Biographies de moines — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

Biographies de moines

Bellevaux - Géronde

blason bellevaux

 

Biographies des religieux de
Bellevaux et du Val-Sainte-Marie

Archives de l’abbaye de Tamié

 

Sources :

* - Biographies des religieux rédigées de décembre 1856 à janvier 1857 pour l'Histoire de la Grâce-Dieu, par l'abbé Richard Auteur anonyme [Fr. Théophile Ménestret, entré à Bellevaux en 1820]

* - Les ineffables délices des enfants de saint Bernard - Ou trois solitaires du Val-Sainte-Marie, Paris, 1850

Biographie des religieux cisterciens de la Réforme ou de l’Étroite Observance dite de la Trappe, de la communauté de la Grâce-Dieu qui a commencé à Bellevaux (Hte-Saône) où elle a été durant dix ans et plus, 4 ans en Suisse, puis au Val-Sainte-Marie environ 15 ans.

Bellevaux fut acheté en 1817 par dom Eugène Huvelin, le frère Hyppolite Minet et le frère Sabas Coquart. Dom Huvelin prit possession en avril 1819 et mourut en mars 1828. Les religieux embrassèrent la réforme de la Trappe, car auparavant c’était la réforme de Sept-Fons, en juin 1830. Ils quittèrent Bellevaux en septembre 1830, habitèrent la Suisse jusqu’à Noël 1834, vinrent définitivement prendre possession de la Grâce-Dieu le 29 septembre 1849, mais il y avait déjà des religieux depuis 1845.

Il y eut en France plusieurs maisons de l’Ordre de Cîteaux, sous le règne de Louis XIII qui embrassèrent l’Étroite Observance, environ une vingtaine de maisons parmi lesquels se trouvaient l’abbaye de la Charité dans le diocèse de Besançon. Toutes ces maisons n’étant que peu réformées et n’étant pas soutenues par Louis XIV, retournèrent bientôt à la Commune Observance, excepté 3 abbayes qui persévérèrent et qui par là devinrent fameuses dans toute l’Église et surtout en France, pour l’édification de la bonne odeur de Jésus-Christ qu’elles répandirent de tout côté et surtout par la bénédiction que Dieu répandit sur elles, jusqu’à la grande Révolution. Ces trois abbayes sont : la Trappe dans le Perche, Sept-Fons dans le Bourbonnais et Orval dans le Luxembourg. Toutes les trois rivalisèrent à qui l’emporterait en observance, en régularité, en sainteté. Quant aux pratiques quoique toutes prises dans les anciens statuts de l’Ordre de Cîteaux, elles ne laissaient pas d’avoir quelques différences, quelques variantes. À la Trappe au commencement, l’abbé de Rancé admettait l’usage du beurre, etc. Il le retrancha plus tard, on le conserva à Orval et à Sept-Fons jusqu’à une seconde réforme bien plus austère faite par dom Dorothée Jallouthz (natif de Dole, Jura) qui retrancha tout assaisonnement aux jours qui n’étaient pas jours de pitance. L’abbé de Rancé n’admit jamais de pitance, ce qui rendit sa réforme très austère pour ne pas dire très dure, mais il fixa l’heure de la réfection aux jours de jeûne d’Église à midi et demi, et à midi aux jeûnes d’Ordre. Orval et Sept-Fons dans la dernière réforme ont reprit tous les grands jeûnes, ainsi, depuis le 13 septembre inclusivement jusqu’au carême, l’heure du repas se fixait à l’heure de none, pour finir le repas quand le soleil est parvenu au milieu du temps entre midi et son coucher, en carême, après la dixième heure ou comme nous parlons, après 4 heures. Voilà ce que j’appelle des différences ou des variantes.

Or les trois religieux qui ont racheté Bellevaux avait été religieux de Sept-Fons sous l’abbé D.D. Jallouthz. Mais dom Eugène Huvelin avait vu et pratiqué les deux réformes de Sept-Fons. En rachetant et rétablissant l’abbaye de Bellevaux son intention était d’y établir la première réforme faite par dom Eustache de Beaufort.

[P. 2] - Religieux de chœur

1 - Dom Eugène Huvelin - Je n’écrirai rien ici de dom Eugène Huvelin, le premier supérieur de notre communauté. Il fut le premier qui mourut le 29 mars 1828. Sa vie a été écrite ailleurs. Cf. Notice dans Histoire de la Trappe du Val-Sainte-Marie, 3° édition, p. 13.

2 - Père Benoît - F. Benoît nommé dans le monde Jean Roche, né à Anglard département du Cantal, prit l’habit le 23 avril 1826, fit ses vœux solennels le 25 avril 1827 et mourut de phtisie. Sa maladie et sa mort furent la suite de sa grande mortification. Jamais il ne sortait après ses repas mais se mettait incontinent à lire ou restait à l’église. Il se retranchait dans ses repas, passait une grande partie de ses intervalles en oraison. Il était par conséquent très pieux et très obéissant, d’une douceur admirable non par tempérament, mais par vertu. Il était savant, il avait terminé sa théologie avant son entrée à Bellevaux, il était entré chez les Frères de la Doctrine Chrétienne, il en sortit pour chercher et pratiquer une vie plus exacte et plus austère, mais ses forces ne répondirent pas à sa ferveur. On l’aurait fait promouvoir aux saints ordres mais ce n’aurait pas été sans peine tant il était humble. Nous l’avons beaucoup regretté. Il est mort comme un saint avec toute connaissance.

3 - Père Albéric - Le frère Albéric, dans le monde Alexandre Breuillot, né à Ruffoy (Doubs) prit l’habit le 16 juillet 1825, fit profession le 20 novembre 1826. Je trouve de lui dans le registre des morts ces deux mots : “Jeune homme précieux par ses vertus, son affabilité, mort le 21 avril 1830”. Très doux, d’une affabilité et d’une honnêteté admirable, il avait vu et pratiqué le grand monde, il avait demeuré à Paris durant plusieurs années. Il aimait surtout la propreté sur sa personne et dans les appartements qu’il soignait à cause de cela. Il avait une belle et forte voix et qu’il n’épargnait pas, de sorte qu’il était un pilier du chœur. Il était particulièrement beau de figure, jouissait d’une forte santé et constitution. La cause de sa mort fut un accident. Étant au travail des mains et portant une grosse bille de bois et devant la laisser tomber du haut d’un mur de dix mètres d’élévation, ses mains mouillées ne se décrochèrent pas et il la suivit. Sa piété ne se démentit pas durant le cour de sa maladie. Il était bien résigné.

4 - Frère Paul - Frère Paul, dans le monde Joseph Heimeroth, né à Willgotheim (Bas-Rhin) prit l’habit le 15 janvier 1828, mort le 23 avril 1829, de sorte qu’il aurait dû avoir fait profession. La raison pour quoi il ne l’a pas faite, c’est pace que qu’il n’y avait pas de supérieur légitime prêtre. Il avait toutes les qualités voulues, tout le monde l’aimait, excellent caractère, bon, doux, affable, régulier, studieux, il étudiait le latin ; d’un tempérament de fer et pourtant il n’a été que deux ou trois jours malade, sa maladie n’a pas été bien connue. Il devint tout noir avant de mourir et son sang était noir.

5 - Père Maurice - Dom Maurice, dans le monde Pierre Antoine Dubret, né à Plancher-Bas (Haute-Saône), né le 25 mars 1804, prit l’habit le 6 juin 1830 et à cause de l’exil, fit des vœux simples le 8 juin 1831 et ses vœux solennels le 9 juillet 1832. Il avait fait sa théologie au séminaire de Besançon, reçu tous les ordres (avec moi [1] qui écrit ceci le 22 décembre 1856) le samedi des Quatre-Temps et les jours suivants, jusqu’au 2 octobre 1831, en 8 jours, l’évêque le voulut ainsi. Il fut ensuite cellérier, sous prieur, prieur. Je trouve écrit au registre de la main d’un supérieur : “Mort en odeur de sainteté, après une maladie de 4 jours, le 21 janvier 1842” et de la même main : “In memoria aeterna erit justus ab auditione mala non tisuebit”. Je ne dirai rien de plus, sa vie ayant été imprimée.

Les ineffables délices des enfants de saint Bernard, p. 71 et p. 58-67

Frère Maurice, prêtre et sous-prieur du VSM, nommé dans le monde Pierre Dubret, prit l’habit de novice à Bellevaux. Après la révolution de juillet, il émigra en Suisse avec la communauté et partagea ses revers. Il fit profession le 9 juillet 1832 et mourut le 21 janvier 1842. Dans la communauté dont il a fait partie pendant plus de onze ans, il a été le modèle de tous sans exception. Il est mort en grande odeur de sainteté, dans des sentiments rares de piété et dans la pratique constante de toutes les vertus.

Il fut sous-prieur, père maître des novices, cellérier, confesseur au VSM. 

6 - Père Jean - Le frère Jean, dans le monde Jean Marie Jaeger, né le 8 août 1816 à Fribourg en Suisse, entre chez nous (en Suisse) à l’âge de 16 ans, le 27 août 1832. Son père vient le redemander le 4 octobre suivant. Il fallu le lui rendre parce qu’il n’était pas majeur. Il revint le 12 mai 1837, reprit son habit religieux et fit profession l’année suivante. Il avait fait ses études au collège et chez les Jésuites de Fribourg. Plein de ferveur et de bonne volonté, aimant son état, exact dans toutes les pratiques de la vie monastique. “Il est mort presque subitement après avoir reçu l’extrême onction le 30 octobre 1840. Il a été enseveli le dernier jour de l’an” (extrait des registres).

Les ineffables délices des enfants de saint Bernard, p. 71

Frère Jean, religieux de choeur, nommé dans le monde Jean-Baptiste Juste Nicolas Jaeger, fit profession le 5 juin 1838 et mourut le 30 décembre 1840, âgé de vingt-quatre ans. Il était de Fribourg en Suisse. Dès l’âge de seize ans, il était déjà entré chez les Trappistes lorsqu’ils étaient à Géronde, dans le Valais, mais les instances de son père ne lui permirent pas d’y rester. Il vint rejoindre ces religieux au VSM le 12 mai 1837. Une maladie que personne ne croyait grave et dont il se croyait lui-même entièrement guéri le reprit avec tant de violence un soir, après le Salve Regina qu’il avant chanté avec une grande ferveur, qu’on n’eut que le temps de lui administrer l’extrême-onction qu’il reçut en vrai religieux. Il ne cessa d’invoquer Jésus, Marie et Joseph jusqu’à son dernier soupire.

7 - Père Raphaël - Dom Raphaël, dans le monde Jean-François Brangeat, canton de Beaufort (Jura) vint au Val-Sainte-Marie en même temps que nous y arrivions de Suisse le 11 novembre 1834 et même il nous attendait depuis quelques jours. Il revêtit l’habit le 15 décembre 1834 et fit profession le 26 février 1836. Avant d’entrer parmi nous, il avait passé cinq ans et neuf mois à Lyon chez les Frères de saint Jean de Dieu où il avait fait des vœux simples. Soupirant après une vie plus parfaite, ses supérieurs lui ont permis de passer dans un autre Ordre. Il fut ordonné prêtre étant chez nous, le 10 mars 1838 et fut nommé cellérier la même année. Il avait de l’aptitude à tout, entendait l’agriculture, l’horticulture, la médecine, la pharmacie, etc… Il aurait été doué d’une grande force physique s’il n’avait ruiné sa santé par des austérités mal entendues dès avant de venir à la Trappe, mais sa poitrine, son estomac étaient dans un état de délabrement et notre régime si peu propre à le reconstituer qu’il y succomba enfin après des langueurs fort longues et fort ennuyeuses mais qui ne surmontèrent jamais son invincible patience. Il mourut de la mort des justes le 15 juillet 1849. Il fut le premier reçut au Val-Sainte-Marie et le dernier qui y fut enterré.

Les ineffables délices des enfants de saint Bernard, p. 72

Dom Raphaël, religieux de choeur, mourut après 14 années de profession.

8 - Frère Eugène - Le frère Eugène (Juste Sigonney) ne fut qu’un mois chez nous, en 1841. On a beaucoup écrit sur lui depuis sa mort, à cause de sa vertu angélique. Il est inutile de m’étendre ici.

Les ineffables délices des enfants de saint Bernard, p. 71

Frère Eugène, religieux de choeur, nommé dans le monde Just Sigonney, entra au VSM le 16 août 1841, prit l’habit de novice le 30 du même mois, tomba malade deux jours après, fit profession par dispense, le 10 septembre et mourut le 14 du même mois 1841, âgé de dix-huit ans, quatorze jours. Ses parents le consacrèrent à Dieu aussitôt après sa naissance et il répondit parfaitement à leur pieux désirs, car sa vie fut si pure et si sainte qu’on doit le regarder comme un prodige dans les temps où nous vivons. Sa vocation à la Trappe lui fut inspirée par la sainte Vierge, le jour de l’Assomption, veille de son entrée au VSM

9 - Frère Théodore - Le frère Théodore, dans le monde Pierre Boiteux, né à Pagney (Jura) le 9 mai 1826, vint chez nous à l’âge de 16 ans bien malgré ses parents qui n’avaient que lui et une petite fille. Il prit l’habit le 8 décembre 1842, fit des vœux simples à cause de son âge le 2 février 1844. Il eut toujours une santé très robuste, seulement il avait une grosseur à côté du menton, inhérente à la mâchoire inférieure qui ne le défigurait presque pas. Or les médecins qui connaissaient ce mal lui avait prédit qu’elle disparaîtrait, mais que dans ce moment il aurait tout à craindre. Et c’est ce qui est arrivé. Il était fort aimable, fervent, plein de bonne volonté, doué de beaucoup de forces physiques et morales, une voix de stentor, point de légèreté et malgré son âge, ne riait jamais ou à peine, laborieux dans les travaux des mains, dans les veilles, en un mot, d’une gravité de vieillard. Il étudiait le latin avec la plus grande facilité. Quelques instants avant sa mort il fut horriblement tenté de désespoir. Le révérend père qui l’assistait le calma et il mourut en paix, ayant recouvert sa confiance en Jésus et en Marie, objets de sa dévotion. Il alla au ciel le 7 juillet 1845.

Les ineffables délices des enfants de saint Bernard, p. 72

Frère Théodore, du diocèse de Saint-Claude. Il vint au monastère en 1844, n’ayant encore que seize ans. Tout jeune qu’il était, il fut un modèle pour le silence, l’obéissance, le travail manuel, l’assiduité au choeur. Il observa la règle avec un courage, une fidélité et une persévérance bien rares à son âge. Il mourut trois ans après la prise d’habit.

 

[P. 4] - 10 - Frère Ignace - Le frère Ignace laïc, dans le monde François Faillan, né à Bordeaux (Gironde)le 2 février 1788. Religieux profès du Gard, envoyé au Val-Sainte-Marie et y a promit sa stabilité le 8 mai 1838. Il n’était pas savant mais très obéissant, très ponctuel à tous ses devoirs. Il mourut le 7 mars 1846 vers les neuf heures du soir, à l’âge de 58 ans. Je n’ai pas pu savoir depuis quand il était religieux dans la maison où il avait fait ses vœux mais il y avait longtemps. Sa taille était gigantesque, très droit et bien fait.

Les ineffables délices des enfants de saint Bernard, p. 72

Frère Ignace, religieux de choeur, mourut après 25 ans de profession.

 

11 - Père Ignace - Dom Ignace, dans le monde Barthélemy Crusol, né le 6 septembre 1790 à Castelnaudon (Aude), religieux profès de la Grande Trappe (Orne). Le 22 juillet 1818 il avait quitté l’Ordre et la Trappe en raison des procès et difficultés survenues entre dom Augustin de Lestrange, abbé de la Trappe et l’évêque de Séez dont le public n’est guère instruit mais que savent les anciens religieux. Il exerça le saint ministère dans le monde. Or la divine Providence ne permit pas qu’il mourût hors de son état primitif où elle l’avait appelé dans sa jeunesse. Il vint nous trouver au Val-Sainte-Marie sans nous avoir écrit, le 15 juillet 1846, reprit l’habit, la coule, etc… le 20 septembre 1846 et mourut frappé d’une apoplexie foudroyante le 30 novembre 1846 et ainsi, il ne fut que quatre mois et demi parmi nous. Il avait célébré le matin du jour de sa mort. Il était très édifiant, silencieux, exact à toutes les régularités du cloître.

12 - Frère Pierre - Le frère Pierre, dans le monde Fortunat Bulon, né le 5 avril 1825 à Chateauvieux canton d’Ornans (Doubs) avait été Frère des Écoles Chrétienne, vint chez nous le 13 janvier 1847, prit l’habit de notre Ordre le 26 du même mois, fit profession à l’article de la mort le 9 février 1849 et mourut le 20 février 1849. Il avait changé d’Ordre dans le désir de faire plus d’austérités et de pratiquer une plus grande perfection. Sa résignation, son dévouement, le sacrifice de sa vie édifièrent singulièrement toute la communauté. Sa maladie était la phtisie ou maladie de poitrine.

Les ineffables délices des enfants de saint Bernard, p. 72

Frère Pierre, religieux de choeur mourut après deux années de séjour dans le monastère. Il avait été chez les Frères des Écoles Chrétiennes ; il en était sorti par le désir de mener une vie plus silencieuse et plus retirée à la Trappe. Sa vie et sa mort édifièrent beaucoup la communauté.

13 - Père Étienne - Le frère Étienne, dans le monde Pierre Perrot, né le 20 octobre 1812 à Sampans, canton de Dole (Jura) entra au Val-Sainte-Marie le 17 février 1841, pris l’habit le 28 mars suivant. Il fit ses vœux solennels le 30 août 1842. Il mourut le [ ] - Il est le seul religieux de chœur enterré à la Grâce-Dieu. À parler selon le monde, il n’avait pas besoin d’entrer en religion pour se sanctifier. Il vivait avec son père comme deux ermites dans tous les devoirs de la vie chrétienne. Ils furent l’un après l’autre préfet de la congrégation de prière. Le travail des mains, le silence même si peu pratiqué par les gens du monde comme vertu, étaient tous les jours observés comme dans un cloître. Il n’était pas difficile après cela de le former à la vie religieuse et aux observances monastiques, aussi ne vit-on jamais de religieux plus parfait, humilité, obéissance, patience à toute épreuve, douceur, candeur, longanimité, amour de ses frères, en un mot il était orné de toutes les vertus. Il a presque toujours été chantre. Il avait une forte voix, mais qui le fatiguait assez. Il y aurait un volume à écrire sur lui qu’on n’épuiserait pas la matière et cela sans exagération.

Nécrologe des frères convers

Deux frères convers s’étaient adjoints à dom Eugène Huvelin pour restaurer l’abbaye de Bellevaux. Ils avaient fait profession à Sept-Fons avant 89.

1 - Frère Sabas - Le plus ancien, frère Sabas est mort en 1828 ou en 1829 [ ], à l’âge de 84 ans. C’était un frère très vénérable, très pieux, très silencieux, laborieux à surpasser tous les autres. Il était chargé de la boulangerie à Bellevaux, il ne déjeunait que les jours où il faisait deux fournées. Avec cela il était jardinier excellent. En outre il a été chargé de la sonnerie durant la nuit presque jusqu’au jour de sa mort et faisait au moins une demie heure d’oraison devant le saint Sacrement avant le réveil, par conséquent il se levait à une heure et demie toutes les nuits. Là, prosterné devant Jésus-Christ, il arrosait les dalles d’un ruisseau de larmes. Je les ai vues moi qui écrit ceci. Quand l’heure approchait, il portait de la lumière au révérend père supérieur dom Huvelin qui avait au moins trois ans de plus que ce frère, ainsi les premiers religieux qui arrivaient au son de la cloche à deux heures, trouvaient ces deux vieillards octogénaires, comme ceux de l’apocalypse, prosternés devant le trône de Dieu. C’est ce que j’ai vu pendant plus de huit ans. Ce frère attirait les regards de tous les étrangers qui venaient visiter le couvent à cause de l’air vénérable qui brillait dans son attitude, sans aucune prétention de sa part. Il visitait le saint Sacrement plusieurs fois le jour, mais surtout il ne manquait de s’y rendre tous les jours à trois heures après midi qui (est) l’heure de la mort du Sauveur. Quand il était seul ou qu’il le croyait, il éclatait en soupirs, d’une manière si élevée et si attendrissante qu’on l’entendait dans les appartements plus voisins de l’église. Et ce qu’il y avait de merveilleux c’est que les travaux ne souffraient pas de ses longues prières, jamais je n’ai pu m’en rendre compte. Il était natif de St-Étienne en Forez ou des environs. Un religieux de chœur qui vit encore et qui l’a vu pendant 6 ans, conserve un de ses livres de prières arrosé non seulement de ses larmes, mais encore de son sang.

Cf. Histoire de la Trappe du Val-Sainte-Marie, 3° édition, p. 26.

2 - F. Hyppolite - Le frère Hypolithe (Jean-Baptiste Minet), né à Gomme ville (Côte-d’Or) le 31 mars 1764, prit l’habit (à Sept-Fons) le 29 septembre 1787 et fit profession le 23 août 1789 peu de jours avant la suppression. À cette époque, lui, le frère Sabas dont nous venons de parler et d’autres de leurs confrères, au nombre de 4 ou 5 ne se séparèrent pas. Ils amodièrent une maison et sous un habit séculier, coulèrent les mauvais jours dans toute la régularité qui leur fut permise. Sous l’Empire une maison de trappistes s’étant réunie dans le diocèse de Versailles à une ou deux lieues de Paris dans un ancien couvent de Camaldules, le seul qu’il y eut en France, nommé Grosbois, nos deux frères Sabas et Hypolite s’y retirèrent. Le frère Hypolite fut, contre les statuts de l’Ordre de Cîteaux, admis au chœur quoiqu’ayant fait profession de convers, et fut cellérier, il entendait assez bien les affaires temporelles, il savait un peu le plain chant. Cet établissement ne dura guère. Napoléon demanda un serment de fidélité à dom Augustin de Lestrange que celui-ci refusa, s’en fut assez. Toutes les maisons des Trappistes furent supprimées. Après la Restauration, ces trois vieillards rachetèrent Bellevaux, les deux frères firent 8 000 fr et dom Huvelin fit le reste pour compléter la somme de 22 000 fr que Bellevaux coûtait. Dom Eugène Huvelin laissa le frère Hyppolite au chœur et au maniement des affaires temporelles, jusqu’à ce qu’il fut frappé d’apoplexie et de paralysie vers 1826.Ses facultés physiques et intellectuelles étant également paralysées, il ne fut plus capable de rien. Il fut le seul qui mourut en exil où il est enterré dans l’église de Géronde, dans le Haut-Valais. Il avait du zèle pour la communauté, il a procuré presque tous les livres liturgiques qui alors étaient difficiles à trouver.

[P. 6] 3 - Frère Claude - Le frère Claude, dans le monde Claude Guillaume Henry, né à Gommeville près Châtillon-sur-Seine (Côte-d’Or) le 10 février 1786, fut le premier postulant de Bellevaux après l’acquisition qui en fut faite en 1817. Il y vint de suite après les frères Sabas et Hyppolite, ceux-ci reprirent incontinent leur habit régulier mais le frère Claude demeura deux ans postulant jusqu’à l’arrivée de dom Huvelin en 1819 où il prit l’habit de novice le 16 juillet et fit sa profession le 23 juillet 1820. Il mourut au Val-Sainte-Marie le 3 février 1842 à trois heures du matin, à l’âge de 56 ans moins 7 jours. Il avait fait la campagne désastreuse de Moscou en qualité de grenadier, pris par les cosaques, il fut envoyé en Sibérie jusqu’à la paix de 1814. Il était fort ouvrier, très adroit, le caractère un peu rude ou fier, ce qu’il avait conservé de son état de militaire. Il fit une mort édifiante, ayant témoigné de grands sentiments de componction. Il avait essuyé tout ce que les commencements d’une maison religieuse ont de rude et de difficile à supporter. Outre l’agriculture, il entendait la menuiserie, le charronnage, etc… Il savait faire d’excellents fromages et la cuisine, il était habile barbier, tailleur, couturier, etc… et surtout il savait élever le bétail. On pouvait en un mot l’employer à tout, il aurait tenu la place de dix autres.

Les ineffables délices des enfants de saint Bernard, p. 72

Frère Claude, convers nommé dans le monde Guillaume Fleuri, fit profession à Bellevaux le 23 juillet 1820 et mourut le 3 février 1842. Il entra au service sous l’empire et fit la compagne de Moscou en qualité de grenadier ; pris par les cosaques, il fut envoyé en Sibérie. Il rentra en France après la paix de 1814. Il mourut dans de grands sentiments de componction après avoir reçu les sacrements.

4 - Frère Pierre - Le frère Pierre, nommé dans le monde Pierre Brigandet, né à Chancey, arr. de Gray, (Haute-Saône), le 16 octobre 1775 vint à Bellevaux en même temps que dom Huvelin au printemps 1819, prit l’habit et fit profession les mêmes jours que le frère Claude ci-dessus. Il mourut le 1° juin 1846 à l’âge de 71 ans. Il avait du bien et était à son aise. Avant la Révolution, il avait commencé à étudier et se disposait à entrer chez les capucins, mais il n’en eut pas le temps. La Révolution retarda ses projets. Il se comporta toujours pendant ces orages en bon catholique. En 1812 quand l’ennemi fut sur le Rhin on fit une levée. Il fut à Huningue, bloqué, il souffrit la famine et toutes ses suites. Étant à Bellevaux il fut toujours cuisinier. Il entendant parfaitement cette partie. Comme il avait apprit par chœur beaucoup de sermons dans sa jeunesse, le supérieur le faisait parler quelques fois dans les conférences et il s’en acquittait parfaitement bien. Il prêchait surtout sur les fins dernières. Il faut remarquer qu’étant dans le monde restant seul, il logeait les pauvres, les marchands, toux ceux qui ne pouvaient aller dans les auberges et après qu’il les avait rassasiés du pain matériel, il leur rompait ensuite le pain de la parole de Dieu en leur débitant ses sermons. Il avait un véritable talent pour cela. Tous les frères l’aimaient à cause de sa charité.

Les ineffables délices des enfants de saint Bernard, p. 72

Frère Pierre, convers ancien religieux de Bellevaux, mourut après 26 années de profession.

 

5 - Frère Pierre Joseph - Venu du Gard étant novice en 1830, il fit ses vœux le 29 août 1830 à Bellevaux et mourut le 16 mars 1848 à l’âge de 70 ans. Il était né à Palluel (Pas-de-Calais).

Les ineffables délices des enfants de saint Bernard, p. 72

Frère Pierre Joseph, convers, mourut après 25 années de profession.

 

6 - Frère Antoine - Le frère Antoine Joseph Deschamps [Dechange] né en 1787 dans les Pays-Bas, mourut le 11 juin 1838 en odeur de sainteté. Comme on a beaucoup écrit sur lui, nous nous abstenons ici de passer à ce qui est déjà dit.

Les ineffables délices des enfants de saint Bernard, p. 71 et p. 68-70

 Frère Antoine, convers, dont le nom de famille était Deschange, mourut dans le mois de juin 1838, après avoir vécu à la Trappe avec beaucoup d’édification. M. Breuillot, fondateur de tous les petits séminaires du diocèse de Besançon, qui savait si bien apprécier les bons religieux, disait en parlant du frère Antoine : « Il est si vénérable, que je me sens pénétré de respect pour lui chaque fois que je le regarde. »

P. 68 : « Il avait     appris l’art de fondeur qu’il exerçait avec une habileté et un succès qui étonnaient tous ceux de sa profession.

Il fut quêteur pour le VSM et mourut au Port-du-Salut.

 

Cf. Histoire de la Trappe du Val-Sainte-Marie, 3° édition, p. 144.

7 - Frère Robert - Le frère Robert Balthazar Deschamps né près de Turin en Piémont. Voyez le nécrologe imprimé à la fin d’un livre intitulé : Les ineffables délices des enfants de saint Bernard, p. 71

Frère Robert, convers, fit profession au Val-Sainte-Marie le 2 juin 1837 et mourut le 5 août 1840, âgé de trente-cinq ans. Il édifia la communauté par la résignation et la patience avec laquelle il supporta une maladie fort longue et très violente, laquelle, pendant deux ans, le retint presque toujours sur sa couche sans lui permettre de remuer aucun de ses membres qu’avec les plus vives douleurs.

[P. 7] - 8 - Frère Xavier - Le frère Xavier, Jean Altmeyer vint au Val-Sainte-Marie avec son frère qui vit encore à la Grâce-Dieu, à l’âge de 46 ans, né à Foulequemont (Moselle) il était né le 17 septembre 1792. Il prit l’habit le 2 février 1839 et fit profession le 1° novembre 1840 et mourut le 29 août 1848 à la Grâce-Dieu où il y avait déjà quelques frères. Il avait été longtemps militaire au service du roi de Hollande, où il se distingua par des actions d’éclat et mérita une pension qu’il a touchés jusqu’à sa mort. Il obtint pareillement deux croix d’honneur sur les champs de bataille et des médaillons de bravoure que nous conservons. Il a presque toujours été dans les colonies que les Hollandais possèdent dans les Indes, ainsi il connaissait les Indes comme nous connaissons la France et encore mieux si nous ne voyageons pas. Il était bon religieux, savant, studieux, spirituel. Il avait un peu étudié la médecine et réussissait assez bien à traiter les frères malades. Il savait tenir les livres de comptes, écrivait bien. Il avait beaucoup de ces qualités qui sont toujours précieuses dans une maison religieuse. Enfin il est mort d’une manière très édifiante, d’une maladie scrofuleuse.

Les ineffables délices des enfants de saint Bernard, p. 72

Frère Xavier, convers, ancien militaire au service du roi de Hollande.

 

9 - Frère Macaire - Le frère Macaire, dans le monde François Rosier, né le 9 novembre 1809 à Gea (Puy-de-Dôme) est entré chez nous le 5 novembre 1840, a prit l’habit de novice le 15 août 1841, l’a quitté, s’en est allé et est revenu le reprendre le 16 mai 1842, a fait profession le 4 juin 1843. Il mourut à la Grâce-Dieu (je n’ai pas la date) vers le même temps que le précédent, frère Xavier. Ils sont tous les deux premiers enterrés à la Grâce-Dieu. Il aimait la solitude ou delà de tout ce qu’on peut imaginer, c’est pourquoi il était continuellement tenté de s’enfuir dans les bois et aussitôt que nous vîmes à la Grâce-Dieu il demanda bien vite à y venir, ce qui lui fut accordé. Il était chargé de la scie à eau. Il était, au reste bon religieux, très silencieux et taciturne, paraissant un peut honteux, parlant peu et très bas. Il a terminé sa carrière d’une manière très édifiante.

Ces deux derniers frères seulement étant morts à la Grâce-Dieu avant que j’y sois [ ], je n’ai pu assister à leur dernier passage, mais je marque ce que les frères qui les ont assisté m’ont raconté.

Les ineffables délices des enfants de saint Bernard, p. 72

Frère Macaire, convers, modèle de douceur, de silence, de recueillement et d’obéissance.

10 - Frère Saturnin - Le frère Saturnin, dans le monde Jean Baptiste Pons, né le 25 mars 1813 à Tournebouche, canton de Limoux (Aude) est entré chez nous le 15 octobre 1843, prit l’habit le 8 décembre 1844 et fit profession le 26 décembre 1845 et mourut en 1854 d’une hernie qu’une toux extrême et périodique en chaque hiver avait irritée, à l’âge de 42 ans. C’était un très bon frère, simple, sans prétention, ayant presque toujours été employé aux écuries, méritant la confiance de ses supérieurs. Il souffrit beaucoup avant de mourir, mais avec une patience héroïque et quelques minutes avant de rendre l’âme, il fut assailli par l’ennemi du salut, d’une manière bien sensible pour ceux qui l’assistaient. Le calme étant revenu, il mourut en paix.

11 - Frère Ferdinand - Le frère Ferdinand, dans le monde Ferdinand Aubert, né le 14 mai 1819 à Colonne, canton de Poligny (Jura), vint ici le 9 octobre 1848, prit l’habit le 3 décembre 1848 et fit profession le 24 décembre 1849. Il mourut en 1854 (la date manque) [ ]. Il était d’un tempérament très sec et cela il le tenait de famille, par conséquent il s’attendait, étant encore en santé, à ne pas vivre longtemps à la Trappe. C’était un prodige d’adresse, d’habilité pour tout faire. Il était tourneur, tonnelier, doreur, peintre, arpenteur, etc. Tout ce qu’il y a de dorure dans notre église, tout ce qui est en couleur jusqu’aux vitres, toutes les sentences des cloîtres et des corridors de l’infirmerie, etc. c’est lui qui a tout fait, tout bronzé. Il était très pieux et très zélé pour sa perfection, aussi il y a fait de rapides progrès. Il est mort d’une phtisie provenant d’un rhume négligé. Il a beaucoup édifié ses frères en mourant et ceux-ci l’ont extrêmement regretté.

[P. 8] 12 - Frère Guillaume dans le monde Bonaventure Pociey, né le 14 juillet 1775 à Nevel, province de Vitepsk, entra en religion le 1° août 1828, prit l’habit huit jours après et fit profession le 10 août 1839 et mourut le 18 avril 1856. Comme noble il entra au service militaire et eut les bonnes grâces du Czar le grand Alexandre, il fut grand officier ce qui répond au grade de colonel. Entièrement au monde, il oublia Dieu, passant de bien longues années et fit une fortune brillante, en suite ne sut pas la conserver, contracta un mariage avantageux, eut un fils qui mourut étant déjà grand, il perdit aussi son épouse et enfin vint la révolte des Polonais à Warsovie, et quoiqu’il n’y eut pas prit part, il fut proscrit, ses biens confisqués, et lui et tous ses parents et amis condamnés à être exilés en Sibérie. Tant de revers par lesquels la divine Providence renversait ses projets mondains et les cris d’une conscience que son éducation religieuse ne lui avait pas permis d’étouffer, le firent rentrer en lui-même, en sorte que revenant d’Angleterre et passant par la Picardie il fut demander l’hospitalité à l’abbaye du Gard. Là, en face des saints religieux qui l’habitaient, la grâce remporta la dernière victoire. Il prit l’habit, poursuivit courageusement son noviciat et fit profession. Après ses vœux, il crut devoir aller plaider sa cause devant l’empereur Nicolas et se mit en route, mais ayant rencontré quelques uns de ses compatriotes, ils lui dissuadèrent d’aller plus loin, lui persuadèrent que l’entrée de la Russie lui était fermée à jamais et qu’il y avait même danger évident à se présenter à la frontière. Ce fut alors qu’au lieu de retourner au Gard, il vint trouver notre communauté à Géronde en Suisse, avec la permission de l’abbé du Gard. Depuis cette époque, 1831, il a toujours été parmi nous.

Il eut bientôt oublié le monde qu’il avait pourtant si fort aimé. Il embrassa la pénitence de tout son cœur et dans toute son étendue et si l’avait voulut croire, il aurait renouvelé dans ces derniers temps les austérités des premiers solitaires et ne demandait qu’à manger du pain des chiens, que des discipline plombées ou hérissées, qu’à être renfermé dans une prison ou aller habiter une caverne dans quelques rochers.

Rentré en France en 1834, il fut fixé désormais dans notre communauté. Les dépenses et les besoins d’un monastère qui autrefois étaient fondés par la munificence des rois et des princes, mais qui aujourd’hui sont à la charge des pauvres religieux, sont immenses et il faut avoir recours à la charité des bonnes âmes et quelques périls que courent dans des âmes qui se sont vouées à la retraite, il faut encore les lancer dans le monde. Quelles angoisses pour l’âme d’un bon supérieur qui voit le danger et qui voudrait à tout [prix] retenir à l’ombre de ses ailes ou plutôt à l’ombre du sanctuaire ces jeunes plantes que Jésus Christ lui a confiés ! Il faut pourtant faire un choix. Le frère Guillaume connaît le monde, il y a renoncé, il l’a méprisé, il est très âgé, on le choisit pour échapper au danger qui le menace, enfin il cède et c’était là l’homme qu’il fallait à la Grâce-Dieu pour sortir de ses dettes, pour faire face à tout. Tous les pays, les villes et les campagnes, tous les royaumes de l’Europe le voient tour à tour. Il est comme les Apôtres, sa voix retentit partout, on voit partout le Polonais, il connaît toutes les langues, vous diriez qu’il était au Cénacle le jour de la Pentecôte. Hier il était aux pieds de Pie IX à Gaëte, aujourd’huy il est au palais des comtes de Chambord en Allemagne, dans quelques jours à Bruxelles et bientôt aux Tuileries. Partout il est le bienvenu, ceux mêmes qui le trouvent ennuyeux, importun, à charge, ne laissent de l’aimer et de l’assister. Partout il édifie, partout il dit qu’il a été un grand pécheur. Mais ses malheurs, ses revers lui concilient les sympathies de tous. Au milieu de ses courses, il était très obéissant à son supérieur, en relation très fréquente. Le révérend père abbé n’a qu’à lui dire de revenir, il prend le chemin de fer et arrive le lendemain. Que dis-je ? Toutes ses lettres ne sont que des lamentations sur sa triste position et où il demande à rentrer pour se préparer à la mort, qu’il croit très prochaine.

[P. 9] En effet, au commencement de l’année 1856 le frère Guillaume chargea la jaunisse, triste présage à l’âge de 81 ans. Les médecins lui firent tout ce qu’ils purent pour cette maladie, mais on s’aperçut bientôt que les remèdes étaient insuffisants, l’hydropisie succéda à la jaunisse. On eut beau combattre le mal, il fit des progrès alarmants. Au milieu de tout cela, le pauvre frère ne pensa qu’à se préparer à aller paraître devant Jésus Christ. Il fit une confession générale de toute sa vie, s’adonna à la prière avec plus d’assiduité et de ferveur, communiait souvent et voyait son bonheur approcher avec joie. Tout ce qu’il disait témoignait la joie qu’il avait de s’être consacré au service de Dieu et le bonheur qu’il aurait de mourir entre les bras de son supérieur et au milieu de ses frères après des courses qui l’avaient exposé mille fois à en être privé. Enfin, les derniers moments approchant, l’esprit de pénitence ne l’abandonna pas. Il voulut, selon l’usage de la Trappe, qu’on le mît sur la cendre et sur la paille pour y attendre Jésus Christ dans la posture d’un pénitent. Là on lui dit qu’il voulût bien dire un mot d’édification à ses frères qui étaient tous présents. Il les exhorta à penser à la mort, à l’état où ils le voyaient lui-même, que c’était un sûr moyen d’éviter le péché, de s’affermir dans sa vocation et de se préparer à ce moment terrible surtout pour ceux qui n’y ont presque jamais pensé. Il mourut dans la paix du Seigneur et dans une grande confiance dans les mérites du Sauveur et l’intercession de Marie en qui il avait une tendre dévotion.

13 - Frère Stanislas - Le frère Stanislas, dans le monde François Moupoil, né à Bauchignon, canton de Nolay (Côte-d’Or) le 7 mai 1824, entra chez nous (revêtu de la soutane, il avait fait sa théologie) le 1° septembre 1847, prit l’habit le 30 octobre suivant et on le reçut d’abord au chœur, mais n’ayant qu’une faible santé, point de voix, mauvaise vue, on le remit parmi les convers. Il fit profession en cette qualité de convers le 6 janvier 1850 et mourut le 6 septembre 1854. Il était bon religieux, pieux, fervent, aimant son état, sans aucune crainte de la mort ni de sa santé qui était très faible. Comme il était peu propre aux grands travaux, il était portier, distribuait chaque jour les aumônes au grand nombre de pauvres qui affluent ici en tout temps, mais surtout dans les années de cherté. C’est là que ce frère s’est sanctifié en regardant chacun des membres souffrant de Jésus Christ comme Jésus Christ lui-même. Il mourut de phtisie avec une grande résignation à la sainte volonté de Dieu.

14 - Frère Claude II - Le frère Claude II, dans le monde Claude Emmanuel Vaucheret naquit à Ladoye, canton de Voiteur, (Jura) le 17 avril 1800, entra en religion le 1° janvier 1857, prit l’habit le 2 mars même année et fit profession le 1° janvier 1853 et mourut le 14 février 1856. Il avait été militaire. Il était grand et bel homme, il n’avait pas encore reçu le sacrement de confirmation, qu’il se hâta de demander étant chez nous et on l’envoya le recevoir quand on en eut l’occasion. Il est encore un de ceux qui ont abrégé leurs jours en voulant faire des austérités au delà de la Règle et si on a quelques chose à lui reprocher, c’est de n’avoir pas été assez obéissant en cela, à tout instant on le trouvait en contravention au réfectoire en se retranchant considérablement.

[P. 10] - 15 - Frère Eugène - Le frère Eugène dans le monde Eugène Simonin, né à Vellerot-lès-Belvoir, canton de Clerval (Doubs) le 8 novembre 1822 est entré ici à la Grâce-Dieu le 4 septembre 1852, prit l’habit le 1° janvier 1853 et mourut d’une manière très tragique étant novice, le 1° mai 1854. Ce bon frère avait été militaire et par une merveille digne des trois enfants dans la fournaise, s’était dans cet état très dangereux, conservé et préservé de la corruption. Il y exerçait son était de tailleur, comme il l’a exercé ici, la plupart du temps qu’il y a passé et plut à Dieu qu’on l’eut laissé à la couture ! On le mit, hélas, au moulin car il était propre à tout, adroit, ingénieux, spirituel, d’une vivacité tant dans l’imagination que dans le mouvement extrême. Il était pieux, chaste à un point admirable. Il était en un mot très aimable. Et voilà qu’étant seul au troisième étage du moulin neuf, on ne sait comment cela a pu se faire, il laisse prendre ses habits après un tournant où jamais on n’aurait pensé qu’il y eut le moindre danger, ce tournant le renverse, met tout son corps horizontalement et le fait tourner en lui frappant la tête contre les murs et les trémies. En moins d’une demie minute, toute sa cervelle fut répandue au large. Son supplice ne fut pas plus long qu’un coup de fusil ou que la chute de la guillotine. On ne reconnut aucun des traits de son visage. Il remuait encore à l’arrivée du R.P. abbé qui put lui donner l’absolution. Comme c’était un lundi, il avait communié la veille et avait entendu la messe le même jour. Les frères du moulin on crut marquer dans ses paroles qu’il avait quelques pressentiments de la mort prochaine. Quoiqu’il jouit d’une bonne santé, personne de notre communauté qui n’espérait fermement que le Seigneur  lui a fait miséricorde.

16 - Dom Genès - Je mets ici le révérend Père Genès quatrième supérieur de la communauté : dom Huvelin le premier, dom Stanislas, maintenant abbé de Sept-Fons le second, le R.P. Jérôme qui est encore ici à la Grâce-Dieu (1° janvier 1857) le troisième et le révérend dom Genès le quatrième et le cinquième est le révérend père abbé actuel dom Benoît.

Le Révérend Père dom Genès dans le monde Jean-Guillaume Estanave, né à Carcassonne (Aude) le 15 septembre 1788, emplit après son ordination la charge de directeur du séminaire de cette ville et ensuite nommé curé du canton, porté sur le catalogue des candidats à l’épiscopat, tout cela sous le premier empire. Il quitta tout, place et espérance, pour se retirer à la Mailleraie, maison de trappistes près de Nantes. Forcé à la Révolution de Juillet en 1830 d’abandonner ce monastère, essaie en vain de s’établir dans son pays avec quelques uns de ses frères, revient au Port-du-Salut, autre maison de l’Ordre, près de Laval, où il exerce la charge de prieur, retourne à la Melleraie aussitôt que cette maison est rouverte à ses enfants et est nommé par le Chapitre général, supérieur délégué (le père Jérôme étant toujours titulaire mais ne pouvant exercer pour cause de maladie) du Val-Sainte-Marie où il arriva vers la fin de 1839, est enfin établi prieur titulaire de cette maison et meurt le 20 avril 1844 dans la cinquième année de son administration. Il était d’une grande mortification et par conséquent d’une maigreur extrême, très faible quant au physique. D’une économie extraordinaire, il eut bientôt fait de combler et au-delà, le déficit. Il n’était nullement entreprenant en fait d’améliorations, de nouveaux bâtiments et de dépenses quelconques. Il était pieux et régulier, mais il était peu affectionné à la maison et aux frères qui en composaient le personnel. Il était même prêt de retourner à la Mailleraie lorsque la mort le mit dans l’impossibilité de réaliser ce projet.

Cf. Histoire de la Trappe du Val-Sainte-Marie, 3° édition, p. 459

[P. 11] - 16 - Frère Robert - Le frère Robert, dans le monde Jacques Jean Baptiste Defoly, né à Paris le 30 avril 1824, entré à la Grâce-Dieu le 3 mai 1850, prit l’habit le 30 mai 1850 comme novice de chœur et faute de santé, est passé aux convers et a fait profession le 2 juillet 1851 et il est mort le 6 août 1851. C’était une âme toute mystique, une sublime oraison, des transports d’amour de Dieu comme sainte Marie Madeleine de Pazzi, voilà son genre, tout abîmé dans sa contemplation, il oubliait les besoins de la nature, il ne lisait que les livres les plus spirituels et qui traitaient de l’union avec Dieu. Dès le temps qu’il était encore à Paris il était enrôlé dans plusieurs confréries et particulièrement dans l’adoration perpétuelle du très sacrement, c’est là qu’il passait une partie de la nuit en adoration devant Jésus Christ et chez nous, lorsqu’il était, durant les intervalles, prosterné devant les autels, en le voyant, on se sentait attendri et touché jusqu’au fond de l’âme. Il est mort de la poitrine, il avait eu une sœur qui était morte de la même maladie. Oh ! qu’il était édifiant dans son lit de mort ! Dieu permit que quelques instants avant de rendre l’âme Monseigneur l’évêque actuel de Saint-Claude vint nous voir et entendant parler du saint jeune homme Sa Grandeur voulut le voir et lui donner sa bénédiction. Ce prélat a été très édifié de la situation intérieure avec laquelle cette âme s’en allait à Dieu. Enfin il mourut le jour de la Transfiguration, fête ses âmes contemplatives.

On m’a fait remarquer un oubli sur ce dernier frère. Son père était employé au ministère, je ne sais si c’est au département de l’Intérieur, des Finances ou de la Police, et il jouissait d’une fortune honnête et d’appointements assez considérables. Or il n’était pas content que son fils se fît trappiste. Celui-ci quelques temps avant que de se retirer chez nous, avait postulé un emploi très lucratif et qui assurait sa fortune, mais il ne l’obtint pas, quelque démarche qu’il eut fait pour cela. Au milieu de son noviciat, voici venir une lettre de Paris qui lui offrait l’emploi qu’il avait postulé. Le révérend père hésita un moment s’il lui donnerait la lettre, parce que d’un côté le voyant courir à pas de géant dans la voie de la perfection, d’un autre côté, sachant tous les mouvements qu’il s’était donné pour obtenir cette place et la passion qu’il avait mis à la poursuivre et à la désirer, il se doutait que cette lettre allait causer de grands troubles et de violents orages dans cette âme maintenant si tranquille. D’un autre côté réfléchissant qu’il n’était que novice et qu’on ne devait pas tant craindre de mettre à l’épreuve la vertu d’un novice et qu’on pouvait soupçonner de n’être venu à la Trappe que par un certain dépit de n’avoir pas obtenu ce qu’il avait si fort convoité, le révérend père se décida à lui montrer la lettre fatale, ne serait-ce que pour bien connaître sa vocation, ce qu’on n’aurait pas fait à l’égard d’un profès. Tout ce qu’on avait prévu arriva exactement. Le novice se troubla et fut désorienté mais tout ce désordre ne dura qu’un jour qu’il passa presque tout en prière et le lendemain, il répondit, remercia et dit qu’il avait prit le Seigneur pour son partage. Voilà ce qui s’appelle faire des sacrifices ! De tout ceci les gens du monde comprendront comment on se comporte à l’endroit des novices.

[P. 12] - Voilà tous les religieux, les convers de notre communauté morts depuis l’établissement de Bellevaux en 1817 ou si l’on veut en 1819. Ils ne sont pas classés ici par ordre ni de leur réception, ni de leur mort, parce que je les ai pris dans plusieurs registres et ai été exact à donner des dattes bien sûres toutes les fois que je l’ai pu. J’aurais pu m’étendre davantage sur quelques uns et me resserrer sur d’autres. J’ai surtout tâché de ne pas sortir du vrai dans les faits et surtout lorsque je suis quelques fois le seul témoin oculaire.

Que Dieu en tire sa plus grande gloire ! Ainsi-soit-il.

 

 

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[ ] - Les ineffables délices des enfants de saint Bernard - Ou trois solitaires du Val-Sainte-Marie, Paris, 1850 - 11,5 x 17,5 cm, 72 pages. Ce petit ouvrage est un extrait de l'Histoire du Val-Sainte-Marie et il contient une longue notice sur  Frère Eugène (Juste Sigonney 1823-1841), Frère Maurice (Pierre-Antoine Dubret 1804-1842), p. 58-67; Frère Antoine (Joseph Dechange 1787-1838), p. 68-70, suivi de la liste des défunts de la commnauté jusqu'en 1848.

[ ] Frère Théophile Ménestret

[ ] - 2 mai 1853

[ ] - Le fait de ne pas connaître la date de la mort d’un des trois fondateurs de la communauté, de ne pas signaler le lieu du décès laisse supposer que Frère Théophile qui a connu frère Sabas à Bellevaux, ne veut pas signaler le fait que ce Frère est décédé en dehors de la communauté, après en être sorti.

[ ] - La Grâce-Dieu fut achetée en 1845, des Frères y furent envoyés pour aménager les bâtiments et l’ensemble de la communauté s’y établit le 29 septembre 1849.

[ ] -19 février 1854