Augustin commente 1 Jn S1 — Abbaye de Tamié

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Augustin commente 1 Jn S1

De saint Augustin

Prologue

Traduction de M. l'abbé AUBERT,  Bar-le-Duc, 1869.

Sermons : 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 - 7 - 8 - 9 - 10

Votre sainteté s'en souvient: nous avions l'habitude de vous lire d'une manière suivie l'Évangile selon Jean, et de vous en donner l'explication; mais voilà que se présente à nous la solennité des saints jours, qui nécessite la lecture de certains passages spéciaux de l'Évangile, dans l'assemblée des fidèles comme ces passages doivent être récités tous les ans, et qu'il est impossible de les remplacer par d'autres, il nous a fallu pour quelque temps interrompre l'ordre précédemment adopté, sans néanmoins en faire tout à fait l'abandon. J'ai réfléchi à ce que, Dieu aidant, je pourrais pendant cette semaine vous dire sur les Écritures, de plus conforme à l'esprit des fêtes joyeuses que nous célébrons; il me fallait, d'ailleurs, choisir un sujet capable d'être épuisé dans l'espace de ces sept ou huit jours; ma pensée s'est donc portée sur l'Épître du bienheureux Jean ; de cette façon, en expliquant son Épître, nous ne le perdrons point de vue, quoique nous ayons dû interrompre l'explication de son Évangile. Un autre motif plus pressant encore a décidé notre choix; le voici: La charité nous est particulièrement recommandée dans cette Épître déjà si agréable pour tous ceux qui ont au coeur assez de goût pour savourer le pain de Dieu, et si précieuse aux yeux de toute la sainte Église du Christ. L'Apôtre y a dit bien des choses, et presque tout ce qu'il a dit a rapport à la charité. Quiconque trouve en soi des dispositions à écouter, doit nécessairement se réjouir en entendant un pareil langage; car la lecture de cet écrit fera sur son âme un effet pareil à celui que l'huile produit sur le feu; s'il y a en nous de quoi l'entretenir, elle l'entretiendra et lui donnera du développement et de la consistance. Pour quelques-uns, elle ressemblera encore à la flamme qu'active un soufflet; si la charité se trouve éteinte en eux, le feu de cette charité y sera allumé par le récit de telles paroles. Par là seront alimentées les bonnes dispositions de ceux-ci; ceux-là y puiseront celles qui leur manquent, et nous trouverons tous à nous réjouir dans les sentiments d'une charité réciproque. Où est la charité, là est la paix, et où se rencontre l'humilité, on trouve la charité. Hâtons-nous donc d'écouter l'Apôtre; expliquons ses paroles, et daigne le Seigneur nous suggérer ce que nous devons en dire et vous accorder la grâce de nous bien comprendre.

Sermon 1

Comme Verbe, le Christ est invisible pour des yeux de chair, mais, afin de se rendre visible, il s'est incarné : nous en avons pour témoins ses Apôtres, qui ont vu et touché son corps : leur témoignage doit suffire à confirmer notre foi et à nous unir à eux par les liens de la charité. Or le Christ est venu en ce monde pour nous apprendre que Dieu est lumière, c'est-à-dire (163) sainteté et que nous sommes ténèbres, c'est-à-dire esclaves du péché ; il ne peut donc y avoir société entre lui et nous que si nous confessons nos fautes, et en ce cas, nous avons en Jésus un avocat qui nous en obtiendra le pardon. Mais nous méconnaissons notre Sauveur si nous n'observons pas ses commandements, ou en d'autres termes, si nous n'aimons pas Dieu, nos frères et même nos ennemis. Hors de la pratique de la charité, nous n'avons à espérer ni propitiation ni ressemblance avec Dieu : nous serons toujours plongés dans les ténèbres du péché et sujets au scandale.

1. « Ce qui a été dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie » . Comment un homme peut-il, de ses mains, toucher le Verbe, si ce n'est parce que « le Verbe s'est fait chair, et qu'il a habité parmi nous? » Afin de pouvoir être touché de nos mains, le Verbe qui s'est fait chair a commencé par prendre un corps dans le sein de la Vierge Marie ; mais alors n'a point commencé le Verbe ; car, dit Jean, « il a été dès le commencement ». Remarquez, je vous prie, comme l'Épître de cet Apôtre confirme son Évangile, où nous avons lu tout à l'heure ces paroles : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu (Jn 1, 14) ». Ces paroles: « Le Verbe de vie », quelqu'un les regarde peut-être comme une manière de désigner le Christ, et non point le corps même du Christ que les Apôtres ont touché de leurs mains. Vois ce qui suit : « La vie même s'est manifestée ». Le Christ était donc le Verbe de vie. Mais comment la vie s'est-elle manifestée ? Elle était dès le commencement; toutefois elle ne s'était point encore fait connaître aux hommes; pour les anges, elle s'était montrée à eux, ils la voyaient et s'en nourrissaient comme d'un pain approprié à leur nature. Néanmoins, que dit l'Écriture ? « L'homme a mangé le pain « des Anges (Ps 77, 25) ». La vie s'est donc manifestée en s'incarnant; de la sorte, ce que le coeur seul pouvait apercevoir, des yeux de chair étaient à même de le contempler, et le coeur pouvait, par là, parvenir à sa guérison. Le coeur seul est capable de voir le Verbe, mais des yeux de chair peuvent apercevoir un corps. Il nous était donc possible d'apercevoir le corps du Christ, mais contempler le Verbe cela nous était impossible; si donc le Verbe s'est fait chair, c'était pour apparaître à nos regards et guérir ce qui pouvait, en nous, considérer le Verbe.

2. « Et nous l'avons vu, et nous en sommes témoins ». Plusieurs de nos frères qui ne connaissent point le grec, ignorent peut-être ce que le mot « témoins » veut dire en cette langue: c'est un mot qui se trouve sur les lèvres de tout le monde, et qui, en religion, a son sens propre; ceux que, en latin, nous appelons témoins, les Grecs leur donnent le nom de martyrs. Puisse ce nom des martyrs être si bien gravé dans notre coeur, que nous les imitions dans leurs souffrances au lieu de les poursuivre de nos mépris. « Nous l'avons vu et nous en sommes témoins » s'exprimer ainsi, c'était donc dire: Nous l'avons vu, et nous sommes martyrs. En rendant témoignage de ce qu'ils ont vu eux-mêmes, ou de ce qu'ils ont entendu dire aux témoins mêmes des événements, les martyrs ont déplu aux hommes contre lesquels ils déposaient; voilà pourquoi ils ont souffert ce qu'ils ont souffert. Les martyrs sont donc les témoins de Dieu. Le Seigneur a voulu avoir des hommes pour témoins, afin de leur servir de témoin à son tour. « Nous l'avons vu », dit Jean, a et nous en sommes témoins ». Où les Apôtres l'ont-ils vu? Dans son apparition. Qu'est-ce à dire, dans son apparition? Dans le soleil, ou, en d'autres termes, dans la lumière de ce monde. Et comment a-t-on pu voir dans le soleil celui qui l'a créé? Évidemment parce qu' « il a placé son pavillon dans le soleil ; il semblable à un époux qui sort de son lit nuptial, pareil à un géant, il s'est élancé ci pour fournir sa course (Ps 18, 6) ». Antérieur au soleil qu'il a tiré du néant, à l'aurore, à tous les astres, à tous les anges, ce vrai Créateur de toutes choses (« car toutes choses ont été faites « par lui, et sans lui rien n'a été fait (Jn 1, 3) »), a voulu se faire voir par les yeux de chair qui contemplent le soleil; aussi a-t-il placé son pavillon dans le soleil, c'est-à-dire qu'il a montré son humanité au grand jour de ce monde; le sein d'une Vierge a servi de lit nuptial à cet époux, car dans ces virginales entrailles se sont unis un époux et une épouse: l'époux était le Verbe ; l'épouse, notre humanité; en effet, il est écrit : « Et ils seront deux dans une seule chair (Gn 2, 21)». Et le Sauveur a ajouté dans l'Évangile : « C'est pourquoi ils ne sont plus deux, mais une seule chair (mt 19, 6) ». Isaïe lui-même nous rappelle d'une manière bien juste que ces deux ne font qu'un; car, en parlant de la personne du Christ, il s'exprime en ces termes : « Il a paré ma tête d'une couronne, comme celle d'un époux, et il m'a orné de pierreries comme une épouse (Is 61, 10) ». On croirait n'entendre parler qu'un seul et même personnage, puisqu'il parle de lui-même comme étant, tout à la fois, époux et épouse, parce qu' « ils ne sont pas deux, mais une seule chair », parce que « le Verbe s'est fait chair » et qu' « il a habité parmi nous ». A cette chair s'unit l'Église, et alors se parfait le Christ ; alors il devient tête et corps.

3. « Et nous en sommes témoins », dit l’Apôtre, « et nous vous annonçons cette vie éternelle qui était dans le Père, et qui est apparue en nous »; c'est-à-dire, qui est apparue parmi nous, ou, pour parler plus clairement, qui nous est apparue. « Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons ». Que votre charité y fasse attention. « Ce que nous avons vu et entendu, nous vous  l'annonçons ». Les Apôtres ont vu lé Seigneur en personne, présent dans la chair, ils ont entendu les paroles qui sont tombées de ses lèvres, et ils nous l'ont annoncé. Nous l'avons donc entendu, mais nous ne l'avons pas vu ; en sommes-nous moins heureux que ceux qui ont vu et entendu ? Pourquoi, alors, Jean ajoute-t-il : « Afin que vous entriez en société avec nous? » Les Apôtres ont vu, et nous nous n'avons rien vu, et cependant nous sommes en société avec eux, parce qu'avec eux nous avons une seule et même foi. Un d'entre eux a eu beau voir, il n'a pas cru ; pour croire, il a voulu toucher de ses mains, et il a dit : « Je ne croirai pas avant d'avoir mis a mes doigts dans la plaie des clous, et ma « main dans son côté ». Celui qui se présente sans interruption aux regards des Esprits célestes, s'est, pour un temps, laissé toucher par des mains d'hommes; le disciple précité le toucha donc et s'écria : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Pour nous consoler de ce qu'il nous est impossible de le toucher nous-mêmes autrement que par la foi, puisqu'il est déjà assis à la droite de son Père, le Sauveur lui répondit: «Thomas, parce que tu as vu, tu as cru ; bienheureux, ceux qui ne, voient pas et qui croient (Jn 20, 25-29) ».C'est de nous qu'il a voulu parler; c'est nous qu'il a désignés. Puisse donc s'établir en nos âmes cette béatitude que le Christ nous a annoncée comme notre partage futur; croyons fermement ce que nous ne voyons pas, parce que ceux qui nous l'annoncent l'ont vu de leurs propres yeux. « Afin que vous entriez en société avec « nous ». Quel avantage peut-il y avoir pour nous d'entrer en société avec des hommes? N'aie pas de cela une pauvre idée; écoute ce qu'ajoute l'Apôtre : « Et que notre société soit avec le Père et avec Jésus Christ son Fils. Et nous vous écrivons ceci, afin que votre joie soit complète ». Cette joie complète est, suivant lui, le fruit de l'union, de la charité, de l'unité.

4. « Or, ce que nous vous disons, nous l'avons appris de la bouche de Jésus Christ avant de vous l'annoncer ». Que signifient ces paroles ? Les Apôtres ont vu et touché de leurs mains le Verbe de vie. Car le Fils unique de Dieu, qui était dès le commencement, s'est rendu visible et palpable dans le temps. A quoi s'est-il réduit? Que nous a-t-il annoncé de nouveau ? Qu'a-t-il voulu nous enseigner? Pourquoi le Verbe a-t-il fait ce qu'il a fait? Pourquoi s'est-il incarné? Pourquoi, étant Dieu, supérieur à tous les êtres, a-t-il souffert, de la part des hommes, des traitements indignes de lui? Pourquoi a-t-il enduré que des mains créées par lui, lui donnassent des soufflets? Qu'a-t-il voulu nous enseigner, nous montrer et nous annoncer par là ? (2) Écoutons : car entendre le récit des événements qui ont eu lieu de la naissance et de la mort du Christ, sans tirer profit des enseignements qui en découlent, c'est occuper son esprit de pensées oiseuses, et ne pas le fixer par des réflexions dignes de lui. De quelle importante chose est-il question ? Quel profit s'agit-il de faire ? Fais-y attention. Qu'a-t-il voulu enseigner? Qu'a-t-il prétendu annoncer? Écoute bien, le voici : « Que Dieu « est la lumière même, et qu'il n'y a point « en, lui, de ténèbres ». Jean nous a parlé de lumière, et pourtant son langage n'est pas clair : il serait bon pour nous que la lumière dont il nous a parlé, projetât ses rayons sur nos coeurs pour nous faire voir ce qu'il a voulu nous dire. Voici, ce que nous vous annonçons, c'est « que Dieu est la lumière même, et qu'il n'y a point en lui de ténèbres ». Où est l'audacieux capable de dire (165) qu'il y a des ténèbres en Dieu? Qu'est-ce que la lumière? Qu'est-ce que les ténèbres? Que personne ne tienne à cet égard un langage conforme à la nature des yeux de notre corps. « Dieu est lumière ». Quelqu'un me dira peut-être : Le soleil est aussi lumière, et la lune pareillement, et un flambeau également. Mais la lumière divine doit être bien autrement vive, bien autrement éclatante et infiniment supérieure à toutes les autres. Autant Dieu diffère des choses de ce monde, le Créateur des créatures, la sagesse de ce qu'elle a fait; autant et bien plus encore cette lumière diffère de toute autre. Peut-être en serons-nous voisins, si nous parvenons à savoir ce qu'elle est et si nous nous en approchons afin d'être éclairés : car, en nous-mêmes, nous sommes ténèbres; mais si elle nous éclaire de ses rayons, nous pouvons devenir lumière et n'être point confondus par elle; nous sommes en effet, pour nous, un sujet de confusion. Qui est-ce qui est confus de lui-même ? Celui qui se reconnaît pécheur. Qui est-ce qui n'est pas confondu par la lumière divine? Celui qui en est éclairé. Qu'est-ce qu'être éclairé par elle? Celui qui s'aperçoit que le péché l'a précipité dans les ténèbres, qui désire être éclairé des rayons de la lumière, celui-là s'approche d'elle : voilà pourquoi le Psalmiste a dit : « Approchez-vous de lui, et vous serez éclairés, et la honte ne  sera plus sur votre visage (Ps 33, 6) ». Elle ne te fera point rougir, si, au moment où elle te fera voir tes souillures, tu en conçois du déplaisir et si tu cherches à te revêtir de son éclatante beauté. Voilà ce que le Sauveur veut t'enseigner.

5. Notre manière devoir ne serait-elle pas hasardée? Non; l'Apôtre va lui-même nous en donner la preuve dans les versets suivants. Souvenez-vous qu'au commencement de notre discours nous avons dit que cette épître recommande particulièrement la charité. « Dieu est lumière; il n'y a point en lui de ténèbres » : ainsi s'exprime le disciple bien-aimé. Mais qu'avait-il dit auparavant? « Afin que vous entriez en société avec nous, et que notre société soit avec le Père et avec Jésus Christ, son Fils ». Or, si Dieu est lumière, s'il n'y a point en lui de ténèbres, et que nous devions entrer en société avec lui, nous devons éloigner de nous toutes ténèbres, afin que la lumière se fasse dans notre âme, car les ténèbres ne peuvent entrer en société avec la lumière ; aussi dois-tu remarquer ce qui suit : « Si nous disons que nous sommes en société avec lui, et que nous marchions dans les ténèbres, nous mentons ». L'apôtre Paul a dit, de son côté : « Quelle union peut-il y avoir entre la lumière et les ténèbres (2 Co 6, 14) ? » Tu dis que tu es en union avec Dieu, et tu marches dans les ténèbres, et « Dieu est lumière, et il n'y a point en lui de ténèbres». Coin ment donc y a-t-il union entre la lumière et les ténèbres ? C'est donc pour l'homme un devoir de se dire : Que faire? Comment devenir lumière? Je vis dans le péché et l'iniquité ! De là résulte pour lui une sorte de désespoir et de tristesse : pour lui, il n'y a d'issue favorable possible que dans son union avec Dieu. « Dieu est lumière, et en lui il n'y a point de ténèbres ». Le péché est ténèbres, car l'Apôtre donne au diable et à ses anges le nom de maîtres de ces ténèbres (Ep 6, 12). Certes, il ne les appellerait pas les maîtres des ténèbres, s'ils n'étaient les maîtres des pécheurs, s'ils ne dirigeaient point certains hommes dans les voies de l'iniquité. Que faisons-nous donc, mes frères? Il nous faut vivre en union avec Dieu: c'est notre seule ressource pour arriver à la vie éternelle ; mais « Dieu est lumière et, en lui, il n'y a point de ténèbres » : l'iniquité est ténèbres, le péché nous accable et nous empêche d'entrer en, société avec Dieu : quelle espérance avons-nous donc encore ? Ne vous avais-je point promis de vous adresser, en ces jours de joie, des paroles pleines de consolation ? Si je ne me hâte de le faire, ne trouverons-nous pas un sujet de tristesse dans ce passage de l'Écriture : « Dieu est lumière, et, en lui, il n'y a point de ténèbres? »Le péché est ténèbres; que deviendrons-nous donc? Écoutons l'Apôtre ; peut-être nous consolera-t-il pour nous relever de notre abattement, nous donner de l'espoir et nous empêcher de tomber en défaillance le long du chemin. Car nous courons, nous marchons en hâte vers notre patrie, et si nous désespérons d'y parvenir, le désespoir nous ôtera toutes nos forces. Mais celui qui veut nous y faire arriver, afin de nous y conserver, nous soutient pendant la durée de notre course en ce monde. Écoutons donc : « Si nous disons que nous sommes en société avec lui, et que a nous marchions dans les ténèbres, nous mentons et nous ne disons pas la vérité ». Ne disons pas que nous vivons en union avec lui, si nous marchons dans les ténèbres. « Mais si nous marchons dans la lumière, comme il est lui-même dans la lumière, nous sommes ensemble dans une union complète ». Marchons dans la lumière, comme il est lui-même dans la lumière, afin de pouvoir entrer en société avec lui. Et nos péchés, qu'en ferons-nous ? Écoute ce qui suit : « Et le sang de Jésus Christ, son Fils, nous purifiera de tout péché » . Dieu nous a Ménagé un grand sujet de tranquillité. Nous célébrons avec juste raison le temps de Pâques, où le Sauveur a répandu son sang pour nous purifier de tout péché. Soyons tranquilles : le démon possédait contre nous un titre d'esclavage ; mais ce titre a été détruit dans le sang du Christ : « Le sang de Jésus Christ, son Fils, nous purifiera de tout péché ». Qu'est-ce à dire : « De tout péché ? » Attention ! Tous les péchés de ceux qu'on appelle des enfants et qui viennent de confesser le sang du Sauveur ont été effacés au nom de Jésus Christ et par la vertu de ce sang. Ils étaient dans la vétusté du péché, lorsqu'ils sont entrés en ce bain salutaire; ils en sont sortis des hommes nouveaux. Ils étaient des vieillards, quand on les y a plongés ; ils étaient des petits enfants quand on les en a retirés. Leur vieillesse décrépite, c'était leur ancienne vie; la jeunesse, qu'ils ont puisée dans le sacrement de la régénération, c'est leur vie nouvelle. Mais que faisons-nous? Ils n'ont pas été seuls à obtenir la rémission de leurs péchés passés; nous avons été favorisés comme eux; mais depuis que tous nos péchés nous ont été pardonnés et que nous en avons été purifiés, nous avons vécu dans le monde, nous avons éprouvé une foule de tentations et commis, peut-être, de nouvelles fautes. Ce que l'homme peut faire, qu'il le fasse donc : qu'il avoue ce qu'il est afin d'être guéri par Celui qui est toujours ce qu'il est: Jésus Christ a toujours été et il est encore ; pour nous, il fut un temps où nous n'étions pas, et nous sommes.

6. Remarque, en effet, les paroles de Jean : « Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous ». Si donc tu reconnais hautement que tu es pécheur, la vérité se trouve en toi, car la vérité, c'est la lumière. Ta vie n'a pas encore brillé d'un vif éclat, parce qu'elle est ternie par le péché; elle a déjà néanmoins commencé à s'illuminer, parce que tu as confessé tes fautes; car vois ce qui suit : « Mais si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous les remettre et pour nous purifier de toute iniquité ». L'Apôtre parle, non-seulement de nos fautes passées, mais encore de celles dont nous avons pu nous rendre coupables par cela même que notre vie s'est prolongée depuis lors; en effet, tant que dure son existence mortelle, il est impossible à l'homme de se préserver complètement de fautes au moins légères. Ces fautes, que nous appelons légères, ne les regarde pas comme indignes de ton attention; car elles té semblent peu de chose, quand tu en apprécies la grièveté ; elles doivent te faire trembler, dès que tu en considères le nombre. Une immense quantité dé péchés peu considérables ne constitue-t-elle pas une lourde masse? Ce sont des gouttes d'eau nombreuses qui remplissent le lit d'un fleuve, les tas de blé se composent d'une multitude de grains. Où puiser de l'espoir? D'abord, dans 'l'aveu de nos iniquités : que personne ne se croie juste; que personne ne lève la tête en, présence du Dieu qui voit ce que: nous, sommes. Car si nous existons, il y a eu un temps ou nous n'existions pas. Avant tout, faisons donc l'aveu de nos péchés; puis, ayons la charité, parce qu'il est dit d'elle : « La charité couvre la multitude des péchés (1 P 4, 8) ». Remarquons-le Jean nous recommande la charité eu raison des iniquités dont nous nous souillons à chaque' instant; car la charité seule fait disparaître notre culpabilité. Ce qui tue la charité, c'est l'orgueil; elle puise donc sa force dans l'humilité, et elle détruit le péché; l'humilité nous porte à reconnaître que nous sommes pécheurs; quand nous parlons d'humilité, nous n'entendons pas celle qui se bornerait à nous faire faire de bouche cet, aveu, pour nous empêcher de paraître arrogants aux yeux du monde, et de lui déplaire en nous disant hommes justes. Ainsi agissent les impies et  ceux qui ont perdu le sens. Je sais bien que je suis juste, disent-ils, mais comment. me rendre un pareil témoignage devant le monde? Si je me vante d'être juste, qui est-ce qui endurera, qui est-ce qui supportera un tel langage? Il suffit donc que ma justice soit connue de Dieu; devant les hommes, je me proclamerai pécheur, non que je le sois en réalité, mais afin de ne point me rendre odieux par mon orgueil. Dis aux hommes ce que tu es; dis-le aussi à Dieu. En voici le motif : c'est que si tu ne dis pas à Dieu ce que tu es, il condamnera en toi ce qu'il y trouvera de défectueux. Veux-tu ne pas être condamné par lui? Prononce toi-même ta condamnation. Veux-tu qu'il ferme les yeux sur tes péchés, ouvre: les tiens sur tes fautes, afin de pouvoir dire à Dieu : « Détournez votre visage de mes iniquités ». Adresse-lui encore ces autres paroles du Psalmiste : « Parce que je reconnais ma faute (Ps 1,11). Si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous les remettre et pour nous purifier de toute iniquité. Mais si nous disons que nous n'avons point péché, nous le faisons menteur, et sa parole n'est point en nous ». Si tu dis : Je n'ai point commis d'iniquité, tu prétends te faire passer pour véridique, et, par là même tu le fais menteur. En vertu de quoi Dieu serait-il menteur, et l'homme véridique? L'Écriture ne dit-elle pas formellement le contraire ? « Tout homme est menteur, Dieu seul est véridique (Rm 3, 4) ». Par lui-même, Dieu est véridique; si tu l'es, c'est par Dieu, car de toi-même tu es menteur.

7. De ce que l'Apôtre a dit : « Il est fidèle et juste pour nous purifier de toute iniquité », nul n'a le droit de conclure qu'il laisse le péché impuni; les hommes ne sont pas davantage autorisés à dire : Commettons à loisir le péché ; faisons en toute tranquillité ce que nous voulons; le Christ nous purifie de toute iniquité ; il est fidèle et juste pour nous ôter la souillure de nos fautes; en effet, il t'enlève cette pernicieuse sécurité et t'inspire une crainte salutaire. Tu veux jouir d'une tranquillité fausse, sois plutôt en proie à l'inquiétude ; car, s'il est fidèle et juste pour nous pardonner nos péchés, c'est à la condition que tu te déplairas à toi-même et que tu te convertiras au point de devenir parfait. C'est pourquoi tu lis ensuite : « Mes petits enfants, je vous écris ces choses afin que vous ne vous rendiez point coupables de péché ». Mais peut-être, par suite de la faiblesse humaine, te laisses-tu aller à quelque faute? Qu'en adviendra-t-il? Eh quoi ! Y aurait-il lieu de tomber dans le désespoir? Écoute : « Cependant », dit l'Apôtre, « s'il arrive que quelqu'un pèche, nous avons pour avocat, auprès de Dieu, Jésus Christ le juste ; et lui-même est la victime de propitiation pour nos péchés ». Il est donc notre avocat; il met tous ses soins à ne pas te laisser périr. Si, en conséquence de ton infirmité naturelle, une fauté vient à t'échapper, reconnais-le aussi vite, repens-toi, sans tarder, de ta faiblesse, et, en même temps, prononce ta condamnation; en te condamnant toi-même, tu n'auras plus aucune crainte de paraître devant le souverain Juge. A son tribunal se trouve pour toi un avocat : donc, ne tremble pas; puisque tu as fait l'aveu de tes péchés, ta cause est bonne. Dans le cours de notre vie, il nous arrive parfois de confier notre défense à une langue exercée, et, par là, on se sauve; tu te confies au Verbe, et tu périrais ! Crie : « Nous avons un avocat auprès de Dieu ».

8. Voyez comme l'apôtre Jean a conservé l'humilité; évidemment, c'était un homme juste, un grand homme; il puisait au coeur de Jésus des secrets mystérieux. Cet homme, oui, cet homme qui, après en avoir puisé la connaissance au coeur du Christ, nous a révélé la divinité en ces termes: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu (Jn 1, 1) », cet homme n'a pas dit : Vous avez un avocat auprès du Père; mais : « S'il arrive que quelqu'un pèche, nous avons un avocat». Il ne dit point :Vous avez un avocat; ni : Vous m'avez pour avocat; ni : Vous avez un avocat dans le Christ lui-même ; il parle du Sauveur, mais non de sa propre personne: « Nous avons », dit-il, au lieu de dire : Vous avez. Il a mieux aimé se ranger dans le nombre des pécheurs, afin d'avoir Jésus Christ pour avocat, que d'usurper la place du Rédempteur et de prendre place parmi les orgueilleux destinés à périr. Mes frères, nous avons pour avocat, auprès du Père, Jésus Christ le juste, et lui-même est la victime de propitiation pour nos péchés. Quiconque a cru à ce point de doctrine, n'est point tombé dans l'hérésie; quiconque s'en est tenu là, n'est point devenu schismatique. Car, d'où viennent les schismes? De ce que les hommes disent : Nous sommes des justes, et qu'ils ajoutent : Nous sanctifions nous-mêmes ceux qui n'ont pas la conscience pure; nous justifions les impies; c'est nous qui demandons et qui obtenons. Pour Jean, que dit-il ? « S'il arrive que quelqu'un pèche, « nous avons pour avocat, auprès du Père, Jésus Christ le juste ». Mais, dira quelqu'un, les saints n'intercèdent-ils pas en notre faveur? Les évêques et ceux qui gouvernent le peuple chrétien ne prient-ils point pour lui ? Remarquez, s'il vous plaît, les paroles de l'Écriture, et vous verrez que les chefs du peuple se recommandent eux-mêmes à ses prières; car voici ce que l'Apôtre disait à ses disciples : «Vous aussi, priez pour nous (Col 4, 3) ». L'Apôtre prie pour le peuple, et le peuple prie pour l'Apôtre. Nous prions pour vous, mes frères; à votre tour, priez pour nous. Que tous les membres du corps prient les uns pour les autres, et que le chef intercède pour eux tous. Il n'est donc pas étonnant que l'apôtre Jean ajoute quelques mots pour fermer la bouche à ceux qui sèment la désunion dans l'Église de Dieu. Il venait de dire « Nous avons Jésus Christ le juste ; il est lui-même la victime de propitiation pour nos péchés ». Mais il devait y avoir un jour des hommes qui se diviseraient et diraient : « Le Christ est ici; non, il est là (Mt 24, 13) »; des hommes qui voudraient faire voir, dans une portion du troupeau, celui qui l'a racheté tout entier et en possède l'ensemble ; aussi a-t-il immédiatement ajouté « Et non seulement pour les nôtres, mais encore pour ceux de tout le monde ». Qu'est-ce à dire, mes frères? Certainement « nous l'avons a trouvée dans les campagnes couvertes de forêts (Ps 131, 6) » ; l'Église se rencontre au milieu de toutes les nations. Voilà donc que le Christ « est la victime de propitiation pour nos péchés, et non-seulement pour les nôtres, mais encore pour ceux de tout le monde ». Voilà que l'Église se trouve dans toutes les parties du monde ; ne te mets donc pas à la remorque de gens qui ne justifient qu'en apparence, et qui, réellement retranchent de l'unité. Place-toi, au contraire, sur cette montagne qui a rempli le monde entier (Dn 2, 35); car le Christ est « la victime de propitiation pour nos péchés, et non-seulement pour les nôtres, mais pour ceux de: tout le monde », qu'il a acheté au prix de son sang.

9. « Or », dit Jean, « nous sommes assurés que nous le connaissons, si nous observons ses commandements ». Quels commandements ? « Celui qui prétend le connaître, et qui ne garde pas ses commandements, est un menteur, et la vérité n'est point en lui ». Mais peut-être insisteras-tu à me demander quels sont ces commandements? « Si quelqu'un garde sa parole, l'amour de Dieu est vraiment parfait en lui ». Voyons si ce commandement ne porte pas le nom de charité. Nous cherchions à connaître le commandement du Seigneur, et l'Apôtre nous répond : « Si quelqu'un garde sa parole, l'amour de Dieu est vraiment parfait en lui ». Lis l'Évangile, et tu verras que c'est bien là le commandement du Seigneur. « Je vous donne un commandement nouveau, c'est que vous vous aimiez les uns les autres (Jn 13, 34). Nous reconnaissons que nous sommes en lui, si nous sommes arrivés à la perfection qu'il nous recommande ». Jean entend, par là, la perfection dans la charité. Mais en quoi consiste la charité parfaite? A aimer même nos ennemis, à les aimer au point de les regarder comme des frères. Car notre charité pour le prochain ne doit pas être charnelle. Souhaiter à quelqu'un la vie du corps, c'est très-bien; mais si elle vient à lui manquer, que son âme soit, du moins, en sûreté. Tu désires que ton ami vive : en cela, tu agis bien ; mais te réjouir de la mort d'un ennemi, c'est très-mal. Pourtant, il peut se faire que la vie, que tu souhaites à ton ami, lui soit inutile, comme la mort de ton ennemi, dont tu conçois une joie si vive, peut lui être de quelque avantage. Que cette vie soit utile ou non à tel ou tel homme, nous l'ignorons ; mais nous ne saurions mettre en doute l'utilité de la vie que l'on puise en Dieu. Chéris donc tes ennemis jusqu'à désirer les avoir pour frères; aime-les au point de vouloir former avec eux une société étroite. Ainsi les a aimés Jésus en croix, au moment de mourir, car il a dit : « Père, pardonnez-leur, ils ne savent ce qu'ils font » (Lc 23, 34). Il ne s'est pas exprimé de cette manière : Père, accordez-leur de vivre longtemps : ils me font mourir, mais puissent-ils vivre eux-mêmes ! Voici ses propres paroles : « Pardonnez-leur, ils ne savent ce qu'ils font ». Il écartait de leur personne la mort éternelle : par une prière toute miséricordieuse et en vertu de sa puissance souveraine. Beaucoup d'entre ses bourreaux crurent en lui, et obtinrent ainsi le pardon du crime qu'ils avaient commis en répandant son sang. Ils l'avaient d'abord répandu en faisant mourir le Christ; ils l'ont bu ensuite, lorsqu'ils se sont soumis à la foi. « Nous savons que nous sommes en lui, si nous sommes arrivés à la perfection qu'il nous commande ». En parlant de cette perfection qui consiste à aimer nos ennemis, le Sauveur s'exprime en ces termes : « Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait (Mt 5, 48) ». Aussi, « celui qui dit qu'il demeure en Jésus Christ, doit marcher lui-même comme Jésus Christ a marché ». Eh quoi ! Mes frères, que nous enseigne l'Apôtre? « Celui qui dit qu'il demeure en lui », c'est-à-dire en Jésus Christ, « doit  marcher lui-même comme Jésus Christ a  marché ». Nous recommande-t-il par hasard de marcher sur les flots de la mer ? Non, évidemment. Par là, Jean nous avertit donc de marcher dans le chemin de la justice. Quel est ce chemin? Je l'ai déjà dit. Le Christ était attaché à la croix, et néanmoins il marchait dans ce chemin, qui n'est autre que celui de la charité : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font ». Par conséquent, si tu as appris à prier pour ton ennemi, tu marches sur les traces du Sauveur.

10. « Mes bien-aimés, ce que je vous écris n'est pas un commandement nouveau c'est le commandement ancien que vous avez reçu dès le commencement ». Qu'est-ce que l'Apôtre entend par le commandement ancien? « Celui que vous avez reçu dès le commencement ». Il est donc ancien, parce que vous l'avez déjà entendu : autrement, Jean serait en contradiction avec le Christ, car Jésus a dit : « Je vous donne un commandement nouveau, c'est de vous aimer les uns les autres ». Mais pourquoi est-ce un commandement ancien ? Ce n'est point parce qu'il aurait été donné au vieil homme. Pourquoi donc ? « C'est celui que vous avez reçu dès le commencement. Ce commandement ancien, « c'est la parole que vous avez entendue ». Il est donc ancien, parce que vous l'avez déjà entendu. Et ce même commandement, Jean nous le montre comme nouveau : « Et, néanmoins », dit-il, « le commandement, dont je vous parle est nouveau ». Je ne parle pas d'un autre, c'est bien à celui qu'il avait appelé ancien, qu'il donne le nom de nouveau. Pourquoi cela? « Ce qui est vrai en Jésus Christ et en vous ». Vous venez d'entendre le motif pour lequel ce commandement est ancien: c'est que vous le connaissiez déjà. Mais pourquoi est-il nouveau? « Parce que les ténèbres sont passées, et que la vraie lumière luit maintenant ». Voici donc la raison de sa nouveauté. Le vieil homme était plongé dans les ténèbres, mais la lumière s'est faite pour l'homme nouveau. Que dit l'apôtre Paul ? « Dépouillez-vous du vieil homme, et revêtez-vous de l'homme nouveau (1) ». Que dit-il encore ailleurs ? : « Vous étiez autrefois ténèbres, mais vous êtes devenus lumière dans le Seigneur » (Col 3,9, 10).

11. « Celui qui prétend être dans la lumière » Ici, Jean met sa pensée dans tout son jour, « Celui qui prétend être dans la lumière, et qui hait son frère, est encore dans les ténèbres ». Donc, mes frères, jusques à quand serons-nous forcé de vous dire : « Aimez vos ennemis (Mt 5, 44) ? » Prenez bien garde, car ce serait pour vous le comble du malheur, de haïr vos frères mêmes. Si vous vous borniez à aimer vos frères, vous ne seriez pas encore parfaits; mais si vous les détestez, qu'êtes-vous ? Où en êtes-vous ? Que chacun d'entre nous s'examine à fond; ne conservons nulle rancune contre notre frère, parce qu'il aurait prononcé contre nous quelque dure parole; pour une revendication de terrain, ne devenons pas terreux. Si quelqu'un hait son frère, il ne doit pas prétendre qu'il marche dans la lumière. Que dis-je ? Il ne doit pas prétendre qu'il marche dans le Christ. « Celui qui dit qu'il est dans la lumière et qui hait son frère, est encore dans les ténèbres ». Un païen, n'importe lequel, est devenu chrétien ; soyez attentifs : quand il était dans le paganisme, il était dans les ténèbres; il est maintenant chrétien, Dieu en soit loué; nous l'en félicitons tous, et nous répétons ces paroles de congratulation prononcées par l'Apôtre : « Vous étiez autrefois ténèbres, mais vous êtes devenus lumière dans le Seigneur ». Il adorait des idoles, et il adore Dieu ; il se prosternait devant l'ouvrage de ses propres mains, et il fléchit le genou devant sors Créateur. Il est devenu tout autre : que Dieu soit loué; tous les chrétiens le félicitent. Pourquoi ? Parce qu'il adore le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et qu'il déteste les démons et les idoles. Jean éprouve encore des inquiétudes au sujet de cet homme ; et tandis que les autres se livrent à la joie, il ressent encore de secrètes appréhensions. Mes frères, partageons largement la sollicitude de notre mère; car, malgré l'allégresse des autres, elle se tourmente avec raison à notre endroit; cette mère est, selon moi, la charité, qui remplit le coeur de Jean et lui dicte ces paroles. Pourquoi? sinon parce qu'il redoute de nous trouver en un certain état, lors même que nos semblables nous félicitent? Quel est cet état où il craint de nous voir ? « Celui qui dit qu'il est dans la lumière ». Quel est le sens de ces paroles? Celui qui dit qu'il est chrétien, « et qui déteste son frère, est encore maintenant plongé dans les ténèbres ». Inutile d'expliquer la pensée de l'Apôtre ; réjouissons-nous, si elle ne se réalise pas en notre personne, mais pleurons, si elle s'y vérifie.

12. « Celui qui aime son frère demeure dans la lumière, et le scandale n'est point en lui ». Je vous en conjure par le Christ; puisque Dieu pourvoit à notre nourriture; puisque nous réparerons nos forces corporelles au nom du Sauveur ; qu'elles sont déjà réparées, et qu'elles le seront encore bientôt davantage : n'oublions point d'alimenter aussi notre âme. Si je m'exprime ainsi, ce n'est pas que je veuille vous entretenir longtemps encore, parce que nous sommes arrivés à la fin de la leçon ; mais je crains que la fatigue nous ennuie et nous empêche d'écouter avec attention, car il nous est indispensable de rester attentifs. « Celui qui aime son frère, demeure dans la lumière, et le scandale n'est point en lui n. Qui sont ceux qui deviennent victimes ou causes de scandale ? ceux pour qui le Christ et l'Église sont un sujet de scandale. Ceux qui se scandalisent du Christ, sont comme brûlés par le soleil ; et ceux qui se scandalisent de l'Église, sont comme brûlés par la lune. Le Psalmiste s'est exprimé ainsi : « Tu ne redouteras point, durant le jour, les ardeurs du soleil, ni, pendant la nuit, celles de la lune (Ps 120, 6) ». C'est-à-dire : si tu conserves la charité, tu ne trouveras de sujet de scandale, ni dans le Christ, ni dans l'Église, et tu ne te sépareras ni de l'un, ni de l'autre. Celui qui se sépare de l'Église, qui n'est plus membre du Christ, peut-il lui appartenir ? Comment serait-il dans le Christ, s'il ne fait plus partie de son corps? Ceux-là donc sont des victimes de scandale qui rompent avec le Christ ou avec l'Église. Par là, il nous est facile de comprendre que si le Psalmiste a dit : « Tu ne redouteras point, durant le jour, les ardeurs du soleil », c'est que ces ardeurs marquent le scandale. Remarque d'abord leurs points de ressemblance. Celui qui brûle, s'écrie : Je n'y tiens plus, je ne puis endurer ce supplice; et il s'efforce de s'y soustraire. Ainsi en est-il de ceux à qui déplaisent certaines choses ecclésiastiques, et qui renoncent, en conséquence, soit à Jésus, soit à l'Église ; ils souffrent du scandale. De fait, voyez s'ils n'ont pas enduré un supplice pareil à Celui que produisent les ardeurs du soleil , ces hommes charnels auxquels le Christ parlait de sa chair, et disait : « Celui qui ne mangera pas la chair du Fils de l'homme, et ne boira pas son sang, n'aura point la vie en lui ». Près de soixante-dix hommes répondirent : « Ces paroles sont dures », et ils s'éloignèrent de lui; il n'y en eut que douze pour lui rester fidèles; le soleil consuma tous les autres ; aussi s'éloignèrent-ils, ne pouvant supporter la force des paroles du Sauveur. Les disciples qui lui demeurèrent fidèles, furent donc au nombre de douze seulement. Le monde aurait pu croire qu'en ajoutant foi aux paroles du Christ, ils l'honoraient beaucoup plus qu'ils n'en retiraient eux-mêmes d'avantage ; pour lui ôter cette fausse idée, le Sauveur leur dit, lorsqu'il se vit seul avec eux : « Vous aussi, voulez-vous me quitter ? » Apprenez que je vous suis indispensable, et que vous ne m'êtes pas nécessaires. Comme le soleil ne les avait pas brûlés de ses feux, ils lui répondirent par l'organe de Pierre : « Seigneur, vous avez la parole de la vie éternelle où irions-nous (Jn 6, 54-69) ? » Quels sont ceux que l'Église consume, comme la lune pendant la nuit? Ceux qui ont fait schisme. Écoute ces paroles contenues dans les Épîtres de Paul : « Qui est faible, sans que je sois faible avec lui? Qui est scandalisé sans que je brûle (2 Co 11, 29)? » Pourquoi n'y a-t-il pas de scandale en celui qui aime son frère? Parce que le chrétien, qui aime son frère, supporte tout pour conserver l'unité ; car, dans les liens de la charité se trouve l'amour de nos frères. Tu es offensé par je ne sais qui, par un méchant, par un homme que tu supposes mal disposé ou que tu accuses indûment d'être tel, et, pour lui, tu te sépares d'un si grand nombre de bonnes gens ? Est-ce aimer ses frères, que les aimer à la manière des Donatistes? Les Africains leur ont semblé coupables : à cause de cela, fallait-il se séparer du reste de l'univers? N'y avait-il donc plus de saints dans le monde ? Pouviez-vous, d'ailleurs, condamner leurs adversaires sans les entendre ? Ah, si vous aimiez vos frères, il n'y aurait point de scandale en vous. Écoute ce que dit le Psalmiste : « Paix abondante à ceux qui aiment votre loi ; ils n'ont aucun sujet de scandale » (Ps 118, 165) ». Il promet à ceux qui aiment la loi de Dieu, de jouir d'une grande paix et de n'avoir aucune occasion de se scandaliser. Ceux-là donc qui se scandalisent, perdent la paix. Et quels sont, à son avis, ceux qui ne deviennent ni victimes ni causes de scandale? Ceux qui aiment la loi de Dieu : ils se trouvent donc au sein de la paix. Mais, remarquera quelqu'un, le Psalmiste parle, non de ceux qui aiment leurs frères, mais de ceux qui aiment la loi de Dieu. Écoute ce que dit le Seigneur : « Je vous donne un commandement nouveau, c'est de vous aimer les uns les autres ». Qu'est-ce qu'une loi, sinon un commandement ? Comment donc se fait-il qu'il faille se supporter les uns les autres, pour ne pas être scandalisé ? Le voici : « Supportez-vous mutuellement dans le sentiment de la charité », dit l'apôtre Paul : « Efforcez –vous de conserver l'union des esprits dans les liens de la paix (Ep 4, 2, 3) ». Et comme telle est la loi du Christ, le même Apôtre va te recommander cette loi elle-même ; écoute-le bien : « Portez les fardeaux les uns des autres, et ainsi accomplirez vous la loi du Christ (Ga 6, 2) ».

13. « Mais celui qui hait son frère, est dans les ténèbres ; il marche dans les ténèbres, et il ne sait où il va ». Importante réflexion, mes frères : remarquez-la bien, je vous en prie. « Celui qui hait son frère, marche dans les ténèbres, et il ne sait où il va, parce que les ténèbres l'ont aveuglé ». Y a-t-il des gens aussi aveugles que ceux qui détestent leurs frères ? La preuve de leur cécité, c'est qu'ils se sont buttés contre la montagne. Je vous répète les mêmes choses, pour que vous n'en perdiez pas le souvenir. Est-ce que cette pierre, qui s'est détachée de la montagne sans le secours de mains d'homme, est-ce que le Christ n'est point sorti du peuple juif sans la coopération d'un père charnel? Cette pierre n'a-t-elle pas écrasé tous les royaumes du monde, c'est-à-dire toute la puissance des idoles et des démons ? N'est-elle pas devenue grande ? N'est-elle pas devenue une immense montagne qui a rempli toute la terre (Dn 1, 34-35) ? Montrons-nous du doigt cette montagne, comme on essaierait de montrer à des hommes la pleine lune? Par exemple, quand des hommes veulent voir la nouvelle lune, ils disent : Voilà la lune, voilà où elle se trouve. Et s'il en est là qui ne puissent apercevoir son faible croissant, et qui disent : Où donc ? On dirige le doigt du côté où elle se montre pour la leur faire voir : il arrive, parfois, qu'ils n'aperçoivent rien, mais dans la crainte de passer pour des aveugles, ils affirment qu'ils l'ont vue distinctement. Mes fières, montrons-nous l'Église de la même façon ? Ne s'étale-t-elle pas au grand jour ? N'apparaît-elle pas à tous les yeux ? N'a-t-elle pas réuni, dans son giron, toutes les nations de l'univers ? Ne voyons-nous point en elle l'accomplissement de la promesse faite à Abraham tant d'années auparavant, à savoir que tous les peuples seraient bénis en celui qui sortirait de lui'? Cette promesse n'a été faite qu'à un seul fidèle : et le monde s'est rempli de milliers de fidèles. Voilà cette montagne qui occupe toute la surface de l'univers, voilà cette ville dont il a été dit : « Une ville, placée sur une montagne, ne peut être cachée (Mt 5, 14) ». Pour les Donatistes, ils se buttent contre la montagne. Quand on leur dit : Montez, ils répondent Il n'y a pas de montagne ; ils aiment mieux se heurter contre la montagne, que chercher une place dans l'Église. Hier, on vous a lu Isaïe ; ceux d'entre vous qui tenaient ouverts non-seulement leurs yeux, mais aussi leurs oreilles, les oreilles de leur esprit surtout, ont remarqué ce passage : « Dans les derniers jours, la montagne où habite le. Seigneur sera élevée au-dessus des collines, sur le sommet des montagnes ». Est-il rien d'aussi visible qu'une montagne ? Il y a, néanmoins, des montagnes inconnues, parce qu'elles n'occupent qu'un seul endroit du monde. Quelqu'un, parmi vous, connaît-il le mont Olympe ? Ses habitants ne connaissent pas mieux notre Giddabam. Ces montagnes n'occupent donc que des parties isolées de l'univers ; mais il n'en est pas de même de celle-ci, car elle s'étend d'un bout du monde à l'autre, et il est dit d'elle : « Elle sera élevée sur le sommet des montagnes ». C'est une montagne qui surpasse en hauteur toutes les autres : « C'est pourquoi », ajoute Isaïe, « tous les peuples s'y réuniront en foule (Is 2, 2) ». Qui est-ce qui s'égare sur cette montagne ? Qui est-ce qui se brise la tête en se buttant contre elle ? Quelqu'un ignore-t-il que la cité est assise sur les monts ? Ceux qui détestent Murs frères, l'ignorent ; mais ne vous en étonnez point, car ils marchent dans les ténèbres et ne savent où ils vont : les ténèbres les ont aveuglés. Ils n'aperçoivent pas la montagne n'en sois nullement surpris, ils n'ont pas d'yeux. Et pourquoi n'en ont-ils point ? Parce que les ténèbres les ont aveuglés ? Où en est la preuve ? C'est qu'ils haïssent leurs frères : c'est qu'ayant à se plaindre des Africains, ils se séparent du reste du monde, parce que, pour conserver la paix du Christ, ils ne peuvent se résoudre à supporter des hommes qu'ils calomnient, tandis que, pour soutenir le parti de Donat, ils supportent des gens qu'ils condamnent.

Numérisé par Abbaye Saint-Benoît de Port-Valais