Homélie Pentecôte C — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

Homélie Pentecôte C

Par dom Ginepro

Les apôtres de Jésus, de timides et craintifs qu'ils étaient, poussés par l'Esprit qui a foncé sur eux, se sentent désormais habités par Lui : le Souffle de Dieu les a complètement transformés. C'est ainsi qu'ils peuvent maintenant se lancer dans la prédication et le témoignage du Crucifié-Ressuscité. Notre question : d'où leur vient-elle, donc, cette force qui change complètement leurs histoires, qui change le cours de l'Histoire ? De l'Esprit, justement. Saint Basile, d'abord moine et puis évêque de Césarée en Cappadoce au quatrième siècle, fait une comparaison, simple mais très éclairante : il dit que l'Esprit est comparable à l'eau qui féconde, différemment et selon chaque espèce, toutes les plantes du jardin et de la forêt, tous les légumes du potager et les herbes du champ. L'Esprit est capable de donner la vie aux petites, minuscules graines et de les transformer en plantes, chacune différente des autres, car l'originalité de chaque créature est respectée et mise en valeur par l'Esprit. Ces plantes qui nous nourrissent, qui nous soignent et nous réjouissent. Comme l'eau est la vie pour toutes ces plantes, ainsi l'Esprit pour tous les êtres, et pour chacun de nous, bien sûr.

L'Esprit Saint est source d'eau vive, feu, baume qui guérit, doigt de Dieu, voix créatrice qui sort de la bouche de Dieu... Dans un livre que je connais un peu, un ami m'a signalé une page admirable qui parle d'une conversion, de l'action de l'Esprit sur un homme. Cette page est tirée du roman que, peut-être, quelques uns d'entre vous connaissent, aussi : Les Fiancés d'Alessandro Manzoni. Au chapitre XXI, il est question d'un admirable bouleversement, totalement imprévu. L'Esprit Saint touche un coeur endurci, un coeur de pierre d'un vieil homme mauvais; et il le sauve. Ce grand personnage, qui a réellement existé au XVII siècle dans une région d'Italie que je connais plutôt bien, avait voué sa vie au mal. Manzoni ne nous révèle pas son nom, et il le cite comme : L'Innommé. C'est quelqu'un qui, très puissant, passa une grande partie de sa vie dans le crime à grande échelle. On le retrouve donc ici, impliqué, une fois de plus, en première personne, dans un nouveau délit particulièrement détestable : enlever une fille innocente (à qui on a déjà interdit de se marier) pour la livrer au bon vouloir d'un noble qui s'est entiché d'elle. Ce dernier a parié d'arriver à ses fins, contre tout obstacle et règle morale. Il s'agit de l'éternel jeu des puissants à qui rien ne semble pouvoir s'opposer. L'enlèvement, avec la complicité d'une personne d'Eglise, corrompue et dépravée (elle est abbesse d'un couvent) est donc chose faite. Un crime en plus, comme il y en a des milliers, aujourd'hui encore, autour de nous. La fille en question se retrouve donc, un soir, prisonnière dans le palais du puissant personnage qui se prépare à la livrer au destinataire où elle est attendue, comme un cola a la poste. Rien d'étonnant pour quelqu'un qui a côtoie tant de crimes.

Et voilà que l'action créatrice de l'Esprit Saint transforme cette injustice criante en admirable conversion, en faisant ainsi sauter les verrous de l'enfer. La prière, les pleurs et la foi de la jeune fille auront le dessus ; elle voit bien ce qui l'attend : succomber devant l'arrogance du puissant et subir son cruel destin. Mais le grand personnage, à qui la première partie du crime a été commanditée, veut, par curiosité, voir celle qui se trouve chez lui et qui sera livrée à son sort le lendemain. Apparemment ce n'est que de la curiosité. C'est dans ce contexte-là que la conversion aura lieu, dans cette nuit où sa misérable vie sera éclairée par la lumière d'une vie innocente. C'est ici que le travail silencieux de l'Esprit aura raison sur ce coeur, endurci par une vie passée à l'ombre du crime. L'Esprit créateur, qui réchauffe ce qui est glacé, assouplit ce qui est raide, rafraichit ce qui brule, purifie ce qui est sordide, cet Esprit est compatissant pour l'opprimée mais aussi pour son oppresseur. L'Esprit renverse mystérieusement le jeu. Après une nuit sans sommeil, l'homme arrive à relire des phases de sa terrible histoire. Et à la fin de cette nuit, après être passé très près du suicide, voilà qu'il entend, au plus noir de son abime, d'abord très lointaines, des cloches qui sonnent à la volée. Semblables à celles que nous avons entendues tout à l'heure et que nous entendrons encore à la fin de la messe. Petit à petit, à ce premier son de cloches s'en ajoute un autre plus proche, et ensuite un autre plus proche... Que se passe-t-il ? Pourquoi ce bruit de fête quand l'Innommé se retrouve dans ce corps à corps avec la mort ? Il appelle un serviteur qui, tout comme lui, n'en sait rien de ce que les villages préparent ce matin-là. Et on finit enfin par l'apprendre : c'est l'archevêque cardinal de Milan qui est attendu pour une visite pastorale dans le village voisin. Les pensées s'entassent dans la tête troublée de l'homme tourmenté. La motion de l'Esprit fait surgir au dedans de lui des idées tout à fait étonnantes : et s'il allait, lui, rencontrer cet homme très estimé par une foule de gens ? Lui, qui est, depuis toujours, situé dans tout autre univers ? Et le voilà déjà sur la route qui descend depuis son château vers l'église de la paroisse. Oui, il ira rencontrer le cardinal ; car une force mystérieuse le pousse. Le voilà marcher vers le presbytère avec des paysans et des petites gens qui le regardent avec une stupeur et une frayeur incroyable. Que fait-il, lui, ici ? Mais l'Innommé vient lui aussi chercher le pardon. Il le trouvera ; pour lui aussi il y aura, en ce jour, la miséricorde. Car lui aussi a soif d'Esprit, soif du souffle de Dieu

Grâce à l'Esprit, le bien est plus fort que la mal : c'est ce que nous célébrons à chaque eucharistie. À chacun de vivre cette espérance et de lui donner place dans sa vie.