Homélie TO 22 — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

Homélie TO 22

Par Frère Patrice

   Croix d'Anne Teissé

22ème dimanche du Temps ordinaire

Première lecture (Jr 20, 7-9)

Seigneur, tu m’as séduit, et j’ai été séduit ; tu m’as saisi, et tu as réussi. À longueur de journée je suis exposé à la raillerie, tout le monde se moque de moi. Chaque fois que j’ai à dire la parole, je dois crier, je dois proclamer : « Violence et dévastation ! » À longueur de journée, la parole du Seigneur attire sur moi l’insulte et la moquerie. Je me disais : « Je ne penserai plus à lui, je ne parlerai plus en son nom. » Mais elle était comme un feu brûlant dans mon cœur, elle était enfermée dans mes os. Je m’épuisais à la maîtriser, sans y réussir.

Psaume 62 (63)

R/ Mon âme a soif de toi, Seigneur, mon Dieu !

Dieu, tu es mon Dieu,
je te cherche dès l’aube :
mon âme a soif de toi ;
après toi languit ma chair,
terre aride, altérée, sans eau.

Je t’ai contemplé au sanctuaire,
j’ai vu ta force et ta gloire.
Ton amour vaut mieux que la vie :
tu seras la louange de mes lèvres !

Toute ma vie je vais te bénir,
lever les mains en invoquant ton nom.
Comme par un festin je serai rassasié ;
la joie sur les lèvres, je dirai ta louange.

Oui, tu es venu à mon secours :
je crie de joie à l’ombre de tes ailes.
Mon âme s’attache à toi,
ta main droite me soutient.

Deuxième lecture (Rm 12, 1-2)

Je vous exhorte, frères, soeurs par la tendresse de Dieu, à lui présenter votre corps – votre personne tout entière –, en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu : c’est là, pour vous, la juste manière de lui rendre un culte. Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait.

Évangile (Mt 16, 21-27)

En ce temps-là, Jésus commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait partir pour Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué, et le troisième jour ressusciter. Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches : « Dieu t’en garde, Seigneur ! cela ne t’arrivera pas. » Mais lui, se retournant, dit à Pierre : « Passe derrière moi, Satan ! Tu es pour moi une occasion de chute : tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » Alors Jésus dit à ses disciples : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la gardera. Quel avantage, en effet, un homme aura-t-il à gagner le monde entier, si c’est au prix de sa vie ? Et que pourra-t-il donner en échange de sa vie ? Car le Fils de l’homme va venir avec ses anges dans la gloire de son Père ; alors il rendra à chacun selon sa conduite. »

© AELF - Paris 2013

Homélie

Quel étrange évangile ou alors quelle grande leçon de sagesse humaine ? L’Evangile c’est la Bonne Nouvelle, annoncée au monde. Mais aussi une Bonne Nouvelle qui ne masque rien de la vérité de l’Evangile.

On peut bien sûr le lire dans un esprit doloriste, j’allais presque dire fataliste : une croix à porter comme un fardeau dont on ne peut se débarrasser et qui pèse lourdement. Mais il est tout aussi  vrai que toute destinée humaine est parsemée de passages difficiles. Et Jésus, qui a pris notre condition humaine est conscient qu’il sera a amené à souffrir et mourir ; et il le proclame haut et fort au grand dam de St Pierre.

Alors ?

Alors ce matin je crois que Jésus nous dit : tu as entendu mes paroles, tu m’as vu sur la Croix, tu sais que je suis mort mais aussi ressuscité. Avec tout cela, as-tu toujours envie de me suivre, sais-tu tout ce que cela implique ? Mais Jésus d’ajouter tout aussitôt : tout ce que cela implique de difficile mais aussi de merveilleux.

En fait, et il ne faut pas y aller par quatre chemins, tous nous vivons, à un moment ou à un autre, ce qui peut s’appeler une croix. C’est-à-dire quelque chose de pesant dans notre vie, qui peut nous faire souffrir, nous paralyser, rendre difficiles nos relations humaines, et que très souvent nous gardons secret au fond de nos cœurs.

Renoncer à nous-mêmes ou prendre sa croix ou donner un vrai sens à sa vie: c’est tout un pareil. C’est accepter de reconnaître que tels que nous sommes nous nous trouvons dans une impasse. Parfois on s’y sent bien…même si, inconsciemment, on se rend compte que nous pourrions être autrement. Mai nous ne voulons pas faire le pas. Peut-être as-tu construit ta vie à la perfection, en sachant clairement d’où tu viens et où tu veux aller, mais en ne dépendant que de toi-même et surtout de personne d’autre. Tu es libre, et c’est peut-être très bien ainsi…au risque d’être un grand égoïste, trop sûr de toi et fermé à toute demande d’ouverture à l’autre.

Alors, Jésus nous appelle à nous regarder en toute vérité et à nous dépasser, ou bien plutôt à faire surgir en nous un homme nouveau qui veut dépasser les limites étroites de l’homme ancien, qui veut prendre sa croix à pleines mains et la transformer. De renaître à nouveau à nous-mêmes et à Dieu. Et c’est tout un travail ! Mais nous savons aussi combien d’hommes et de femmes sont plus ou moins conscients d’être enfermés dans certaines chaînes et ne trouvent pas le moyen ou n’ont pas la force d’en sortir, alors que cela les fait beaucoup souffrir. Ou ne sont pas capables comme St Pierre d’ouvrir leur horizon et d’accepter  des points de vue qui les dépassent.

(Pascal, le grand penseur, a cette merveilleuse pensée  «  la vanité est si ancrée dans le cœur de l’homme, qu’un soldat, un goujat, un cuisinier, un crocheteur, se vante et veut avoir ses admirateurs ».Mais comment un être aurait-il le courage de vivre s’il ne croyait pas à la valeur de son existence et n’en chercherait-il pas un témoignage dans le regard d’autrui pour en avoir une attestation objective ? D’où l’importance de cheminer sous le regard d’un autre, et pas n’importe quel autre.)

D’autres s’en rendent compte et cherchent le moyen d’en sortir.  Pour beaucoup, dans l’évangile,  c’est la rencontre avec Jésus qui leur fait  prendre conscience de leur état et qui les amène à faire un pas envers lui, à lui demander son aide. Même s’ils ont parfois l’impression que rien n’est faisable. Jésus avait bien été aidé par Symon de Cyrène à porter sa croix, alors pourquoi ne pourrait-il pas nous aider, ou mettre sur notre route quelqun qui nous y aide ? Et puis je pense à Nicodème, un chef des Juifs à qui Jésus dit «  si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu » et qui pose alors la question « comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère et naître ? ». Oui, il le peut, si toutefois quelqu’un l’aide et l’accompagne dans cette démarche, et Saint Jean de nous rappeler que l’Esprit Saint est là et que nous devons nous tourner vers lui.  Accepter de suivre Jésus, c’est accepter de faire, sous le regard aimant de Jésus et d’un autre, tout le lent processus d’une nouvelle naissance, c’est accepter de dire non au « MOI », non au repli où nous nous réfugions souvent pour porter notre croix, pour se réaliser pleinement en marchant derrière un autre qui devient un peu comme l’étalon de nos décisions ?

C’est ce qu’ont fait de nombreux témoins de la foi : Charles de Foucauld, mal dans sa peau (c’était sa croix !) qui rencontre l’abbé Huvelin ; Soeur Emmanuelle du Caire que sa  condition d’enseignante pour un milieu trop favorisé lui pesait de plus en plus, et qui rencontre la compréhension de sa supérieur Sœur Elvira ; François d’Assise qui rencontre la divine pauvreté sous le traits du Christ en croix et qui comprend que la seule grandeur est d’aimer et qui lâcher tout.

Alors, suivons-les, chacun à notre façon, sur ce chemin de liberté et de paix.