Homélie - TO 31 — Abbaye de Tamié

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Homélie - TO 31

Par Frère Antoine
croix - arcabas
31ème dimanche du temps ordinaire

Homélie

À qui Jésus s’adresse-t-il, dans l’évangile que nous venons d’entendre ? « À la foule et à ses disciples ». Donc à tout le monde et à nous, ses disciples aujourd’hui rassemblés en son nom. De qui et de quoi leur parle-t-il ? « Des scribes et des pharisiens » d’une part et de « vous » foules et disciples, c'est-à-dire « nous » d’autre part, opposant deux façons de vivre « sur la terre »

1- Ce texte demande quelques éclaircissements. « La chaire de Moïse » : il s’agit d’un siège  mobile utilisé dans les synagogues d’où le prédicateur faisait, et fait toujours, son commentaire de la Torah, la Loi que Dieu donna à Moïse ». « N’appelez personne père sur terre ». Dans toues les abbayes, il y a un Abbé mot qui signifie « Père », il y a même des « pères maîtres ». Il y a, dans le monde et dans l’Église, des titres, « son Excellence Monsieur l’Ambassadeur » des « Monseigneur, Éminence, Très Saint Père »… Si nous prenons, à la lettre «  n’appelez personne père sur terre », comment allons-nous appeler notre papa ? Comment les enfants appelleront-ils leur « maître » ou les malades leurs « docteurs » si ces mots sont défendus ?  Ou encore, si nous interprétons : « le plus grand est celui qui sert », comme un refus de responsabilité, alors, les chrétiens n’auraient plus qu’à ambitionner d’être des balayeurs de rue et de refuser toute promotion sociale ! Notre relation à Dieu et aux autres se joue à un niveau plus profond ! Jésus n’est pas venu apporter un  nouveau code de comportements moral, pour cela il y a la Loi de Moïse qu’il n’est pas venu abolir mais accomplir, c'est-à-dire lui donner tout son sens en dépassant une interprétation fondamentaliste. Ce que Jésus est venu apporter de nouveau sur terre c’est sa personne et avec elle l’annonce du «  Royaume des cieux » : le ciel est venu sur terre !La vie de Dieu est proposée aux hommes. Pas évident ! Mais voila en quoi consiste la foi chrétienne qui se heurte à deux difficultés, l’une fondamentale et l’autre secondaire. Ces difficultés sont, aux yeux des hommes, de véritables scandales.

2- Premier scandale, celui de la foi : reconnaître en Jésus le Fils de Dieu, Dieu fait homme et que cet homme finisse sa vie crucifié, comme un bandit, entre deux bandits. Et ajouter aussitôt : « le troisième jour il est ressuscité d’entre les morts » ! A moins de ne pas bien faire attention à ce qu’on dit, c’est quand même un beaucoup à avaler ! C’est pourtant la foi des chrétiens depuis plus de deux mille ans. Par la foi, l’Esprit Saint nous fait voir  l’invisible mais aussi nous fait voir le visible avec des yeux neufs et donc avec un regard neuf. Jésus a passé son temps à ouvrir les yeux  de ses disciples à partir de ce qu’ils voyaient avec leurs yeux de chair, mais en voyant autrement. L’évangéliste St Jean a écrit tout un chapitre de son évangile à ce sujet (chapitre IX sur l’aveugle né ). Jésus, en effet, éduque le regard de ses disciples à partir des événements ordinaires de la vie de tous les jours. Ils leur demande de voir la veuve qui a mis deux pièces de petite monnaie dans le tronc du Temple et ce faisant elle a mis plus que tous les autres  Jésus voit Zachée, les lys des champs, l’enterrement d’un jeune, fils d’une veuve, des lépreux,des handicapés, des enfants auxquels personne ne prête attention et que les disciples, lents à comprendre, veulent écarter de leur Maître. Avec les yeux de la foi, nous pouvons, devant un crucifix, dire comme le centurion romain : « cet homme est Fils de Dieu ». Devant les tragédies de notre monde qui désespèrent tant de gens, nous pouvons, comme eux, et c’est normal, nous poser la question : «  pourquoi tout ce mal, pourquoi tant de malheurs ? Si Dieu existait… Oui, c’est normal que ces questions soient aussi les nôtres. Mais, voila que l’Esprit de Jésus nous invite à discerner, avec un nouveau regard les signes du Royaume qui vient dans ce monde de détresses, comme une lumière dans la nuit.. Je pense à des parents d’enfants handicapés qui se tiennent devant ces corps et esprits blessés, comme devant le Saint Sacrement ! Si nous pouvons, grâce à l’Esprit Saint, voir les tragédies de notre monde d’aujourd’hui avec les yeux de la foi, nous verrons, non seulement des catastrophes individuelles et collectives, mais aussi des signes du Royaume qui vient. Pensons aux martyrs d’aujourd’hui qui par, delà leurs morts, nous donnent une leçon d’espérance. La terre n’est plus séparée du ciel, le Royaume est là, tout proche. Voila le premier scandale, la première grande difficulté d’annoncer l’évangile, la venue du Règne de Dieu sur terre dans une « vallée de larmes ».

3-Il y a un autre scandale, réel mais second. C’est la défaillance des chrétiens. Nous ne naissons pas chrétiens, nous devons le devenir ! Et ce n’est pas gagné d’avance. En attendant, nous nous donnons des verges pour nous faire fouetter ! Il s’agit d’une conversion non seulement du regard mais de notre manière de vivre et d’agir.  Nous sommes de pauvres pécheurs. Dès le début de l’Église (et St Matthieu, en écrivant le passage que nous méditons aujourd’hui, devait probablement viser les juifs convertis et devenus chrétiens mais qui étaient, comme nous, tentés par les travers mondains des honneurs des vanités, de dominer les autres.). Tout récemment, la veille de son pèlerinage à Assise, le pape, Benoît XVI  a fait ce rappel : «  Les chrétiens doivent résister à la tentation de devenir des loups parmi les loups. Ce n’est pas avec le pouvoir, la force et la violence que le Royaume de paix du Christ s’étend mais par le don de soi, avec l’amour porté jusqu’à l’extrême, même à l’égard des ennemis. Jésus ne vainc pas le monde avec la force des armes mais avec la force de la croix ». De l’Église des Apôtres à celle d’aujourd’hui, en passant par Constantin, les Croisades, l’Inquisition l’Église a été parcourue, au cours de son histoire, par des courants contradictoires, celui qui se rapproche des scribes et des pharisiens et celui, évangélique, de pauvreté , de service qui n’a jamais cessé depuis St Laurent, St François d’Assise, St Vincent de Paul, l’Abbé Pierre... Les chrétiens de ma génération ont connu encore quelque chose de l’Église triomphaliste avant Vatican II (mais il y avait aussi, entre autres, les prêtres ouvriers, condamnés mais vrais missionnaires en milieu athée). Le Concile a voulu une Église plus évangélique « servante et pauvre », se rappelant que ce ne sont pas les paroles mais les actes qui glorifient Dieu. « Notre monde a besoin davantage de témoins que de maîtres et s’il écoute les maîtres c’est parce qu’ils sont des témoins » (Paul VI) Après l’Église triomphaliste, l’Église s’est enfouie, s’est voulu discrète. Mais le monde a changé depuis Vatican II. Dans sa dernière lettre pour une année de la foi (pour célébrer l’anniversaire de Vatican II), Benoît XVI corrige le risque d’un témoignage sans  annonce explicite. Le pape insiste pour que les chrétiens non seulement témoignent mais disent pourquoi ils ont choisi de vivre dans les pas du Christ. Il ne suffit pas de dire, il faut faire, il ne suffit pas non plus de faire,  il faut dire aussi les motifs de nos comportements. Ne pas séparer les deux.

Les pharisiens étaient assis sur la chaire de Moïse. Ce matin, devant vous je suis assis sur un siège mobile, une chaire,  sur laquelle est écrit, en latin : « in nomine Christ » « au nom du Christ ». Frères et sœurs, prions les uns pour les autres. Disciples du Christ, nous sommes tous chargés de vivre et d’annoncer l’évangile, la venue du Royaume qui s’approche de chacun d’entre nous. Mais certains sont chargés par l’Église, au nom du Christ, d’annoncer officiellement la bonne nouvelle. Ce sont les ministres de la Parole, les prédicateurs. Prions pour qu’ils prêchent bien : une bonne prédication est celle qui convertit d’abord le prédicateur. Et si nous voulons être des annonciateurs du Royaume, nous devons, tous, être disposés à payer de notre personne parce que  « le plus grand, c’est celui qui sert ».