Homélie - Saint Benoît — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

Homélie - Saint Benoît

Par Frère Didier

Saint Benoît - 11 juillet 2006

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La nuit de Pâques, nous disposons devant l'autel, une grande vasque de cuivre que nous emplissons d’eau et cette eau, lors de la grande veillée de Pâques, est bénite et lnous faisons mémoire de notre baptême… Et cette vasque d’eau reste là durant toute l’octave de Pâques… Or voici que durant l’octave de Pâques, je me penche sur l’eau et je vois un mot écrit dans l’eau… Un très beau mot… Le mot « PAIX »… LA PAIX… écrit en latin, s’il vous plaît… Trois lettres : P–A–X… C’était le vitrail, la grande rosace du chevet de l’église, qui se reflétait dans l’eau ! Si vous avez bonne vue, vous pouvez voir au cœur de la rosace, sur le blason bleu, le mot « PAIX »,… inscrit au cœur de cette rosace parce que c’est la devise de saint Benoît.

vitrail de tamié - p a x

C’est beau, je trouve, de pouvoir appeler cette eau, cette eau baptismale «Eau de Paix»… et c’est juste de l’appeler ainsi… car c’est l’eau jaillie du Cœur de Jésus, signe de l’Esprit de Paix que le Crucifié-Ressuscité souffle sur nous, don de la Paix que Jésus nous promet avant sa Passion :
          « Je vous laisse la Paix,
          je vous donne la Paix, la mienne!
»
          Et c’est son mot de Ressuscité : « Paix à vous ! »
                    Et c’est le mot de saint Benoît !

A vrai dire, le mot revient si peu souvent dans la Règle des moines que l’on peut se demander si on a le droit de décerner ainsi à saint Benoît le Prix Nobel de la Paix à retardement.
           Cependant il cite dans son Prologue le psaume33 : «Recherche la Paix et poursuis-là» et dans son enseignement spirituel, il demande que les moines qui seraient en discorde fassent la paix avant le coucher du soleil… Saint Benoît est donc bien un ami de la Paix et un artisan de Paix... On pourrait trouver mille passages de la Règle où saint Benoît se montre artisan de paix… particulièrement dans l’organisation de la journée du moine… avec cet équilibre toujours à rechercher entre la prière et le travail, le silence et la parole, la solitude et la vie communautaire, un certain retrait et l’hospitalité… Un équilibre que tous nous recherchons, vous comme nous les moines… Un équilibre que l’on ne peut trouver qu’en avançant… Ce déséquilibre qui, dans la marche, devient à chaque pas un nouvel équilibre… Et vraiment, avec saint Benoît, il faut toujours avancer sur « le chemin de la vie », comme il dit,… pour «parvenir» -c’est le dernier mot de la Règle… On ne perd jamais de temps : six fois il nous invite à «courir», huit fois il nous dit de nous «hâter», plus de vingt fois il faut agir «aussitôt»… C’est dans cet élan, dans le souffle de l’Esprit, que l’on trouvera la Paix… qui ne se construit pas comme une muraille de protection, mais qui, au contraire, se reçoit comme un don… quand nous laissons tomber nos peurs en acceptant de vivre désarmé, confiant, vulnérable à la présence de l’autre… car cet élan, c’est essentiellement un élan vers l’autre

Saint Benoît, par l’obéissance, le silence, l’humilité, mais aussi « l’humanité » de l’hospitalité et le respect des différences en communauté, veut faire de nous des hommes et des femmes de communion, décentrés d’eux-mêmes pour être orientés vers Dieu et en même temps vers les autres, « ne préférant absolument rien au Christ » pour devenir, avec le Christ, vraiment fils et vraiment frères…

          C’est clair dès le premier mot de la Règle : « Écoute ! » et pleinement confirmé au dernier chapitre avant l’épilogue : « Qu’ils vivent en charité de fraternité ! » (C’est la belle devise de notre père abbé)… « Et que le Christ nous conduise tous ensemble à la Vie éternelle ! »... Ainsi l’obéissance ne sera vraie que si elle est une obéissance de communion, et le silence ne sera vrai que s’il est un silence de communion, et la clôture du monastère n’aura de sens que si « elle figure un cœur ouvert » -l’expression est de l’un des sept moines martyrs de Tibhirine « un espace d’accueil », dit-il, « un cœur ouvert, blessé par la souffrance de ce monde ».
          C’est tellement vrai que saint Benoît veut que nous soyons des hommes et des femmes de communion que, lorsqu’un frère a blessé la communauté par son comportement, il l’ex-communie, il le met en marge de la vie commune pour un temps… En quelque sorte il lui fait éprouver l’Enfer… afin qu’il prenne conscience du bien suprême de la communion… et ne puisse plus se passer de son goût de Vie éternelle…
          Nos frères de Tibhirine ne cherchaient rien d’autre que vivre cette communion avec Dieu et avec le peuple algérien… et ils ont montré au monde entier, par leur fidélité à la communion, ce que c’est, vraiment, un moine : un ami de Dieu, un ami des hommes…
           Et que la Paix est dans le don, « au jour le jour le don », pouvant devenir un jour le don total… parce que la Paix que veut nous offrir saint Benoît, vous l’avez compris, ce n’est pas n’importe quelle paix, c’est bien la Paix du Crucifié-Ressuscité :
          "Je vous donne ma Paix.
          Ce n’est pas comme le monde la donne que je vous la donne… »
C’est la Paix fruit de la mort et de la Résurrection, la Paix qui jaillit du Cœur transpercé –«Ne désespère jamais de la Miséricorde de Dieu » nous enseigne saint Benoît-, la Paix de l’eau pascale, baptismale.

Et c’est parce qu’elle est tellement évangélique qu’elle n’est pas réservée aux moines et qu’elle peut inspirer bien d’autres vocations… familiales ou sociales… Je pense à la communauté européenne confiée à saint Benoît... Mais nous ne pouvons la recevoir qu’en laissant le Mystère Pascal s’incarner dans nos vies… et transformer nos vies… C’est le sens de notre vœu de « conversion de vie »… Le moine s’engage à la conversion perpétuelle, à vivre toujours plus l’Évangile, la Communion… C’est le sens de ce détachement auquel Jésus nous invite aujourd’hui :
          « Tous ceux qui auront quitté à cause de moi
          des maisons, des frères et des sœurs
          recevront beaucoup plus

          et ils auront la Vie éternelle. » (Matt.19)
Et cette invitation au détachement, c’est une parole pour tous, pas seulement pour les moines, car il y a des moines qui apparemment ont tout quitté, mais en imagination ont femme, enfants, domaines… et il y a bien des gens qui ont femme, enfants, domaines et qui en réalité, parce que leur vie est entièrement donnée à Dieu et aux autres, se sont vraiment quittés eux-mêmes, devenant de plus en plus libres pour aimer…
Ceux-là, moines ou pas moines, sont des hommes et des femmes de Communion, des artisans de Paix qui reçoivent le don de la Paix et la Vie éternelle
          Cette Vie éternelle qui est le grand désir de saint Benoît :
« Le moine obéissant, dit-il, est saisi par le désir ardent d’avancer vers la Vie éternelle.»
« Que le moine désire la Vie éternelle de toute l’ardeur de son âme ! »
« Que le Christ nous conduise tous ensemble à la Vie éternelle ! »
          Cette Vie Eternelle qui est déjà notre vie,… puisque nous avons été baptisés dans l’eau pascale, puisque nous recevons le Souffle de l’Esprit qui nous pousse sur le chemin de la vie, vers la terre promise de la Communion… Cette Vie éternelle que nous recevons en cette Eucharistie où Dieu se donne et nous fait devenir don… Cette Vie éternelle qui est la Vie même de Dieu,
          et qui est elle-même la Paix
          car la Paix,
          éternellement, c’est Dieu.