Augustin Commente 1 Jn (S8, 4-5) — Abbaye de Tamié

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Augustin Commente 1 Jn (S8, 4-5)

Sermon 8, n° 4-5

Commentaire de saint Augustin
de la première lettre de saint Jean

(Sermon 8, n° 4-5)

4- Il en est peut-être parmi vous pour s'étonner de ce que, depuis le premier mot de la lettre que nous vous expliquons, le bienheureux Jean ne nous ait rien recommandé aussi expressément que la charité fraternelle. Il dit : « Celui qui aime son frère (1 Jn 2, 10) » et encore : « Un commandement nous a été donné, c'est de nous aimer les uns les autres (1 Jn 3, 23) ». Continuellement il nous a parlé de la charité fraternelle pour l'amour de Dieu, c'est-à-dire, pour cet amour que nous devons avoir pour Dieu, il n'en a point parlé aussi souvent et cependant il n'a pas tout à fait gardé le silence à son égard. Quant à l'amour des ennemis, il n'y a, à vrai dire, fait presque aucune allusion dans le cours de cette lettre. En nous prêchant, en nous recommandant vivement la charité, il ne nous dit pas d'aimer nos ennemis, mais il nous dit d'aimer nos frères. Lorsque, tout à l'heure, on nous a lu l'évangile, nous avons entendu ces paroles : « Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense en aurez-vous? Les publicains ne le font-ils pas aussi (Mt 5, 46) ». Pourquoi donc l'apôtre Jean attache-t-il à la charité fraternelle une si grande importance qu'il nous la recommande comme un moyen d'être parfaits, tandis que d'après le Sauveur, il ne suffit pas d'aimer ses frères, mais qu'il faut pousser la charité au point d'aimer même ses ennemis? Celui qui va jusqu'à aimer ses ennemis, ne néglige point d'aimer ses frères. Il en est d'elle comme du feu : il lui faut d'abord s'attaquer aux objets les plus rapprochés pour de là s'étendre jusqu'aux plus éloignés. Ton frère est plus proche de toi que je ne sais quel homme. À son tour, cet homme que tu ne connaissais pas encore et qui ne nourrit contre toi aucune animosité, est plus rapproché de toi qu'un ennemi qui joint l'action à ses mauvais sentiments. Étends ta charité jusqu'aux plus proches, mais ne dis pas que tu l'as étendue, car aimer ceux qui te touchent c'est aimer non loin de toi; étends-la jusqu'à ceux que tu ne connais pas et qui ne t'ont fait aucun mal. Va même plus loin qu'eux, pousse la charité jusqu'à aimer tes ennemis, sans aucun doute, Dieu le commande. Mais pourquoi n'a-t-il point parlé de l'amour des ennemis ?

5- Toute charité, même celle qu'on nomme charnelle et qui est à vrai dire, non pas la charité mais bien plutôt l’amour (car le mot charité se dit d'ordinaire dans les meilleures occasions, on l'emploie pour signifier les plus nobles sentiments) toute charité, mes très-chers frères, présuppose un certain bon vouloir pour ceux que l'on aime. Le Sauveur s'était lui-même servi du mot aimer, quand il a dit : « Pierre, m'aimes-tu ? » (Jn 21, 17) Nous ne devons pas chérir, nous ne pouvons pas chérir ou aimer les hommes de toute manière, nous ne devons pas les aimer dans le sens qu'attachent à ce mot les viveurs lorsque nous les entendons dire : « J'aime les grives ». Tu demandes pourquoi ? Parce qu'ils veulent les tuer et les manger. Ces gens-là disent qu'ils aiment les grives, mais c'est pour les anéantir, c'est pour qu'il n'en soit plus question et tout ce que nous aimons dans le dessein de le manger, nous l'aimons pour en faire la fin et réparer nos forces. Devons-nous aimer les hommes comme s'ils étaient réservés à nous nourrir? Mais il y a une amitié de bienveillance qui nous porte parfois à rendre service à ceux que nous aimons. Qu'en sera-t-il si nous ne pouvons leur être utiles ? Alors notre amitié se bornera à être bienveillante. Car nous ne devons pas désirer qu'il y ait des malheureux, pour avoir l'occasion de faire des oeuvres de miséricorde. Tu donnes du pain à celui qui a faim, mais il vaudrait mieux que personne n'eût faim et que tu ne fusses généreux à l'égard de personne. Tu donnes des vêtements à celui qui est nu, plaise à Dieu que tous soient vêtus et qu'aucun ne se trouve dans la nécessité à cet égard ! Tu ensevelis les morts; si seulement commençait bientôt cette vie bienheureuse au sein de laquelle personne ne mourra ! Tu rétablis la concorde parmi des dissidents, ah, que bientôt encore vienne cette paix de la Jérusalem éternelle qui ne sera troublée par aucune discorde! Tous les bons offices sont nécessités par le besoin d'autrui. Fais disparaître les malheureux, à l'instant même cesseront les oeuvres de miséricorde. Les oeuvres de miséricorde cesseront, mais le feu de la charité s'éteindra-t-il? Tu aimes de meilleur coeur l'homme heureux à qui tu n'as à rendre aucun service, en ce cas ton amitié est plus pure et beaucoup plus sincère. De fait si tu viens en aide à un malheureux, peut-être désires-tu t'élever au-dessus de lui, peut-être veux-tu voir au-dessous de toi celui qui est la cause du bien que tu as fait. Cet homme s'est trouvé dans le besoin, tu as subvenu à ses nécessités, parce que tu l'as aidé il te semble être plus grand que celui à qui tu as rendu service. Désire l'avoir pour égal, afin que tous deux vous soyez soumis à Celui-là seul qui n'a besoin de rien.