Homélie TO 30 C — Abbaye de Tamié

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Abbaye de Tamié

Homélie TO 30 C

Par Frère Raffaele

Frères et sœurs, avouons que souvent, lorsque nous exprimons notre jugement sur une personne, nous ne disons pas tout de suite ce que nous pensons vraiment d'elle. Nous commençons par dire : « Oh oui, c'est quelqu'un de très bien, et patati et patata, mais...» et voilà la parole assassine qui nous vient aux lèvres, la « parole empoisonnée », comme dit le psaume 63. C'est une stratégie infaillible pour nous valoriser nous-mêmes : démolir les autres. La même chose peut se produire dans la vie spirituelle : dans l'illusion de nous mettre en valeur devant Dieu, nous montrons du doigt les misères d'autrui. Cette attitude a inspiré à Jésus la parabole que nous venons d'entendre, adressée « à certains qui étaient convaincus d'être justes et qui méprisaient les autres ». Ce qui nous frappe le plus dans les paroles du pharisien, et qui nous fait comprendre combien sa prière sonne faux, c'est justement son mépris des autres hommes, qu'il qualifie de « voleurs, injustes, adultères », et en particulier son dédain pour ce publicain qu'il a aperçu à distance. Le pharisien étale ses mérites devant Dieu : il ne se limite pas à observer la Loi de Moïse, mais il en fait bien davantage. Ce religieux irréprochable se pavane devant Dieu et, ce faisant, lui présente sa facture. Du coup, Dieu est mis en demeure de le récompenser. De cette façon, cependant, la prière du pharisien n'est plus une action de grâces, mais un monologue centré sur lui-même. Son orgueil se manifeste dans sa posture même : il se tient debout, tout fier, tel un paon qui fait la roue. Mais, nous dit l'évangéliste, cet homme « prie en lui-même », c'est-à-dire, il n'est pas tourné vers Dieu, mais regarde son propre nombril. Hélas, la prière, qui devrait être une relation, et même la relation par excellence, peut devenir une terrible solitude, un monologue où l'on se contemple soi-même. Le publicain en revanche n'est qu'un pécheur. Il se tient à distance, les yeux baissés, et se frappe la poitrine. En reconnaissant son péché, il se remet entre les mains d'un Dieu miséricordieux, dont il implore le pardon. Oui, ce publicain est un pécheur : qui pourrait le nier ? Pourtant, sa prière est l'expression d'une vraie foi : il ne s'exalte pas lui-même, mais il manifeste sa confiance en la bonté de Dieu. Tandis que le pharisien s'engage dans la voie sans issue de l'autojustification, le publicain redescend dans sa maison justifié, parce qu'il s'est mis devant Dieu en toute vérité. Or, c'est cela l'humilité. L'humilité n'est pas une dépréciation malsaine de soi ; elle est la véritable connaissance de soi devant Dieu, comme l'a dit saint Bernard. Frères et sœurs, avouons que souvent nous sommes portés à jouer un personnage, non seulement devant les autres, mais aussi devant nous-mêmes, voire devant Dieu, ce qui d'ailleurs est parfaitement bête, parce que Dieu connaît les replis les plus intimes de notre coeur. En revanche, le publicain se regarde tel qu'il est, sans masque, sans maquillage, sans oripeaux. Cette reconnaissance lucide et honnête de sa propre misère est le chemin qui conduit à l'humilité. Il s'agit de se juger en vérité à la lumière de la Parole de Dieu, qui démasque notre péché, mais nous révèle en même temps la divine miséricorde. De plus, cette expérience de notre propre misère et du besoin que nous avons de la miséricorde de Dieu change aussi nos relations avec les autres. Car alors, dit toujours saint Bernard, nous nous découvrons solidaires du péché d'autrui, puisque nous nous reconnaissons pécheurs nous-mêmes. Du coup, nous pouvons comprendre nos proches et les accueillir dans un esprit de patience et de douceur, au lieu de les juger avec suffisance (Hum IV, 13-14). L'orgueil de celui qui se croit juste le rend dur et méprisant à l'égard des autres, comme le pharisien de notre parabole (Hum V, 17). En revanche, celui qui a reconnu son péché à la lumière de la miséricorde de Dieu devient humble : il ne juge plus les autres, car il sait qu'il n'est pas meilleur qu'eux, et que la miséricorde de Dieu s'étend à tous les hommes. Puisse le Seigneur nous accorder la grâce de faire cette expérience.