Homélie - 17ème dimanche — Abbaye de Tamié

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Homélie - 17ème dimanche

Par Frère Raffaële
 

Homélie pour le 17ème dimanche ordinaire
La multiplication des pains - Jn 6, 1-15

Le miracle de la multiplication des pains est si éclatant, si retentissant que les gens pensent avoir trouvé la personne juste pour résoudre tous leurs problèmes : du coup ils veulent faire de Jésus leur roi. Mais Jésus ne se laisse pas entraîner. Il est venu rendre les hommes libres, non pour les dominer. C'est pourquoi il disparaît lorsque les gens veulent lui donner le pouvoir sur eux. Il sait que l'homme reste facilement un enfant en quête d'un père capable de pourvoir à tous ses besoin, et il ne veut pas jouer ce rôle.
Bien sûr, Jésus lui aussi est constamment uni à son Père, mais non pour être tiré d'embarras : sur la croix, il ne recevra aucune aide du ciel, sinon la force de manifester l'amour du Père jusqu'à la mort. Jésus sait assumer la solitude et la nécessité de gérer lui-même sa propre vie, en adulte responsable. D'ailleurs, la multiplication des pains n'a pas jailli du néant. Il y avait là un jeune garçon qui a donné son pauvre pique-nique, deux poissons et cinq pains d'orge, le pain des pauvres. Je ne crois pas que, dans une foule aussi nombreuse il n'y eût qu'une seule personne ayant quelques provisions. Mais seul cet adolescent, dans sa simplicité et sa générosité, a donné ce qu'il avait. C'est là le véritable auteur du miracle : là où il y a quelqu'un prêt à partager, là Dieu peut agir. Dieu veut toujours avoir besoin d'un support humain pour se manifester. Sa puisance se déploie dans notre faiblesse. Un pauvre lui a fait confiance. C'est cela, la liberté que Jésus cherche en l'homme. C'est la liberté de la confiance, de l'ouverture à l'Esprit Saint qui nous pousse à partager le peu que nous avons avec ceux qui n'ont rien.
Une grande figure de la résistance allemande au nazisme, le pasteur luthérien Dietrich Bonhoeffer, qui fut pendu au camp de concentration de Flossenbürg en avril 1945 a écrit ces mots si beaux et si justes : " Aussi longtemps que nous mangeons notre pain en communauté, il nous suffira, même s'il y en a très peu. La faim ne commence qu'avec celui qui prétend avoir sa nourriture pour lui seul. C'est une loi divine étonnante. Ne serait-ce pas une des significations de la multiplication des pains ?"

Mais ce récit nous étonne aussi par un autre côté. Comment ne pas rester émerveillés en voyant que même ceux qui n'ont pas eu la générosité d'offrir leurs propres provisions ont bénéficié de l'abondance de ce miracle ? C'est que Dieu ne sait pas compter. Dieu ferait un très mauvais comptable. Il fait largesse à tout le monde, avec magnificence. Notre Seigneur est un grand saigneur. Mais peut-être seul ce jeune garçon qui a donné tout ce qu'il avait, a compris le coeur du Seigneur.
En multipliant les pains et les poissons, Jésus multiplie le don de l'enfant. Or, cinq pains pour cinq mille hommes, c'est un pour mille. Que signifie cette disproportion ? Dieu nous aime et il désire notre réponse, mais il sait très bien qu'entre son amour et le nôtre, il y a une disproportion infinie. Nous faisons des efforts pour vivre selon l'esprit de l'Évangile et nous réussissons parfois, mais si peu et si faiblement. "J'essaie bien d'être aimable avec telle personne, de pardonner à telle autre, mais je n'y arrive pas ! J'ai beau essayer de me corriger de tel défaut, mais c'est toujours la même chose !" Alors en entendant les exigences de l'Évangile, nous avons envie de baisser les bras et nous n'en finissons pas de nous culpabiliser.
Jésus vient alors vers nous pour nous dire : "N'aie pas peur ! Ce que je te demande, c'est ta pauvreté, tes faiblesses elles-mêmes. Tu n'as pas grand chose à me donner, que le un pour mille ? C'est très peu, c'est dérisoire, et ça te paraît indigne de moi ? Mais ça suffit pour que je fasse pour toi et avec toi des merveilles."
Soyons-en sûrs : Jésus ne regarde pas comme nous. Quand nous donnons de l'amour, de l'amitié, un peu de notre temps ou simplement un sourire, quand nous essayons de respecter l'autre, de ne pas le juger, quand nous faisons une démarche de pardon, Jésus s'empare de ce petit peu pour construire avec nous, patiemment, jour après jours, son Royaume.