Homélie - 2nd TO — Abbaye de Tamié

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Homélie - 2nd TO

Les noces de Cana
Vous pouvez obtenir le texte de l'homélie de ce jour à l'abbaye de Tamié par: communaute@abbaye-tamie.com

Sermon de saint Bernard sur le miracle de Cana - (Jn, 2, 2-11)

Traduction par l'abbé Charpentier,
Paris, 1865 (vérifiée)
sur le site http://www.abbaye-saint-benoit.ch/
dans : Bibliothèque - Oeuvres complètes de saint Bernard

L'évangile nous apprend aujourd'hui, mes frères, que Notre-Seigneur rendit à des noces. [...] Unissons-nous aux apôtres et suivons le Seigneur avec eux afin de voir ce qu'il va faire et de croire comme eux. « Or, le vin étant venu à manquer, la mère de Jésus lui dit : "Ils n'ont plus de vin" (Jn 2, 3)». Elle eut pitié d'eux dans sa bonté et prit part à leur embarras. Que peut-il couler de la source de la bonté sinon de la bonté ? Oui, je vous le demande, comment nous étonner que des entrailles mêmes de sa bienveillance se produise une telle bienveillance? Est-ce que la main qui, pendant une demi-journée, a tenu un fruit n'en conservera point l'odeur le reste du jour? Quels parfums de bonté n'a donc point répandus dans les entrailles de Marie, la vertu même de charité qui y a séjourné pendant neuf mois entiers? D'ailleurs elle remplit son coeur avant d'avoir rempli son sein, mais en sortant de son sein, elle n'est point sortie de son coeur.

Peut-être la réponse du Seigneur paraîtra-t-elle un peu dure et sévère, mais celui qui la fit savait bien à qui il parlait, de même que, celle-ci n'ignorait pas,qui la lui faisait. Mais si vous voulez savoir comment elle reçut cette réponse et combien elle comptait sur la bonté de son Fils, écoutez ce qu'elle dit à ceux qui servaient : «Faites tout ce qu'il vous ordonnera» (Jn 2, 4).

3. «Or, il y avait là six grandes urnes de pierre» (Jn 2, 6).  Il faut maintenant que je place devant vous ces urnes qui doivent servir aux purifications des vrais Juifs, je veux dire de ceux qui sont Juifs selon l'esprit, non selon la lettre (2 Co, 3,6), ou plutôt il faut que je vous explique le sens de ces urnes qui se trouvaient là. Tant que l'Église ne sera point encore arrivée à cet état de perfection dans lequel le Christ la fera paraître devant lui pleine de gloire, n'ayant ni tache, ni rides, ni rien de semblable (Ep 5, 27), elle aura besoin de nombreuses purifications, que l'indulgence abonde autant que le péché, la miséricorde à l'égal de la misère ; bien plus, que la grâce ne suive même pas la proportion du péché (Rm 5, 15), car non seulement elle efface le péché, mais encore elle est la source des mérites. Il y a donc six urnes disposées dans l'Église pour ceux qui tombent dans quelque péché après leur baptême, nous ne parlons que de ceux-là parce que nous sommes de leur nombre. Nous avons déposé notre ancien vêtement, mais hélas! nous l'avons repris pour notre plus grand mal. Nous nous sommes lavés les pieds, mais nous les avons depuis souillés plus qu'ils ne l'étaient d'abord (cf. Ct 5,3). Mais de même que ce fut un autre que nous qui lava nos pieds qu'un autre que nous aussi avait souillés, ainsi maintenant comme c'est nous qui les avons salis de nouveau, c'est à nous de les laver. L'eau versée par des mains étrangères nous a purifiés d'une faute que nous tenions d'un autre que nous. Pourtant je ne dois point la présenter comme nous étant si étrangère qu'elle ne soit pas nôtre en même temps, autrement elle n'aurait pu nous souiller, mais elle est étrangère en ce sens que c'est à notre insu que nous en sommes tous devenus coupables en Adam et elle est nôtre en ce sens que, bien que nous ayons péché dans un autre, cependant c'est nous qui avons péché et cette faute nous sera imputée par un jugement aussi juste (Rm 2,5) qu'impénétrable de Dieu. Mais pour que tu n'aies point d'excuse, ô homme, pour réparer la désobéissance d'Adam, il t'a été donné l'obéissance de Jésus-Christ, en sorte que si tu as été vendu gratuitement, tu sois aussi racheté gratuitement (Is 52, 3), si tu as péri dans Adam à ton insu, c'est également à ton insu que tu es purifié en Jésus Christ (1Co 15, 22). Quand Adam a porté une main malheureuse sur le fruit défendu, tu n'en eus pas plus conscience de ce que fit le Sauveur quand il étendit ses mains innocentes sur l'arbre du salut. Du premier homme a découlé en ton âme la faute qui l'a souillée et du côté de Jésus Christ, l'eau qui l'a purifiée. Mais à présent, souillé par tes propres fautes, c'est dans ton eau à toi que tu devras te laver, mais toujours en celui et par celui qui seul purifie l'homme de ses péchés (He 1, 3).

4. La première de ces urnes et la première de nos purifications est la componction dont nous lisons que le Seigneur a dit : « du moment que le pécheur la ressentira dans son coeur, je ne me rappellerai plus aucune de ses iniquités» (Ez 18, 21s).  La seconde est la confession, car la confession lave tous les péchés. La troisième consiste dans l'aumône, selon ce que nous voyons dans l'Évangile : « Donnez l'aumône et toutes choses seront pures pour vous» (Luc 11, 41).  Le pardon des injures est le quatrième car nous disons dans la prière : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous les pardonnons à ceux qui nous ont offensés» (Mt 6,12). La cinquième est la mortification de la chair, aussi demandons-nous dans la prière d'être purifiés par l'abstinence, afin de chanter la gloire de Dieu. La sixième est la soumission aux préceptes, à l'exemple des disciples qui méritèrent d'entendre ces paroles, et Dieu veuille que nous nous rendions dignes de les entendre aussi : « Pour vous, vous êtes purs à cause de la parole que je vous ai dite (Jn 15, 3). » Il est vrai qu'ils ne ressemblaient point à ceux dont il est dit : « Ma parole ne trouve point d'accès en vous» (Jn 8, 37), au contraire ils étaient soumis à la parole du Sauveur dès qu'ils l'entendaient (2Sm 22,45).

Voilà quelles sont les six urnes qui ont été disposées pour nous purifier; elles sont vides ou ne sont pleines que de vent si elles ne vous servent qu'à la vaine gloire (Ga 5, 26), au contraire elles sont remplies d'eau si elles sont gardées par la crainte de Dieu, attendu que la crainte du Seigneur est une source de vie (Pr 14, 27). Oui, la crainte du Seigneur est une eau, une eau qui peut-être flatte peu le palais, mais dont la fraîcheur tempère admirablement les ardeurs des mauvais désirs; enfin c'est une eau qui éteint les traits enflammés de l'ennemi (Ep 6, 16). Une ressemblance de plus entre la crainte et l'eau, c'est que celle-ci recherche toujours les fonds, et celle-là abaisse nos pensées, se plaît aussi à descendre, parcourt les endroits horribles avec une âme tremblante, selon ces paroles : « J'irai aux portes mêmes de l'enfer » (Is 38, 10). Mais par un effet de la puissance de Dieu (2P 1,3), cette eau se change en vin lorsque la chasteté parfaite chasse toute crainte de notre âme (1Jn 4, 18).

5. Il est dit que ces urnes étaient de pierre, c'est moins pour en indiquer la dureté que pour en montrer la fixité. « Chacune contenait environ deux ou trois mesures. (Jn 2, 6)» Les deux mesures nous représentent deux sortes de craintes; la première, de nous voir peut-être un jour précipités en enfer, la seconde de nous entendre peut-être, exclure de la vie éternelle. Mais comme il s'agit là de choses qui peuvent ne point arriver et que l'âme peut se flatter de faire un jour pénitence après avoir passé une partie de la vie dans les plaisirs des sens et de pouvoir échapper ainsi à l'enfer et obtenir le ciel, il est bon d'ajouter une troisième crainte aux deux premières, une crainte bien connue des hommes spirituels et d'autant plus utile qu'elle se rapporte au temps présent. Or ceux qui connaissent la nourriture spirituelle ne craignent rien tant que de s'en voir privés. C'est qu'en effet quiconque a mis la main à de fortes entreprises sent le besoin d'une forte nourriture. Que ceux qui passent leur vie aux oeuvres de terre et de briques (Ex 5, 6s) se contentent des pailles de l'Égypte; pour nous qui avons une longue route à faire, nous avons besoin d'une nourriture plus forte afin de continuer notre chemin (1Rm 19, 7). Or cette nourriture c'est le pain des anges (Ps 77, 25), c'est le pain de vie, c'est notre pain quotidien (Lc 11, 3). C'est de lui qu'il est question dans la promesse qui nous a été faite que nous recevrions le centuple en cette vie (Mc 10, 30). De même qu'aux mercenaires on donne leur pain quotidien pendant que durent leurs travaux, en réservant la récompense pour la fin, ainsi le Seigneur nous donnera à la fin, la vie éternelle (Mc 10, 30); mais il nous montre et nous promet en attendant le centuple en cette vie. Faut-il s'étonner si tous ceux qui, ont déjà reçu ce centuple ont peur de le perdre? Or voilà quelle est la troisième mesure qui ne se trouve liée aux deux premières que par la disjonctive, ou pour donner à entendre que le centuple n'est point promis à tout le monde, mais seulement à ceux qui ont tout quitté (Mc 10, 29).

 

DEUXIÈME SERMON POUR LE PREMIER DIMANCHE APRÈS L'OCTAVE DE L'EPIPHANIE. Sur les noces spirituelles désignées dans l’Evangile.

Traduction par l'abbé Charpentier,
Paris, 1865 (vérifiée)
sur le site http://www.abbaye-saint-benoit.ch/
dans : Bibliothèque - Oeuvres complètes de saint Bernard

 Mes frères [...] vous avez entendu dans l'évangile du jour, que le miracle que Notre Seigneur, fit au noces de Cana fut le premier de ses miracles. Le récit en est bien admirable, mais le sens caché est plus délectable encore car si ce fut une grande preuve de sa divinité que le changement de l'eau en vin à sa seule volonté, celui dont il n'est que la figure est un changement bien meilleur de la droite du Très-Haut. Nous avons été tous appelés à des noces spirituelles où l'époux est Jésus Christ même. Voilà pourquoi nous chantons avec le Psalmiste : « Il est semblable à un époux sortant de sa chambre nuptiale (Ps 18, 6). » Mais c'est nous qui sommes l'épouse si vous voulez bien m'en croire, tous ensemble nous ne faisons qu'une seule épouse et chacune de nos âmes est comme une épouse distincte. Mais quand sera-t-il donné à notre fragilité de sentir que son coeur a pour nous le même amour qu'un époux pour son épouse? Car cette épouse est bien loin d'égaler son époux par sa naissance, sa beauté et ses qualités. Et pourtant c'est pour cette Éthiopienne que le Fils du Roi éternel est venu de si loin, et c'est afin de pouvoir l'épouser qu'il n'a pas craint de donner même sa vie pour elle. Moïse aussi a épousé une Éthiopienne (Nombres 12) mais il ne putgrand-prêtre et la Synagogue murmurer, répandez-vous de toute votre âme en vives actions de grâce. changer la couleur de sa peau. Le Christ, au contraire, s'est fait une Église pleine de gloire, sans tache ni ride, de celle qu'il a aimée dans sa honte et sa souillure. Qu'Aaron se plaigne, que Marie murmure, je veux parler de l'ancienne, non de la nouvelle Marie, de la soeur de Moïse non de la mère du Seigneur, non de notre Marie, elle qui se montre inquiète si par hasard il manque quelque chose à la table des noces. Mais vous, ce n'est que trop juste, laissant le

3. Mais d'où te vient ce bonheur, ô âme de l'homme, d'où te vient-il ? D'où te vient la gloire ineffable d'être choisie pour épouse par celui sur qui les anges mêmes brûlent du désir de pouvoir arrêter leurs regards ? Qu'est-ce qui te vaut l'honneur d'avoir pour époux celui dont le soleil et la lune admirent l'éclat, celui à un signe de qui tout change de nature ! Que rendras-tu au Seigneur en reconnaissance de tout ce qu'il t'a donné, en t'admettant à sa table, en te faisant partager sa couronne et son lit, en te faisant entrer dans sa couche royale ? Vois quels doivent être tes sentiments pour ce Dieu, vois ce que tu peux attendre de lui, vois enfin quel amour tu dois lui rendre et avec quelles étreintes affectueuses tu dois l'embrasser, lui qui t'a témoigné tant d'estime et qui t'a regardée comme d'une si grande valeur pour lui. Il t'a reformée, en effet, du sang même de son flanc, quand il s'est endormi pour toi, sur l'arbre de la croix et livré au sommeil de la mort. C'est pour toi qu'il a laissé la société de son père et quitté sa mère la Synagogue, c'était pour t'attacher si bien à lui que tu ne fisses plus qu'un seul esprit avec lui. Écoute donc maintenant, ma fille, vois et considère quel honneur ton Dieu t'a fait, oublie ton peuple et la maison de ton père, quitte tes affections charnelles, désapprends les moeurs du monde, renonce à tes premiers défauts, perds le souvenir de tes mauvaises habitudes. A quoi penses-tu, en effet? L'Ange du Seigneur n'est-il point là, près de toi, pour te mettre en pièces si tu as le malheur (que Dieu t'en préserve!) de t'abandonner à un autre amant que lui?

4. Car déjà tu es fiancée avec lui, déjà le dîner des noces est servi et le couper se prépare dans les cieux, à la cour éternelle. Est-ce que le vin manquera jamais à ce souper ? Non, non, car on y sera enivré de l'abondance qui distingue la maison de Dieu et on y boira à même une abondance de délices (Ps 35, 9). Pour ce souper de noces, est en effet préparé un fleuve de vin, oui de vin pour réjouir le coeur, puisqu'il est parlé d'un fleuve dont le cours réjouit la cité de Dieu (Ps 45, 3). Mais pour ce moment il nous reste une longue route à parcourir, nous commençons par dîner ici-bas, mais non pas avec une pareille abondance, attendu que la plénitude et la satiété sont réservées pour le souper de l'éternité. Pendant la vie, le vin fait quelquefois défaut à notre table et par-là je veux dire que la grâce de la dévotion et la ferveur de la charité nous manquent quelquefois. Que de fois, en effet, ne suis-je pas forcé, mes frères, après que vous avez prié et gémi, de supplier la Mère de miséricorde, de rappeler à son aimable Fils, que vous n'avez plus de vin ? Quant à elle, soyez-en sûrs, mes frères bien-aimés, c'est moi qui vous le dis, si vous frappez à la porte de son coeur avec piété, elle ne fera point défaut à notre misère, car elle a le coeur miséricordieux et elle est la Mère de la miséricorde. En effet si elle a compati à l'embarras de ceux qui l'avaient invitée, elle compatira bien plus à nos privations, si nous l’invoquons avec piété, attendu qu'elle aime nos noces et qu'elle s'y intéresse bien plus encore qu'à celles de Cana, parce que ce sont aussi celles du céleste Époux qui est sorti de son sein comme de sa chambre nuptiale.

5. Mais qui n'est frappé de la réponse que le Seigneur fit aux noces de Cana, à sa très sainte et très bienveillante Mère, quand il lui dit « Femme, qu'y a-t-il de commun entre vous et moi ?» Ce qu'il y a de commun, Seigneur, entre vous et elle, mais n'est-ce point ce qu'il y a de commun entre un fils et sa mère? Vous demandez quel rapport il y a entre vous et elle, mais n'êtes-vous point le fruit béni de ses entrailles ? Ne vous a-t-elle point conçu sans préjudice pour sa virginité et ne vous a-t-elle point enfanté sans souillure ? N'est ce pas dans son sein que vous avez passé neuf mois entiers, ne sont-ce point ses mamelles qui vous ont allaité, enfin n'est-ce pas avec elle, qu'à l'âge de douze ans, vous êtes revenu de Jérusalem et à elle que vous étiez soumis alors? Pourquoi donc aujourd'hui, Seigneur, lui parlez-vous si durement et lui dites-vous : « Femme, qu'y a-t-il de commun entre vous et moi ? » Il y a beaucoup de commun entre vous et elle. Mais je le vois bien, ce n'est point avec impatience, ni avec la pensée de confondre la respectueuse tendresse de votre Mère que vous lui dites : « Femme, qu'y a-t-il de commun entrevous et moi ? » puisque dès que les serviteurs se présentent à vous, selon ce que votre mère leur a recommandé, vous n'hésitez point à faire le miracle dont elle vous a suggéré la pensée. Pourquoi donc, mes frères, oui, pourquoi a-t-il donc commencé par lui faire cette réponse ? C'est pour nous, n'en doutez point, afin qu'une fois que nous nous sommes convertis à Dieu, nous ne nous préoccupions plus de nos parents selon la chair et que leurs besoins ne fassent point obstacles à nos exercices spirituels. Tant que nous vivons dans le siècle, il est indubitable que nous nous devons à notre famille. Mais dès l'instant que nous nous sommes renoncés à nous-mêmes, nous devons à plus forte raison nous regarder comme délivrés de toute préoccupation en ce qui les concerne. Aussi l'histoire rapporte-t-elle qu'un jour, un homme qui avait embrassé la vie du désert, voyant venir à lui un de ses frères pour lui demander quelques secours, lui répondit : "Adressez-vous à notre autre frère, lui du moins n'est pas mort!" - "Oui, il l'est' répondit le solliciteur étonné. - "Et moi aussi", reprit l'ermite. C'est donc pour nous apprendre à ne point nous inquiéter de nos proches selon la chair, plus que la profession religieuse ne le permet, que le Seigneur répondit à sa mère et à quelle mère encore! «Femme, qu'y a-t-il de commun entre vous et moi? » C'est ainsi que dans un autre endroit, quelqu'un lui disant tout bas que sa mère était à la porte avec ses frères et l'attendait pour lui parler, il reprit : « Qui est ma Mère et qui sont mes frères? (Mt 12, 48)? Où sont après cela ceux qui se montrent aussi remplis d’une vaine et charnelle sollicitude pour leurs proches selon la chair, que s'ils vivaient encore eux-mêmes au sein de leur famille.

6. Mais voyons la suite. « Or, il y avait là, dit l'Évangéliste, six grandes urnes de pierre, pour servir aux purifications qui étaient en usage chez les Juifs. » Ces mots vous indiquent manifestement qu'on n'en est encore qu'aux préparatifs des noces, puisqu'on a encore besoin de purifications. Ce repas de noces n'est donc réellement que le festin des fiançailles, non pas encore celui de l'union nuptiale, car il s'en faut bien que nous croyions qu'on aura besoin des vases destinés aux purifications lorsque le Christ fera paraître à ses yeux, une Église pleine de gloire, sans tache, sans vide ou quoi que ce soit de semblable. En effet, quel besoin de purification là où il n'y a plus de souillure? Le temps des purifications est celui de la vie présente, il est éviden, en effet, que s'il y a nécessité de se purifier quelque part, c'est bien là où personne n'est exempt de souillure, pas même l'enfant qui n'a encore passé qu'un jour sur la terre. C'est donc maintenant que l'épouse se purifie, afin de pouvoir se présenter sans tache à son époux le jour des noces célestes. Recherchons donc ces six urnes, où nous puissions pratiquer la purification des Juifs, c'est-à-dire de ceux qui confessent leurs péchés, car "si nous prétendons être sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes et la vérité n'est point en nous" la vérité, dis-je, qui seule nous affranchit, seule nous sauve et seule nous purifie. Si nous confessons nos péchés, nous serons les vrais Juifs et les urnes de la purification ne nous manqueront point car Dieu est fidèle, il nous remettra donc nos péchés et nous purifiera de toute iniquité.

7. Pour moi, ces six urnes ne sont autre chose que six pratiques que nos pères ont établies pour purifier le coeur de ceux qui confessent leurs péchés et si je ne me trompe, nous allons pouvoir les trouver toutes ici. Ainsi, la première de ces urnes est la continence dont la chasteté efface toutes les souillures de la luxure.
La seconde est le jeûne qui lave dans l'abstinence les taches que l'excès du boire et du manger a faites à l'âme.
La paresse et l'oisiveté, qui sont ennemies de l'âme, nous ont fait contracter aussi bien des souillures, alors que, nonobstant le précepte divin, au lieu de manger notre pain à la sueur de notre front, c'est à la sueur du front d'autrui que nous l'avons mangé. La troisième urne est donc celle du travail des mains qui enlève ces souillures.
Il y a bien des fautes aussi que nous commettons pendant le demi sommeil de la nuit et des heures de ténèbres, pour elles se trouve disposée là la quatrième urne, je veux parler de la pratique des veilles qui nous fait lever la nuit pour chanter les louanges de Dieu et pour racheter les nuits mauvaises du temps passé.
Qui ne sait aussi combien de souillures la langue aussi, a été la source pour nous, dans ces vains entretiens, dans ces adulations, dans ces mensonges, dans ces paroles de malice ou d'orgueil ? Pour toutes ces taches, il nous faut une cinquième urne, c'est celle du silence qui est le gardien de la vie religieuse et qui fait notre force.
La sixième urne est la discipline qui ne nous permet plus de vivre à notre gré, mais nous astreint à la volonté d'autrui afin de nous purifier de tous les péchés que nous avons commis en vivant sans règle et sans discipline.
Toutes ces urnes sont de pierre, c'est-à-dire sont dures, mais nous n'en sommes pas moins obligés de nous y purifier si nous ne voulons point que, à cause de nos souillures, le Seigneur ne nous donne un billet de divorce. Pourtant si l'Évangéliste nous dit qu'elles étaient de pierres, c'est bien moins pour nous faire comprendre qu'elles sont dures, que pour nous faire entendre qu’elles sont solides, c'est, qu'en effet, toutes ces observances ne purifient qu'à condition qu'elles seront stables.

8. Le Seigneur dit donc à ceux qui servaient : « Emplissez d'eau ces urnes.» Que dites-vous là Seigneur ? Les serviteurs sont en peine pour se procurer du vin et vous leur ordonnez de remplir d'eau ces urnes? N'est-ce pas ainsi que Laban donnait Lia au lieu de Rachel, à Jacob qui soupirait après la possession de cette dernière (Gn 29) ? C'est à nous, mes frères, à nous qui sommes vos domestiques et vos serviteurs, que Jésus Christ ordonne de remplir les urnes d'eau, toutes les fois que le vin manque. C'est comme s'il nous disait : ils n'ont plus de dévotion, ils manquent de vin, ils demandent la ferveur, mais mon heure n'est point encore venue, remplissez d'eau les urnes. Or quelle est l'eau de la sagesse, cette eau salutaire sinon douce, sinon la crainte du Seigneur qui est la source de la vie et le commencement de la sagesse? Il dit donc aux ministres : "Inspirez la crainte, emplissez de cette eau, non pas tant les vases que les coeurs, attendu que, pour arriver à la charité, il faut qu'ils commencent par la crainte, afin de pouvoir dire avec le Prophète : « Nous avons conçu dans votre crainte, Seigneur et nous avons enfanté un esprit de salut ( Is 26, 18). » Mais comment les remplira-t-on ces urnes? L'Évangéliste nous a déjà prévenus que « les unes tiennent deux mesures et les autres trois". Or, qu'est-ce qu'il faut entendre par ces deux mesures et quelle est la troisième? Je vous réponds, il y a deux sortes de craintes communes et connues de tous, il en est une troisième moins commune et moins connue. La première est celle des tourments de l'enfer, la seconde est l'appréhension d'être privé de la vue de Dieu et exclu de sa gloire inestimable, la troisième est celle qui remplit l'âme timide de toutes sortes d'appréhensions d'être un jour abandonnée de la grâce.

9. Or toute crainte du Seigneur éteint la concupiscence du péché comme l'eau éteint le feu. Mais cela est tout particulièrement vrai de la crainte qui s'élève dans une âme au premier souffle de la tentation et lui fait appréhender le malheur de perdre la grâce et d'en venir à cet état où l'homme abandonné, tombe tous les jours d'un mal dans un pire, d'une faute moindre dans une plus grande, absolument comme on voit les personnes qui, une fois dans la malpropreté, se souillent encore davantage. Avec cette crainte, il n'y a pas de danger que l'âme se flatte elle-même, en se disant que la faute est légère, ou qu'elle s'en corrigera plus tard, car ce sont les deux prétextes qui paralysent le plus ordinairement les deux premières craintes. Eh bien, voilà l'eau dont le Seigneur nous ordonne d'emplir les urnes car elles sont vides quelquefois, ou ne sont remplies que d'air, ce qui arrive, par exemple, lorsque quelqu'un est tellement insensé que, chez lui, l'amour de la vanité rend vides de mérites éternels, les observances dont je vous ai parlé tout à l’heure, et les fait ressembler aux vierges folles qui n'avaient pas d'huile dans leurs lampes. Il peut se faire aussi quelquefois que ces urnes soient pleines, mais pleines de poison, c'est-à-dire remplies par l'envie, par les murmures, par la rancune et par les détractions. Voilà pourquoi de peur que tous ces vices ne viennent à les remplir quand elles sont vides de vin, le Seigneur nous ordonne de les remplir d'eau, c'est-à-dire de la crainte qui fait observer les commandements de Dieu. Cette eau se trouve changée en vin lorsque la crainte cède la place à la charité et que tout s'accomplit avec un esprit de ferveur, de plaisir et de dévotion.