Le livre des Nombres — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

Le livre des Nombres

Ou de la jeunesse d'Israël par dom Victor

Le Livre des Nombres ou de la jeunesse d’Israël

Dimanche 21 janvier 2007
par dom Victor

 

       Nous lisons actuellement aux Vigiles le livre des Nombres et cela jusqu’au début du Carême. Ce n’est peut-être pas le livre de la Bible que nous préférons ou que nous lirions spontanément. Sans doute parce qu’il reflète trop les médiocrités et les compromissions dont notre vie quotidienne est remplie. Il relate l’histoire d’un peuple avec ses épreuves, ses crises, ses infidélités…Une histoire sans date et qui paraît comme figée ; seule la relation avec Dieu lui donne un sens, relation faite de murmures, de doutes, de révoltes mais aussi d’intercessions et de pardons. Géographiquement aussi il semble que cette marche tourne en rond et n’avance pas ; pourtant, au c. 33 on nous dit que Moïse a noté au jour le jour les 42 étapes qui vont de l’Egypte aux rives du Jourdain. Matthieu compte aussi 42 générations d’Abraham à Jésus.  Et c’est lui qui nous dit à propos de Jésus: d’Égypte j’ai appelé mon fils. (Mt 2, 15) Lors de son baptême, Jésus repasse le Jourdain et se rend au désert pour revivre durant 40 jours les grandes tentations de son peuple au désert. Cela seul suffirait à donner sens à ce Livre. Sa lecture va nous conduire d’ailleurs aux  40 jours du carême, le 21 février.

       Pour considérer avec le regard de Dieu cette jeunesse tourmentée de son peuple, écoutons Osée, prophète de la relation, des fiançailles, de l’amour trahi et du pardon : Quand Israël était jeune, je l’ai aimé et d’Egypte j’ai appelé mon fils…C’est pourtant moi qui avais appris à marcher à Ephraïm, les prenant par les bras, mais ils n’ont pas reconnu que je prenais soin d’eux. (11, 1-3) Ce temps passé devient pour le prophète temps du futur : Je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur… et de là elle répondra comme au temps de sa jeunesse, au jour où elle monta du pays d’Egypte. (2, 16-17)

       L’Exode a rapporté les deux crises des eaux de Mériba au c.17 et de l’apostasie du veau d’or au c.32. Ce livre se termine par le renouvellement de l’Alliance (c.32 à 34), l’édification et la consécration de la tente. La nuée couvre la tente de la rencontre et la gloire du Seigneur remplit la demeure. (c.35 à 40)

       Le livre des Nombres prend la suite du récit mais auparavant se situe le Lévitique, livre liturgique qui décrit avec minutie les sacrifices offerts à Dieu ainsi que les rites de purification après le péché. Choisi par Dieu, le peuple est saint, consacré au Seigneur.

       Le rédacteur final a souligné aussi le lien entre la conclusion des Nombres et le début du Deutéronome, livre du souvenir, du mémorial qui nous enseigne la religion du cœur autour de deux verbes : ‘écoute’ – ‘souviens-toi’. Tu te souviendras de toute la route que le Seigneur ton Dieu t’a fait parcourir depuis 40 ans dans le désert, afin de te mettre dans la pauvreté ; ainsi il t’éprouvait pour connaître ce qu’il y avait dans ton cœur et savoir si tu allais oui ou non observer ses commandements. Il t’a mis dans la pauvreté, il t’a fait avoir faim et il t’a donné à manger la manne…pour te faire reconnaître que l’homme ne vit pas seulement de pain mais qu’il vit de tout ce qui sort de la bouche du Seigneur. (Deut. 8, 2-3)

       Suivons donc cette marche de 40 ans décrite dans le livre des Nombres, cette lente pédagogie et cette patience de Dieu dans l’éducation d’un peuple inconstant et rebelle.

       Le livre s’ouvre par des listes de recensements qui nous présentent l’identité de ce peuple. Cette succession de chiffres a suggéré le nom donné à ce livre par les LXX mais en hébreu on le nomme Ba-midbar  Au désert. La suite des chapitres est une alternance de tranches de vie et de prescriptions rituelles qui rappellent au peuple que, malgré ses constantes infidélités, il demeure consacré à Dieu. Ainsi les c.3 et 4 nous relatent l’institution des lévites en remplacement du rachat des premiers nés et les prescriptions des c.5 à 9 se terminent sur le rappel de la présence de Dieu au milieu de son peuple sous l’apparence d’une nuée qui couvre la demeure, la tente de la charte ou du rendez-vous suivant les traductions. (9, 15)

       A peine s’est-il mis en marche (c.10) que le peuple se lamente, Dieu se fâche et Moïse intercède. On donna à ce lieu le nom de Taveéra parce que le feu du Seigneur avait ravagé les fils d’Israël (11, 3). C’est alors que Moïse, son élu surgit sur la brèche, devant lui, pour empêcher que sa fureur les extermine (Ps.105, 23).

       Poussé par sa convoitise le peuple réclame, en plein désert, de la viande et regrette les poissons et les oignons d’Egypte ; la manne leur est devenue insipide. Moïse en est découragé et abattu ; il demande à Dieu de le faire mourir ! (cf. 11, 15) Réponse surprenante de Dieu : le Seigneur prend de l’esprit de Moïse et le répand sur 70 anciens pour que Moïse ne soit plus seul à porter le peuple. N’est-ce pas déjà l’église qui s’organise, avec ce chiffre de 70 qui est le chiffre des nations ? Cela fait penser à l’institution des 7 pour aider les 12 dans les Actes après des récriminations également autour de la nourriture.

       Après le miracle des cailles, Myriam et Aaron font  une crise de jalousie, jalousie de femme provoquée par la Koushite que Moïse a prise pour épouse : Est-ce à Moïse seul que le Seigneur a parlé ? Ne nous a-t-il pas parlé à nous aussi ? (12, 2) Dieu les punit et Moïse prie pour obtenir la guérison de Myriam devenue lépreuse.

       Quand la Terre Promise est à portée de main, que les explorateurs en vantent la beauté et la richesse, le peuple doute du secours divin et fait valoir toutes les difficultés de l’entreprise. La communauté tout entière dit : ‘Ah ! Si nous étions morts dans le pays d’Egypte ! Ou du moins, si nous étions morts dans ce désert ! ... Ne ferions-nous pas mieux de retourner en Egypte ? Nommons un chef et retournons en Égypte. (14, 2-4)  Belle crise d’autorité qui fait penser au veau d’or en Ex 32 : fais-nous des dieux qui marchent à notre tête ! (32, 1) Josué et Caleb prennent parti pour Moïse mais on menace de les lapider (cf. 14, 10) Alors la gloire du Seigneur apparut sur la tente de la Rencontre. Une nouvelle intercession de Moïse empêche Dieu d’exterminer le peuple. Mais les rebelles mourront avant d’entrer dans la terre que Dieu leur donne puisqu’ils ont refusé de la conquérir.

       Le chapitre 15 nous donne de nouvelles prescriptions rituelles qui rappellent les commandements divins et le respect du sabbat.

       Les révoltes de Coré, de Datân et Abirôn, ainsi que de tout le peuple contre Moïse et son frère Aaron font l’objet des c. 16 et 17. Révoltes qui sont suivies d’un châtiment du Seigneur par le feu du ciel sur Coré tandis que la terre s’ouvre pour engloutir Datân et Abirôn.

Cette crise est suivie de nouvelles prescriptions rituelles au c.18 et 19.

       Le c. 20 reprend l’épisode des eaux de Mériba. Pourquoi nous avez-vous fait sortir d’Egypte et nous avez-vous amenés en ce triste lieu ? Ce n’est pas un lieu pour les semailles, ni pour le figuier, la vigne et le grenadier. Il n’y a même pas d’eau à boire…(20, 5) Ils amènent le malheur sur Moïse ; comme ils résistaient à son esprit, ses lèvres ont parlé à la légère. (Ps.105, 32-33) Moïse fait jaillir l’eau du rocher. Or ce rocher qui accompagnait le peuple c’était le Christ, nous dira s. Paul (cf. 1 Cor 10, 4)

       Après les premières victoires contre les cananéens, le peuple perdit soudain courage et se mit de nouveau à critiquer Dieu et Moïse. Toujours le même refrain : Pourquoi nous avez-vous fait monter d’Egypte ? Pour que nous mourions dans le désert ! Il n’y a ici ni pain, ni eau et nous sommes dégoûtés de ce pain de misère (21, 5) En réponse Dieu envoie des serpents brûlants ; et il mourut un grand nombre de gens en Israël. Le peuple, cette fois, reconnaît son péché et demande à Moïse d’intercéder pour que Dieu éloigne les serpents. D’où venait la mort vient maintenant la vie : c’est le serpent d’airain, figure du Christ élevé sur la croix (cf. Jn 3, 14)

       Trois chapitres sont consacrés au devin païen, Balaam, issu de Moab ; il bénit le peuple comme le prêtre païen Melchisédech avait béni Abraham. (c. 22-24)

       Enfin, au c. 25, Israël s’établit à Shittim et le peuple commença à se livrer à la débauche avec les filles de Moab. Elles invitèrent le peuple aux sacrifices de leurs dieux ; le peuple y mangea et se prosterna devant leurs dieux. Israël se mit sous le joug du Baal de Péor. (25, 3) Ils vont se mêler aux païens, ils apprennent leur manière d’agir. Alors ils servent leurs idoles et pour eux c’est un piège. (Ps 105, 35-36)

Malgré cela, les c. 26 et 27 envisagent le partage du pays entre les différentes tribus. Ils sont suivis de chapitres sur les offrandes faites à Dieu en reconnaissance de cette Terre qu’il donne à son peuple. (c. 28 à 30)

Enfin les c. 31à 36 nous décrivent les expéditions qui aboutiront à l’installation en Terre promise avec certaines précisions sur la transmission de cette Terre aux descendants.

Fidélité du Seigneur à son Alliance
       Malgré toutes ces infidélités, le Seigneur ne cesse de guider son peuple durant cette longue marche de 40 ans et ne lui retire jamais sa présence. La nuée repose sur la Tente de la rencontre, nuée durant le jour et feu durant la nuit…Comme le dit très bien l’introduction de la T.O.B. : « Le séjour au désert a été pour Israël le lieu d’une expérience religieuse privilégiée qui garde une valeur pour toutes les générations suivantes. Souvent même cette période sera présentée comme un idéal auquel il faudrait tenter de revenir, du moins partiellement. » (p. 256) Telle est bien la position du prophète Jérémie : Ainsi parle le Seigneur : je te rappelle ton attachement du temps de ta jeunesse, ton amour de jeune mariée ; tu me suivais au désert dans une terre inculte. Israël était une chose réservée au Seigneur, prémices qui lui reviennent ; quiconque en mangeait devait l’expier, le malheur venait à sa rencontre -  oracle du Seigneur. (Jr 2, 2-3)

       Ezéchiel voit les choses un peu différemment. Il souligne davantage les infidélités du peuple et la seule fidélité de Dieu : Je les fis sortir du pays d’Egypte et je les menai au désert. Je leur donnai mes lois et leur fis connaître mes coutumes, qui font vivre l’homme qui les pratique. Je leur donnai aussi mes sabbats pour être un signe entre moi et eux, pour que l’on sache que c’est moi le Seigneur qui les consacre. Mais la maison d’Israël se révolta contre moi dans le désert, ils ne marchèrent pas selon mes lois, ils rejetèrent mes coutumes qui font vivre l’homme qui les pratique, ils profanèrent constamment mes sabbats. Je dis alors : je déverserai ma fureur sur eux dans le désert pour les exterminer. (Ez 20, 10-13)
       Cependant je me mis à l’œuvre à cause de mon nom, pour qu’il ne soit pas profané aux yeux des nations (20, 14) …mon œil eut compassion d’eux, je ne voulus pas les détruire. (20, 17) Je les fis entrer dans le pays que j’avais juré, la main levée, de leur donner. (20, 28)
       « Sans cesse le peuple refuse de marcher, de poursuivre une aventure qui l’effraie et à laquelle il ne croit plus ; il conteste l’autorité de ses chefs, leurs décisions et même le plan de Dieu…Mais le dessein de Dieu se réalisera quand même…le peuple atteindra le pays que le Seigneur lui destinait. » (TOB p. 257)
       Pour Ezéchiel, Dieu renouvelle l’épreuve du désert par l’épreuve de l’Exil : Je vous mènerai au désert des peuples et là, face à face, j’établirai mon droit sur vous. Comme j’avais établi mon droit sur vos pères, dans le désert du pays d’Egypte, ainsi je ferai avec vous – oracle du Seigneur Dieu. Je vous ferai  passer sous la houlette et vous  introduirai dans le lien de l’alliance… Alors vous connaîtrez que je suis le Seigneur. (20, 35-38)
       Après ce renouvellement de l’épreuve du désert, le peuple reviendra dans sa Terre : C’est sur ma sainte montagne, sur la haute montagne d’Israël – oracle du Seigneur Dieu –c’est là que me servira toute la maison d’Israël, établie tout entière dans le pays : là je les accueillerai et j’accepterai le meilleur de vos offrandes. En même temps que le parfum apaisant ; je vous accueillerai, lorsque je vous ferai sortir du milieu des peuples et que je vous rassemblerai hors des pays où vous avez été dispersés. Par vous je montrerai ma sainteté aux yeux des nations. Vous connaîtrez que je suis le Seigneur quand je vous mènerai sur le sol d’Israël, dans ce pays que j’avais juré, la main levée de donner à vos pères. (20, 40-42) Vous connaîtrez que je suis le Seigneur, quand j’agirai avec vous à cause de mon nom et non pas à cause de votre mauvaise conduite et de vos actions corrompues, maison d’Israël – oracle du Seigneur Dieu. (20, 44)

Conclusion
       Aucun lieu fixe ne saurait monopoliser la présence du Seigneur. Dieu demeure présent au milieu d’un peuple en marche. Présence à la fois rassurante et à la fois redoutée du Dieu saint dans une communauté de pécheurs. Certains sont choisis (Moïse, les prêtres, les lévites) pour intercéder auprès de Dieu. Sans eux, le peuple ne pourrait survivre.
       Ces évènements leur arrivaient pour servir d’exemple et furent mis par écrit  pour nous instruire, nous qui touchons à la fin des temps. (1 Co 10, 11)
       « L’Église aura toujours besoin des Nombres pour lui rappeler qu’elle est un peuple en marche, un peuple de prophètes régi par la parole de Dieu, voué au culte du Seigneur…Peuple de pécheurs mis à part pour porter la bénédiction à l’humanité entière et pour permettre à Dieu d’être présent au milieu des hommes » (p. 258-259)