Homélie pour l'Ascension — Abbaye de Tamié

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Homélie pour l'Ascension

Par dom Victor
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Ascension du Seigneur

Le temps de Pâques qui se terminera le jour de Pentecôte est un temps liturgique qui essaye de nous habituer au temps de Dieu. Ce temps de Dieu qui vient à nous, le temps du Royaume, n'entre pas dans le cadre de nos calendriers. Il échappe à nos prises mais il insère dans notre temps historique une présence, celle d'un vivant, le Christ ressuscité. Chaque eucharistie nous permet d'entrer dans ce temps de Dieu et de communier à cette présence. Voilà pourquoi la liturgie ne parle pas de jours après Pâques mais de l'unique jour de Pâques, un jour qui est au-delà de la durée. Le temps entre Pâques et Pentecôte est vécu comme un seul jour, celui de la présence de Jésus ressuscité à son Église.

Aussi est-ce avec grande discrétion que les Évangiles évoquent l'Ascension car elle ne met pas fin à cette présence de Jésus, bien au contraire, elle l'inaugure. Si nous regardons de près chacun des évangiles, que remarquons-nous ? Celui selon saint Jean se termine par la rencontre de Jésus au bord du lac de Tibériade en Galilée avec la pêche miraculeuse et un repas de quelques pains et quelques poissons, allusion eucharistique semblable à celle de la multiplication des pains. Après la triple question de Jésus à Pierre: m'aimes‑ tu ? Jésus lui dit par deux fois : Suis-moi ! La veille de sa mort, Jésus lui avait déclaré : Là où je vais tu ne peux me suivre maintenant, mais tu me suivras plus tard. Pierre avait alors affirmé devant tous : Pourquoi ne puis-je te suivre à l'instant ? Je donnerai ma vie pour toi ! (Jn 13, 36-37) Et Jésus lui avait annoncé son triple reniement. Maintenant, après sa triple confession d'amour, Jésus lui demande de le suivre. L'évangile s'achève sur cette scène d'une très grande présence et cette injonction : Suis-moi.

Saint Matthieu, au chapitre 28, nous situe également en Galilée mais sur la montagne : Quant aux onze disciples, ils se rendirent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre. Jésus leur dit : Allez donc : de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit... Et moi je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des temps. Aucune mention du départ de Jésus mais bien plutôt celle de sa présence tous les jours jusqu'à la fin des temps.

Saint Marc nous parle de la résurrection comme d'un jour unique à Jérusalem. Ressuscité le matin du premier jour de la semaine, Jésus apparut d'abord à Marie de Magdala... Après cela, il se manifesta sous un autre aspect à deux d'entre eux qui faisaient route pour se rendre à la campagne. Et ceux-ci revinrent l'annoncer aux autres... Ensuite il se manifesta aux onze alors qu'ils étaient à table... Et il leur dit : Allez par le monde entier... Après leur avoir parlé, le Seigneur Jésus fut enlevé au ciel et s'assit à la droite de Dieu. Quant à eux, ils partirent prêcher partout : le Seigneur agissait avec eux et confirmait la Parole par les signes qui l'accompagnaient. (Mc 16, 9-20) L'allusion à l'Ascension reste discrète : on ne voit pas Jésus s'élever de terre. L'expression Jésus enlevé au ciel et assis à la droite de Dieu, fait penser à la vision qu'aura Étienne durant son procès : Tout rempli de l'Esprit Saint, Étienne fixa son regard vers le ciel il vit alors la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu. « Ah ! dit-il, je vois le ciel ouvert et le fils de l'homme assis à la droite de Dieu. » (Ac 7, 55-56) Les derniers mots de Marc réaffirment, eux aussi, la présence de Jésus accompagnant les disciples dans leur mission.

Enfin chez saint Luc le jour de Pâques est un jour qui ne finit pas. Il y a les apparitions du matin, celle du soir aux disciples d'Emmaüs et leur retour à Jérusalem auprès des onze. Jésus apparaît alors et leur explique longuement dans les Écritures tout ce qui le concernait. C'est l'évangile que nous venons d'entendre. Puis il les emmena jusque vers Béthanie et levant les yeux, il les bénit. Or, comme il les bénissait, il se sépara d'eux et fut emporté au ciel. Eux, après s'être prosternés devant lui, retournèrent à Jérusalem pleins de joie, et ils étaient sans cesse dans le Temple à bénir Dieu. (24, 50-53) Luc veut simplement affirmer que l'exaltation de Jésus est inséparable de sa résurrection. Tout ce dernier chapitre insiste sur le nouveau mode de présence de Jésus ressuscité avec les siens dans l'Écriture et le repas partagé qui nous oriente vers l'Eucharistie.

Nulle part dans les évangiles il n'est fait mention de 40 jours. Cette précision figure dans les Actes des Apôtres. Ce fut la première lecture de cette messe : pendant 40 jours Jésus était apparu aux disciples et leur avait parlé du Royaume de Dieu... Après ces paroles, ils le virent s'élever et disparaître à leurs yeux dans une nuée... (Ac 1, 3 et 9) Jésus transfiguré fut ainsi enveloppé d'une nuée.

Pour saisir le sens de ces 40 jours il faut se rappeler l'Exode qui décrit la naissance du peuple élu, figure de l’Église. La marche de 40 ans dans le désert fut une période d'épreuve mais surtout une expérience de foi en la présence de Dieu au milieu de son peuple. Le prophète Osée y verra comme les fiançailles du peuple avec son Dieu en préparation à l'Alliance du Sinaï qui représente les noces.

Après son baptême, Jésus a voulu vivre symboliquement ce cheminement par 40 jours de tentation au désert au cours desquels il approfondit dans son humanité l'expérience de sa relation unique avec le Père. Au terme de ce temps de foi et d'épreuve, son premier signe fut celui accompli aux noces de Cana où Jésus manifesta sa gloire en annonçant le vin de l'Alliance nouvelle en son sang.

Or, voici que l'histoire de l'Église débute elle aussi par 40 jours durant lesquels Jésus ressuscité habitue les disciples à vivre de sa présence mystérieuse et à ne pas craindre les épreuves qui les attendent. S'ils sont invités à retourner en Galilée c'est pour relire, à la lumière de la résurrection, tout ce qu'ils ont vécu avec Jésus. Le récit de l'apparition au bord du lac avec la pêche miraculeuse et l'invitation adressée à Pierre : Suis-moi ! renvoie explicitement au premier appel de Jésus adressé à Pierre et aux fils de Zébédée.

Ainsi, frères et soeurs, cette fête de l'Ascension, loin d'être celle du départ de Jésus est bien plutôt celle de sa présence mystérieuse auprès des siens : présence différente de celle de sa vie terrestre, mais présence tout aussi réelle grâce au don de son Esprit. Cette présence se manifeste dans l'Écriture, dans le partage du pain eucharistique, dans les sacrements et la communauté des croyants. Oui, Jésus ressuscité est présent au milieu de nous, c'est lui qui nous parle ce matin dans l'Écriture, c'est lui qui se donne en nourriture dans cette Eucharistie, c'est lui qui nous rassemble en Église. Et à chacun de nous il adresse son appel : Suis-moi !