Homélie - TO 9 — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

Homélie - TO 9

Fr. Patrice
croix - arcabas
Homélie pour le 9ème dimanche
du temps ordinaire - A

 


Homélie

Un évangile important parce qu’il nous place devant un grand enjeu :
Est-ce que je veux vraiment construire ma vie, la prendre en main et lui donner une direction ?
Est-ce que je veux intégrer Dieu dans cette construction ?

Il y en a qui disent « Seigneur, Seigneur ». C’est probablement ce qu’ont dit tous les gens pris dans la grande tempête Xynthia il y a un an, ou dans les tsunamis, ou dans les tremblements de terre qui ont affecté notre monde toutes ces dernières années. Oui c’est un peu ce que nous faisons ou disons quand on a négligé notre relation à Dieu et que tout d’un coup nous sommes frappés par un cataclysme naturel, ou par un évènement grave affectant nous-mêmes, nos proches ou nos amis. Alors on crie au secours, on se tourne vers Dieu, la sainte Vierge et tous les saints qu’on avait pour le moins oubliés ou négligés depuis un certain temps. C’est un peu la parabole du grain qui est semé et qui tombe en partie sur le sol pierreux ou sur les ronces. Aucune racine profonde n’a pu prendre place, et tout est vite en voie de destruction. Seul un évènement grave la fait brusquement resurgir.

Il y a ceux qui font la volonté de mon Père…ils bâtissent sur le roc : là est la vraie question. Sommes-nous prêts à accomplir dans notre vie la volonté de Dieu, à mettre cohérence entre nos paroles et nos actes. C’est un thème que Jésus aborde de front dans l’évangile à propos des pharisiens «  ils disent et ne font pas ». La solution que nous donne Jésus est de bâtir sur le roc. Qu’est-ce que cela peut vouloir dire ?

Hier durant l’office de Vigiles, nous lisions le livre de Josué. Celui-ci demande au peuple s’il est prêt à suivre Dieu ; et le peuple répond par trois fois « nous servirons le Seigneur notre Dieu et nous obéirons à sa voix ». Alors Josué va ériger une grande stèle en pierre pour rappeler au peuple qu’il s’est engagé fermement à servir Dieu et que l’alliance que Dieu conclut est aussi ferme qu’un rocher.

On trouve la même chose dans ce très beau passage du Livre de l’Exode où Dieu donne à Moïse tous ses commandements et les écrit de son doigt sur des grandes tables de pierre symbole de la solidité de son alliance…ce qui n’empêche pas le peuple pendant ce temps-là de faire un veau d’or !

Tout cela indique que Dieu offre aux hommes une alliance qui est aussi inébranlable que ces rochers. Mais Isaïe ( Is 8 :14) nous dit que ces pierres peuvent aussi devenir des pierres sur lesquelles on trébuche. A nouveau se pose la question : y-a-t-il une cohérence entre nos paroles et nos actes. Si nous construisons sur le roc cette cohérence sera là ; si nous construisons sur le sable, le déluge n’est pas loin.

Ceci me rappelle la confidence d’une dame morte il y a quelques années. Son père, homme de grande valeur et de grande rigueur morale, était un athée convaincu ; et un jour il avait dit à ses filles «  vos camarade de classe quand ils ont à se faire pardonner vont se confesser au curé du village; mais vous vous ne pouvez pas vous confesser. Alors il vous appartient de mener une vie droite pour être toujours  en paix avec votre conscience ». Traduisons : il vous appartient de bâtir sur le roc. Mais alors comment bâtir sur le roc ?

Bâtir sur le roc, c’est tout d’abord accepter de se laisser constamment déraciner. On ne peut poser des fondations sur un sol rempli de racines ; celles-ci ont une force extraordinaire, et lentement mais sûrement vont pousser des murs, fissurer des fondations. Ces racines, vous l’avez compris, ce sont toutes nos résistances à Dieu, tous nos travers, toutes ces habitudes qui nous éloignent de lui. Se laisser déraciner, c’est accepter de se laisser travailler par Dieu, c’est laisser naître en nous un cœur nouveau, un peu comme Jacob dans ce très beau combat au gué de Yabboq dont il sortit blessé, mais surtout transformé et rendu capable de voir Dieu face à face et de faire la volonté de Dieu en demandant pardon à son frère Esaü.

Bâtir sur le roc c’est ensuite accepter de devenir un peu comme une éponge. Pourquoi une telle image totalement en contraste avec le rocher ! Une éponge qui boit l’eau de la Parole de Dieu, qui en est toute imprégnée et la garde constamment, cherchant avidement à ne jamais devenir sèche, au risque de ne plus être ce qu’elle est appelée à être. Les honnêtes gens ne mouillent pas à la grâce dit Péguy ; ils ne présentent pas cette entrée à la grâce qu’est le péché ; la grâce ne trouve aucune faille pour pénétrer en eux. Bâtir sur le roc, c’est laisser la grâce entrer en nous, imprégner toute notre vie et nous rendre forts dans la lutte pour Dieu.

Bâtir sur le roc c’est enfin se laisser modeler, comme la terre glaise que le potier façonne selon son désir. Tout caillou inséré dans la terre glaise ne peut que déformer le travail du potier. Jérémie le prophète a de très belles paroles là-dessus !

Vous l’avez vu : bâtir c’est en un sens se laisser construire par Dieu ; c’est lier amitié avec lui. Une amitié telle que, comme dans la parabole de l’ami importun, nous n’ayons plus jamais crainte, lorsque la nuit du déluge ou de la tempête vient et que nos manquons de tout, d’aller frapper à sa porte dont on sait qu’elle s’ouvrira toujours pour nous.