Brève histoire d'Abdelaziz — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

Brève histoire d'Abdelaziz

Jeune sans papiers accueilli à l'abbaye pendant un mois à l'abbaye de Tamié

Brève histoire d'Abdelaziz

 

Je m’appelle Abdelaziz(*), je viens d’avoir 19 ans. Je viens d’un pays d’Afrique subsaharienne et je suis en France depuis neuf mois. J’ai perdu ma mère à l’âge de huit ans et mon père peu de temps après. Il serait trop long de vous raconter pourquoi j’ai été obligé de quitter ma maison, mes copains et mon pays, mais, à moins de 17 ans, je me suis dit que je n’avais pas le choix. Deux camarades m’ont proposé de me joindre à eux pour tenter notre chance. L’objectif était d’atteindre l’Italie par la mer. Beaucoup d’autres le faisaient ; pourquoi pas nous ?

Enfant, j’avais fréquenté une école coranique. Ah, oui, je n’ai pas encore dit que je suis né dans une famille musulmane. La vie m’a vite appris à être débrouillard. Je n’ai pas le permis de conduire, mais je sais parfaitement conduire un camion ; j’aime la musique rap et je m’en tire bien en français ; c’est pour cela que j’ai décidé de fixer mon cap sur la France.

Avec mes copains, nous sommes donc arrivés en Algérie, non sans peine ; le troisième d’entre nous s’en est allé par son chemin et nous avons trouvé du boulot chez un gros producteur agricole ; c’était la saison de la récolte des fraises. Les conditions de travail à peine pensables : nous étions payés irrégulièrement et avec des salaires de famine. Je vous l’assure, c’était dur, très dur ! Enfin, après plusieurs mois, nous avons rejoint la Lybie. On entendait dire que c’était l’étape la plus dure du voyage, encore plus dure que l’Algérie ; et c’était bien vrai ! J’ai eu la chance d’en sortir vivant. Dans ce pays c’est le chaos : tout le monde circule armé ; enfin, surtout ceux qui imposent leur loi par la terreur… Imaginez un peu comme dans les films du Far West. Sauf qu’en Lybie les méchants gagnent toujours.

J’ai vite compris qu’il fallait absolument trouver les moyens pour passer la Méditerranée ; une fois de l’autre côté, tout était résolu, pensais-je. Je ne vous dis pas à quel prix, mais une nuit nous avons pu nous embarquer. L’eau froide et noire, le vent… Nous étions entassés comme des bestiaux ; personne n’osait dire quoi que ce soit ; je retenais mon souffle. Je ne veux plus penser à cette traversée, bien que j’en rêve souvent…

Après un bref séjour en Sicile et des contrôles de santé, nous sommes repartis en car, pour le nord de l’Italie. C’est à Vérone que j’ai vécu de longs mois, enfermé dans un camp de réfugiés. J’ai appris quelques mots d’italien, mais le temps ne passait pas. Enfin, un beau jour, avec deux nouveaux copains, nous sommes partis pour rejoindre notre objectif, la France. C’est après avoir franchi un col, la nuit, que nous sommes arrivés au delà des Alpes, en France. L’un de nous décida d’aller en Allemagne. L’autre copain, 16 ans voulait aller à Nantes, même s’il ne connaissait personne, sans même savoir où c’était, d’ailleurs. En Savoie nous avons demandé de l’aide à un homme que nous avons rencontré, André (*) un passionné de montagne, il les a aidés à réaliser leur projet. Pour moi il m’a amené chez lui, à la maison, et avec sa femme, ils m’ont dit : « Et toi, Abdelaziz, tu vas où ? ». « Je ne sais pas… peut être… à Nantes, ou… pouvez-vous me prendre chez vous ? ». Et eux m’ont dit oui.

Enseignant à la retraite, André avait lu sur le site de l’abbaye de Tamié que les moines avaient déjà accueilli d’autres migrants ; il a téléphoné au père abbé pour voir s’ils pouvaient m’accueillir pendant le mois d’août ; les moines aussi ont dit oui. Quant à moi, je ne savais pas qu’est ce que c’est qu’une abbaye et des moines non plus. J’avoue que j’étais méfiant. C’est pour ça que, quand, avec André je suis allé les voir, au mois de juin, j’étais très impressionné et je l’avoue, pas tranquille du tout : des moines chrétiens, habillés de telle manière… ! Et que fait-on, dans une abbaye ?

Mais les Frères m’ont très bien accueilli. Pendant mon séjour, j’ai eu une petite chambre pour moi, comme les autres hôtes qu’ils accueillent, avec qui je prenais mes repas. En arrivant chez eux, j’ai posé mes conditions : « Pas de cochon à table, pour moi ! ». (Je ne savais pas que les Frères ne consomment pas de viande…) J’ai vite constaté qu’ils me traitaient de manière amicale, sans m’obliger à quoi que ce soit ; j’avais apporté ma trottinette, mais je n’ai pas eu le temps de m’ennuyer (sauf, peut-être, un peu le dimanche) : on m’a vite proposé de petites occupations, notamment au jardin potager, un travail que j’aime bien ; j’avais déjà travaillé à la campagne, chez moi ; j’étais avec eux et avec d’autres jeunes stagiaires. J’ai passé un bon mois d’août : je suis allé en ballade avec eux, en montagne et une fois, j’ai fait une escapade en ville avec le père abbé ; je me suis fait des amis parmi les moines.

Début septembre, André (j’habite maintenant chez lui) m’a inscrit à des cours professionnels, je suis avec des jeunes de mon âge et je me plais. Je sais que je suis en situation de précarité, mais dans ma classe je m’engage à fond et je suis reconnaissant envers ceux qui m’ont tendu leur main, surtout André et sa femme Louise. Avec leur aide et bien sûr, avec l’aide de Dieu, je veux réussir ma vie.

 

(*) Les noms ont été modifiés