Fête du Corps et Sang du Christ — Abbaye de Tamié

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Fête du Corps et Sang du Christ

Homélie par Frère Raffaele

Tableau de Léonard de Vinci

Fête du Corps et du Sang du Christ

1ère lecture : Melkisédek offre le pain et le vin (Gn 14, 18-20)
Lecture du livre de la Genèse
En ces jours-là, Melkisédek, roi de Salem, fit apporter du pain et du vin : il était prêtre du Dieu très-haut. Il bénit Abram en disant : « Béni soit Abram par le Dieu très-haut, qui a fait le ciel et la terre ; et béni soit le Dieu très-haut, qui a livré tes ennemis entre tes mains. » Et Abram lui donna le dixième de tout ce qu’il avait pris.

Psaume : Ps 109 (110)

R/ Tu es prêtre à jamais, selon l’ordre de Melkisédek.

Oracle du Seigneur à mon seigneur :
« Siège à ma droite,
et je ferai de tes ennemis
le marchepied de ton trône. »

De Sion, le Seigneur te présente
le sceptre de ta force :
« Domine jusqu’au cœur de l’ennemi. »

Le jour où parait ta puissance,
tu es prince, éblouissant de sainteté :
« Comme la rosée qui nait de l’aurore,
je t’ai engendré. »

Le Seigneur l’a juré
dans un serment irrévocable :
« Tu es prêtre à jamais
selon l’ordre du roi Melkisédek. »

2ème lecture : « Chaque fois que vous mangez ce pain et buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur. » (1 Co 11, 23-26)
Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, Soeurs - j’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur, et je vous l’ai transmis : la nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. » Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. » Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.

« Ils mangèrent et ils furent tous rassasiés » (Lc 9, 11b-17)

Alléluia. Alléluia. "Moi, je suis le pain vivant qui est descendu du ciel, dit le Seigneur ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement." Alléluia.

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, Jésus parlait aux foules du règne de Dieu, et guérissait ceux qui en avaient besoin. Le jour commençait à baisser. Alors les Douze s’approchèrent de lui et lui dirent : « Renvoie cette foule : qu’ils aillent dans les villages et les campagnes des environs afin d’y loger et de trouver des vivres ; ici nous sommes dans un endroit désert. » Mais il leur dit : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » Ils répondirent : « Nous n’avons pas plus de cinq pains et deux poissons. À moins peut-être d’aller nous-mêmes acheter de la nourriture pour tout ce peuple. » Il y avait environ cinq mille hommes. Jésus dit à ses disciples : « Faites-les assoir par groupes de cinquante environ. » Ils exécutèrent cette demande et firent assoir tout le monde. Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction sur eux, les rompit et les donna à ses disciples pour qu’ils les distribuent à la foule. Ils mangèrent et ils furent tous rassasiés ; puis on ramassa les morceaux qui leur restaient : cela faisait douze paniers.

© AELF - Paris 2013

Homélie

Frères et soeurs, commençons par contempler le paysage où se produit le miracle que nous venons d'entendre : la multiplication des pains et des poissons. Jésus, avec ses douze apôtres et la foule, se trouve dans un endroit désert. Le jour commence à baisser. Pendant de longues heures Jésus a enseigné la Parole et cette foule l'a écouté sans se lasser. Ils venaient de loin, tous ces gens, et uniquement à cause de lui. Ils ont quitté leurs villages pour ce lieu désert. Ils sont venus avec leurs malades, et Jésus les a guéris. Ils n'ont pas pensé à prendre des provisions, et voilà qu'ils ont faim maintenant. Car, s'il est vrai que l'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu, il n'en demeure pas moins qu'il a un corps, avec ses nécessités vitales.

Les Douze s'en aperçoivent et ils alertent Jésus. Impossible de nourrir une telle foule en ce lieu désert et à l'heure qu'il est. Une solution raisonnable s'impose : renvoyer les gens dans les villages où ils pourront trouver nourriture et logis. Or, Jésus n'accueille pas cette suggestion, si logique et si légitime soit-elle. Pourquoi ? Parce que la situation où il se trouve est exactement celle que Dieu répète depuis des siècles avec son peuple, la situation où ne cessent de germer les merveilles de Dieu.

Ici, comme déjà dans l'Ancien Testament, il y a un Exode, un exode de gens qui ont quitté tout parce que quelqu'un les a attirés et fascinés. Il y a le désert où ils s'enfoncent et où ils se trouvent sans provisions et sans ressources. Il y a, à la tombée du soir, cette tentation de tout lâcher, de rebrousser chemin et de gagner des lieux plus accueillants. Mais surtout, il y a cet étonnant et merveilleux dialogue entre Jésus et son peuple. Cette foule saisie et captivée par la Parole, et Jésus ému et bouleversé par la détresse de la foule, dans ce haut-lieu du dialogue qu'est le désert. « Je la conduirai au désert, avait dit Dieu par l'entremise du prophète Osée, et je lui parlerai au coeur. » (Os 2, 14)

Ici, comme dans l'Ancien Testament, où Dieu avait nourri avec la manne son peuple en exode dans le désert, Jésus est provoqué au miracle. Car Dieu ne peut pas ne pas nourrir ceux qui ont accepté d'avoir faim à cause de lui. Toute détresse est le haut-lieu de la miséricorde. Tout désert devient le lieu où la Présence divine se manifeste.

« Donnez-leur vous-mêmes à manger », dit Jésus. Qu'est-ce que cinq pains et deux poissons pour nourrir une telle foule ? Rien, et pourtant cela suffit. Comment cela est-ce possible ?

Je laisse un grand théologien et pasteur protestant nous répondre, qui a été aussi un martyr de la foi : Dietrich Bonhoeffer, pendu par les nazis, sur ordre exprès d'Hitler, dans le camp de concentration de Flossenbürg, le 9 avril 1945. Voilà ce qu'il dit : « Aussi longtemps que nous mangeons notre pain en communauté, il nous suffira même s'il y en a très peu. La faim ne commence qu'avec celui qui prétend avoir sa nourriture pour lui seul. C'est une loi divine étonnante. Ne serait-ce pas une des significations de la multiplication des pains, où l'on voit Jésus-Christ nourrir cinq mille hommes avec cinq pains et deux poissons ? »

Il y a environ deux semaines, nous avons reçu chez nous, à Tamié, un père carme, missionnaire à Bangui, en République Centrafricaine, là où notre pape François est allé ouvrir la porte sainte pour inaugurer l'année jubilaire de la miséricorde. Il nous a raconté que, pendant la guerre civile qui a ravagé le pays, son couvent avec ses dépendances est devenu un lieu de refuge pour des dizaines, puis des centaines, enfin des milliers de personnes. Au plus fort du conflit, en l'automne 2015, ils étaient environ cinq-mille. Et pourtant, il y a eu toujours de quoi nourrir tout le monde. Ce père canne n'a pas osé prononcer le mot «miracle », mais il nous a dit qu'il a dû se produire là une sorte de mystérieuse, d'inexplicable multiplication des pains. Pour ma part, je n'hésite pas à le croire.

Frères et soeurs, le repas fraternel que nous allons célébrer maintenant est l'un de ces miracles que le Seigneur ne cesse de renouveler sous nos yeux. Lui-même y prend le pain, prononce la bénédiction, le rompt et le donne de nouveau à ses disciples. Le pain qui devient son corps ; le vin qui devient son sang : présence réelle du Seigneur au milieu de nous. Mysterium fidei : il est grand, le mystère de la foi ! Amen.