Homélie - St Jean — Abbaye de Tamié

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Homélie - St Jean

Par Frère Patrice

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Homélie pour la solennité de saint Jean le Baptiste


Fêter une nativité, ce n'est pas fréquent dans la liturgie.
Bien sûr, il y a la nativité de Jésus
Bien sûr il y a la nativité de la Vierge Marie
Et ce matin, il y a celle de Jean-Baptiste !
Preuve de l'importance de cette naissance, d'autant que Jean-Baptiste est à la charnière entre l'Ancien et le Nouveau Testament.

L'évangile de Luc que nous venons d'entendre commence par le récit de deux naissances : celle de Jean-Baptiste et celle du Christ, précédées toutes les deux par l'annonce de cette naissance.
Et ce matin je voudrais m'arrêter sur une expression que l'on retrouve dans ces deux évènements :
A la Vierge Marie, l'Ange dit : « Salue Marie Pleine de grâce ».
Et Zacharie donnera à son fils le nom de Jean, qui signifie en hébreu : Dieu fait grâce.Étonnant que ces deux naissances soient marquées par le mot grâce.

Dans l'Ancien Testament, la conduite des hommes religieux était avant tout guidée par la Loi ; dans le Nouveau Testament, elle sera guidée par la grâce. En Rm 6 :14 : « Le péché n'a plus d'emprise sur vous puisque vous n'êtes plus sous la loi mais sous la grâce »
Mais Marie et Zacharie, Joseph et Élisabeth ne pouvaient pas ne pas avoir à l'esprit cette très belle expression que l'on retrouve en Exode 34 :6 et qui sera de toujours : « Dieu de tendresse et de grâce, lent à la colère, riche en miséricorde et en pitié ».
Un Dieu qui va chercher tous les moyens pour nous faire sentir combien il est bon, et par là même cherche à nous attirer à lui, un peu comme l'aiguille aimantée d'une boussole est attirée par un aimant, un peu comme celui qui est dans les ténèbres est attiré par la lumière, un peu comme dans cette fresque de Michel Ange peignant la création où l'homme sort du doigt de Dieu mais est aussi attiré par ce doigt de Dieu qui semble l'appeler sans cesse à lui.
C'est un peu cela la grâce : Dieu met en oeuvre un certain nombre de moyens pour attirer chacun de nous à lui, pour nous donner le désir et les moyens de nous tourner vers lui.
Mais tout problème réside alors en ceci : comment laisser la grâce faire son chemin et son oeuvre en nous ; ou pour reprendre une très belle expression de Simone Weil (jeune juive morte en 1943 et qui s'était beaucoup approchée de Dieu) : comment échapper à ce qui en nous ressemble à de la pesanteur, sinon en laissant la grâce agir en nous.
D'où l'importance de l'appel lancé par Jean-Baptiste dans le désert : il ne cessait d'appeler tous ceux qui venaient à lui à se convertir. Et il ne mâchait pas ses mots : engeance de vipères !

La grâce ne change rien aux jeux aveugles de la nécessité et du hasard qui mènent ce monde : elle cherche à pénétrer dans nos âmes à la façon d'une goutte d'eau qui s'insinue à travers les couches géologiques sans modifier leur structure, et là elle attend en silence que nos consentions à devenir Dieu.
Mais comment ne pas faire obstacle à l'entrée et au cheminement de cette goutte d'eau en nous ?

Un philosophe a dit un jour que le héros porte une armure, tandis que le saint est nu. Qu'est-ce que cela veut dire ? L'armure, en même temps qu'elle protège des coups, interdit tout contact avec ce qui veut toucher celui qui la porte. Or pour que les choses existent réellement pour nous, il faut qu'elles pénètrent en nous. L'armure c'est cette carapace que le moi se forge ; l'armure c'est ce poids de péché qui nous alourdit tout comme une armure alourdit considérablement celui qui la porte et masque sa véritable personnalité, étouffe son vrai moi.
Alors pour reprendre cette idée de la goutte d'eau qui cherche à pénétrer en nous, je vous citerai un très beau texte de Péguy, que beaucoup doivent déjà connaître.
« Les honnêtes gens n'ont point de défauts. Ils ne sont pas blessés. Leur peau de morale, constamment intacte, leur fait un cuir et une cuirasse sans défaut. Ils ne présentent point cette ouverture que fait une affreuse blessure, une inoubliable détresse,... une cicatrice éternellement mal fermée. Ils ne présentent point cette entrée à la grâce qu'est essentiellement le péché. Parce qu'ils ne sont point blessés, ils ne sont point vulnérables. Parce qu'ils ne manquent de rien, on ne leur apporte rien.
La charité même de Dieu, et je dirais même la grâce de Dieu, ne panse point celui qui n'a pas de plaie. C'est pourquoi un homme était à terre, que le Samaritain le ramassa. »
C'est tout le message de Jean-Baptiste, celui dont le prénom signifie : Dieu fait grâce.
Dieu fait grâce à celui qui écoute les appels à la conversion qu'il fait retentir au fond de son âme. Dieu fait grâce à celui qui se dépouille de son armure. Dieu fait grâce en nous donnant ses sacrements dont le baptême que Jean-Baptiste donnait au désert était en soi une préfiguration ; C'est au travers des sacrements que Dieu dépose sa grâce et agit en nous.
Dieu fait grâce en nous donnant Jésus, présent dans tous les sacrements !
Tout ce travail n'est possible que si on se rappelle constamment que Dieu est un Dieu de tendresse et de grâce, riche en miséricorde et en fidélité.
Alors, quoi qu'il nous arrive on peut s'exclamer comme Thérèse de l'Enfant Jésus ou comme le Curé de campagne du roman de Bernanos, que Dieu avait progressivement et parfois durement, dépouillé de leur armure : « Tout est grâce ». Parce que Dieu est toujours présent au coeur de tous les évènements qui nous touchent.