Homélie - Saint Benoît — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

Homélie - Saint Benoît

Par dom Ginepro
Écoute mon fils !Homélie pour la fête de saint Benoît

Et voici la fête de saint Benoît, patriarche des moines d’Occident, patron de l’Europe, né à Nursie à la fin du V° siècle. C’est aussi le jour choisi par nous, moines de Tamié, comme la fête de notre communauté.

Saint Benoît, à partir de sa vie, de son expérience humaine (qui, il faut le rappeler, n’a pas connu que des succès, mais aussi des échecs), a voulu fonder par sa « petite Règle pour débutants » une école du service du Seigneur. Une école, c’est ce que lui-même écrit dans sa Règle. Cette Règle qui, par sa modération, son humanité, a traversé bien des siècles et qui inspire encore (avec les adaptations que nous estimons nécessaires) notre quotidien, ici, à Tamié.

Qu’a-t-elle, cette règle, de tellement extraordinaire ? Comment a-t-elle pu traverser et soutenir l’usure de 15 siècles d’histoire ? Pourquoi reste-t-elle, pour nous, un point de référence sûr et respecté ? Parce que, en faisant appel au discernement (donc à la partie meilleure de notre liberté), à la modération, à notre intelligence, à notre volonté, elle traduit, pour nous, l’Évangile. Mais, attention : c’est à nous, de répondre.

Au juste : à qui s’adresse-t-elle la Règle de saint Benoît ? À tous et à chacun (je cite) : « C’est à toi, donc, maintenant, que s’adresse ma parole, à toi, qui que tu sois, qui renonces à tes volontés propres et prends les fortes et nobles armes de l’obéissance, afin de combattre pour le Seigneur Christ, notre véritable Roi ». Oui, l’obéissance, la renonciation à mes volontés propres (c’est-à-dire à la volonté d’imposer mes propres choix, de faire à ma tête), tient ici une place importante.

Ce choix (nous sommes prévenus dès le début du Prologue) ne va donc pas sans renoncer à quelque chose qui nous coûte et implique, par conséquent, un réel combat. Saint Benoît ne nous cache pas que les débuts sont difficiles et la vigilance doit être toujours constante.

Le Prologue de cette petite Règle, tout pétri de psaumes et d’Evangile, nous introduit progressivement non pas dans un état de vie, mais bien plus exactement, il nous oriente sur un chemin de vie. Nous sommes invités tour à tour à…
nous lever    lorsque nous  sommes immobiles, figés !
à courir     notre dynamisme est en jeu
à sortir du sommeil    quand notre inertie nous paralyse
à venir à Dieu    lorsque nous sommes loin de lui
à avancer     quand nous reculons
pour pouvoir enfin    habiter sa demeure.

Et comment atteindre cet objectif, comment pouvoir progresser sur ce chemin ? Par la prière, nous dit-il. Et comment prier, alors ? Je cite le ch. XX° : « …Sachons bien que ce n’est pas l’abondance des paroles, mais la pureté du cœur et les larmes de la componction qui nous obtiendront d’être exaucés. ». Et encore : « la prière doit donc être brève et pure, à moins que, peut-être, la grâce de l’inspiration divine ne nous incline à la prolonger ». Une prière qui, à l’évidence, n’est pas seulement « vocale » mais incarnée dans tout notre quotidien.

Une question : pour rester dans l’actualité, pour ne pas se contenter des envolés lyriques et sporifères, comment pouvons-nous expliquer le manque d’intérêt des jeunes générations pour l’appel de saint Benoît ? Cette question dérangeante, qui nous rejoint dans notre fête de communauté, nous met dans l’embarras, moi le premier, mais nous ne pouvons pas l’esquiver… Cette Règle, serait-elle donc dépassée ? Je n’ai pas une réponse claire à ce doute qui, peut-être, nous taraude tous ; j’ose formuler une hypothèse, une sorte de levier qui, s’appuyant sur notre foi, pourrait nous faire avancer sur ce chemin qui nous semble, quelque part, bloqué :

Et si c’était notre réponse, notre manière de vivre la vie monastique à ne pas être ajustée à la proposition de saint Benoît ? C’est un regard lucide sur l’Histoire qui nous permet de considérer sérieusement ce doute. N’est-ce pas venu le moment de nous questionner sérieusement sur notre manière de vivre la Règle, de l’incarner… ?

Permettez-moi, au moins de soulever, aujourd’hui, la question. Non pas pour le goût de poser des questions incongrues, velléitaires… Sérieusement : n’y a-t-il pas d’autres manières de vivre ce choix ? C’est peut-être sur ce chemin, sur ce terrain, que nous avons déjà commencé à creuser, que notre réponse est attendue.