Homélie - Pâques - 6 — Abbaye de Tamié

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Homélie - Pâques - 6

Par Fr. Patrice
croix - arcabas
Homélie
pour le 6ème dimanche de Pâques - B
Jean, 15, 9-17

Quand j’étais novice, nous avions eu, au noviciat, une causerie d’un vieil évêque du Prado à Lyon, Mgr Ancel. Et il nous racontait qu’un jour, dans le train, il était assis en face d’une personne dont le visage ne lui revenait pas, mais absolument pas. Et il cherchait comment passer ce ressentiment. Et tout d’un coup il se dit : « Mais si je l’ai en face de moi au ciel ; je devrai alors supporter pour l’éternité un visage que je ne peux souffrir ». Et, nous dit-il, il se prit alors à l’aimer.

Le Pape Benoît XVI revient d’un long et périlleux voyage au Moyen-Orient et sa démarche ainsi que ses paroles ne signifiaient qu’une seul et même chose : « Aimez-vous les uns les autres ».

Or l’évangile de ce jour va bien en ce sens. Dans ce passage le mot amour revient 2 fois ; le verbe aimer revient 5 fois et le mot ami revient 3 fois. Si on sait que amour, aimer et ami c’est la même racine, cela fait donc 10 fois dans ce texte. Comment passer à côté ?

Je ne vous appelle plus serviteurs mais amis ! Notez, au passage, que c’est ce verset de St Jean, qui a été choisi par tout une lignée mystique du 14° siècle, qui s’est appelée les amis de Dieu.

Je ne vous appelle plus serviteurs mais amis ! Quand j’étais jeune, on m’avait appris qu’il fallait craindre Dieu et cette mentalité est restée gravée dans beaucoup d’esprits et de cœurs. Et voilà que ce matin Jésus nous ouvre un nouveau chemin, en nous disant que nos ne devons plus nous considérer à ses yeux comme des serviteurs, mais comme des amis.

Un changement d’appellation qui suppose un une révision des valeurs qui inspirent les rapports entre les êtres humains. Pas facile de considérer quelqu’un du jour au lendemain non plus comme son maître dont on est le serviteur mais  maintenant comme son ami ! Passer de serviteur à ami n’est pas quelque chose que l’on a à faire. Non cela se vit, se concrétise dans notre manière d’être : c’est dire tout le bouleversement de notre conception des rapports à nous-mêmes et aux autres que cela suppose.

Mais cela va plus loin ; cela suppose ce qu’on appelle une conversion.

Une conversion, c'est-à-dire un changement ; mais pas n’importe quel changement. Dans le langage religieux, une conversion sous-entend que c’est notre cœur qui change, et ce n’est pas rien. Notre cœur, c'est-à-dire notre approche des autres et des évènements en ce qu’elle a de plus profond. Certains parlent de changer son regard ; c’est vrai ! Mais c’est aussi changer  notre mode de relation. Car on ne confie sûrement pas les mêmes choses à un serviteur et à un ami. L’ami est celui qui a droit aux confidences les plus profondes, qui supposent donc une intimité profonde. D’ailleurs Jésus nous dit bien que c’est à ses amis seuls qu’il dévoile ce que le Père lui a appris.

D’ailleurs c’est bien dans la façon de parler, de dialoguer avec l’autre que se manifeste la nouvelle relation entre amis.

En Nb 12 :8 Dieu dit : «  Pourquoi avez-vous osé parler contre mon serviteur Moïse ? » et en Ex 33, 11 on nous dit que « Dieu parlait à Moïse face à face, comme  un homme parle à son ami ».  Le verbe employé deux fois ici par Dieu, dans l’Ancien Testament est celui de parler.

L’amitié avec Dieu et avec Jésus se concrétise dans un dialogue, un échange verbal ; bref dans la communication. Peut-être pour cela que le livre de l’Ecclésiastique  a cette très belle formule : « Ne te confie pas trop vite à ton prochain ». Se confier, parler : toujours un échange verbal.

Mais il faut aller plus loin.

Tout le paragraphe où Jésus parle d’un ami est encadré par un leitmotiv : « Mon commandement, c’est de vous aimer les uns les autres ».S’aimer les uns les autres  va se concrétiser par la charité, c'est-à-dire par cet amour de bienveillance qui veut tout le bien pour l’autre et qui ne cherche en rien à se l’accaparer pour soi. 

Alors, comment concilier ou rejoindre charité et amitié ? St Thomas d’Aquin qui, paraît-il, avait beaucoup  réfléchi sur  l’amitié avec Dieu, écrivait : « La charité ne signifie pas seulement l’amour de Dieu, mais une certaine amitié avec lui ».

Qu’est-ce que cela veut bien pouvoir dire pour nous chrétiens ?

Que la mesure avec laquelle  nous nous aimerons les uns les autres, c'est-à-dire notre charité mutuelle, sera à la mesure de notre relation amicale, c'est-à-dire profonde, avec Jésus ou avec Dieu. C’est en cela même que notre charité mutuelle sera différente de la charité que peuvent donner tous les humains. Cet amour réciproque entre Dieu-Jésus et nous, plus il s’approfondit, plus il crée entre Dieu-Jésus et nous une certaine intimité (signe d’une certaine amitié), et plus il nous fait grandir, plus il nous donne notre stature humaine. La charité, quand elle est mise en œuvre, nous décentre de nous-mêmes et crée des liens avec ceux que nous rencontrons.

Mais où recevoir cet amour, cette charité, cette amitié ?

Dans la prière, ce lieu secret où l’on mesure la vérité de l’amitié, et la joie et la paix d’être ensembles. Pas de charité, pas d’amour, pas d’amitié avec Dieu sans prière : elle seule nous permet de remonter à la source de l’amour et de nous re-situer si notre charité part à la dérive ou s’épuise.

S’il fallait encore donner une preuve de ce lien puissant entre charité et amour de Dieu, il faut se remémorer ce très beau passage de St Matthieu au Ch 24, quand il parle du jugement dernier. Les justes demanderont à Jésus : quand t’avons-nous vu nu, avoir faim, avoir soif etc. Et Jésus de leur dire : « Ce que vous avez fait à l’un de ces petits qui était nu, avait faim, soif. c’est à moi que vous l’avez fait ». Voilà l’amour que Jésus nous demande. Et à ce moment là d’ailleurs, celui qui se fait  le serviteur des autres pour l’amour de Dieu devient, même à son insu, leur ami car il déploie la charité; et en tout cas il devient l’ami de Dieu.

Cela me rappelle le passage d’un livre d’un médecin qui découvre fortuitement qu’il est atteint d’une très grave maladie et qui se replie sur lui-même. Et puis en garant sa voiture dans un très grand parking de l’hôpital où il va être opéré le lendemain, il aperçoit une femme qui sort d’une hospitalisation, seule avec une très lourde valise qu’elle ne pourra probablement pas mettre dans sa voiture au vu de l’opération qu’elle a subie. Alors il va, charge la valise, sort la voiture de son emplacement et aide cette femme à monter dans sa voiture. Et sa réflexion est la suivante « J’étais heureux de pouvoir lui rendre ce minuscule service. En fait, c’était elle qui me rendait service en ayant besoin de moi précisément à ce moment là, en me permettant de sentir ma communauté de condition humaine ».

Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres.