Homélie Carême 5 — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

Homélie Carême 5

Par Frère Raffaele

Cathédrale de Monreale XII° siècle
(http://www.abitibi-orthodoxe.ca)

Première lecture
« Je mettrai en vous mon esprit, et vous vivrez » (Ez 37, 12-14)
Lecture du livre du prophète Ézékiel
Ainsi parle le Seigneur Dieu : Je vais ouvrir vos tombeaux et je vous en ferai remonter, ô mon peuple, et je vous ramènerai sur la terre d’Israël. Vous saurez que Je suis le Seigneur, quand j’ouvrirai vos tombeaux et vous en ferai remonter, ô mon peuple ! Je mettrai en vous mon esprit, et vous vivrez ; je vous donnerai le repos sur votre terre. Alors vous saurez que Je suis le Seigneur : j’ai parlé et je le ferai – oracle du Seigneur.

 
Psaume
Ps 129 (130)

R/ Près du Seigneur est l’amour, près de lui abonde le rachat.

Des profondeurs je crie vers toi, Seigneur,
Seigneur, écoute mon appel !
Que ton oreille se fasse attentive
au cri de ma prière !

Si tu retiens les fautes, Seigneur,
Seigneur, qui subsistera ?
Mais près de toi se trouve le pardon
pour que l’homme te craigne.

J’espère le Seigneur de toute mon âme ;
je l’espère, et j’attends sa parole.
Mon âme attend le Seigneur
plus qu’un veilleur ne guette l’aurore.

Oui, près du Seigneur, est l’amour ;
près de lui, abonde le rachat.
C’est lui qui rachètera Israël
de toutes ses fautes.

Deuxième lecture
« L’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus habite en vous » (Rm 8, 8-11)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains
Frères, Soeurs ceux qui sont sous l’emprise de la chair ne peuvent pas plaire à Dieu. Or, vous, vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair, mais sous celle de l’Esprit, puisque l’Esprit de Dieu habite en vous. Celui qui n’a pas l’Esprit du Christ ne lui appartient pas. Mais si le Christ est en vous, le corps, il est vrai, reste marqué par la mort à cause du péché, mais l’Esprit vous fait vivre, puisque vous êtes devenus des justes. Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous.

Évangile
« Je suis la résurrection et la vie »

Gloire à toi, Seigneur, gloire à toi.
Moi, je suis la résurrection et la vie, dit le Seigneur. Celui qui croit en moi ne mourra jamais.
Gloire à toi, Seigneur, gloire à toi.

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, il y avait quelqu’un de malade, Lazare, de Béthanie, le village de Marie et de Marthe, sa sœur. Or Marie était celle qui répandit du parfum sur le Seigneur et lui essuya les pieds avec ses cheveux. C’était son frère Lazare qui était malade. Donc, les deux sœurs envoyèrent dire à Jésus : « Seigneur, celui que tu aimes est malade. » En apprenant cela, Jésus dit : « Cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu, afin que par elle le Fils de Dieu soit glorifié. » Jésus aimait Marthe et sa sœur, ainsi que Lazare. Quand il apprit que celui-ci était malade, il demeura deux jours encore à l’endroit où il se trouvait. Puis, après cela, il dit aux disciples : « Revenons en Judée. » Les disciples lui dirent : « Rabbi, tout récemment, les Juifs, là-bas, cherchaient à te lapider, et tu y retournes ? » Jésus répondit : « N’y a-t-il pas douze heures dans une journée ? Celui qui marche pendant le jour ne trébuche pas, parce qu’il voit la lumière de ce monde ; mais celui qui marche pendant la nuit trébuche, parce que la lumière n’est pas en lui. » Après ces paroles, il ajouta : « Lazare, notre ami, s’est endormi ; mais je vais aller le tirer de ce sommeil. » Les disciples lui dirent alors : « Seigneur, s’il s’est endormi, il sera sauvé. » Jésus avait parlé de la mort ; eux pensaient qu’il parlait du repos du sommeil. Alors il leur dit ouvertement : « Lazare est mort, et je me réjouis de n’avoir pas été là, à cause de vous, pour que vous croyiez. Mais allons auprès de lui ! » Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), dit aux autres disciples : « Allons-y, nous aussi, pour mourir avec lui ! »

 À son arrivée, Jésus trouva Lazare au tombeau depuis quatre jours déjà. Comme Béthanie était tout près de Jérusalem – à une distance de quinze stades (c’est-à-dire une demi-heure de marche environ) –, beaucoup de Juifs étaient venus réconforter Marthe et Marie au sujet de leur frère. Lorsque Marthe apprit l’arrivée de Jésus, elle partit à sa rencontre, tandis que Marie restait assise à la maison. Marthe dit à Jésus : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. Mais maintenant encore, je le sais, tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera. » Jésus lui dit : « Ton frère ressuscitera. » Marthe reprit : « Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour. » Jésus lui dit : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? » Elle répondit : « Oui, Seigneur, je le crois : tu es le Christ, le Fils de Dieu, tu es celui qui vient dans le monde. »

 Ayant dit cela, elle partit appeler sa sœur Marie, et lui dit tout bas : « Le Maître est là, il t’appelle. » Marie, dès qu’elle l’entendit, se leva rapidement et alla rejoindre Jésus. Il n’était pas encore entré dans le village, mais il se trouvait toujours à l’endroit où Marthe l’avait rencontré. Les Juifs qui étaient à la maison avec Marie et la réconfortaient, la voyant se lever et sortir si vite, la suivirent ; ils pensaient qu’elle allait au tombeau pour y pleurer. Marie arriva à l’endroit où se trouvait Jésus. Dès qu’elle le vit, elle se jeta à ses pieds et lui dit : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. » Quand il vit qu’elle pleurait, et que les Juifs venus avec elle pleuraient aussi, Jésus, en son esprit, fut saisi d’émotion, il fut bouleversé, et il demanda : « Où l’avez-vous déposé ? » Ils lui répondirent : « Seigneur, viens, et vois. » Alors Jésus se mit à pleurer. Les Juifs disaient : « Voyez comme il l’aimait ! » Mais certains d’entre eux dirent : « Lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle, ne pouvait-il pas empêcher Lazare de mourir ? »

 Jésus, repris par l’émotion, arriva au tombeau. C’était une grotte fermée par une pierre. Jésus dit : « Enlevez la pierre. » Marthe, la sœur du défunt, lui dit : « Seigneur, il sent déjà ; c’est le quatrième jour qu’il est là. » Alors Jésus dit à Marthe : « Ne te l’ai-je pas dit ? Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu. » On enleva donc la pierre. Alors Jésus leva les yeux au ciel et dit : « Père, je te rends grâce parce que tu m’as exaucé. Je le savais bien, moi, que tu m’exauces toujours ; mais je le dis à cause de la foule qui m’entoure, afin qu’ils croient que c’est toi qui m’as envoyé. » Après cela, il cria d’une voix forte : « Lazare, viens dehors ! » Et le mort sortit, les pieds et les mains liés par des bandelettes, le visage enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit : « Déliez-le, et laissez-le aller. » Beaucoup de Juifs, qui étaient venus auprès de Marie et avaient donc vu ce que Jésus avait fait, crurent en lui.

AELF © Paris 2013

Homélie

Frères et soeurs, cette page nous offre un exemple particulièrement suggestif de ce qui fait la beauté spécifique de l'évangile selon S. Jean. Parmi les quatre évangélistes, Jean est celui qui pose sur Jésus le regard le plus pénétrant, parce que le plus aimant. Avec une profondeur inégalée, il nous dévoile le mystère de Jésus en toute sa plénitude : Jésus vrai homme et vrai Dieu. C'est dans cette lumière que je voudrais contempler avec vous le visage de Jésus, notre frère et notre Sauveur, en méditant cet évangile. Comme nous allons le proclamer tout à l'heure, dans la préface de la Messe, « Jésus est cet homme plein d'humanité qui a pleuré sur son ami Lazare ; il est Dieu, le Dieu éternel qui fit sortir le mort de son tombeau. »

Oui, Jésus est vraiment Dieu. Il est la Résurrection et la Vie. Il est la source de la vie, la vie plus forte que la mort, la vie éternelle. « Tout homme qui croit en moi ne mourra jamais », dit-il à Marthe. Il est celui par qui la bonté du Père se répand sur nous : «Père; je te rends grâce parce que tu m'as exaucé. » Jésus s'applique le nom divin révélé à Moïse sur le mont Sinaï dans l'apparition du buisson ardent, où Dieu s'était nommé : « Je suis. » « Je suis la Résurrection et la Vie », déclare Jésus. Prétention folle, scandaleuse, dans la bouche d'un homme, si elle n'était pas authentifiée par ses actes, par les signes qu'il accomplit : « Les oeuvres que je fais au nom de mon Père me rendent témoignage... Si vous ne me croyez pas, croyez en ces oeuvres », dit Jésus, toujours dans l'évangile de Jean (10, 25. 38).

C'est cette foi que Jésus propose à Marthe et qu'il propose aussi, ici et maintenant, à notre liberté : « Crois-tu cela ? »

Mais ce passage de l'évangile selon S Jean nous dévoile aussi, de façon étonnante, touchante, la profonde humanité de Jésus. Il est vraiment, pleinement homme. Son coeur vibre de tous les sentiments humains, en particulier ce sentiment si doux qu'un philosophe antique appelait le soleil de la vie : l'amitié. A maintes reprises dans ce texte, S Jean met en lumière l'amitié intime qui liait Jésus à la famille de Béthanie : « Seigneur, celui que tu aimes est malade... Jésus aimait Marthe et sa soeur, ainsi que Lazare... Lazare, notre ami, s'est endormi... Voyez comme il l'aimait ! » Cette délicatesse des sentiments dans le coeur du Verbe incarné atteint une telle intensité que, pour deux fois, S. Jean écrit cette phrase saisissante : Jésus, voyant la douleur de ses amis, « fut bouleversé d'une émotion profonde. » Émotion qui culmine dans le verset extraordinaire : « Jésus pleura. » C'est le verset le plus bref de tout le Nouveau Testament ; pourtant, il nous ouvre des perspectives vertigineuses sur le mystère de Dieu. En Jésus, Dieu pleure sur la mort de ceux qu'il aime.

À ce propos, j'aimerais vous partager quelques réflexions d'un auteur qui m'a profondément marqué dans ma vocation monastique et même dans ma vie de foi. Il s'agit d'un père jésuite, le père Auguste Valensin. Ses méditations sur l'évangile, écrites dans les années 1937-1939, furent publiées peu après sa mort, en 1953, dans un volume intitulé : La joie dans la foi. Ça ne date pas d'aujourd'hui, me direz-vous ! Mais je vous répondrai que c'est un ouvrage classique, et les classiques n'ont pas d'âge.

« Jésus pleura. » « Quelle révélation ! - s'écrie le père Valensin - L'homme aurait-il jamais pu, jamais osé se former de Dieu l'idée que nous en donne cette page d'évangile ! Dieu pleure, et c'est à cause de deux femmes qui ont de la peine ; et c'est sur un ami qu'il pleure. Quelle lumière sur la nature de Dieu, sur son coeur ; vraiment, son nom est bien, comme le dit S. Jean : "Amour". Joie d'y penser. Douceur. Confiance. Espérance infinie. » Et le père Valensin continue : « Désormais, qui pleure parce qu'il aime, qui pleure près d'un lit de mort, qui pleure sur la souffrance, il fait revivre en soi l'Homme-Dieu et, s'il le veut, il fait que Jésus pleure en lui, pleure par lui. » Ici, sous le coup de l'émotion, la parole du père Valensin devient poésie : « Coulez, larmes précieuses, larmes de mon Dieu. Larmes merveilleuses, bijoux de diamant faits pour renvoyer tous les feux de la tendresse. »

Frères et soeurs, faut-il ajouter encore quelque chose à ces mots ? Peut-être ceci seulement : ces larmes de Jésus ne restent pas inefficaces ; elles deviennent source de salut et de résurrection pour l'homme, prisonnier de la mort. C'est à chacun de nous que Jésus s'adresse, en disant : « Enlève la pierre du découragement et de la tristesse, ne répète pas comme Marthe : Il sent déjà ! Ne reste pas dans cette odeur de mort ; ne rumine pas tes idées noires ! Je suis la Résurrection et la Vie. Sors du tombeau ! Je veux te faire partager ma vie. Je te veux vivant, debout, dès maintenant et pour les siècles des siècles. »

2011