Homélie - TO 26 — Abbaye de Tamié

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Homélie - TO 26

Par Frère Antoine
croix - arcabas
Homélie pour le 26ème dimanche
du temps ordinaire - C
Luc 16, 19-31


Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Jésus disait cette parabole :
« Il y avait un homme riche, qui portait des vêtements de luxe et faisait chaque jour des festins somptueux.
Un pauvre, nommé Lazare, était couché devant le portail, couvert de plaies.
Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; mais c'étaient plutôt les chiens qui venaient lécher ses plaies.
Or le pauvre mourut, et les anges l'emportèrent auprès d'Abraham. Le riche mourut aussi, et on l'enterra.
Au séjour des morts, il était en proie à la torture ; il leva les yeux et vit de loin Abraham avec Lazare tout près de lui.
Alors il cria : 'Abraham, mon père, prends pitié de moi et envoie Lazare tremper dans l'eau le bout de son doigt pour me rafraîchir la langue, car je souffre terriblement dans cette fournaise. —
Mon enfant, répondit Abraham, rappelle-toi : Tu as reçu le bonheur pendant ta vie, et Lazare, le malheur. Maintenant il trouve ici la consolation, et toi, c'est ton tour de souffrir.
De plus, un grand abîme a été mis entre vous et nous, pour que ceux qui voudraient aller vers vous ne le puissent pas, et que, de là-bas non plus, on ne vienne pas vers nous.'
Le riche répliqua : 'Eh bien ! père, je te prie d'envoyer Lazare dans la maison de mon père.
J'ai cinq frères : qu'il les avertisse pour qu'ils ne viennent pas, eux aussi, dans ce lieu de torture !"
Abraham lui dit : 'Ils ont Moïse et les Prophètes : qu'ils les écoutent !
- Non, père Abraham, dit le riche, mais si quelqu'un de chez les morts vient les trouver, ils se convertiront.'
Abraham répondit : 'S'ils n'écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu'un pourra bien ressusciter d'entre les morts : ils ne seront pas convaincus.' »

Homélie

Quel est le personnage principal de cette parabole ? Comment le savoir ? Un indice : 7 fois le nom d’ « Abraham » dans le texte. C’est une histoire juive qui s’adresse d’abord à des juifs, ils sont « fils d’Abraham » mais qui est aussi racontée aux chrétiens que nous sommes et qui pouvons lui donner un sens  nouveau, en lien avec notre foi en Jésus ressuscité.

A) C’est une histoire juive, souvent mal lue. Par exemple « mauvais riche » pourquoi « mauvais » ? Il est riche. S’il était mauvais, il aurait pu faire chasser le pauvre de devant chez lui. Ou bien « il n’a pas vu le pauvre » Mais si ! la preuve : il le reconnaît dans le sein d’Abraham et connaît même son nom. Il y a aussi des expressions qui paraissent bizarres aux chrétiens que nous sommes par exemple : « le sein d’Abraham ». On parle du sein d’une femme pas d’un homme ! Cette expression est sans doute,  à mettre en lien avec « père » et « mon fils » : Abraham est le père des croyants et les juifs sont ses fils par le sang, la race. Mais aussi, en étant placé dans le lieu de la gestation du corps, Lazare se prépare à naître à une nouvelle vie. Il est dans ce que les juifs appellent le « shéol ».

B) Quel est le sens juif de cette histoire juive ? On pense immédiatement et uniquement à une histoire moralisante : les riches doivent partager avec les pauvres. C’était vrai et dit par les prophètes avant Jésus cf. la 1ère lecture, tirée du livre d’Amos, ou les psaumes qui font monter la plainte des pauvres vers Dieu. Au temps de Jésus, beaucoup encore pensaient que Dieu récompensait les justes et punissait les pêcheurs sur cette terre. Tout le monde, et en particulier les pharisiens, ne croyaient pas  à la résurrection des morts. Ce n’est que tardivement, au II° siècle avant J.C., après la persécution des martyrs d’Israël, que s’est développée la foi en une vie après la mort. Et l’histoire-parabole exprime l’espoir populaire que les situations injustes seront inversées après la mort. Remarquons que si l’histoire s’arrêtait là (« maintenant Lazare trouve ici sa consolation et toi, tu es à la torture »), Karl Marx aurait raison : la religion serait vraiment « opium du peuple ». Mais l’histoire continue et s’achève en rappelant la nécessité de la conversion demandée par la Loi et les prophètes. C’est une question d’Alliance avec Dieu et de foi. Le riche n’a pas la foi.

C) Pour nous, chrétiens, où est la place de Jésus Ressuscité dans cette histoire ?

*  « Même si quelqu’un ressuscite d’entre les morts, ils ne seront pas convaincus ».Une première remarque nous frappe, en pensant à la résurrection de Lazare à Béthanie : St Jean consacre tout un chapitre à ce miracle et dit : « beaucoup crurent en  Jésus » (Ch 11,45). Beaucoup mais pas tous ! Les grands prêtres décident, au contraire, de faire mourir Jésus au plus vite  (v. 53). Au lieu de convaincre, le miracle endurcit le cœur de ceux qui ne veulent pas croire ! autre remarque : «  si le Christ n’est pas ressuscité notre foi est vaine » (St Paul 1 Co 15). Mais il ne s’agit pas de la même résurrection, il ne s’agit pas d’un retour provisoire à la vie terrestre.

 * En ressuscitant, Jésus remplit le monde son Esprit et devient le sauveur du monde et pas seulement des juifs ou des chrétiens ! Tout homme est susceptible d’être sauvé qu’il soit ou non descendant d’Abraham ! Par son Incarnation en Jésus, Dieu a fait une alliance définitive avec l’humanité toute entière. Voilà la grande nouvelle, la grande nouveauté. Le Royaume instauré par Jésus ne commence pas après la mort, il se reçoit dès ici-bas et il est offert à tous. Il se manifeste dans nos relations avec nos frères les plus proches et les plus démunis. Pour les chrétiens, le personnage le plus important de la parabole c’est Jésus crucifié et ressuscité représenté par le pauvre Lazare. Derrière Lazare couché, couvert de plaies et étendu devant la porte du riche, les chrétiens peuvent reconnaître Jésus lui-même. Jésus couché sur la croix, le corps ulcéré par les blessures de la Passion, à la porte de Jérusalem, indifférente et enfermée dans ses habitudes sociales et religieuses.

*Objections : Parmi ceux qui donnent leur vie aux plus pauvres, il n’y a pas que des chrétiens ou des croyants en Dieu ! Et si le salut est offert à tous les hommes à quoi servent l’Eglise et les missions ? Elles servent à faire connaître aux hommes orphelins qu’ils ont un père et une famille. On devient frères de Jésus en écoutant sa parole et en s’ouvrant à son Esprit  Mais si l’Eglise ne cherchait pas, dès maintenant, à établir des signes du Royaume, si elle oubliait cette préoccupation des plus pauvres, il serait impossible de signifier que le salut est déjà commencé. Dans l’histoire-parabole de ce jour, Lazare reste muet et passif. Il n’a pas de famille signalée, comme c’est le cas pour le riche. Il est là comme le pauvre des pauvres, délaissé et abandonné de tous, sauf des chiens. Il est cette part d’humanité qui existe toujours, promise, sans le savoir, à la vie éternelle et au Corps vivant du Christ ressuscité. Mais ça, ça ne s’invente pas. C’est Jésus qui vient le révéler, non par des paroles mais en le vivant lui-même. Avant d’être une histoire moralisante, la parabole est une invitation  à reconnaître Jésus comme le sauveur du monde, elle est une invitation à la foi, une foi active qui ne sépare pas l’amour de Dieu  de l’amour du prochain.

 En résumé, la nouveauté apportée par le Christ est triple : - le salut ou le Royaume est offert au monde entier et pas seulement à une race (juive) ou à une religion (chrétienne, si possible catholique)
- les pauvres (ceux dont l’humanité est menacée) ont une sorte de priorité dans le Royaume (Mt 25)
-Le Royaume commence aujourd’hui et n’est pas remis après la mort.

Nous retrouvons ces trois caractéristiques dans la parabole du grand festin messianique racontée au chapitre 15 de St Luc .et qui est à l’opposé du festin solitaire du riche de la parabole d’aujourd’hui. Que l’eucharistie célébrée ce matin soit un signe du Royaume, non pas un ressourcement purement individuel mais une célébration filiale et fraternelle, ouverte sur le monde entier des humains, nos frères en Jésus-Christ.