels tandis que Dieu est esprit et qu'il n'y a rien de commun entre la chair et l'esprit, il s'est voilé pour eux sous des dehors corporels et leur a montré dans une chair vivifiante : le Verbe de Dieu incarné, c'était leur montrer le soleil derrière un nuage, une lumière éclatante dans un vase de terre, un flambeau allumé dans une lanterne. Le souffle de notre bouche est le Seigneur Christ, car c'est à lui que nous disons : « Nous vivrons sous ton ombre parmi les nations » (Lm 4, 20), sous ton ombre, dit le Prophète, au milieu des peuples, non pas au milieu des anges où il nous sera donné de contempler sa lumière dans tout son éclat, avec un oeil d'une pureté parfaite. Voilà pourquoi il fut dit à Marie que la vertu du Très-Haut la couvrirait de son ombre, parce qu'il y avait lieu de craindre pour elle, si elle se fût trouvée inondée de tout l'éclat de sa lumière, qu'elle ne pût même de son regard d'aigle contempler la divinité dans toute sa splendeur. Le Seigneur ne s'est donc montré à ses disciples, dans la chair, que pour détacher toutes leurs pensées des choses de ce monde et les reporter sur sa personne visible qui disait et faisait des choses merveilleuses et, par la chair, les conduire à l'esprit, car Dieu est esprit et il faut que ses adorateurs l'adorent en esprit et en vérité (Jn 4, 24). Ne vous semble-t-il pas, après cela, qu'il a encore éclairé leur esprit quand il ouvrit leur intelligence et leur fit comprendre le sens des Écritures, en leur montrant qu'il fallait que le Christ souffrît, ressuscitât d'entre les morts et entrât par cette voie dans sa gloire (Luc 24, 26)?

Mais, habitués à jouir de la présence de cette très sainte chair, les apôtres ne pouvaient entendre parler d'un départ qui devait les priver de la présence du Seigneur, eux qui avaient renoncé à tout pour lui. Pourquoi cela? C'est parce que si leur intelligence était éclairée, leur volonté n'était pas encore purifiée. Aussi, entendons-nous leur doux maître leur dire avec beaucoup de douceur et de bonté : « Il vous est utile que je m'en aille; car si je ne m'en vais pas, le Consolateur ne viendra pas à vous... Mais parce que je vous ai dit ces choses votre coeur se remplit de tristesse » (Jn 16, 7 et 6). Mais d'où vient que tant que le Christ restait sur la terre, l'Esprit Saint ne pouvait descendre sur les apôtres? Est-ce qu'il lui était pénible de se trouver avec cette chair qui a été conçue et est née de lui et par son opération, dans le sein d'une vierge et d'une vierge mère? Loin de nous cette pensée. Mais il voulait nous tracer la route que nous devons suivre et imprimer en nous la forme qui doit être la nôtre. Et en effet, le Christ s'éleva dans les airs, au milieu des larmes de ses apôtres, mais il leur envoya le Saint Esprit qui purifia ou plutôt changea leurs sentiments, c'est-à-dire leur volonté, en sorte que dès lors, après avoir voulu le retenir parmi eux, ils étaient heureux, au contraire, qu’il fût retourné dans les cieux. Voilà comment s'accomplit cette parole prophétique du Seigneur : « Vous serez dans la tristesse, mais cette tristesse se changera en joie » (Jn 16, 20). C'est ainsi que le Christ éclaira leur intelligence et que le Saint Esprit purifia leur volonté, en sorte que pour eux, connaître le bien c'est le vouloir ; or, c'est dans ces dispositions seulement que se trouve la religion parfaite ou la perfection religieuse.

Il me revient en mémoire ce que le saint prophète Élisée répondit au prophète Élie, quand il lui disait de lui demander ce qu'il voudrait au moment où il se séparerait de lui, ou lui serait enlevé : « Je demande  qu’une double part de ton esprit demeure en moi. Elie reprit : Tu me demandes là une chose bien difficile. Néanmoins si tu me voies quand je vous serai enlevé, au auras ce que tu demandes » (2 R 2, 9 et l0). Ne vous semble-t-il pas que le prophète Élie est la figure du Seigneur au jour de son ascension et que le prophète Élisée est celle des apôtres qui soupirent avec inquiétude au moment où le Christ monte dans les cieux ? De même que Élisée ne pouvait détacher ses yeux du prophète Élie, ainsi les apôtres ne pouvaient renoncez à la présence de Jésus Christ. C'est à peine s'il put leur persuader que sans la foi il est impossible de plaire à Dieu. Mais que faut-il entendre par ce double esprit que Élisée demande, sinon la lumière de l'intelligence et la purification de la volonté? C'est une chose difficile que d'avoir ce double esprit, car il est bien rare de trouver sur la terre un homme à qui il soit donné de le posséder. « Néanmoins, avait dit Élie, si tu me vois quand je vous serai enlevé, tu auras ce que tu demandes.» Tes chers disciples, ô Seigneur Jésus, n'ont donc rien à perdre quand ils te verront t’élever dans les cieux et que d'un regard plein de regret, ils te suivront dans ton ascension pleine de force et de puissance. Nous pouvons certainement regarder comme le double esprit d'Élisée ce dont le Sauveur parle à ses apôtres en leur disant : « Quiconque croira en moi fera les oeuvres que je fais, il en fera même de plus grandes encore » (Jn 14, 12). En effet, saint Pierre ne fit-il pas de plus grandes choses que Jésus Christ même, mais toutefois par Jésus Christ, lorsque, selon les saintes Écritures, «les populations apportaient les malades dans les places publiques et les déposaient sur de petits lits afin que lorsque Pierre viendrait à passer, son ombre couvrit quelqu'un d'eux et les guérit de leurs maux (Ac 5, 15) ? On ne voit, en effet nulle part, que le Sauveur ait guéri qui que ce soit par la seule vertu de son ombre.

Pour moi, je ne fais pas un doute que votre intelligence à tous ne soit illuminée, mais j'ai plus d'un motif manifeste pour croire que votre volonté n'est pas également purifiée. Tous, en effet, vous connaissez la voie que vous devez suivre et la manière dont il faut marcher dans cette voie, mais vous ne le voulez pas tous également. Il y en a plusieurs parmi vous, il est vrai, qui, non seulement, marchent mais courent, mais volent à tous les exercices dont cette voie et cette vie sont remplies; pour eux, les veilles sont courtes, les mets qui leur sont servis sont agréables et doux, leurs pauvres vêtements sont bons et les travaux de leur vocation non seulement sont tolérables, mais même pleins de charmes et d'attraits. Mais il y en a aussi d'autres pour qui il n'en est pas ainsi; c'est avec un coeur sec ou plutôt à contre-coeur et par une sorte de respect humain qu'ils se traînent plutôt qu'ils ne se portent à toutes ces choses et sous l'empire seul de la crainte de l'enfer. Que dis-je? Il y en a même quelques-uns qui se sont fait un front de courtisane qui ne sait plus rougir, que nous ne pouvons même plus forcer à ces sortes d'exercices. Oui, mes frères, il y en a beaucoup parmi nous, qui s'assoient à la même table que nous, dorment à côté de nous, mêlent leurs chants aux nôtres, partagent nos travaux et que j'appellerai bien malheureux, misérables même, attendu que, partageant toutes nos tribulations, ils n'ont aucune part à nos consolations. Dirai-je que le bras du Seigneur s'est raccourci et qu'il ne peut plus donner à tous ses enfants, quand je sais qu'il n'a qu'à ouvrir la main pour combler tout être vivant de ses bénédictions? Quelle est donc la cause pourquoi il en est ainsi? La voici, je crois : c'est qu'ils ne voient pas le Christ lorsqu'il leur est ravi, en d'autres termes, ils ne songent pas comment il les a laissés orphelins, qu'ils sont des étrangers et des voyageurs sur la terre, qu'ils sont ici-bas dans leur corps de corruption comme dans un horrible cachot et qu'ils ne sont pas avec le Christ. Pour ces religieux-là, s'ils demeurent longtemps ainsi sous le fardeau qu'ils supportent, ils finiront par succomber ou par en être écrasés; on peut dire qu'ils sont dans une sorte d'enfer et qu'ils ne respirent jamais pleinement à la lumière des miséricordes du Seigneur, ni dans cette liberté de l'esprit qui seule rend doux le joug du Seigneur et son fardeau léger.

Or, cette tiédeur pernicieuse vient de ce que leur affection, c'est-à-dire leur volonté, n'est pas encore purgée et que, pour eux, connaître le bien ce n'est pas encore le vouloir, parce qu'ils sont toujours pesamment attirés et subjugués par leur propre concupiscence. En effet, ils aiment dans leur chair toutes ces prévenances terrestres qui se manifestent par un mot, par un signe, par un fait et de mille autres manières et s'ils y renoncent quelquefois, ce n'est jamais sans espoir de retour. Voilà d'où vient qu'ils dirigent rarement leurs affections vers Dieu : leur componction n'est pas de tous les moments, elle a ses heures et si je puis le dire, ses moments. Or, l'âme ne saurait être remplie de la grâce du Seigneur dès qu'elle est sujette à toutes ces distractions; mais si elle se dégage de celles-ci, elle sera comblée de celle-là, mais elle sera d'autant plus ou d'autant moins remplie de la grâce qu'elle se sèvrera plus ou moins de ces distractions charnelles. Ou plutôt, si vous l'aimez mieux, jamais, au grand jamais, les consolations de la grâce ne se mêleront à celles de la chair, car dès que leur huile ne trouve plus de vases vides, elle cesse de couler. D'ailleurs on ne peut mettre le vin nouveau que dans des outres nouvelles, si on veut conserver le vin et les outres. En effet, on ne peut mettre ensemble l'esprit et la chair, le feu et la tiédeur, surtout quand on sait que la tiédeur provoque le dégoût et les nausées au Seigneur même (Ap 3, 16).

Mais si les Apôtres, parce qu'ils étaient encore attachés à la chair de Notre Seigneur, qui pourtant était saint, car c'était la chair du Saint des saints, ne purent être remplis du Saint Esprit que lorsque cette chair sainte leur fut enlevée, comment, tant que vous demeurerez attachés, collés à votre propre chair même, qui est on ne peut plus souillée, remplie de toutes les souillures qu'on peut imaginer, comment pouvez-vous espérer que vous recevrez cet esprit de toute pureté, tant que vous n'aurez pas tout à fait renoncé à ces consolations charnelles ? Sans doute dans le commencement, votre coeur sera rempli de tristesse; mais cette tristesse fera bientôt place à la joie. En effet, dès ce moment vos affections seront purifiées, votre volonté sera renouvelée, ou plutôt il en sera créé une nouvelle en vous, en sorte que tout ce qui vous avait d'abord paru difficile, impossible même, vous paraîtra plein de douceur, vous l'embrasserez avec une sorte d'avidité. « Envoie ton esprit, dit le Prophète et ils seront créés de nouveau et tu renouvelleras la face de la terre (Ps 103, 30). » De même que c'est à l'extérieur qu'on distingue les hommes entre eux, ainsi est-ce à la volonté de l'homme qu'on reconnaît ce qu'il est à l'intérieur. Ainsi donc, lorsque le Saint Esprit est envoyé dans un homme, la face de la terre est recréée et refaite de nouveau, c'est-à-dire de terrestre qu'elle est, sa volonté devient céleste, toute prête à obéir plus rapidement même que la pensée ne commande. Bienheureux ceux qui en sont là; non seulement ils ne sentent pas la fatigue mais même leur coeur semble se dilater de bonheur d'une manière surprenante. Quant à ceux dont nous parlions tout à l'heure, Dieu en parle en ces termes effrayants : « Mon esprit ne demeurera pas pour toujours en eux, parce qu'ils ne sont que chair » (Gn 6, 3) c'est-à-dire charnels et que tout ce qui était esprit en eux est devenu chair.

Eh bien, mes très-chers frères, puisque c'est aujourd'hui que l'Époux nous est enlevé, non sans que nos coeurs en ressentent quelque émotion et quelque trouble, mais pour nous envoyer l'Esprit de vérité, pleurons et prions, afin qu'il nous trouve, ou plutôt qu'il nous rende dignes de le recevoir et qu'il remplisse la maison où nous nous trouvons réunis et que, par son onction, plutôt que par ses coups, il nous instruise de toutes choses, qu'il illumine notre intelligence et purifie notre volonté, qu'il vienne enfin à nous et établisse sa demeure en nous. De même que le serpent de Moïse dévora tous les serpents des mages (Ex 7, 12), ainsi, lorsque cet esprit sera venu en nous, absorbera-t-il toutes nos affections charnelles, toutes nos délectations sensuelles et répandra-t-il ses consolations dans nos âmes, fera-t-il succéder le repos au travail, la joie à la tristesse et la gloire à l'ignominie et nous rendra pareils aux apôtres qu'il avait remplis et qui se retiraient le coeur plein de joie de devant le conseil, parce qu'ils avaient eu le bonheur de souffrir des affronts pour le nom de Jésus (Ac 5, 41). En effet, l'esprit de Jésus est un esprit bon, saint, droit, doux et principal, qui rend doux et large tout ce qui semble étroit et difficile dans ce siècle mauvais, qui fait trouver du bonheur dans les opprobres et nous montre la gloire dans le mépris des hommes. Suivant le conseil du Prophète, examinons nos voies avec soin et surveillons nos désirs; élevons au ciel nos mains et nos coeurs (Th 3, 40), afin de nous réjouir, le jour de la descente du Saint-Esprit qui doit nous faire entrer dans toute vérité, selon la promesse du fils de Dieu.