Homélie TO 29 — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

Homélie TO 29

Par Frère Raffaele

29ème dimanche du temps ordinaire

Homélie

(Mc 10, 35-45)

- Frères et soeurs, à votre avis, qu'est-ce qui caractérise notre nature humaine, notre être le plus profond ? Pour ma part, je répondrai : une soif, la soif du bonheur ; autrement dit : le désir. Déjà saint Bernard et nos Pères cisterciens du Mie siècle l'avaient bien compris, eux qui disaient que l'homme est un être de désir, qu'il est mû par son désir. Le désir est l'expression de notre finitude qui aspire à la plénitude, à l'accomplissement, à la perfection, c'est-à-dire à Dieu, consciemment ou inconsciemment. C'est pourquoi la prière de l'homme est essentiellement demande. Mais ici, nous devons nous poser une question : quel est notre désir, et quelle est notre prière de demande ? Considérons la demande que Jacques et Jean adressent à Jésus dans cet évangile : « Maître, ce que nous allons te demander, nous voudrions que tu le fasses pour nous. » Je remarque tout d'abord que la traduction française, « nous voudrions », a édulcoré le texte grec, qui est beaucoup plus rude ; à la lettre, il aurait fallu traduire : « Nous voulons que tu fasses pour nous ce que nous allons te demander. » Déjà sur le plan de la forme, la demande des deux apôtres laisse paraître une arrogance péremptoire et désobligeante : « Nous voulons que tu fasses pour nous. » C'est exactement le contraire de la prière de demande que Jésus leur avait enseignée, et qui était sa prière à lui : Père, que ta volonté soit faite. Sur le plan du contenu, c'est encore pire : la demande de Jacques et de Jean dévoile, sans vergogne, leur volonté de privilège. Bien sûr, cette volonté de domination indigne les dix autres apôtres. Mais, à mon sens du moins, les autres s'indignent non à cause de la malice de cette demande et de son mobile, mais plutôt parce que Jacques et Jean ont été plus hardis, ou mieux, plus effrontés et ont osé demander ouvertement pour eux ce que tous les autres désiraient secrètement. Ainsi, cet évangile nous montre ce que la prière de demande ne peut pas, ne doit pas être : une mainmise sur Dieu, une tentative de le soumettre à notre volonté, à nos désirs, sans nous interroger au préalable sur la qualité de ces désirs. La réaction de Jésus est celle d'un merveilleux pédagogue : il ne reproche pas à ces deux-là leur ambition ; bien plutôt, il leur reproche de ne pas viser assez haut. Il ne repousse pas leur désir, mais le rectifie, lui donne la direction juste, l'oriente non vers un royaume terrestre, mais vers le Royaume d'en haut. « Pouvez-vous boire la coupe que je veux boire ? » « Nous le pouvons. » « La coupe que je vais boire, vous la boirez. » De fait, à la suite de Jésus, Jacques et Jean boiront cette coupe, ils suivront leur Seigneur sur son chemin pascal de mort et de gloire ; Jacques sera même le premier des douze apôtres à subir le martyre. Ainsi, Jésus exauce leur demande bien au-delà de ce qu'ils attendaient. Dieu exauce toujours notre prière, mais non selon notre vue courte et myope ; il l'exauce selon sa sagesse à Lui, qui connaît nos vrais besoins et notre vrai bien. Jésus nous montre ici que la réussite suprême de la vie est la sainteté, et il nous apprend à désirer et à demander cette grâce. Jésus éduque notre désir, si souvent déréglé. Il nous montre le chemin du vrai bonheur. Le bonheur consiste dans la joie du service, de la vie donnée. « Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir » : c'est la seule parole de Jésus rapportée par saint Paul (Ac 20,35). Dans cette optique, l'autorité prend tout son sens. En régime chrétien, on ne s'attribue pas à soi-même l'autorité, on ne la recherche pas. On la reçoit, on l'accepte si on est choisi, désigné par la communauté, qui a estimé que nous avons les qualités nécessaires pour remplir cette charge. Mais cette responsabilité, qui nous a été confiée, ne peut être vécue que comme service, et jamais comme pouvoir ou domination sur les autres. Il me semble, frères et soeurs, que le plus beau parmi les titres du pape est celui-ci : « serviteur des serviteurs de Dieu ». Titre très ancien, puisque déjà au VIe siècle le pape saint Grégoire le Grand aimait à se l'appliquer. Serviteur des serviteurs de Dieu : c'est en cela que le pape est vraiment le vicaire du Christ. Mais, frères et soeurs, chacun de nous est appelé à être vicaire du Christ, c'est-à-dire à être un autre Christ, un signe visible de la présence du Christ dans le monde. Nous le serons vraiment si nous suivons notre Maître bien-aimé sur ce chemin du service qui nous conduira au bonheur, non seulement dans le Royaume des cieux, mais déjà ici-bas sur la terre.

Amen