Petit exposé de la vie à la Valsainte — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

Petit exposé de la vie à la Valsainte

Imprimé, vers 1795

 Petit exposé du genre de vie
que l’on mène au monastère de la Maison-Dieu de la Valsainte
N. D. de la Trappe, au canton de Fribourg en Suisse,
dressé en faveur de ceux qui demandent d'y être admis, et
abrégé des dispositions où doit être celui qui désire y entrer.
Document imprimé
Archives de l'Abbaye de Tamié

Le Petit Exposé fut largement distribué, un peu comme des tracts publicitaires. Il résume en quelque sorte les Règlements de La Valsainte et les dispositions demandées aux candidats à la vie monastique,

Qui que vous soyez à qui Dieu inspire le dessein de vous joindre à nous pour vous consacrer à la pénitence, ne vous imaginez pas, comme on se le persuade dans le monde, avoir besoin pour cela de beaucoup de forces et de vigueur. Non, il ne faut pas précisément beaucoup de forces, puisqu’on en voit tous les jours parmi nous de très délicats et d’une très faible santé, persévérer avec constance : mais il faut, avec le secours de la grâce, beaucoup de courage, beaucoup d’humilité, beaucoup de bonne volonté. Beaucoup de courage pour supporter les austérités ; beaucoup d’humilité pour renoncer à vous-même en toutes manières ; beaucoup de bonne volonté pour surmonter les obstacles et les tentations qui vous détourneront peut-être de votre entreprise.

1° - Beaucoup de courage pour supporter les austérités. Car quoiqu’elles ne soient pas aussi grandes qu’elles devraient être pour ceux qui, par leur état, sont obligés de faire pénitence non seulement pour leurs propres péchés mais encore pour les péchés des autres, voici à quoi vous devez vous attendre :

1 - Avoir bien froid en hiver, car le climat est très dur et on a cependant toujours la tête nue à l’église, même à matines au milieu de la nuit ; le jour on ne peut se chauffer que dans de petits moments et seulement debout.

2 - Avoir bien chaud pendant l’été, sans qu’il vous soit permis d’essuyer avec votre mouchoir, du moins en public, les gouttes de sueur de votre front, vous pourrez seulement les détourner avec le doigt, de crainte qu’elles n’entrent dans les yeux et ne nuisent à la vue. Mais le froid et le chaud ne sont que la pénitence commune à tous les hommes et même les plus sensuels n’en sont pas exempts ; ainsi ceux qui font une profession publique de pénitence n’y doivent presque point faire attention.

4 - Il faut vous attendre à vous lever tous les jours avant une heure et demie du matin les dimanches et fêtes ordinaires, et tous les jours où l’office est de 12 leçons, avant une heure, et les grandes fêtes, avant minuit.

5 - A ne vous point appuyer contre le mur quand vous serez assis, quelque fatigué que vous puissiez être.

6 - A ne faire qu’un seul repas par jour pendant 7 mois de l’année ou environ, et cela à deux heures et demie du soir et à quatre heures et un quart en Carême. Encore ne trouverez-vous au réfectoire que quelques pommes de terre, quelques herbes, racines ou légumes apprêtés sans façon, sans beurre, sans huile, mais seulement avec du sel et de l’eau, et tout au plus quelquefois un peu de lait. Lorsqu’on soupe, de la salade et un peu de fromage ou bien quelques fruits ou pommes de terre en place de fromage font tout le souper. Vous n’y trouverez non plus que du pain bis et pour boisson que de l’eau, encore ne vous sera-t-il pas permis de toucher à cela que le supérieur n’ait frappé pour en donner le signal, afin de mortifier un peu l’avidité désordonnée de la nature qui a souvent besoin d’être modérée lorsqu’il s’agit de satisfaire ses appétits, quelque insipide qu’en soit l’objet. Encore si vous laissez tomber quelques gouttes de cette pauvre eau, un seul petit morceau de ce mauvais pain, faudra-t-il vous prosterner la face contre terre. Encore ne vous sera-t-il pas permis de choisir dans cette méchante nourriture ce qui vous répugnera le moins.

7 - A travailler cinq ou six heures par jour et quelquefois davantage, à jeun, à des travaux très pénibles.

8 - A chanter au choeur ou y prier à genoux plus de sept heures les jours, plus de onze tous les dimanches et fêtes ordinaires, et plus de douze aux grandes fêtes.

9 - A ne vous coucher, pour vous délasser des fatigues de la journée, que sur des planches et à n’avoir sous votre tête qu’un petit oreiller de paille.

10 - A compter tout cela pour rien et aller tous les soirs, avant de vous coucher, vous prosterner devant le Crucifix et la componction dans le coeur, dire dans cette posture le psaume Miserere3, pour demander pardon à Dieu d’avoir fait en ce jour si peu de chose, et ce peu, de l’avoir fait si mal, comme aussi pour mortifier un peu la nature qui se porte souvent avec un empressement déréglé à prendre son repos, surtout lorsqu’elle est fatiguée.

Mais quand vous auriez le courage nécessaire pour tout cela, sachez que vous n’en avez pas assez, car il faut en avoir encore pour mener, si Dieu le permet, une vie plus pauvre et plus mortifiée, les religieux de cette maison, par esprit de zèle et de charité, ayant pris la résolution de ne refuser aucun de ceux qui se présenteront et qui seront bien appelés. On se contente de les prévenir de ce à quoi ils doivent s’attendre. Mais si après avoir consulté Dieu, de qui seul ils doivent espérer le courage nécessaire, ils consentent à venir partager notre pauvreté, on leur ouvre les bras avec joie, et avec d’autant plus de joie que la vie qu’on leur offre est plus pauvre et plus pénible, parce que c’est une preuve plus certaine qu’il n’y a que Dieu qui les amène, une marque plus évidente qu’ils sont déjà dans les mêmes dispositions que les saints. Il faut même que vous soyez le premier à vous exposer à cette pauvreté, en exerçant envers les autres la même miséricorde dont on aura usé envers vous et en les recevant comme on vous aura reçu, sans difficulté, aux dépens de vos aises et de vos commodités, et s’il le faut, de votre nécessaire, trop heureux de pouvoir contribuer à ce prix au salut d’une âme de plus. Quand vous en serez à ce point, ce n’est pas tout : il faut que vous alliez encore plus loin, car il faut qu’indépendamment de la pauvreté, vous soyez en outre disposé, au moins dans la préparation du coeur, à endurer mille peines et souffrances plutôt que de retrancher une seule des austérités que vous aurez trouvé établies, parce qu’on ne reçoit ici que ceux qui ont un grand zèle pour notre saint état et pour toutes ses pratiques. Vous ne devez cependant pas craindre d’être poussé à toute sorte d’extrémités, indifféremment et sans discrétion, car on ne s’est prononcé que de rétablir les anciennes pratiques de nos premiers pères, saint Robert, saint Etienne, saint Albéric et saint Bernard4, tous reconnus pour saints dans l’Eglise, et le dernier même pour un de ses pères et docteurs, et il ne saurait y avoir d’illusion et d’indiscrétion à marcher sur les traces de ses pères et instituteurs lorsqu’ils ont été des saints.

2°- Il faut beaucoup d’humilité pour renoncer à soi-même en toutes choses. On croit, quand on se sent en état de supporter toute sorte de pénitences et d’austérités, que tout est dit et qu’on peut hardiment se présenter à la Trappe. Oh ! Les austérités du corps ne sont que la moitié de la vie religieuse, et encore la moitié la plus aisée, car il en coûte souvent bien plus pour endurer avec patience les humiliations, renoncer à son propre jugement et détester sa propre volonté, comme l’exige notre sainte Règle, que pour tenir son corps dans la contrainte et les souffrances. Cependant c’est à tout cela qu’il faut s’attendre dans ce monastère.

Oui, il faudra endurer les humiliations. On vous reprendra à temps et à contretemps, en particulier et en public ; quelquefois ce seront vos frères les plus jeunes qui par un esprit de charité vous feront apercevoir vos fautes et même vos plus légers manquements en vous en proclamant dans le chapitre ; et toujours il faudra, soit que vous ayez tort ou raison, que vous soyez coupable ou non, il faudra souffrir cela avec patience, sans qu’il vous soit permis de proférer une seule parole qui tende à vous excuser le moins du monde ; il faudra même que vous vous humiliez aussitôt extérieurement en vous prosternant, et intérieurement en reconnaissant que vous êtes plein de défauts, et passer plus loin jusqu’à concevoir de la joie d’être humilié, quand bien même il arriverait qu’on se méprît en vous accusant d’une faute que vous n’auriez point commise, quelque grave qu’elle fut, ou que le supérieur entendît tout autrement ce qui aurait été dit sur vous, acceptant la confusion qui vous en reviendrait en place de celle que vous mériteraient au tribunal redoutable du Juste Juge tant de péchés que vous avez commis et qui ne sont point connus des hommes ni peut-être de vous-même, et qu’il est cependant nécessaire d’expier. Enfin c’est dans cette pensée d’avoir offensé la Majesté de Dieu et pour réparer ce malheur que notre sainte Règle veut que nous marchions toujours la tête penchée vers la terre et les yeux baissés. C’est ce qu’il faudra que vous tâchiez de faire, sans cependant trop de contrainte ni d’efforts, parce que c’est un point capital parmi nous que tout se fasse avec une grande liberté d’esprit et paix intérieure et extérieure.

Oui, il faudra renoncer à votre propre jugement, parce qu’il faudra faire tout ce que l’on vous dira, sans observation, sans réplique, quelque peu convenable que cela puisse vous paraître, à moins, (ce qu’à Dieu ne plaise) que ce ne fût contraire à la loi de Dieu ou à la sainte Règle, ou bien que vous eussiez de bonnes raisons pour croire que ce n’est pas l’intention de votre supérieur. Hors ces cas extraordinaires, obéir sans retard, obéir sans examen et de bon coeur, est notre pratique de tous les moments. Mais non seulement il faudra renoncer à votre propre jugement en toute occasion, il faudra le fuir dans les choses même les plus justes et les exécuter, non parce qu’elles vous paraissent justes, mais parce qu’elles vous ont été commandées. Il faudra même croire simplement tout ce qu’on vous dira et vous persuader qu’il n’y a rien de mieux. Disons plus : il faudra oublier que vous avez su quelque chose et avoir sans cesse à l’esprit ces paroles sorties de la bouche sacrée de la Vérité éternelle : Nisi efficiamini sicut parvuli, non intrabitis in regnum coelorum, si vous n’imitez en simplicité les petits enfants, vous n’aurez point de part au Royaume des cieux. Ainsi il ne faudra plus avoir de sentiment propre, mais vous conformer entièrement à celui de votre supérieur, et même de tous vos frères sans exception, pour l’entretien de la charité, car si on n’a encore rien dit de cette vertu, c’est qu’on doit bien s’attendre qu’elle doit être au plus haut degré de perfection et pour tout dire en un mot, elle doit être si parfaite, que malgré la diversité des caractères, l’opposition des humeurs, la différence de l’éducation et des pays où l’on a pris naissance, il n’y ait entre tous qu’un même esprit, qu’un cœur et qu’une âme, à quoi on ne peut arriver qu’en renonçant, en toutes rencontres, à ses propres lumières pour s’abandonner aveuglément à celles des autres. Remarquez qu’il n’est pas nécessaire d’avoir atteint cette perfection dès le commencement, mais qu’il suffit d’y tendre de tout son pouvoir, d’y travailler de toutes ses forces et de vouloir sincèrement l’acquérir. Cette remarque est non seulement pour ce que je viens de dire, mais aussi pour tout le reste.

Oui, détester sa propre volonté. On dit ordinairement à ceux qui se présentent pour être admis parmi nous, qu’il faut qu’ils la laissent à la porte et on ne les trompe point. Il ne vous sera plus jamais permis de la suivre en rien. Il suffira que l’on voie que vous désiriez une chose, pour que l’on vous commande quelquefois tout le contraire, non pas comme pourraient le faire les gens du monde, pour vous contrarier et vous chagriner, mais par amour pour vous et pour votre salut, afin de vous faire absolument renoncer à cette maudite volonté propre qui est la seule cause de notre damnation. Aussi les saints nous disent-ils : Otez la volonté propre et il n’y aura plus d’enfer, cesset voluntas propria et non erit infernus. Mais il ne suffira pas de ne pas faire votre propre volonté, il faudra, comme nous venons de le dire, la détester, la fuir, la persécuter. La détester en déplorant sans cesse le malheur que vous avez eu autrefois de la suivre. La fuir jusqu’à regarder comme un malheur d’être quelquefois obligé de vous décider par vous-même, et alors tâcher d’obéir à l’intention de votre supérieur, s’il ne vous est pas donné d’obéir à ses ordres. La persécuter jusqu’à extinction en vous attachant à faire dans les choses libres et qui dépendront de vous, tout le contraire de ce que vous auriez envie de faire, de telle sorte qu’il suffise que votre volonté propre vous porte à quelque chose pour que vous fassiez tout l’opposé. Du moins faudra-t-il que vous vous exerciez sans cesse à tout cela.

3°- Il faut une très grande volonté pour surmonter tous les obstacles. Oui, une très grande bonne volonté, parce que tout cela vous paraîtra peut-être un peu pénible dans les commencements. Oui, une très grande bonne volonté, qui aille jusqu’à ne pas craindre la maladie, ni la mort même, mais plutôt à soupirer après elle à l’exemple de tous les saints, parce que, n’y eût-il que le changement de régime de vie, votre santé pourrait bien en recevoir d’abord quelque atteinte et le démon ne manquera pas de profiter de cette occasion pour vous persuader de regarder en arrière. Oui, une très grande bonne volonté parce qu’il faudra se contenter d’être peut-être longtemps simple novice. Oui, en un mot, une très grande bonne volonté, parce que le démon voyant que vous allez lui échapper vous tentera vraisemblablement en mille manières, ce que vous ne pourrez surmonter qu’en réunissant encore le courage et l’humilité à la bonne volonté. Le courage pour prendre patience et même vous offrir à Dieu, pour rester dans la tentation autant qu’il lui plaira, l’humilité pour avoir la fidélité de faire connaître aussitôt à celui qui vous tiendra la place de Dieu, toutes vos pensées, quelque extravagantes qu’elles puissent vous paraître, et toutes vos misères, quelque humiliantes qu’elles soient, et enfin la bonne volonté pour mettre en pratique tous les moyens qu’on vous donnera afin de pouvoir surmonter la tentation.

Voilà un petit Abrégé de la vie que vous désirez entreprendre. Lisez-le et relisez-le ; considérez-le et méditez-le attentivement. Surtout consultez Dieu et ayez une extrême défiance de vous-même. Sachez que vous ne pouvez rien, absolument rien, par vos propres forces, mais aussi concevez une grande confiance en la grâce toute puissante de Dieu qui peut vous rendre tout cela on ne peut plus facile, aussi bien qu’à nous. Dites-vous à vous-même, comme saint Augustin : Numquid non potero quod isti et istos ? Ne pourrai-je donc pas, avec la grâce, ce que peuvent bien ceux-ci et ceux-là ? Pensez que si le chemin de la croix a ses austérités et ses difficultés, il a bien aussi ses douceurs. Crucem vident, dit notre père St Bernard, unctionem non vident. Les hommes voient bien la croix, mais ils ne voient pas l’onction et les consolations qui accompagnent la croix. C’est cette onction et ces consolations qui font que plusieurs religieux de cette maison, au milieu même des peines intérieures et extérieures, ne changeraient pas leur état pour toutes les couronnes de la terre. Enfin, prenez la résolution d’en faire l’expérience au moins quelque temps et ne craignez pas de faire une tentative, d’où peut-être votre salut dépend.

Voici trois règles que vous devez suivre dans cette détermination.

1.- Considérez ce que vous conseilleriez à un autre qui serait dans le même cas que vous, c’est-à-dire qui aurait autant de fautes à expier que vous en avez, qui trouverait dans le monde autant de dangers que vous y en trouvez et qui éprouverait autant de faiblesse pour y résister que vous en éprouvez, et prenez pour vous le conseil que vous sauriez si bien donner aux autres. Serait-il sage d’en agir autrement ?

2.- Prévoyez ce que vous seriez bien aise d’avoir fait à l’heure de la mort et faites à présent ce que vous regretterez alors, mais inutilement, de n’avoir pas fait, ce que vous ne serez plus à temps de faire, ce qui vous jettera peut- être dans le désespoir si vous ne le faites pas. Quelle folie de mépriser tout cela !

3.- Réfléchissez bien sur l’importance de la décision que vous allez prendre et dites-vous à vous-même : Que me servira-t-il de gagner toute la terre si je viens à me perdre moi-même ? Mon âme une fois perdue, tout n’est-il pas perdu pour l’éternité ? Ah ! Il faut donc que je me sauve quoiqu’il puisse m’en coûter. En fait de salut, il faut aller au plus sûr. Quel aveuglement, quel malheur de s’exposer à perdre son éternité !

Voilà, mon cher frère, tout ce que j’ai cru devoir vous mettre sous les yeux. Puisse cet exposé non vous abattre, mais au contraire vous enflammer d’une sainte ardeur pour ce saint état. C’est notre vœu le plus ardent et ce que nous allons demander au Seigneur de tout notre coeur pour vous.

 

Avertissement

 

On doit savoir que pour entrer dans cette communauté, il n’est pas nécessaire d’avoir une dot. On y reçoit aussi bien ceux qui n’ont rien que ceux qui apportent quelque chose. On reçoit même les premiers avec plus de plaisir, les regardant comme plus semblables à Jésus Christ qui n’a pas eu où reposer sa tête, et étant plus assuré de plaire à Dieu par cette réception non intéressée.

On reçoit à tout âge, pourvu qu’on ait la force de supporter les austérités de l’Ordre et ceux qui n’ont point fait d’études aussi bien que ceux qui en ont fait. Ceux-ci sont ordinairement reçus parmi les religieux de choeur, les autres, qui sont sans lettres, parmi les frères convers.

Enfin ceux qui désireraient bien se donner à Dieu de tout leur coeur et faire pénitence de leurs péchés mais qui craindraient de s’engager par voeu, sont reçus comme frères donnés et tout ce qu’on demande de ceux qui se présentent, en quelque qualité que ce soit, c’est d’apporter une pleine et entière bonne volonté, un grand amour pour les souffrances et un extrême désir de n’aimer que Dieu.

Comme parmi les derniers on reçoit principalement les jeunes gens dont le tempérament n’est pas encore assez formé pour soutenir les jeûnes de la maison, ou les vieillards qui n’en ont plus la force, ou enfin des gens de travaux, ils ne sont point obligés à des jeûnes aussi rigoureux que les religieux, ils ne couchent pas non plus sur la planche, ils ont au moins une paillasse et portent du linge, ils suivent d’ailleurs les mêmes pratiques que les autres, surtout pour l’obéissance et le silence continuel.

Il y a encore un autre genre de vie beaucoup plus adouci pour les jeunes enfants que les parents donnent au monastère et qu’on reçoit depuis l’âge de cinq ans jusqu’à celui de dix, mais pour qu’on s’en charge, il faut qu’ils renoncent entièrement à les voir. C’est pourquoi on reçoit de préférence les orphelins. On leur fait faire tous les jours trois ou quatre repas, on leur apprend à lire, à écrire et à chiffrer. S’ils ont une certaine ouverture d’esprit, on leur enseigne le latin, mais on les forme surtout à la piété et on s’applique bien plus à en faire des saints que des savants. Quand ils ont atteint l’âge de discrétion et de discernement, s’ils veulent rentrer dans le monde, on les rend à leurs parents. Si au contraire ils sont bien aises de continuer à mettre leur salut en sûreté en s’éloignant tout à fait du monde, on examine si cette pensée leur vient de Dieu et s’ils sont propres pour notre état. En ce cas, après les avoir suffisamment éprouvés, on les incorpore à la communauté ou en qualité de frères donnés, ou de frères convers, ou de religieux de choeur s’ils ont étudié le latin, ou même simplement en qualité de domestiques s’ils ne sont pas propres à autre chose. On se charge entièrement d’eux tant en santé qu’en maladie, on les entretient de tout et on ne demande rien aux parents que de les donner entièrement à Dieu. Si cependant leur maladie était incurable ou contagieuse, on les leur rendrait. Omnia ad majorem Dei gloriam. Tout pour la plus grande gloire de Dieu.