Homélie - Tibhirine — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

Homélie - Tibhirine

Par dom Victor
tableau de malel - tibhirine
21 mai - 15ème anniversaire
de l'annonce de la mort
des moines de Tibhirine

         Nous avions pensé choisir des lectures propres pour cette messe mais j’ai préféré garder celles que nous propose la liturgie de ce jour. La Parole de Dieu doit être accueillie telle qu’elle se présente à nous, même si parfois elle nous dérange.  

         Ainsi le passage des Actes des apôtres lu en première lecture est bien loin de la façon dont nos Frères ont témoigné de l’Évangile. Jamais ils n’ont prêché publiquement ni affronté leurs contradicteurs. Notre témoignage doit tenir compte du contexte dans lequel nous vivons et chacun a sa vocation particulière. Les chrétiens évangéliques présents aujourd’hui en Kabylie se reconnaissent sans doute davantage dans cette prédication de Paul à Antioche

         L’exemple de Jésus, tel que nous le présente saint Jean, correspond mieux, me semble-t-il, à l’attitude de nos Frères. La veille de sa mort, Jésus s’entretient dans un dialogue d’amitié avec ses disciples. Il y a si longtemps que je suis avec vous…Nos Frères pouvaient dire cela à leurs voisins et répondre eux aussi à leurs questions sur Dieu s’il arrivait que l’un ou l’autre les interroge. La question posée ici par Philippe se trouve être la question fondamentale dans tout dialogue avec l’Islam : montre-nous le Père ; cela nous suffit ! Je n’ai pas lu tous les écrits de Christian mais nous pourrions trouver bien des interrogations qui tournent autour de cette figure du Père révélé par Jésus et qui demeure incompréhensible pour nos Frères musulmans, même les plus croyants. Dès qu’on évoque la personne de Jésus on évoque aussi le Père. Les deux sont indissociables. Le père et moi nous sommes un, disait Jésus dans l’évangile selon saint Jean lu mardi dernier. Devant cette question posée par Philippe, Jésus s’étonne : il y a si longtemps que je suis avec vous et tu ne me connais pas encore, Philippe ? Nos Frères, évidemment, ne pouvaient pas répondre : celui qui m’a vu, a vu le Père. Mais par leur présence, leur amitié, leur vie de prière et leur amour jusqu’au bout, ils annonçaient et manifestaient qui était ce Père qui aime tous ses enfants. Christian, dans son testament, entrevoit sa mort comme une révélation du Père : je pourrai, s’il plaît à Dieu, plonger mon regard dans celui du Père pour contempler avec Lui ses enfants de l’Islam tels qu’il les voit, tout illuminés de la gloire du Christ, fruits de sa Passion, investis par le don de l’Esprit.

         Si aujourd’hui nous faisons mémoire de la mort de nos 7 Frères, c’est parce que Dieu n’est pas le Dieu des morts mais des vivants et que, même morts, nos Frères parlent encore. Je lisais avant-hier dans le journal La Croix cette phrase d’Henry Quinson : Si on ne sait pas encore comment les Frères sont morts, on sait de quel Esprit ils vivaient. J’ajouterais : de quel Esprit ils vivent désormais et dans lequel ils parlent à notre monde. Jean-Marie Frin qui est avec nous peut témoigner combien le message de nos Frères parle aux hommes d’aujourd’hui et leur montre mystérieusement le visage du Père. Le film auquel il a participé dit à tous, dans un langage pour une fois audible, selon l’expression de Frère Nicolas Capelle, ce qu’est la fidélité, l’amitié partagée avec les voisins, l’amour donné à tous et jamais repris : ayant aimé les siens, dit Jean à propos de Jésus, il les aima jusqu’au bout… Nos Frères pouvaient faire leurs les paroles de Jésus que nous venons d’entendre : c’est le Père – ou plus exactement l’Esprit du Père – qui demeure en nous et qui accomplit ses propres œuvres.

         Pour que nos vies à chacun et chacune témoignent du Père tel que Jésus nous l’a révélé dans sa vie, sa mort et sa résurrection, nous pouvons dire déjà la prière que je vais prononcer sur le pain et le vin : Dans ta bonté, Père, sanctifie ces dons ; accepte le sacrifice spirituel de cette eucharistie et fais de nous-mêmes une éternelle offrande à ta gloire.